mercredi 15 juillet 2009

LE MALADE URGENT SANS RENDEZ-VOUS - HISTOIRE DE CONSULTATION : DIXIEME EPISODE

Le samedi (entre huit heures trente et quinze heures), c'est rendez-vous.
On a beau prévoir l'urgence (pas la vraie qui vous fout toute la consultation en l'air, non, l'urgence de complaisance ou l'urgence de charité ou l'urgence de gestion de clientèle), les malades "en plus", c'est chiant.
Donc, vers onze heures trente (la secrétaire est rentrée chez elle profiter d'un repos bien mérité), il y a une dame et son fils d'environ treize ans dans la salle d'attente.
J'ai un peu de retard (trois minutes, ce qui pour moi est exceptionnel, en général cela peut atteindre dix à douze minutes) et je prends mon air pas aimable.
- Vous avez rendez-vous ?
- Non, docteur, mais c'est urgent.
Je ne les connais ni des lèvres ni des dents et mon air pas aimable est encore moins aimable que d'habitude.
- Qui est votre médecin ?
- C'est le docteur D mais elle ne consulte pas le samedi.
- Il faut changer de médecin.
J'en profite pour faire entrer le patient qui avait rendez-vous au moment où, touché par la mauvaise mine du garçon, il était sur le point de le laisser passer.
"On va voir.
Je prends tout mon temps avec le malade qui a rendez-vous tout en pensant aux deux qui n'ont pas rendez-vous et qui, je l'espère, vont quitter la salle d'attente, poussés par sa mère, déçus de ne pas passer avant les gens qui ont rendez-vous, même choqués, enfin, le dernier arrivé le premier servi, et, comme je raccompagne le malade et que je vois que le malade suivant est arrivé (à l'heure, comme on dit dans les aéroports) je le fais entrer en jetant un regard désolé sur la mère et l'enfant qui ressemblent autant à un tableau de Giotto que ma salle d'attente à une salle du musée Jacquemard-André.
Quand je ressors, ils sont toujours là, fidèles au poste et, le malade suivant ayant oublié de téléphoner pour dire qu'il annulait, je fais entrer les deux lascars.
- C'est vraiment aussi urgent que cela, dis-je avec ironie ?
- Avec un enfant, vous savez, on ne sait jamais. Je n'allais pas passer trois heures aux urgences ...
Elle a raison, elle aurait pu garder son fils à la maison mais, je m'avance, je ne l'ai pas encore examiné, seulement interrogé. Et j'ai la vision grimaçante de Patrick Pelloux en train, du haut de sa science hospitalière, d'insulter la médecine de ville qui ne fait pas son boulot et qui, ainsi, engorge l'hôpital.
Après examen le gamin fait une rhinopharyngite d'une banalité affligeante, certes vaguement myalgique, mais quand même affligeante avec des tympans même pas rosés et une nuque d'une souplesse inégalée.
- Je crois qu'il va survivre, lancé-je avec finesse.
- Vous êtes sûr, demande la mère qui a l'art de rendre les gens à l'aise, que ce n'est pas la grippe mexicaine ?
- Heu, non. Ce n'est pas une grippe.
- Mais rien ne ressemble plus à une rhinopharyngite qu'une grippe banale, me dit-elle en prenant son air le plus catastrophé, celui qui connaît Doctissimo par coeur pour l'avoir potassé avant d'entrer chez le médecin au cas où une interrogation écrite surprise s'imposerait.
Elle a raison, la dame, qu'est-ce qui ressemble le moins à une grippe H1N1 qu'un syndrome fébrile non identifié ? Et encore, au moment de cette consultation, n'avais-je pas appris qu'une petite fille et un médecin généraliste étaient morts, certes en Grande-Bretagne, salauds de rosbeefs, mais morts quand même ! C'est comme cela que commencent mes cauchemars, une grippe H1N1 non diagnostiquée qui finit... Comme l'autre soir en m'endormant et en essayant de chasser de mes yeux à peine ensommeillés le visage de Didier Houssin en train de déclarer dans un point de presse (flanqué de ses deux égéries, la Roseline sans sabot et la Weber avec ses boucles d'oreille ultra sexy), que maintenant que la grippe mexicaine va être mortelle il paraît logique d'en confier la gestion aux médecins généralistes où la mort sera assurée avec plus de désapprobation que dans les ors des cabinets ministériels ou dans les couloirs des urgences pellousiennes...
Moi, complètement inconscient, n'ayant pas vérifié qu'elle n'a pas un système d'enregistrement caché dans son sac ou collé à sa peau comme dans les séries télévisées, je lui dis : "Mais Madame, je vous dis que votre fils a une rhinopharyngite, il faut me croire... Ce n'est pas une grippe H1N1."
- Ah... fait-elle, faussement rassurée.
Je tape l'ordonnance et la lui tends pendant que j'introduis la carte vitale dans la fente.
- Mais, me dit-elle, vous ne lui avez pas donné d'antibiotiques ?
- Non, dans une rhinopharyngite, cela ne s'impose pas.
- Mais, nous étions venus pour avoir des antibiotiques !
- Je crois que la prochaine fois vous irez soit aux urgences soit vous attendrez lundi le docteur D.
N'empêche que le lundi je me suis demandé si le gamin, finalement, et malgré toute ma morgue, n'avait pas fini aux urgences, emmené par le Samu avec un prélèvement rhinopharyngé sur le point de se positiver à l'hôpital Bichat.

mardi 7 juillet 2009

DEPISTAGE DU CANCER DU SEIN : UNE FEMME GENERALISTE DIT NON POUR ELLE-MEME

Une femme médecin généraliste anglaise refuse pour elle-même le dépistage du cancer du sein par mammographie.
Iona Heath a écrit un magnifique papier dans le British Medical Journal dont vous ne pourrez lire que les 150 premiers mots.
Elle explique d'abord qu'elle sait ce que c'est que de voir ses propres patientes mourir d'un cancer du sein.
Elle dit avoir refusé plusieurs fois le dépistage car, contrairement à ses patientes, elle est au courant des risques
Elle commente la brochure que toute femme britannique invitée à passer une mammographie reçoit : cette brochure est faite, dit-elle, pour que les femmes ne puissent refuser.
Elle argumente ensuite :
  1. Elle cite la brochure alternative que la Revue Cochrane met en ligne. Les habitués de la lecture critique et de ce blog ne seront pas surpris : "Pour 2000 femmes invitées au dépistage pendant dix ans, un décès dû au cancer du sein sera évité mais dix femmes en bonne santé seront surdiagnostiquées. Ce diagnostic par excès conduira à 6 tumorectomies inutiles et à 4 mastectomies non justifiées et placera 200 femmes dans une situation de troubles psychologiques liés aux investigations suivantes. Ainsi, le pourcentage de femmes survivantes à 10 ans sera de 90,2 % si elles ne se sont pas prêtées au dépistage et de 90,25 % dans le cas contraire." Iona Health : Existe-t-il une différence suffisante pour contrebalancer les risques possibles ? For me, it is not."
  2. Pourquoi les femmes de ce pays n'ont-elles pas le droit d'être informées correctement sur les controverses scientifiques qui persistent notamment sur le nombre de diagnostics par excès et sur l'histoire naturelle des cancers canalaires in situ qui représentent 25 % des cancers révélés par le dépistage ?
  3. Mon expérience clinique, poursuit Iona Heath, m'a fait rencontrer nombre de femmes de ma liste de patients (list size) qui ont été diagnostiquées et traitées et qui vont "bien". depuis des années. Elles sont probablement persuadées que c'est le programme de dépistage qui les a sauvées. Mais moi je me pose des questions sur le nombre de ces femmes qui ont été surdiagnostiquées et qui ont été soumises au traumatisme de l'annonce du diagnostic du cancer et aux conséquences collatérales (traitement mutilant et affaiblissant alors qu'elles n'avaient rien). Sans compter que les conséquences ne s'arrêtent pas là : les filles de ces femmes sont infectées toute leur vie par la peur du cancer et leurs risques augmentés d'en avoir un.
  4. Combien de médecins ont compris la description en 1985 par Alvin Feinstein de l'effet Will Rogers (New England Journal of Medicine 1985;312:1604-8) et ses implications ? LA [Docteur du 16 : je vous joins le meilleur article en français que j'ai trouvé sur ce point. Il est situé à la fin du papier qui rapporte trois autres phénomènes et paradoxes de la médecine qu'il vaut mieux connaître : l'effet Hawthorne, la régression à la moyenne, et le paradoxe de Simpson] L'effet Will Rogers signifie que dans une maladie donnée, quand un nombre de plus en plus grands de patients sont inclus, en raison d'un glissement des classifications de la maladie (dû à l'amélioration des techniques de dépistage, à une extension des définitions de la maladie et à un abaissement des seuils d'intervention préventive), il apparaît de façon illusoire que le pronostic de la maladie s'améliore (la détection précoce de métastases par de nouveaux examens fait glisser les malades de la catégorie bénigne à la catégorie grave ce qui améliore le pronostic des malades bénins) alors que cela n'affecte aucunement le pronostic individuel des patients. [Cela a été montré dans le cancer de la prostate et dans le cancer du colon.] Cet effet explique le contentement des oncologues, mammographistes et chirurgiens en regardant les chiffres du dépistage du cancer du sein.
  5. La peur durable du futur signifie qu'il n'est jamais facile de refuser les bénéfices promis par le dépistage. Voici ce qu'écrit David Misselbrook, un généraliste anglais dans son livre "Thinking about patients" : "Considérons le nombre de malades à traiter pour prévenir une seule issue défavorable dans les programmes de dépistage : pourquoi autant de monde accepte de se faire dépister ? Probablement parce que nous les nourrissons de promesses attachées à un modèle de réduction du risque relatif. Mais aussi parce qu'il s'agit d'un équivalent moderne d'une offrande votive au temple de l'Hygiène. C'est un subterfuge pour gérer notre peur." Iona Heath : "Il est important que les programmes de dépistage alimentent encore plus cette crainte dans le but de promouvoir l'adhésion d'une façon non éthique."
  6. Il est nécessaire, dans ce contexte, de se rappeler la description que fait David Sackett de l'arrogance de la médecine préventive : " La médecine préventive est trois fois arrogante : Premièrement, elle est agressivement affirmative traquant les individus sans symptômes et leur disant ce qu'ils doivent faire pour rester en bonne santé... Deuxièmement elle est présomptueuse, persuadée que les actions qu'elle préconise feront, en moyenne, plus de bien que de mal à ceux qui les acceptent et qui y adhèrent. Finalement, la médecine préventive est autoritaire, attaquant ceux qui questionnent la validité de ses recommandations."
Voici la conclusion de Iona Heath : "J'ai pris ma propre décision. D'autres femmes, avec une perception différente de leurs risques individuels, pourront prendre une décision différente de façon appropriée. Il n'est pas erroné de dire oui au dépistage mais il n'est pas non plus erroné de dire non.

dimanche 5 juillet 2009

PARACETAMOL : ATTENTION, LE RETRAIT DU DIANTALVIC NE FAIT PAS DU PARACETAMOL UNE MOLECULE SURE !

L'annonce récente par l'AFSSAPS du retrait progressif des spécialités contenant du dextropropoxyfène (et dont les produits emblématiques sont le Diantalvic et le Propofan) ne sont pas, à mon avis, un succès de la pharmacovigilance. Qu'une molécule contenue dans 70 millions de boîtes vendues par an en France devienne du jour au lendemain, indésirable pose de sérieuses questions sur l'état de vigilance (au sens propre et au sens figuré) de la société française.

Nous tenterons de commenter dans un prochain article comment cette décision, imposée par l'Europe, mériterait des développements sur l'état du système de pharmacovigilance français, sur le manque d'analyses prospectives de nos autorités de veille sanitaire et sur les conséquences prévisibles (et imprévisibles) de ce retrait.

Nous nous attacherons à ceci : le paracétamol n'est pas un produit si sûr qu'il n'y paraît.

Il semblerait d'ailleurs que la France soit épargnée par les effets indésirables du paracétamol.
Nous avons l'habitude de cette formule gauloise de rhétorique puisque des exemples récents en ont fourni des données objectives : la France a été épargnée par le nuage de Tchernobyl, par le nuage de la cocaïne, et, pour l'instant, par le virus H1N1.

Les statistiques françaises les plus récentes (1990, excusez du peu) indiquent six morts par an.
Les Autorités Françaises expliquent cette incongruité pharmaco-épidémiologique franco-française en se vantant du fait que la France, la première dans le monde, a réduit le contenu unitaire des boîtes contenant du paracétamol à 8 g (huit comprimés de paracétamol 1000 ou seize comprimés de paracétamol 500). Or, les Britanniques (peuplade bizarre considérant que la pharmacovigilance est une branche de la médecine aussi importante que la rhumatologie, par exemple), qui n'ont "suivi" l'exemple français qu'en 1998, ont un défaut majeur pour nos élites médicoscientifiques : ils analysent avant de prendre des décisions et ils font le service après-vente (cette vision idyllique de la médecine britannique doit être modérée par le bon sens et ne doit pas inférer que mon principal conflit d'intérêt serait d'être payé par le British Council ou par la British Medical Association) : le nombre de décès annuels attribués au paracétamol dans les cinq années précédant le changement de boîtage de 1998 était de 212 contre 154 dans les cinq années suivantes (et alors que le nombre de décès par suicide avait également baissé en Grande-Bretagne, ce qui modère les résultats). L'écart entre les chiffres français n'est-il pas dû à la large utilisation du DPP ?

Par ailleurs, la FDA vient de formuler de nouvelles recommandations concernant l'utilisation du paracétamol (et, accessoirement des AINS comme anti douleurs de palier I). Nous y reviendrons une autre fois sur ce blog). Nous nous cantonnerons aux recommandations adultes.
  1. Diminuer la posologie journalière en dessous de 4 g (et au mieux 3,25 g)
  2. Ne pas donner des formes à libération immédiate excédant 650 mg par prise
  3. Baisser encore plus les posologies chez les consommateurs réguliers d'alcool
On attend les recommandations françaises.

Il est vrai que les Etats-Uniens "travaillent", qu'il y a des publications. En voici une qui a certainement contribué à susciter de telles recommandations et qui date de 2002 !
C'est une étude prospective menée dans 17 centres de soins dits tertiaires participant à l'US Acute Liver Failure Study Group. L'objet de cet essai (et là encore, je ne voudrais pas être lourd, je voudrais souligner l'aveuglement de nos autorités qui croient tout savoir sans rien étudier) était : "Parce que les insuffisances hépatiques aiguës sont rares, les données sont éparses. Des études ont suggéré que c'étaient les hépatites virales qui étaient la cause majoritaire de ces insuffisances hépatiques aiguës."
Quoi qu'il en soit, voici les résultats qui concernaient 308 patients consécutifs (durée : 41 mois) : surdosage en paracétamol (39 %), interactions médicamenteuses idiosyncrasiques (13 %), hépatites virales A + B (12 %), cause indéterminée (17 %). Rappel : la survie à trois semaines a été de 67 %, le taux de transplantation était de 39 % et le taux de survie sans transplantation était de 43 % Le pronostic de la transplantation était meilleur quand il s'agissait d'une cause liée au paracetamol.


CONCLUSIONS :
  1. Le paracétamol n'est pas aussi anodin que cela
  2. On attend des recommandations de l'AFSSAPS et des préconisations de Prescrire après le retrait du diantalvic et apparentés.
  3. Dans un pays où l'hépatite B est endémique comme les US, ce ne sont plus les hépatites qui sont les plus génératrices d'insuffisance hépatique aiguë