dimanche 18 juillet 2010

A CENT METRES DU CABINET - HISTOIRES DE CONSULTATION : TRENTE-SIXIEME EPISODE




(J'aime beaucoup ce proverbe indien : "Il est plus facile de faire la charité à cent kilomètres de chez soi qu'à cent mètres de sa maison." Que tous les donateurs du Téléthon en prennent de la graine.)
En cette toute fin d'année scolaire l'enfant A (exceptionnellement je donne son faux vrai prénom : Oussama, cela aura de l'importance pour la suite...) est assis en face de moi, sûr de lui comme prêt au combat ou, plus exactement, très déterminé. Il est accompagné de son beau-père que je connais depuis quelques années, Monsieur B. Il fréquente l'école primaire C, située à cent mètres du cabinet et qui est fréquentée par nombre de petits patients du cabinet.
A, dix ans, sait déjà ce qu'il va raconter. C'est un beau petit mec, un peu rond mais sans plus (nous avons déjà parlé ensemble des problèmes que peut poser la consommation des boissons sucrées, des frites et autres gracieusetés de notre formidable société d'abondance et sa belle allure montre qu'il a écouté ce que je lui ai dit et ce que ne cesse de lui répéter sa maman), que je ne vois pas souvent parce qu'il n'est jamais malade (comme on dit). la dernière fois remonte à un rappel vaccinal, il y a environ un an et demi.
L'histoire est la suivante : "Depuis plusieurs mois, A est en butte à des agressions répétées de la part de camarades de l'école. Cela a commencé par des faits particulièrement violents : trois garçons l'ont mis tout nu dans les toilettes de l'école élémentaire et l'ont roué de coups. Aucune intervention du personnel de l'école. Peu de réactions de la part de l'équipe enseignante, dont son institutrice. A parle, les parents réagissent immédiatement. Réunion avec le directeur et l'enseignante, les parents des trois enfants sont convoqués, excuses, tout va rentrer dans l'ordre. Ce n'est pas le cas."
Je demande au beau-père : "Vous avez porté plainte ? - Non. - Pourquoi ? - Parce que nous pensions que cela allait s'arranger. Et le directeur n'avait qu'une seule crainte : que nous portions plainte. - Hum. Et j'imagine donc que les choses ont continué..."
Suite de l'histoire : "Non seulement les choses ont continué mais elles se sont installées. Plus de mise à nu dans les toilettes mais agressions répétées dans la cour et à la sortie de l'école dont A sort en courant le plus vite possible. D'après l'enfant tous les enseignants ferment les yeux, personne ne surveille la cour de récréation (ils boivent des cafés à l'intérieur -- fait que j'ai vérifié ultérieurement--) et ce qui se passe à l'extérieur ne les regarde plus." Je suis étonné par la maturité de cet enfant, par les mots qu'il utilise, par, je dirais presque, la distance qu'il prend en disant les faits, comme s'il avait déjà tourné la page.
La version de A : " Mais surtout, un jour, ils m'ont tordu le bras dans la cour de récréation, je suis venu me plaindre à la maîtresse et elle m'a retordu le bras dans l'autre sens en disant que je l'avais bien cherché. Moi : Tu dis vraiment la vérité. - Je le jure. - Ouah ! Mais c'est grave. - Et, ajoute le beau-père, ils prétendent toujours que c'est lui qui cherche la bagarre... - J'ai déjà entendu cela quelque part (voir ici)."
Moi : Qu'est-ce que vous attendez de moi ? - On voudrait un certificat." Je leur explique le comment du pourquoi de ces certificats. "Vous êtes donc décidés à porter plainte ? - Oui. - Mais il faut que vous m'en donniez la preuve. - La preuve ? - Oui. Car si vous ne portez pas plainte je vais devoir contacter le procureur de la République pour faire un signalement. - Mais nous allons porter plainte. - Pourquoi ne pas l'avoir fait auparavant ? - Nous regrettons, nous regrettons, nous avions peur, mais maintenant qu'il va au collège en centre ville. - Il a obtenu A ? - Nous nous sommes débrouillés. - Le russe ? - Le russe."
Je rédige donc un certificat en m'entourant de toutes les protections possibles afin de ne pas raconter d'histoires, de ne pas dénaturer les propos et de ne pas faire preuve d'empathie. Je suis terrifié par ce que je viens d'entendre. Certes, autour du cabinet, il y a des agressions, il y a des voitures qui brûlent, il y a des menaces, des incivilités, et cetera mais que des faits pareils, s'ils sont avérés, se passent aussi près en touchant de si jeunes enfants... Et que les enseignants fassent preuve d'aussi peu de compassion ou de légalisme...
Je pose une dernière question : "Mais sais-tu au moins pourquoi ils t'en veulent ? - Ils me traitent de sale Français parce que maman vit avec lui ! (me dit-il en montrant son beau-père)." La boucle est bouclée.
PS - Le lendemain le beau-père vient me montrer les courriers adressés au Procureur de la République et à l'Inspection Académique. Bonnes vacances !

5 commentaires:

marchand a dit…

La situation décrite se produit tous les jours dans les ecoles publiques ou privées, que l'enfant d'appelle Oussama, Marie ou Sarah.Le problèmes : la réponse à la victime des adultes en général et des enseignants en particulier , au choix: tu l'as bien cherché ou , ça t'apprend à te défendre seul. Qu'il s'appelle Mohamed,Pierre ou David.

JC GRANGE a dit…

J'entends bien.
Mais c'est une attitude que je dénonce : les adultes se refusent à exercer leur rôle d'adultes. Chacun peut y mettre ce qu'il veut dans ce rôle d'adulte. Mais en l'occurrence il s'agit, au delà des bonnes paroles, de botter en touche et de pas s'interroger.
C'est ni plus ni moins la reproduction des inégalités, qu'elles soient sociales ou psychologiques.
Ce n'est qu'un point de vue, pas une façon de vivre...

Anonyme a dit…

C'est horrible! Je trouve que les adultes sont en situation d'échec et abandon total et l'origine ne doit pas justifier en aucun car le fait d'être agressé ou agresseur. Personne ne cherche être une victime, mais l'auteur choisit souvent volontairement et intentionnellement son acte.

Chantal a dit…

Ca va vite la publication, même pas le temps de m'être un nom.Ah,! l'informatique!

Marie-Vie a dit…

Dans ma première école, la maîtresse disait à ma mère: "votre fille est folle, elle pleure quand on gronde quelqu'un d'autre" (si maman avait entendu une fois comment elle GRONDAIT... et, apparemment, la maîtresse ne savait pas qu'on puisse compatir...).
Dans ma deuxième école s'était la maîtresse qui incitait la classe à me harceler. Les raisons, il me semble que je les ai cerné, 25 ans plus tard...
Dans ma troisième école le maître, un homme, disait à ma mère: "votre fille est grosse, elle doit apprendre à utiliser son poids pour se défendre".
Etc. Je pourrais continuer. Et rien ne change.