jeudi 19 août 2010

MEDECINS DE PREMIER SOIN VERSUS SPECIALISTES : DES ELEMENTS ETASUNIENS

Je lis ce matin un article étasunien (un point politiquement correct dans ma musette) dans Medscape Family Medicine (ici), revue de formation médicale exclusivement sur le net d'un niveau très inégal et, surtout, très nord américaine et donc, parfois, un peu exotique tant pour le sujet de ses articles que pour les conclusions éventuelles que l'on pourrait en tirer dans notre pratique quotidienne. L'article, donc, traite du sujet épineux des relations entre Médecins de Premier Soin (MPS) (Primary Care Physicians) et spécialistes. Vaste programme...
Ce sujet est souvent traité en France sous l'angle organisationnel du système de santé (la circulation et la prise en charge des patients en cas de demandes de soins et ensuite) et sous celui des honoraires.
Mais il existe bien entendu des sous-entendus très forts qui peuvent se résumer à ceci : de la part des spécialistes un mépris condescendant et ambigu pour leurs confrères médecins généralistes dont, pour simplifier, la compétence serait assimilée à leur faible Valeur prédictive Positive et, de la part des médecins généralistes (désormais spécialistes autoproclamés), un mépris complexé sur ces spécialistes centrés plus sur les organes que sur la personne humaine. N'est-ce pas un peu court, jeune homme ? S'y surajoute l'impression que les spécialistes, de ville ou hospitaliers, sont très Big Pharma Addicts et on aura esquissé le panorama.

Cet article raconte ceci :
  1. La ligne de partage entre MPS et spécialistes est de moins en moins claire ; le pourcentage de MPS ne cesse de diminuer (30 % aux EU) ; les MPS ont tendance à proposer des services que les spécialistes étaient les seuls à proposer ; les spécialistes "piquent" des patients dans une proportion variable selon les endroits, selon la densité médicale et selon le degré de compétition entre médecins pour obtenir des malades.
  2. Quand le correspondant "kidnappe" le malade : il est loin le temps où le correspondant recevait le patient adressé, donnait des conseils, faisait des suggestions et renvoyait le patient au MPS afin qu'il délivre les soins. Les reproches des MPS : le spécialiste ne s'occupe pas seulement de sa spécialité ; il fait aussi de la médecine générale ; il ne renvoie pas le patient ; certains spécialistes plus que d'autres : endocrinologues, notamment ; le malade est persuadé qu'il est nécessaire de continuer à voir un spécialiste alors que son état ne le justifie pas ; tant et si bien que les rendez-vous pour des urgences ou des semi urgences ne sont plus aussi bien assurés : les cabinets de spécialistes sont encombrés de malades qui devraient être suivis par des MPS ; certains correspondants ne voient même pas le patient adressé et l'adresse à un autre spécialiste sans en référer au MPS...
  3. Les patients avec un MPS de trop. Le MPS a parfois l'impression que le correspondant, après avoir fait un diagnostic ou en avoir précisé les contours, s'empare du malade et se transforme en MPS coordinateur en adressant le patient à d'autres spécialistes. Le MPS pense que ce n'est pas de la bonne médecine, que c'est coûteux (l'accumulation de consultations et d'examens complémentaires), que ce n'est pas favorable au patient : qui vérifiera les vaccinations, les examens de prévention (coloscopie, frottis, mammographies) et, surtout, qui aura une vision d'ensemble et non une vision morcelée du corps du patient ?
  4. Les patients qui préfèrent un lieu unique de traitement. Un certain nombre de patients, une fois qu'ils ont consulté un spécialiste dans un cabinet préfèrent se rendre toujours au même endroit pour consulter d'autres spécialistes et ne voient pas l'intérêt de reconsulter leur MPS. De plus en plus de patients, d'ailleurs, prennent directement rendez-vous chez le spécialiste, ne comprenant pas pourquoi ils devraient perdre du temps chez leur MPS. C'est aussi aux MPS de rassurer les patients sur leurs propres compétences...
  5. Le généraliste comme spécialiste. Un certain nombre de MPS pratiquent des activités de spécialiste (docteurdu16 : Il est intéressant de noter que cet article recense des activités que tout généraliste français peut pratiquer comme entretiens psychiatriques, lecture d'ECG, suivi de malades coronariens, petite chirurgie, mais qu'ils pratiquent des home tests, des tests d'effort, des mesures de la DMO, et 10 % d'entre eux, des coloscopies... dans des structures adaptées...) Les raisons en sont la praticité pour les patients, l'éloignement de structures adaptées ou... l'argent. A signaler que des praticiens internistes (en France il y en a très peu, et plutôt dans les grandes villes, qui sont installés en ville) proposent de multi services comme le docteur Sheree Lipski dans l'Illinois où, sans associé, elle emploie une infirmière et un kinésithérapeute ! Mais l'article cite le cas d'un groupe de MPS en Floride qui pratique non seulement des échographies mais des tests d'effort et qui dispose de possibilités pour faire des imageries nucléaires...
  6. Un consensus recherché : les MPS revendiquent plus contre le fait que les spécialistes ne leur "rendent" pas leurs malades que de pratiquer des gestes de spécialistes. Les MPS avouent aussi que les actes techniques sont mieux rémunérés que les actes intellectuels et que c'est la raison pour laquelle ils tentent de mordre sur le territoire des spécialistes ou de retrouver leurs prérogatives.
Commentaire de cet article : la situation américaine est très différente de ce que nous constatons en France mais il est clair que les mêmes problèmes se posent. Nous ne reviendrons pas ici sur la cause essentielle du malaise des médecins généralistes, à savoir le manque initial de reconnaissance et de formation à la médecine générale dans les Universités, mais surtout, me semble-t-il, aux problèmes démographiques qui ont fait passer en peu de temps la France de la compétition entre médecins généralistes à la compétition entre médecins généralistes et spécialistes.
Il est difficile de généraliser et la situation est différente selon les régions et selon les lieux d'implantation dans les régions.
Je pense qu'il faut que le médecin généraliste sache ce qu'il fait, comment il le fait et pourquoi il le fait. Il doit être à la pointe des connaissances dans son domaine, s'informer constamment, se poser constamment des questions sur sa pratique, être à l'écoute de ses patients et de la société afin que ne se crée pas un hiatus entre lui et la population.
Le médecin généraliste ne doit pas non plus pêcher par excès de confiance ou par excès de défiance vis à vis de lui-même.
Le contenu de la consultation (ou de la visite) est un des enjeux majeurs de sa pratique. S'il veut se placer sur le volet technique de la médecine, c'est à dire vouloir concurrencer le spécialiste sur la scintigraphie au thallium lors du test d'effort par exemple ou pour pratiquer des coloscopies, il a perdu. A moins qu'il ne vienne faire les examens à l'hôpital ou en clinique, ce qui est consommateur de temps. Mais s'il veut proposer, sur place, de la petite chirurgie traumatologique ou dermatologique, des tests sanguins pratiqués par des infirmières (car l'évolution des laboratoires d'analyse médicale va conduire à l'hyper concentration), des ECG effectués par une secrétaire ou une infirmière, des séances de kinésithérapie ou des consultations d'assistante sociale, comme cela se pratique déjà en Grande-Bretagne, il est possible que la désertification cesse et que les étudiants aient envie de choisir la médecine générale comme le métier de base de l'activité médicale... Mais ce ne sont que des exemples...

Dans une prochaine chronique je tenterai de proposer des Bonnes Pratiques Cliniques d'Adressage des patients en sachant, chers amis, généralistes, que ces Bonnes Pratiques ne concernent pas que les correspondants.

Dans une autre chronique je tenterai, comme indiqué précédemment dans mes bonnes intentions pour la rentrée, de lancer un travail sur le contenu de la médecine générale et sur les possibilités de changements qui ne soient pas du copier / coller de l'activité des spécialistes.

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