mardi 21 septembre 2010

POURQUOI LES PATIENTS CONSULTENT-ILS ?

Vaste question. Pauvreté de la réponse.
Madame A vient hier après-midi avec ses trois enfants après la sortie de l'école. Leur âge a éventuellement de l'importance : six ans, quatre ans et vingt mois. Ce n'est pas la première fois qu'elle vient et ce n'est pas la dernière. Au bout du compte, et alors qu'elle a attendu une bonne heure et demie dans une salle d'attente bondée (le lundi après-midi, la consultation est "libre") et qui continue de l'être après qu'elle est entrée dans mon bureau, ses trois enfants ont un rhume banal. Pas grand chose à se mettre sous la dent. Ce sont des rhumes, un point c'est tout.
Je les ai donc examinés, ces enfants, je leur prescris des médicaments que l'on peut authentiquement appeler des produits de confort et quid ?
Je n'ai pas eu besoin de les peser, je n'ai pas eu besoin de vérifier que les vaccinations étaient à jour, puisque ce sont des enfants que je vois régulièrement.
Il y a eu trois consultations et je n'ai pas passé quarante-cinq minutes à les examiner, écrire dans le carnet de santé, compléter le dossier dans l'ordinateur, écrire des ordonnances tapuscrites et passer la carte vitale. Une petite demi-heure.

Que dire à cette maman inquiète ou préoccupée ou attentionnée ou obsessionnelle ou mal informée ?

Avant de vous fournir des réponses, quel est le contexte ?
On dit que la médecine générale est en péril.
On dit que les déserts médicaux vont se multiplier.
On dit que les jeunes médecins ne veulent plus s'installer comme médecins généralistes libéraux.
On dit que les médecins généralistes ne sont pas contents de leur sort, que leur rôle se restreint, qu'ils perdent leur notabilité, qu'ils sont écrasés par la paperasse, que leurs honoraires ne progressent pas et, encore plus, que leurs revenus stagnent ou régressent.
On dit que de plus en plus de médicaments sont moins remboursés ou déremboursés.
On dit que les dépassements d'honoraires se multiplient.
On dit que l'on entre à grande vitesse dans la médecine dite à deux vitesses : celle des pauvres et celle des riches.

Que dire à cette femme ?
Le médecin EBM : lui donner des conseils, la rassurer, lui demander de ne pas consulter pour un rhume, ne plus donner de médicaments qui ressemblent à des placebos.
Le médecin auto satisfait : chez moi cela ne se passe pas comme cela...
Le médecin anxiogène : vous avez eu raison de venir, cela aurait pu être plus grave.
Le médecin qui a des fins de mois difficiles : vous auriez pu attendre un jour de plus mais cela permet de payer la secrétaire
Le médecin philosophe : c'est grâce à des gens comme vous que je peux passer plus de temps avec des patients déprimés.
Le médecin qui s'y croit : chez moi, je ne reçois que des "vrais" malades...
Le médecin empathique : la porte est ouverte, quand vos enfants sont malades, vous pouvez toujours venir, je suis là pour vous rassurer.

Mais les autres médecins généralistes peuvent aussi donner des conseils à ce médecin généraliste :
Virer cette famille de la clientèle
Ne prendre les patients que sur rendez-vous
Avoir une secrétaire qui fait la part entre ce qui est bénin et ce qui est grave
Proposer seulement une médecine EBM
Faire le tri des malades
N'accepter que des "malades"
Tapisser la salle d'attente d'affiches informatives

Une critique "de gauche" : les "vraies" gens ont le droit à la santé ; les populations défavorisées ont besoin d'être rassurées et reçues ; c'est par l'éducation que ce médecin aura moins de monde dans sa salle d'attente ; si les médecins se désintéressent des rhumes, les pauvres malades iront directement chez le pharmacien qui ne les examinera pas et qui leur vendra des produits "conseils" chers et non remboursés ;
Une critique "de droite" : les rhumes n'ont rien à faire dans les cabinets médicaux ; c'est une des causes du déficit de la sécurité sociale ; l'automédication, c'est l'avenir ; il faut faire la différence entre le petit risque et le "grand" ; les franchises sont justifiées dans un système assuranciel ;
Une critique "raisonnable" : si le médecin généraliste veut donner du sens à son activité, il doit faire des activités "nobles", des ECG, des frottis, des poses de stérilet, de la petite chirurgie, des accouchements à domicile, enlever des verrues, et se désintéresser d'une médecine qui n'est pas de la médecine mais de la vie quotidienne ;
Une critique illichienne : soigner un rhume chez un médecin c'est médicaliser la société, c'est rompre l'autonomie des patients, c'est donner l'illusion que ne pas traiter un rhume fait courir des risques à l'individu et à la société tout entière.

Comme on dit : un rhume guérit tout seul en huit jours et en une semaine quand on va voir son médecin.




5 commentaires:

Chantal a dit…

En Allemagne, les médicaments pour un rhume ne sont depuis des années plus pris en charge, même si le médecin en prescrit. Les assurances de maladie ont décidé que cela peut se passer d'une visite médicale et que les médicaments peuvent s'acheter directement chez le pharmacien. En cas de rhume ou de grippe, on doit consulter le médecin lorsque la fièvre est haute, les symptômes s'aggravent ou des "Kreislaufprobleme" apparaissent.

J'ai eu une grippe d'été, au bout de 24H je n'étais plus capable de me rendre chez un médecin tellement j'étais mal, car le médecin de garde est dans mon coin l'hôpital, en plus! Là, le système français est meilleur que son homologue allemand.

Si cela continue, on va revenir du temps des charlatans et rebouteurs car les médecins et la médecine seraient inaccessible pour une grande partie de la population.

Bonne journée

Borée a dit…

Je me reconnais bien dans la critique "illichienne" !

Pas forcément d'accord avec l'idée que les petites gens soient nécessairement plus anxieux et réfractaires à la pédagogie médicale.

Parmi mes patients, il y a des gens très modestes, sans une grande culture et avec qui, petit à petit, on a pu poser des cadres, apprendre à apprivoiser les angoisses et "démédicaliser" bien des situations.

Pour d'autres, ça n'a pas marché et je ne les vois plus. Pas sûr du tout que ce soit en lien direct avec le niveau socio-culturel.

Ce qui est sûr aussi, et ça me fait chier de le dire, c'est que tant qu'on restera avec un système de rémunération presque exclusivement à l'acte, c'est financièrement un peu suicidaire de démédicaliser la bobologie pour ne se consacrer qu'aux soins lourds.

JC GRANGE a dit…

A Borée : Je n'ai pas inféré que les petites gens (sic) soient, comme tu le dis, nécessairement plus anxieux et réfractaires... Comme j'exerce dans une ZUP, je ne vois, ou presque, que des ouvriers et des employés, qui plus est, émigrés. Dans ma famille il y a des "grandes" gens qui consultent autant les médecins et pour des causes multiples et variées.
Ce que je voulais souligner (bien maladroitement, je m'en rends compte) c'est que les gens qui ont peu d'argent sont ou seront toujours les victimes des restrictions budgétaires, des franchises et des médicaments non remboursés (même si je suis le premier à applaudir le déremboursement des placebos...)
Bonsoir

Anonyme a dit…

Il se trouve que la semaine dernière, j'ai emmené mon bébé chez le médecin pour un rhume : un rhume qui durait depuis presque trois semaines et il commençait à apparaître de la fièvre.
Le médecin m'a rassurée : ben oui, c'est un rhume ....
Le jour même, fièvre à 39,5 qui a persisté le lendemain, puis une jolie éruption : ben oui, en fait, c'était la roséole.
Ce n'est pas un reproche pour mon médecin, il ne pouvait pas le savoir avant l'éruption, mais quand on consulte, c'est aussi qu'on sent que la situation n'est pas "normale", même si c'est un simple rhume ...

Anonyme a dit…

Personnellement, j'explique aux parents anxieux de nourrissons fébriles, que ces infections sont une étape nécessaire pour renforcer leur système immunitaire et que ces infections sont généralement bénignes. Ca ne marche pas à tous les coups. La dernière fois que j'ai dit ça les parents ou plutôt l'interprète des parents m'a dit que s'ils étaient inquiets c'est qu'ils avaient perdu un nourrisson de 7 mois suite à une gastro-entérite. Mais c'était en IraK. En France, la mortalité infantile (mortalité des enfants nés vivants avant un an) est une des plus faibles au monde, environ 3,5/1000 environ 2800 décès en 2005. Parmi ces nourrissons seul une soixantaine en 2005 sont morts suite à des infections aigües. Après un an la mortalité pour causes infectieuses diminue encore. Alors, en effet, pourquoi ces millions de consultations pour des rhumes, des trachéites, des gastro-entérites où les traitements ne sont que symptomatiques et ne raccourcissent pas l'évolution de la maladie? Peut-être parce que les parents sont rendus inquiets par des discours délibérément anxiogènes ("si vous ne vaccinez pas votre enfant il risque de mourir de la grippe"). Et que les médecins plutôt que de renoncer à leur aura de toute puissance thérapeutique, d'expliquer que c'est bénin et de dire quels sont les signes qui doivent réellement inquiéter préfèrent abonder dans leur sens en faisant semblant de répondre à une demande qu'ils ne peuvent pas satisfaire. Pourtant je pense que les parents sont généralement des gens raisonnables, qu'il faudrait informer et non éduquer parce que le terme me paraît un peu condescendant, et qu'une fois informés ils seront davantage capables de gérer eux-mêmes la bobologie et de libérer du temps de médecin pour des tâches plus essentielles. Même si on peut entendre qu'un parent, même informé, consulte parce qu'il a besoin d'être rassuré.
CMT