dimanche 20 mai 2012

Les centres anti douleurs : des annexes du laboratoire Pfizer.


Nous avons évoqué ICI et LA combien nous vivions dans une société où l'objectif affiché était l'absence de douleurs comme si la douleur n'était pas une donnée physiologique ou anthropologique mais une donnée "construite", c'est à dire sociologique, voire politique, qu'il était nécessaire d'éliminer. Je ne me fais pas dire ce que je ne veux pas dire : je ne suis pas en train d'affirmer que la douleur est nécessaire, qu'elle est formatrice, qu'elle est éducative, qu'elle est une émotion nécessaire pour accepter notre humaine condition, voire qu'elle se justifie pour expier nos péchés supposés ou réels ou une épreuve que tout humain se doit de surmonter tout seul ou avec une aide extérieure. Je veux simplement dire que cet objectif est, pour l'instant, inatteignable.
Ainsi, aux Etats-Unis d'Amérique, nous avons appris ICI que 116 millions d'Américains souffraient de douleurs chroniques, que cela représentait environ 600 milliards de dollars de dépenses annuelles, et que les Etats-uniens n'étaient pas soulagés de leurs douleurs avec, en sus, environ 1000 morts par an liés aux opiacés (LA).
On marche sur la tête.

Les patients qui consultent dans les cabinets de médecine générale désirent le plus souvent (même si l'approche est indirecte, je parle de ça et c'est de ceci que je voulais parler) être soulagés d'un état ou d'une condition qui leur semblent nécessiter l'intervention d'un médecin généraliste.
Le médecin généraliste tente de soulager le patient de sa condition pour des raisons professionnelles (on lui a appris en théorie ce qu'il devait faire), sociétales (il a intégré le fait que c'était ce que la société attendait de lui), voire éthiques (soulager le pauvre monde de ses souffrances).
Dans le cas des maladies ou pseudo maladies chroniques ou dans le cas de souffrances aiguës la proximité  entre le patient et le médecin généraliste rend la souffrance persistante intolérable pour les deux protagonistes : le patient qui n'est pas soulagé et qui, dans le contexte du consensus sociétal "Zéro douleur", en veut à son médecin qui ne peut le "guérir" ("Donnez moi quelque chose de plus fort."), lui reproche son inaction ou son incompétence, voire son mépris ("Serrez les dents, mon vieux, c'est l'humaine condition.") ou son impuissance ("Alors à ceux qui souffrent devant l'impuissance de leur médecin... LA), voire les quatre ; le médecin qui, malgré tout ce qu'on lui a appris en théorie, tout ce qu'il sait et ne sait pas en pratique, tout ce que la bien-pensance lui renvoie sur l'ardente obligation de tuer la douleur. Le médecin traitant revoit un patient qui continue de souffrir et, compte tenu des pré requis que nous avons évoqués, il ne peut s'en suivre qu'une augmentation des plaintes et qu'une aggravation de la culpabilité.
Mais il reste les centres anti douleurs. Les fameux centres anti douleurs.
Les centres anti douleurs sont nés dans les années quatre-vingts en France, à l'instar de ce qui se passait dans les pays anglo-saxons et selon l'affirmation, jamais démentie, qu'en France on ne prend pas en charge la douleur. Originellement, c'est un anesthésiste, John Bonica, qui s'est intéressé à ce problème et a créé la première clinique anti douleur en 1961 à Tacoma dans l'Etat de Washington, en collaboration, c'est important, avec un psychologue et un neurochirurgien. Un article québécois recense les "bienfaits" de ces centres anti douleurs (LA) et souligne la multidisciplinarité avec, au minimum, un anesthésiste, un physiatre et un psychiatre et, au mieux, médecins (sic), psychologues, infirmières, physiothérapeutes, ergothérapeutes, travailleurs sociaux. 
Quand on fait une recherche "Centres anti douleurs" sur Google on a droit, selon les moments, à 12 300 000 occurences. Sur la première page, dix occurrences : les deux premières émanent du même site et donnent la liste, pour le premier, de tous les centres anti-douleurs français, la deuxième des centres parisiens (c'est dû à ma localisation google) ; on y trouve la définition d'un centre anti-douleur (1) et des publicités pour des thérapies algologiques : fasciathérapie, mésothérapie, chiropractie, sophrologie,  étiopathie, acupuncture, hypnothérapie, réflexologie... (ICI) ; la troisième occurrence émane de l'Institut UPSA de la douleur (LA) qui propose une autre définition (2) et des liens institutionnels gouvernementaux ; la quatrième émane d'une association de victimes et donne des listes de centres dans la région parisienne (ICI) ; la cinquième émane du Journal des Femmes (LA) qui insiste sur la Consultation pluridisciplinaire ; la sixième est un blog de patiente consacré à la fibromyalgie (ICI) ; et cetera, et cetera.
Ainsi, constatant la carence des médecins traitants et des structures hospitalières, des anesthésistes, les spécialistes de la douleur, des psychiatres, les spécialistes de la perception de la douleur, et les physiatres (le mot existe en québécois, pas en français gaulois), les spécialistes de la manipulation des corps, ont recréé ce qui existait déjà, à savoir le spécialiste de la médecine globale, le médecin généraliste et des centres multidisciplinaires qui ne sont en fait que des mini hôpitaux. 
C'est ce qui s'est passé à propos de l'Alzheimer où des Cliniques de la mémoire ont été créées par des neurologues et des néo spécialistes, les gériatres, dont la fonction est, aussi, de diagnostiquer, d'évaluer et, surtout, de prescrire des anti Alzheimer pour la plus grande gloire de Big Pharma (n'oublions pas que la neurologie a longtemps été négligée par Big Pharma en raison du faible nombre de molécules "efficaces" chères ; mais l'explosion des anti-épileptiques de ixième génération, dont gabapentine et prégabaline, sans compter ceux que l'on utilise dans la migraine (topiramate) avec des résultats dramatiques. On a vu récemment que la prise en charge des patients dits Alzheimer par les cliniques de la mémoire n'était pas meilleure que la prise en charge par des médecins généralistes, en France (ICI) comme aux Pays-Bas (LA), ce qui donne à réfléchir sur la disparition programmée de la médecine générale, les centres anti douleurs comme les Cliniques de mémoire coûtant une fortune par rapport aux prises en charge en médecine générale.

En gros, quand un médecin généraliste est confronté à des douleurs chroniques, quand il a tout essayé, il adresse le patient à un centre anti-douleurs où il est pris en charge et il ressort de là avec du Lyrica de chez Pfizer qui, dans l'immense majorité des cas a déjà été prescrit par le médecin traitant, mais mal, je présume.
Car le Lyrica est un vedette de l'algologie, pas seulement des douleurs neuropathiques, de l'algologie en général : pourquoi ne pas l'essayer ?
Si vous recherchez prégabaline ou pregabalin sur Google et sans préciser respectivement fraude ou fraud, vous aurez du mal à trouver des informations sur la fraude académique massive qui a conduit à l'établissement des traitements de pfizer, gabapentine et prégabaline dans la trousse des médecins.
Si vous voulez vous faire une idée précise de cette fraude qui a été révélée à propos des essais cliniques menés par Scott Reuben pour Pfizer, le meilleur article en français sur la question se trouve sur Pharmacritiques (ICI). Il est révélateur.
Pour résumer notre propos : douleurs chroniques suivies par le médecin traitant ; courrier pour un centre anti douleur ; trois mois pour obtenir un rendez-vous ; trois-quart d'heure de consultation dans les bons cas ; du Lyrica prescrit. Et retour à l'envoyeur. Je ne vous ai pas parlé du stimulateur externe. 
Ah, j'ai oublié de vous parler des effets indésirables du Lyrica. Vous lirez ce qu'en racontent les Canadiens : LA.
Donc, les médecins et autres professionnels de santé qui travaillent dans les centres anti douleur, sont des personnes admirables. Comment dire autrement de gens qui se penchent sur la douleur que tous les autres, le vulgum pecus, ne savent pas appréhender ? Mais ils devraient se rendre compte qu'ils sont au fond d'une nasse et que c'est Pfizer et autres qui les y maintiennent. 



Post scriptum : Je ne dis surtout pas qu'il faille respecter la douleur, qu'il ne faut pas la combattre, qu'il ne faut pas prendre en charge les patients qui souffrent, je dis simplement que le marché de la douleur n'est pas un vain mot, qu'il représente beaucoup d'argent, beaucoup d'effets indésirables, notamment pour les opiacés qui tuent plus aux Etats-Unis que les drogues illicites, en France on ne sait pas, en France on ne sait jamais, et que certains produits, plus chers que d'autres, n'ont pas vraiment fait la preuve de leur efficacité et, dans certains cas, au prix de fraudes massives sur les essais cliniques. Pour combattre la douleur, cause mondiale, on réinvente l'eau chaude mais à des prix défiant toute concurrence.



Définitions
(1) Le centre anti douleur est un établissement médical où sont reçu les patients souffrants de douleur chronique. Ces établissement ont pour objectif d'évaluer et de mettre en place des traitements antalgiques spécialisés et d'autres protocoles pour diminuer la douleur ressentie par le patient. Ces centres anti douleur ont l'avantage de proposer des consultations pluridisciplinaires pour une prise en charge globale du patient et de sa douleur. Ces consultations anti-douleur se trouvent en général dans les hopitaux et sont réalisées par des médecins algologues (spécialiste du traitement de la douleur).
(2) Leur vocation est d’évaluer et de traiter des patients souffrant de douleur chronique, mais aussi de faire de la recherche et de diffuser les nouvelles connaissances sur la douleur. Les centres anti-douleur sont par définitions pluridisciplinaires et comportent de nombreux spécialistes et professionnels : neurologues, neuro-chirurgiens, anesthésistes, rhumatologues, psychologues, psychiatres, infirmières, kinésithérapeutes, assistantes sociales... Les malades relevant des consultations anti-douleur souffrent de douleurs persistantes rebelles aux traitements habituels et sont adressés sur demande médicale.

10 commentaires:

Frédéric a dit…

C'est marrant toutes ces pincettes que vous prenez pour être sûr qu'on ne puisse vous reprocher d'être "pour" la douleur, ou du moins pas assez contre... Pincettes qui sont une belle preuve de cette pression sociétale que vous dénoncez.

Dans ce monde, si vous n'êtes pas un partisan de l'acharnement anti-douleur et de l'éradication de tout phénomène algique, physique ou mental, c'est que vous êtes au choix : sado-mazo, sataniste, ou peut-être bien un débile new âge adepte des pratiques de mortification.

Qui se poserait la question de savoir si les fonctions de digestion ou de respiration sont "nécessaires, formatrice, éducative" ? Plus avant, qui songerait un seul instant à mettre en doute de telles évidences ?!...
La douleur, je l'affirme, est nécessaire, formatrice, éducative, utile. Car elle est une fonction de l'organisme humain, aussi indispensable au bon fonctionnement physiologique et à la préservation de l'homéostasie que toutes les autres.

La pression sociétale que vous étudiez s'appuie sur l'archétype culturel manichéen de la lutte du bien contre le mal, solidement ancré dans l'inconscient collectif de l'occident.
Quand vous affirmez que "la douleur est une émotion" et que vous introduisez dans le discours des notions telles que l'expiation des pêchés, un glissement se produit de la physiologie vers la mythologie.
Et il me semble clairement que les gens qui travaillent à diaboliser la douleur ont intérêt à déplacer le débat sur ce genre de terrain, où règnent la subjectivité et l'émotion.

Bien à vous,

Frédéric

BT a dit…

La douleur est insoutenable lorsque l'on n'a pas mis de mots dessus ( et là le thérapeute a un rôle immense à jouer); celui qui souffre, afin de surmonter cette douleur, a besoin de savoir ce qui le fait souffrir et de comprendre comment et aussi d'avoir un interlocuteur serein. Les premiers mots prononcés sont aussi très importants, dans les douleurs chroniques du dos, combien de patients se sont entendu dire : il y a dégénérescence, on ne peut plus faire grand-chose!
Plus la douleur est incomprise plus le degré d'anxiété est important et accentuera la douleur.
On voit cela en chirurgie dentaire: de nombreuses personnes ont peur de se rendre chez le dentiste à cause du souvenir terrible de la douleur qu'ils ont éprouvé, si bien qu'il faut leur administrer une dose plus importante de produit anesthésique.
Les antalgiques et les protocoles ne remplaceront pas non plus le contact physique et verbale bienveillant et calme du thérapeute qui voudra bien dédier un peu de son temps au patient en souffrance:
Une femme accouche en 2010 en refusant tout traitement analgésique, elle dira que les douleurs ressenties ont été atténuées par la voix et le contact de la main sur son épaule de la sage-femme qui l'accompagnait, de cette dernière émanait une sérénité telle qu'elle pouvait surpasser cette douleur sans perdre pied.

BG a dit…

Effectivement j'avais été interpellé par "la douleur est une émotion". Pour moi la douleur était une réaction purement physiologique alors que l'émotion avait une dimension psychique capable de véhiculer une énergie puissante comme la peur. Pour moi, la douleur et la peur ne sont pas de même nature.
Par contre, les réactions psychiques à la douleur seraient des émotions comme désirer la douleur ou la redouter.
Peut-être faudrait-il distinguer entre la douleur elle-même et les réactions émotionnelles qu'elle provoque.

BG a dit…

Il y a aussi les opérations sous hypnose qui sont pratiquées dans certains hôpitaux en France selon un reportage télé.

Et aussi la production d'endorphines au cours d'un effort prolongé qui peut rendre agréable et permettre de poursuivre ce qui pourrait être douloureux sans cela.

Il semble donc que notre corps dispose de certaines possibilités de réponse à la douleur ou du moins à certaines.

Anonyme a dit…

bonjour ,
je suis tout à fait d ' accord avec votre opinion sur les centres anti - douleurs ; scandaleux.
je crois tout de même qu ' il faut souligner une chose importante dont peu de soignants parlent ; c ' est le fait qu ' en MG , la plus grande proportion des douleurs "70 % environ ) correspond à une somatisation . je ne suis pas sur que ixprim , lyrica et autres ne soient d ' une
quelconque utilité dans ces contextes . comment voulez vous que l ' on n ' accuse pas les MG DE MAL PRENDRE EN CHARGE LA DOULEUR quand on enseigne aux infirmières , aide - soignantes etc... que toute douleur correspond à une maladie qu ' il faut impérativement trouvé . et je ne parle pas de big - pharma et des médias. ce n ' est donc pas demain que les choses vont changer ! merci.

Chantal a dit…

Ah la douleur! Pourtant, pour la médecin un vaste débat pour la personne une source de "plaisir" et de combat.

Suite à une fracture, une douleur s'installa au bout de quelques mois. Les médecins consultés soient ignorés le motif de ma consultation (La douleur) et disait que je dois perdre 20 kilo ainsi la douleur disparaitra, soit une petite intervention du genre "re-axer" et que cela peut éventuellement soulager la douleur. En plus des jolies remarques de ma patronne pour ma boiterie qui gênait, au bout de 18 mois je ne suis plus allé consulter et m'accommoder avec la douleur (avec le temps, on s'habitue). Qu'au bout de 15 ans, suite à une aggravation de la situation, j'ai trouvé un médecin qui entend le motif de doléance: la douleur.

Pas besoin de centre anti-douleur, seulement des médecins un peu à l'écoute de ce qui dit la personne. Presque chaque fois que j'ai eu des douleurs, il me fallait convaincre le milieu médical que c'est bien réel: un bobo ophtalmologique, la vésicule biliaire...

Mon MG a bien voulu croire, mais pas ces collègues auprès lesquels il m'envoya.

Bonne soirée

Anonyme a dit…

j'applaudis des 2 mains, et plus si j'en avais davantage (forcément)
TL

Anonyme a dit…

Juste pour rappeler que jusqu'à une période qui n'est pas si éloignée de nous - 1987 - les nouveaux-nés étaient réputés être insensibles à la douleur .....cf http://www.beyondconformity.co.nz/_literature_102078/Pain_NY_times_1987

[ bon après , le balancier est sans doute parti dans l'autre sens...]

Dans le domaine vétérinaire, encore aujourd'hui, on croit toujours ( ou on veut croire) que la castration - généralement sans antidouleurs- des porcelets affecte moins les très jeunes porcs que leurs ainés ...[ ce qu'on n'a pas entendu lors de cette dernière campagne présidentielle / polémique hallal ]
L'Europe a émis des recommandations que les éleveurs français peinent à appliquer .

( ce commentaire comme en souvenir de la grippe porcine non porcine )

Anonyme a dit…

Mauvais souvenir : "En 1973, au retour d'un voyage d'étude au St Christopher's Hospice, les publications du Père Patrick Verspieren ont un retentissement important. Le ministère de la santé prend alors conscience de la nécessité de réfléchir à la prise en charge de ces malades en fin de vie ; il constitue ainsi un groupe d'experts sur l'accompagnement des malades en phase terminale. Dans ses conclusions, ce groupe prend officiellement position en faveur du soulagement de la douleur. Mais, aucune suite particulière ne sera donnée."

http://www.sfap.org/content/histoire-des-soins-palliatifs

Anonyme a dit…

Associer les Médecins Algologues aux laboratoires pharmaceutiques, quelle bassesse ! Plus je parcours le blog du Bon Docteur Grange, plus je me rends compte que ce n'est pas un blog " critique ", mais des propos "haineux", qui relèvent de la prise en charge psychologique ! Quand in en arrive à ce degré d'intolérance, soit on se fait aider, soit on change de job ! Faudrait peut être y songer, cher Jean-Claude ?