lundi 2 septembre 2013

Refondation de la médecine générale. Réflexion 7 : la quantification de l'adressage est-elle un critère de qualité en médecine générale ?


La signification qualitative et quantitative de l'adressage d'un patient chez un spécialiste par un médecin généraliste est peu évoqué en France mais il est institutionnalisé puisque c'est le principe du médecin traitant (ICI). 
La CPAM, probablement pour limiter l'accès direct au spécialiste (pour des raisons qui semblent être économiques, évitez des consultations inutiles, raisons que le patient a un peu de mal à comprendre, il faut d'abord payer une consultation chez le médecin généraliste pour qu'il écrive une lettre afin de consulter un  médecin spécialiste qu'il paiera encore) a donc institué le principe du médecin traitant adressant pour que le malade soit le mieux remboursé possible. Un rapport de l'IGAS de juin 2012 (LA) (1) n'est pas très convaincu par la mesure : Quant au médecin traitant, ce dispositif n’a pas permis de structurer en profondeur le recours aux soins66, même si 90 % de la dépense en honoraires médicaux sont désormais réalisés dans ce cadre. 

Je pensais qu'à l'étranger et pour d'évidentes raisons économiques le phénomène serait plus étudié qu'en France. J'ai été déçu bien que des études existent mais elles sont plus théoriques qu'explicatives.
En pays anglo-saxons, l'adressage est étudié en terme de fréquence (ICI). De cette dernière étude comparative entre GB et EU j'extrais ceci : Among patients who visit their primary care physician, about one in three patients in the United States are referred to a specialist annually compared with one in seven in the United Kingdom. Our data do not provide information on whether the US rates are too high or the UK rates are too low. Nevertheless, the twofold difference in referral rates held true for the healthiest as well as the sickest patients. Disposons-nous de tels chiffres en France ? S'agit-il d'un malade sur trois qui est adressé annuellement à un spécialiste comme aux EU ou un sur sept comme en GB ? 
En analysant une étude américaine de 2012 j'ai pu, au delà des différences de système de santé, relever un certain nombre de points qui intéressent les chercheurs américains et qui pourraient être source de réflexion en France et, pour le coup, dans notre réflexion sur la Refondation. Aux EU le taux d'adressage a presque doublé entre 1999 et 2009 (ICI) passant de 4,8 % à 9,3 % par consultation de patient ambulatoire. L'étude souligne le coût important de l'adressage par rapport au non adressage en tenant compte  des différentes pathologies mais sans conclure sur l'efficience des attitudes, adresser ou pas (2). Les auteurs précisent que l'on dispose de peu de données sur les raisons des disparités de taux d'adressage entre médecins mais que cela mériterait d'être étudié car l'adressage est une des principales causes d'augmentation des dépenses de santé. (3)

Une étude britannique analysant la littérature internationale existante et datant malheureusement de 2000 (LA) rapporte qu'en GB des variations dans l'adressage des patients vont de 1 à 20 avec des coûts hospitaliers (nous sommes en GB où les spécialistes sont hospitaliers) variant de 1 à 10. Les 4 variables explicatives retenues dans l'analyse de la littérature ont été : les caractéristiques des patients, les caractéristiques des cabinets, les caractéristiques des médecins généralistes et la possibilité  d'accès aux spécialistes. Les caractéristiques des patients entrent pour 40 % des variations d'adressage des patients et, de façon étonnante, les caractéristiques des MG ne correspondent qu'à 10 % des variations. Plus en détail, et sous réserve de la qualité des données, parfois de petits échantillons, l'âge, l'expérience des MG  ou leur appartenance ou non à une société savante n'ont pas d'influence (sauf dans une étude finlandaise), les pathologies rencontrées non plus (les plus forts adresseurs adressant dans toutes les pathologies), pas plus que les caractéristiques des cabinets (nombre d'associés, importance de la clientèle, localisation géographique -urbaine / rurale, proximité d'un hôpital) ou la couverture sociale des patients. Paradoxalement, les médecins intéressés a priori dans une spécialité adressent plus dans cette spécialité.

Au bout du compte, cette étude n'arrive pas à déterminer les raisons des variations des taux d'adressage mais, surtout, ne sait pas déterminer la pertinence de ces adressages par rapport à la catégorie de l'adresseur (gros, moyen ou faible). Des auteurs ont retenu le  pourcentage d'adressages pertinents ou d'adressages non justifiés.  D'autres ont voulu considérer que le sur adressage était moins "grave" que le sous adressage, d'autres encore que c'était le retard à l'adressage ou pas d'adressage du tout qui faisait la différence. Sans succès.  Des critères objectifs ont été recherchés pour quantifier cette pertinence (le nombre de diagnostics, la valeur prédictive positive, la concordance entre MG et spécialistes), mais aussi pour tenir compte de la satisfaction de l'adresseur, du patient et du destinataire, tout ceci dans la perspective de mettre au point des référentiels d'adressage. Pour l'instant, rien de probant n'a été démontré, notamment quant à l'intérêt de ces référentiels ou guide-lines. Un des biais concernant la quantification de la pertinence de l'adressage vient, à notre avis, de ce que l'adresseur ne recherche pas toujours un diagnostic mais parfois un simple avis, un renforcement positif par rapport au malade, une adaptation thérapeutique, une façon "élégante" de se débarrasser d'un patient difficile ou, à l'inverse, la demande  d'une prise en charge commune.

Le dernier point souligné par cette étude, décidément très riche, est l'aspect psychologique, les variations d'adressage pouvant être expliquées par la personnalité des médecins adresseurs et il serait possible de définir un profil individuel d'adressage pour chaque médecin : entraînement, expérience, tolérance à l'incertitude, sens de l'autonomie, confiance en soi, enthousiasme... Sans compter ce que dit Dowie : le processus cognitif peut expliquer les variations des taux d'adressage : confiance en son propre jugement, conscience du risque d'événements graves, état de leurs connaissances médicales, et le désir d'obtenir l'estime de leurs collègues (4).


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L'adressage, en dehors des situations d'urgence, est par ailleurs considéré par certains médecins généralistes comme une faute, une erreur ou une preuve d'incompétence. Des Spence, le fameux généraliste écossais éditorialiste dans le BMJ, indique que La valeur de la médecine générale ne tient pas à ce qu'elle fait mais à ce qu'elle ne fait pas. Et il écrivait cela dans un article intitulé de façon provocatrice : "Are nurses better than doctors ?" (LA) où il développait l'idée, franchement antisociale, que les MG adressaient moins que les infirmières, ce qui faisait leur force (5). On peut donc interpréter la phrase de Des Spence de deux façons contradictoires pour qualifier l'adressage : 1) ne pas adresser est une façon de ne rien faire et c'est donc la meilleure solution ; 2) ne pas adresser est une façon de tout faire tout seul et c'est donc la moins bonne solution.
D'autres médecins généralistes pensent que le non adressage peut être considéré comme une perte de chance pour le patient puisque l'avis spécialisé permet d'augmenter la valeur prédictive positive et, donc, la résolution des problèmes. Un médecin qui n'adresse pas pouvant être considéré comme arrogant, inconscient ou incompétent.
Il est aussi des situations, facilitées ou induites par le statut de médecin traitant, où c'est le patient qui impose l'adressage pour de multiples raisons à un médecin qui pense que le client est roi... 
Est-on un bon médecin si l'on adresse beaucoup, moyennement ou peu ? Quand je saurais dans quelle catégorie je me situe, je répondrai...

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Quoi qu'il en soit, et ne pouvant me comparer à moi-même avec des chiffres précis, sentant que dans nombre de pathologies j'adresse moins et plus dans d'autres, difficile donc de comprendre, mais aussi que l'expérience nous apprend, me semble-t-il, à moins nous méfier des pathologies "bénignes" et plus des pathologies "graves", encore que l'argument de fréquence puisse, comme en pharmacovigilance, nous induire en erreur (comme je n' ai jamais vu de complications, cela ne peut donc pas se produire) et ne pouvant encore moins me comparer aux autres, je voudrais souligner ceci, le fruit d'une expérience unique aux urgences : Soignez vos courriers d'adressage. Ce n'est pas la peine d'en mettre des kilomètres, plus les lettres sont longues et moins l'essentiel est là, le collègue qui lit le courrier est un humain comme un autre, il a besoin d'un message clair, c'est vous le médecin traitant après tout, c'est vous le connaisseur du patient, celui qui a lu dans son passé, qui connaît le père du grand-père de la fille qui a vu le chat, c'est vous le chef, c'est vous qui recevrez les doléances du patient après, je suis resté trois heures ou plus dans le couloir à cause de votre courrier illisible, on a dû faire venir Champollion pour le décryptage, il y avait même un interne égyptien aux urgences, envoyez des courriers tapuscrits et pas des saloperies écrites à la main sur un coin de table avec une écriture de médecin qui a des comptes à rendre à son stylo, adressez des courriers qui sont faciles à lire, qui éveillent l'intérêt du lecteur, le destinataire, celui qui reçoit tellement de courriers de merdre tous les jours de la part de médecins généralistes qui s'étonnent ensuite qu'on les prenne pour des khons, respectez votre malade, respectez votre collègue,  pas seulement le cardiologue avec qui vous dînez les soirs de Rotary mais aussi l'interne des urgences qui a appris le français il y a trois jours, rappelez le traitement courant avec des posologies lisibles, le traitement non courant vous n'en savez rien, soignez votre style car c'est vous qui récupérerez le patient après l'examen au dermoscope ou après l'echodoppler veineux...
Compris ?  

Je n'ai donc pas répondu à la question de départ mais il est clair que l'adressage est une des décisions majeures et quotidiennes du médecin généraliste qu'il ne peut considérer comme banale ou sans conséquences. Cette démarche s'inscrit de façon naturelle dans le questionnement permanent en médecine générale qui est celui de l'Evidence Based Medicine où le patient a un rôle central en raison de ses valeurs et de ses préférences. 
Merci d'avance de vos commentaires.

Notes
(1) Il faudra qu'un jour nous nous interrogions sur le rôle de l'IGAS, sur ses "experts", tant en qualité qu'en intérêts, sur la porosité des rapports entre Haute Administration et IGAS et donc entre les politiques qui décident et les politiques qui contrôlent. On se rappelle cette membre de l'IGAS passée à l'Agence du Médicament et qui était là pour défendre la politique Mediator...
(2) Patients who are referred to specialists tend to incur greater health care spending compared with those who remain within primary care, even after adjusting for health status..
 (3) In conclusion, we found that referrals in the United States from PCPs to specialists grew rapidly from 1999 to 2009, with potential implications for health care spending. As federal and state policymakers consider policies for reforming the health care system, developing methods to measure referral appropriateness and using these to promote appropriate referrals may be an important strategy for controlling growth in health care spending. .
(4) Nous n'oublierons pas  non plus que les médecins spécialistes sont, en raison de la découpe académique du corps des malades, des adresseurs potentiels fréquents....
(5) Pour relire ce que j'écrivais sur le sujet : LA.

Illustration : Ludo au Québec (ICI).

25 commentaires:

Anonyme a dit…

Popper31: Ben! dis donc tu nous a laissé pantois : aucun commentaire !! c'est grave Docteur? j'ai même pas calculé mon taux d'adressage qui comme tout bon vieux MG avec de la "bouteille" est quand même inférieur aux 5 remplaçants qui se sont succédés pendant mon année d'interruption. Est-ce que je fais faire des économies? je serai alors gate-keeper et money-winner pour la société? est-ce mon rôle? j'en reviens toujours à ma marotte comment évaluer la prise de risque quez mon patient est capable de supporter? et sait-il celle que je suis capable d'endosser (pour lui .. et pour ma pomme si ça tourne mal) Tiens tant que j'y suis une petite étude offerte à la sagacité de CNT et des autres : New England Journal of Medecine = Action for Health Diabete (Look AHEAD): faire maigrir les diabétiques de type II n'améliore pas le nombre de complication cardio-vasculaire suivi = 10 ans !! et merde ... avec ou sans entretien motivationnel ce n'est pas précisé ;-)). Bon! c'est vrai des fois on se demande pourquoi on se décarcasse??... :-0

JC GRANGE a dit…

@ Je suis sauvé par Popper 31.
Soit mon billet est inintéressant ou n'intéresse personne ou est hièche, soit je me suis mal exprimé. L'adressage / non adressage est quand même le fond du métier.
Un des fondamentaux.
Bonne soirée.

Dr MG a dit…

@ Docteurdu16

Ce post est intéressant et m'a interpellé car comme tout MG ayant un peu de "bouteille" j'ai pu constater que ma pratique d'adressage était différente de bien d'autres .

Mais que faire comme commentaire ?
Dire qu'il est évident que l'on a besoin des confrères spécialistes pour avoir des avis, des orientations,un savoir faire qui n'est pas le mien d'un correspondant ....
Dire que souvent je suis déçu par le retour qui ne m'apporte rien voir me mets en colère sur le niveau du conseil.

Mais comment faire pour avoir un adressage performant ?

CMT a dit…

A JCG,
non, pas dut tout. C'est juste que je n'avais pas vu ton nouveau post (tu n'as pas fait assez de pub) et que c'est le rush de la rentrée (et il y en a bien pour un mois avant que ça se calme un peu).

Je trouve ton post très très intéressant au contraire et il ne faut pas sous-estimer non plus la majorité silencieuse, qui ne dit rien mais qui observe et réfléchit.
Je pense que la question de l'adressage est une question centrale pour déterminer la place de la MG au sein de la médecine. Et j'aurais des choses à dire et des anecdotes instructives à raconter mais je le ferai plus tard quand j'aurai un peu de temps.

A Popper 31, je n'ai pas les références de l'article ou le lien pour me faire une opinion.
Mais je reçois au travail des lettres Univadis (organe de com destinés aux médecins du labo MSD, plutôt bien fait au niveau de la sélection des articles) et je constate que quand cela touche à des points stratégiques des intérêts des laboratoires les interprétations induites par les titres mêmes des articles relèvent de la tromperie et de la manipulation. Rien ne vaut une lecture de l'article intégral quand l'enjeu est important.P exp un article du 22/08 dont le résumé Univadis a été intitulé "
Quels effets de la diversification alimentaire des enfants au sein sur le statut martial et la microflore intestinale ?" La conclusion du résumé était que les nourrissons nourris au sein âgés de 5 à 9 mois étaient anémiés. Alors que l'étude comparait des nourrisson prenant des céréales enrichies en fer à des nourrissons sans supplémentation avec un apport modéré de viande apportant théoriquement moins de fer. Il n'y avait pas de différence entre les goupes mais une flore intestinale plus riche chez ceux nourris avec un peu de viande. La conclusion correcte aurait donc été la supplémentation en fer par les céréales n'apporte rien au nourrisson au sein par rapport au régime classique.http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/23452586 (sans parler de la relation entre marqueurs de carence ou d'insuffisance d'approts en fer et troubles du développement, mais c'est un autre problème)

BG a dit…

Chemin faisant CMT, vous soulevez le problème des distorsions rédactionnelles dans les publications. Il faut effectivement être très vigilant et prudent avant de reprendre comme vérité absolue une phrase qui n'est peut-être là que pour cet usage ? En voici un exemple puisque je suis actuellement dessus :
Il s'agit d'une publication [1] sur les expérimentations conduites sur des singes avec le virus de la variole du singe avec une dose non mortelle à 100% pour les témoins (estimation 50%). Quand les singes sont testés 4 jours après avoir été vaccinés avec le vaccin classique Dryvax ( le virus de la vaccine ayant conservé la capacité de se répliquer comme pour tous les vaccins utilisés en situation réelle dans le passé), les auteurs écrivent que les lésions et la virémie sont semblables chez les témoins et les vaccinés (page 10892 col. 2).
Je n'ai pas compétence pour apprécier ces nombres mais notons quand même que la moyenne des lésions observées sur les 6 témoins testés est 643 contre au moins 1184 chez les vaccinés, le maximum étant au moins 1800 chez les vaccinés contre 1188 chez les témoins. Quant à la virémie, la moyenne du nombre la mesurant est 37,92 millions chez les témoins contre 52,73 chez les vaccinés.

De plus, alors que l'objectif de ces expérimentations est de tester l'efficacité de la vaccination antivariolique en post-exposition, les données publiées s'arrêtent à une vaccination pratiquée 4 jours AVANT le test … Vu les résultats à -4 jours et leur dégradation quand on passe de -6 jours à -4 jours, chacun doit pouvoir se douter des résultats catastrophiques en cas de vaccination à 0 jour, à plus forte raison à +2 jours ou +4 jours.

Mais on hésite sans doute à trop mettre à mal le fameux dogme selon lequel la vaccination antivariolique pratiquée dans les 4 jours qui suivent le contage était protectrice alors que des faits très forts [2] démontrent le contraire au cours de la campagne d'éradication et que cette pratique systématique fut catastrophique, conduisant le programme d'éradication au bord de l'échec. Ce ne fut compensé que par une mise en quarantaine drastique. Il y a sans doute des faits très lourds derrière cette mesure dogmatique jamais démontrée et aujourd'hui expérimentalement infirmée.

Je présente une communication sur ce thème (poster, acceptée sur résumé) au congrès de la SFSP-ADELF des 17-19 octobre à Bordeaux (Société fr de santé publique et Asso des épidémiologistes de langue fr).

[1] Earl http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2495015/pdf/zpq10889.pdf

[2] http://questionvaccins.canalblog.com/archives/2012/02/03/23430717.html

Anonyme a dit…

Popper31 : ce n'est pas BG ton pseudo, c'est BCG !!!..ce qui me permet de rebondir sur leur putain de vaccin dix fois plus cher et avec bien plus de complications (en part des BCGites prolongées) dont on a déjà parlé dans ce blog je croi; même si je n'ai pas un grand recul épidémio, ne le pratiquant que contraint et forcé déjà avec l'ancien vaccin. Mais je pense que d'autres MG pourraient livrer leur expérience

CMT a dit…

Pour commencer je trouve que le problème du décalage entre la volonté d’institutionnaliser le médecin traitant pour des raisons administrativo-économiques et la réalité du MG qui n’est pas armé par sa formation pour jouer ce rôle est finement remarqué. Le médecin traitant pourrait être l’équivalent du médecin de famille québécois pour lequel il existe des files d’attente au Québec http://www.ledevoir.com/societe/sante/374255/un-quebecois-sur-cinq-est-sans-medecin-de-famille à ceci près que ni la formation ni le rôle du médecin traitant au sein du système de santé français ne sont clairement définis.
Ce qui est intéressant aussi c’est qu’il y ait des forts et des faibles adresseurs, donc des profils de médecins ayant ou non une culture de l’adressage. Peut-on attribuer l’augmentation de l’adressage aux Etats Unis à l’augmentation de l’offre technique et à la foi en la technique (de nouvelles procédures diagnostiques ou thérapeutiques censées apporter des solutions aux problèmes de santé des patients) ? Je le crois, au moins en partie. Parce que l’une des raisons pour lesquelles on adresse c’est parce qu’on pense que les moyens techniques à mettre en œuvre dépassent nos capacités et nos compétences. Donc, la foi dans le fait que si le patient a plus de soins (et plus techniques) c’est mieux, peut-être un facteur déterminant pour adresser.
Je ne crois pas qu’on puisse lutter contre ça avec des référentiels.
Comme la question de l’adressage à titre systématique dans le cadre des dépistages recommandés va se poser de plus en plus fréquemment (dépistage du cancer du sein, du cancer de la prostate et, bientôt, du cancer bronchopulmonaire) je crois intéressant de raconter une expérience personnelle.
J’ai eu l’occasion de discuter avec une jf médecin généraliste du dépistage organisé du cancer du sein, dont elle m’avait parlé. J’ai un à priori positif sur les jeunes. J’ai tendance à croire qu’ils sont tous ouverts d’esprit et constructifs. J’ai donc été très étonnée du ton péremptoire qu’a pris très rapidement ce jeune médecin. Elle m’a déclaré qu’en matière de dépistage du cancer du sein « il n’y a pas de faux positifs ». Elle a rapidement commencé à verser dans la menace : « une fois que le cancer est là, il est trop tard ». Elle a reconnu que les médecins qui faisaient cette sorte d’adressage, le faisaient aussi « pour se couvrir » (pour prévenir des conséquences judiciaires au cas où on leur reprocherait de ne pas avoir prévenu une patiente de la possibilité du dépistage). Elle a nié la pression exercée sur les patientes : « on n’oblige pas les patientes », « les patientes ont toujours le choix ». Tout en expliquant que cela ne tenait qu’à la grande magnanimité des autorités qui auraient pu contraindre au dépistage en refusant de rembourser les soins de celles qui auraient contracté un cancer du sein mais auraient refusé de se faire dépister. Alors que »puisque nous avons un système qui permet l’accès à des soins gratuits de haute qualité », ce qui est le reflet de la conviction que, en médecine, plus, c’est toujours mieux, dont je parlais tout à l’heure et qui est un facteur déterminant pour adresser à un spécialiste. Parce que, si on pense ça, les spécialistes seront toujours mieux armés que les généralistes puisqu’ils bénéficient d’une débauche de moyens techniques et médicamenteux.

CMT a dit…

Mais ce qui m’a le plus embêté dans le discours de cette jf c’est l’incapacité de dépasser le niveau individuel et anecdotique de justification de sa démarché pour arriver à raisonner à un niveau statistique et de santé publique. Elle ne voyait même pas l’intérêt d’envisager le problème sous l’angle de santé publique en termes de rapport bénéfice/risque au niveau populationnel alors qu’il s’agit de dépistage organisé de masse.
Si certains aspects de son approche peuvent s’expliquer pour des raisons de tempérament, l’incapacité de raisonner en termes de santé publique relève bien d’un problème de FORMATION et on en revient toujours là.
Dernier point, je lui faisais peur, elle me le disait. Ou, plus exactement, ce qui lui faisait peur était la possibilité que je vienne bousculer les points de repère auxquels elle se raccrochait comme à des bouées. Autrement dit une tolérance zéro à l’incertitude.
Et je crois que c’est un facteur que l’on sous estime aussi, outre le problème immense de la formation, le rôle de réassurance qu’ont certaines croyances et convictions pour les médecins et qui provoquent une très grande résistance au changement et à la remise en question.
N’est-ce pas un peu en raison de la formation ? « je me suis tellement investie pour apprendre tout ça et on viendrait me dire que c’est du vent ? ».
Plus tard je me suis demandée mais qu’est-ce qu’on apprend à la fac puisqu’on n’apprend pas à raisonner en termes de santé publique ? Puisqu’on n’apprend pas comment utiliser les antibiotiques pour ne pas les surprescrire ? à éviter les intéractions médicamenteuses les plus fréquentes ? à avoir une relation constructive avec les patients ? à avoir une réflexion de fond sur les problématiques les plus fréquentes en médecine générale ?à lire de manière critique les articles médicaux ?
Qu’est-ce qu’on apprend ? Pas grand-chose d’important.

BT a dit…

une triste histoire d'adressage par défaut d'examen clinique:
L'histoire d'un patient d'une quarantaine d'années consultant pour douleur abdominale. Il est suivi par un médecin travaillant 3 jours par semaine relayé par ses collègues en son absence. Il rencontre un des médecins associés qui fait le diagnostic de gastroentérite fébrile et le laisse rentrer chez lui sans l'avoir examiné.Il s'aggrave et revient consulter auprès du remplaçant de l'associé qui continue sur la voie de la gastroentérite fébrile et prescrit ( premier adressage malheureux : une coproculture et une NFP) mais lui aussi n'examine pas le patient. Le patient continue de s'aggraver à son domicile, son épouse le voit se dégrader, elle appelle le cabinet et tombe sur un troisième interlocuteur du cabinet médical ( c'est les vacances, il existe un turn over important des médecins).Ellle émet le souhait d'emmener son époux aux urgences, mais lui dit on il faut éliminer une infection digestive , un rendez-vous est pris en milieu hospitalier auprès d'un gastroentérologue.Cinq jours se sont écoulés depuis le début des symptômes et toujours personne n'a pris le temps de réaliser un examen clinique . Le patient et son épouse attendent un jour de plus pour se rendre chez le spécialiste ( deuxième adressage malheureux) qui fixe un RDV à 14 heures mais aura du retard et ne l'examinera qu'à 17 heures.Le patient attendra encore dans un état stuporeux hyperalgique et le teint gris. Il aura fallu 5 minutes après avoir posé les mains sur l'abdomen au gastroentérologue pour faire le diagnostic de péritonite gravissime.

Anonyme a dit…

Histoire navrante de BT. L'examen clinique fait perdre du temps sans doute ...Les médecins qui n'examinent pas correctement les patients devraient etre rappelés à l'ordre ..! Ce n'est pas normal .Ils ne font pas leur travail.

Anonyme a dit…

Quant à la jeune docteur , sa réaction fait froid ds le dos.
Quelle dureté ! Ne pas rembourser les soins d'un cancer du sein sous prétexte qu'il n'y a pas eu de dépistage ...elle est raide !!! Peur etre parce qu'elle est jeune et se croit au dessus des "vieux" médecins.
Ces jeunes médecins qui traitent de "dinosaure" les MG de 50ans avec une insolence !(du vécu)
Mais j'ai défendu mon MG :"et non, je ne changerai pas ce médicament ne vous déplaise " sur un ton assez sec."ce n'est plus la mode , tant pis , il me convient"

Dr MG a dit…

@ BT

Histoire personnelle : ma fille adressé au CHU de ma ville d'origine par un MG pour suspicion d'appendicite .
Hospitalisée elle est traité pour gastro-entérite quelques jours , sortie de l’hôpital toujours fiévreuse et algique avec ce diagnostic par la chef de clinique . Péritonite grave opérée 48h plus tard en urgence . J'ai manqué de perdre ma fille grâce à la "toute puissance" médicale d'un CHU ( oui hôpital universitaire !!!!!! )

pr mangemanche a dit…

Il faut bien conclure que l'adressage est un angle d'observation passionnant de la pratique médicale, mais qu'on ne peut lui accoler une valeur qualitative ni quantitative d'une bonne pratique sans examen au cas par cas... Redoutons le moment où les caisses prendront le taux d'adressage comme critère P4P !!
Trop de paramètres antagonistes : adressage par exercice de médecine défensive, adressage par incompétence, non-adressage par incompétence aussi, impossibilité ou non-désir de freiner l'accès aux spécialistes sur demande du patient ( même si on lui a bien expliqué que c'est absolument une kératose séborrhéique), ne pas vouloir endosser le rôle du contrôleur d'accès au spécialiste, etc....
Le seul point intéressant sur le plan collectif est le contenu du courrier d'adressage en regard de la situation clinique...

martine bronner a dit…

L'adressage me renvoie à un questionnement de patient.
j'ai entendu plus d'une fois des patients dire dans leur quête de mieux (polymorphe ce mieux), le bonheur d'être entre de "bonnes mains" et me disant avoir été envoyé chez tel chirurgien par ex car il est l'expert en ce domaine. Or cette expertise existait certes un jour, mais il y a fort longtemps. Entretemps les années ont passé et beaucoup de choses ont changé.
Ce qui renvoie à un aspect qui me semble important.
Comment ressent on que le temps passe?
Beaucoup d'entre nous restent figés dans leur exercice (dans tous les domaines) à ce moment où on a "appris".
1 L'apprentissage et la connaissance ne sont pas renégociés car considérés comme un absolu.
2 On était jeune et curieux. maintenant on travaille, on n'a plus le temps...
3 On a créé des réseaux dont on ne sort pas qui mêlent des idées de compétence et de sympathie...
Bref on ne se rend pas compte que le temps passe.
Attention, les médecins ne sont pas flemmards. Mais, eux plus que d'autres, se devraient d'être curieux et humbles.
j'ai vu des "adressages" donnant un secteur 1 et un secteur 2 considérés comme les plus compétents dans leur domaine. Pas mal quand finalement ce qui est un critère de choix reste la compétence.
Il y a des adressages qui seraient nommés "copinage" pour les critiques et qui rassurent certains patients qui ont l'impression que leur "cas" sera mieux discuté par des confrères qui s'entendent. Les patients apprécient pour beaucoup, se sentent au chaud, sécurisés par un médecin qui leur dit les envoyer chez tel copain. Ce serait comme si le patient partageait une forme d'intimité et de régime de faveur. Il aurait la perception d'un monde médical uni, unanimement d'accord, une grande structure bienveillante nous accueillant en son sein. D'où, d'ailleurs, une certaine frustration quand ce même patient est envoyé chez le pr Dupont qui délègue son travail au dr Durand. La chaîne est parfois perçue comme étant rompue.
Oui, l'adressage est un "truc" compliqué en plus, dans tous les domaines médicaux et si les médecins peuvent se payer le luxe d'envoyer leurs patients chez des confrères qui partagent leur vision de la médecine c'est encore mieux.
Mais ce n'est pas toujours le cas. Pour le patient c'est parfois déroutant.
Entendre d'autres diagnostics...! Avoir des propositions différentes de traitement...!
Parfois je me dis qu'il vaudrait mieux ne pas poser de questions!
-entendre chez untel:-on fera ceci et chez l'autre on fera cela.
Où est le consensus? Pour des citoyens auxquels on a appris le respect aveugle face à la science qui elle sait ce qu'il faut faire...
Donc on se retrouve devant de nouveaux patients qui dans leur quête à la "confiance" vont decréter parfois que la parole du plus "scientifique", donc du plus spécialiste prime.
Alors passer chez le mg pour avoir un papier pour le spé les dépasse.
Mais ce qui m'intéresse aussi, c'est l'adressage dans l'autre sens.
Pour un "spé" plus ses confrères lui envoient de monde plus il pourrait se dire qu'il est considéré comme compétent.
Quand on adresse au généraliste...vous me direz ce que vous en pensez, j'ai peut-être tout faux...c'est pour remplir un papier, suivre une directive etc ce n'est pas forcément pour avoir un avis médical.
Envoyer le patient chez son confrère mg en disant: -il faut que vous voyiez avec lui si en fonction de votre état général et de votre désir vous pouvez suivre tel traitement que je propose...Et cette attitude ne serait pas une "posture" une fois de plus mais une réelle demande.
Donc une fois de plus voir la santé du patient non pas comme un empilement d'organes sains mais comme un équilibre que l'on devrait rechercher.

Anonyme a dit…

Je reviens à l'enjeu du départ: refonder la médecine générale qui de fait serait pour moi: refonder la "médecine" dans son ensemble.
En réfléchissant aux représentations qui lui sont associées, c'est difficile mais à mon sens nécessaire.
pour cela le site proposé se ferait tel que CMT en parlait à partir des "questions".
ex: -une synthèse que tout patient pourrait comprendre.
-Les documents scientifiques en liens
-une réflexion anthropologique que tout patient pourrait comprendre
- et ce qui se fait à l'étranger.
Un papier accroché en salle d'attente définissant de ce nouveau mouvement de la médecine proposant aux patients de consulter le site.
Et une tentative de trouver un espace médiatique afin que cette médecine trouve un écho non perçu comme un désir de faire des économies mais comme un réel meilleur soin du patient...
Beaucoup d'entre nous excluent volontairement parfois, mais surtout inconsciemment ce qui relève de la iatrogénie ou du commerce.

CMT a dit…

Tout ça m’inspire une série de reflexions. Par rapport à la dureté apparente des positions de la jf médecin qui envisageait de ne pas rembourser les soins aux femmes porteuses d’un cancer qui auraient refusé le dépistage organisé. Une telle violence reflète une position dogmatique au sujet du dépistage mais j’y vois surtout une énorme peur. Une peur du même ordre que les peurs qui déclenchent les guerres. Et, de fait, je crois que cette jf me regardait comme quelqu’un de dangereux, comme pourrait l’être une malade très contagieuse qui risquait de lui transmettre un virus, le virus du doute, qui allait inexorablement détruire tout le bel édifice de certitudes qu’elle s’était bâti (qu’on lui avait bâti) et sur lequel elle faisait reposer toute la raison d’être de son exercice de la médecine. Car elle n’était ni cynique, ni blasée, ni mauvais médecin. En ce sens que si on nous avait proposé un beau cas clinique type elle s’en serait sortie certainement dix fois mieux que moi. Mais, curieusement, alors qu’elle refusait de prendre en compte la dimension bénéfice/risque au niveau populationnel elle était persuadé qu’une des missions majeures de la médecine générale était la prévention, ce qui, pour elle, la différenciait des spécialités. Mais en même temps, le dépistage organisé du cancer du sein représentait à ses yeux l’essence même de la prévention.
En fait mon impression est que les étudiants en médecine doivent édifier brique par brique un gigantesque édifice de connaissances. Mais le problème c’est qu’il n’ya pas de fondations. Tout ça est bâti sur du sable. Et on utilise des mots comme « prévention » dont on ignore totalement le sens. Et dont, surtout, on n’a pas songé une seule fois à se demander ce qu’ils voulaient dire.
Honnêtement je pense que je lui ai gâché sa journée.
En fait, nous étions mutuellement terrorisées l’une par l’autre, mais pas pour les mêmes raisons.
Mais c’est bien d’être un peu terrorisé parfois si c’est le prix à payer pour regarder la réalité en face : nous sommes quelques uns sur internet, les rédacteurs de certains blogs médicaux et leurs lecteurs, à nous étriper pour de broutilles, sans nous rendre compte que nous sommes peu nombreux, et en marge du savoir académique et que nous ne sommes en rien la frange « représentative » de la médecine qui se pratique au quotidien. Entre la jf et moi, de nous deux c’était elle qui représentait la médecine, qui avait de son côté la force et la puissance que procurent le savoir académique officiel et institutionnalisé et le markéting.
Cela permet de revenir un peu de l’illusion de consensus qui naît du fonctionnement même d’internet , où les groupes s’assemblent par affinités et finissent se persuader qu’ils sont « représentatifs » de l’ensemble. Comme les adorateurs du baclofène ou de la cigarette électronique pour prendre ces exemples au hasard.
J’imagine, en effet, ce futur site, qui serait comme une vitrine d’une médecine moins scientiste et plus sceptique. Bien que j’ai revu mes ambitions à la baisse, mais ça m’évitera peut-être de trop me disperser. Pour l’instant j’ai d’autres projets à court terme mais j’y travaillerai petit à petit. C'est-à-dire aussi que c’est difficile de générer une dynamique de groupe quand on est tout seul pour faire le travail. Mais en attendant on peut continuer à discuter ici.

martine bronner a dit…

Je m'étonne (et en même temps cela ne m'étonne pas) de ce que je lis dans le rapport Vernant.
Proposition face au dépistage du cancer de la prostate: -déremboursement s'il n'y a pas de justification
Mais pour le dépistage du cancer du sein, bien que le dépistage "sauvage" soit très critiqué, il ne propose pas de déremboursement! Où est la cohérence?
D'un côté ce corps de femme est sacralisé et pourtant il y a une forme de violence inouïe à son encontre.
Et de l'autre on met tout en oeuvre pour protéger le corps de l'homme, en particulier sa puissance.

Pour CMT, oui, c'est impératif de sortir de l'entresoi. Et malheureusement nous nous confortons tous dans un entresoi qui nous rassure et nous réchauffe.
Ce qui ne veut pas dire pour autant que nous partageons cet entresoi avec grand monde.
Votre JF est nourrie au lait du dépistage et ne voit que des pour. les contre sont décrits comme des fous, des originaux, des marginaux et même si ce que disent les "contre" peut être objectivement intéressant, le projet "pour" est beau, optimiste, rassurant, consensuel. c'est une bonne action, elle part d'un bon sentiment. Choisir cette option est, s'il faut en choisir une, bien plus convenable que l'autre.
et quand on est patiente, c'est le seul moment où on est main dans la main avec le médecin, la médecine au sens large. c'est là une oeuvre commune que de militer pour le "bien", le seul endroit où on a l'impression de faire vraiment quelque chose d'efficace contre le cancer du sein. Alors, enlever ce rêve et douter est immensément cruel même si c'est justifié.

DrKoidneuf a dit…

remarque un
c est drole ce post sans commentaire...du coup j'ai pas posté, j'ai attendu bien qu'ayant lu... c'est grave docteur? :=)

remarque deux
l'adressage, quel vilain mot mdr,ne me pose pas de probleme particulier, sauf la connerie de la sécu qui en fait un dogme ( RAF) ( oui c est ma journée abreviation... )Ils n'ont meme pas pensé a faire un code pour le mg qui envoie en consultation spe, eux qui pensent à tout...
vous en parlez pas il me semble , hors du cout, de l'aspect qualitatif? Mais il n y a sans doute pas d'étude sur cela


remarque trois
heu la remplacante schizoïde, elle va avoir du mal a se faire une clientèle, mais bon elle trouvera...

remarque quatre
Je parlerais de mes erreurs à moi.. j'ai souvent eu le tort, j'ai encore cette manie parfois me hante, de faire definitivement confiance à l'avis du spe, et me planter ainsi en en remettant pas en cause l'avis de mes confreres ( cela renvoie à la malheureuse histoire de la peritonite contée ci dessus qui est mal suivie du fait de se reposer sur l'avis du confrere ,mais je vous rassure, je n ai pas de soucis avec les peritonites)

Anonyme a dit…

Popper31 : je souhaiterai s revenir sur cette histoire d’adressage qui est le noyau d’un des 7 ou 10 piliers de la médecine générale (ça dépend des sources) :à savoir la coordination des soins.
Je pense qu’il faut mettre un terme aux petites histoires de chacun MG et Spé, pour stigmatiser les les conneries des autres , on en a tous des centaines ben réserve et ça ne fera pas avancer le scmilmblick. Mais s’interroger sur plusieurs causes de ce dysfonctionnement ( il y en a bien d’autres mais ce sera pour plus tard)
Cause 1 : les biais de recrutement de patientèle : pas la peine de revoir le fameux carré ou diagramme de White amélioré en 2001 par Green de pour savoir qu’en dehors des spécialistes à accès direct dermato,gynéco, ophtalmo (parfois car RV difficile) les prévalences et incidences des pathologies diffèrent radicalement et modifient la perception tant du MG que du Spé. Mais c’est le MG qui est dans la « vraie vie », le Spé lui protégé par le Gate Keeper ne voit qu’une patientèle sélectionnée, qui probablement ressemble plus à celle des essais cliniques, elle aussi sélectionnée…. De ce fait le Spé est souvent horrifié par la « légèreté » de la prise en charge du patient par le MG et le MG est horrifié par le luxe d’examens inutiles déployés et la longueur des prescriptions des Spé surtout quand on les met bout à bout avec celles d’autres Spé qui on fait de même.
Cause 2 : le temps d’écriture de la correspondance qui n’est pas le même : Le MG faisant le plus souvent sa lettre dans l’urgence : soit médicale tout simplement, soit parce que c’est la 4 ème motif de consultation du patient et que le temps presse, (quand ce n’est pas la fameuse demande de porte ) et qu’Il n’a parfois pas tous les éléments du dossier à sa disposition, ; ce qui fait des courriers « baclés » qui font bien rire les Spé, alors qu’eux prennent tout leur temps avec souvent un secrétariat adéquat ce qui leur permet de « chiader » leur courrier qui arrive parfois …trop tard . (je note consciencieusement les courriers qui arrivent plus d’un mois après la consultation en particulier chez les Spé hospitaliers pour des modifications de prise en charge… urgentes !!).
Cause 3 : la méconnaissance par le Spé (souvent !), des caractéristiques psychologiques, et sociétales du patient ce qui fait bien rire le MG qui connait (souvent !) sa façon de suivre plus ou moins aléatoirement les médicaments et les conseils, ses impossibilités, ses peurs, ses fantasmes…etc
Cause 4 : je m’arrête, je laisse ça aux autres bloggueurs de ce site
Au fait Y-a –t-il eu une thèse pour savoir comment un MG se constitue petit à petit un carnet d’adresse de Spé ? , la proximité (et donc la facilité d’accès pour les patients), la réputation (avec tout ce que cela comporte de désinformation), le copinage ( et ses excès),les habitudes du médecin dont on reprend la clientèle, le pifomètre, les leaders d’opinions (qui s’accaparent la FMC sponsorisée par les labos) …etc …etc ; si ça n’a jamais été fait ce serait un bon sujet de thèse de médecine Générale

Dr MG a dit…

@ Popper 31

+ 1

CMT a dit…

Tout ce qui a été dit précédemment m’a paru pertinent.
Mais entretemps je suis tombée via twitter sur ce passionnant échange MG-spé (ophtalmos) http://docteurv.com/2013/09/05/le-glaucome-des-ophtalmos/#comments et http://lerhinocerosregardelalune.blogspot.fr/2013/09/casus-belli-deuxieme-partie-les.html où il est effectivement question d’adressage, de périmètre d’activité (un MG peut-il ou doit-il prescrire des lunettes ?Faire des fonds d’œil ? Discussion passionnante car elle a lieu de bonne foi de part et d’autre et qu’on met l’intérêt du patient au centre, ce qui est la seule manière de faire de la médecine.
Mais cela m’a fait penser que, depuis le début de cette discussion, il y a bien longtemps, on n’a fait qu’effleurer un sujet de fond, qui, s’il n’est pas abordé, risque de faire que malgré tout l’intérêt des discussions on risque de tourner en rond dans le vide. Quel est, finalement, le périmètre d’intervention d’un MG, et, question complémentaire, qu’est-ce que la médecine générale ?
Ce terme même de médecine générale n’est pas très aidant mais cela veut bien dire ce que ça veut dire, à savoir, qu’académiquement, la médecine générale a été définie par défaut par rapport aux spécialités. Ainsi la médecine générale serait tout ce dont les spés n’ont pas le temps ou ne souhaitent pas s’occuper. Cette impression est renforcée après que les internes qui se destinent à la MG aient été obligés, en raison des moyens limités en main d’ouevre médicale, de fréquenter une série de services hospitaliers où ils ont pu constater combien la technicité et la technique sont omniprésentes et impressionnantes et combien ils sont peu de chose au regard de ce déploiement de technique et de technicité.
J’ouvre une parenthèse pour dire que j’ai peu fait de services rapides en tant qu’interne, et j’ai beaucoup fait d’urgences. Parce que me destinant à la MG se sentait que, à l’hôpital, ce qui se rapprochait le plus des patients vus en médecine générale, étaient ces patients arrivant de chez eux, avec des demandes pour lesquelles ils voulaient des réponses immédiates, encore prêts à se rebiffer, à contester, et non les patients hospitalisés, réduits à l’impuissance face à la toute puissance de la technique et de la science médicale, et qui étaient obligés d’accepter que 15 personnes entrent dans leur petite chambre de 10 m2 à la suite du grand patron faisant son tour et l’observent d’un regard curieux . Qu’est-ce que c’était gênant !
Donc, moi qui fais de la prévention, je ferais l’apologie des urgences de porte, parce que j’y ai appris beaucoup de choses très utiles pour un MG, même si la vie a fait que je ne m’en suis servie que quelques années. Depuis l’interprétation d’ un ECG en aigu, jusqu’à faire des points de suture, en passant par diagnostiquer une appendicite ou une grossesse extra-utérine, faire un strapping, à enlever un corps étranger de l’œil (une fois)…
On pouvait arriver à 8hs et être sur la brèche jusqu’à 15 ou 16hs avant de pouvoir manger, somnoler dans un box sur un brancard pendant quelques heures, cela reste de bons souvenirs.
Et surtout j’y ai appris l’importance de l’anamnèse, d’être méthodique pour arriver à cerner un problème rapidement, j’y ai appris à être systématique et accessoirement à faire des courriers pour les urgences. Et, je veux dire, il n’y a personne qui ait moins d’affinités que moi pour la technique ni moins d’aptitudes. Si j’y suis arrivée, tout externe ou interne peut le faire.
Qu’est-ce qu’on y gagne ? On y gagne de se sentir plus compétent pour faire face aux situations diverses et variées qui se présentent en milieu rural ou semi-rural. Et, on y gagne, c’est très important, d’avoir la petite lumière rouge qui s’allume dès qu’on a une « urgence » qui peut être potentiellement une vraie urgence, comme une péritonite, et de ne pas passer à côté .

CMT a dit…

suite
Mais les urgences, en particulier les urgences chirurgicales ou traumato, c’est relativement simple : une cause unique, qu’il faut trouver, donne lieu à une manifestation aigue, qui, dans presque tous les cas, relève d’un traitement pertinent et immédiatement efficace.
Mais voilà, à mon sens, l’un des rôles des MG : ne pas passer à côté de ces cas là.
Pour en revenir à ce qu’est la médecine générale, j’ai l’impression que les MG se sentent, et donc se comportent, comme des spécialistes défroqués, des petits techniciens de la petite pathologie de ville.
Donc, « médecine générale » ça ne veut rien dire. Le terme de médecin de famille, utilisé au Québec, me paraît plus approprié. Au moins il permet de cerner à peu près de quoi il va être question.
Il va être question des pathologies fréquentes et/ou potentiellement urgentes ou graves rencontrées en ville. Il va être question de connaître une famille pour savoir quels sont les maladies qui la menacent. Il va être question de dépistage, de prévention précoce. De pathologies infectieuses, de prescription d’antibiotiques De suivi de malades chroniques. Et aussi de coordination des soins et des traitements.
Ah bon ? Coordination des soins et des traitements ? Et comment se fait-il que quand une patiente de 87 ans revient vers son MG avec des ordonnances comme celle décrite ici http://grangeblanche.com/2013/09/07/soupe-de-sorciere-selon-grand-mere/ comportant 14 médicaments dont un certain nombre d’anxyolitiques, d’ »innovations » à l’efficacité inexistante puisque non démontrée (mais vendue aux pharmaciens hospitaliers à prix d’amis) le MG n’ose rien faire ? Alors que la patiente ne doit jusqu’alors sa survie à son excellente santé face à tel cocktail médicamenteux. Complexes ? Manque de formation ? Indifférence ? Peut-être un mélange de tout cela selon les médecins.
Je prends trois autres exemples.
PREMIER EXEMPLE, LA PRESCRIPTION D’ANTIBIOTIQUES : les campagnes visant à réduire la prescription d’antibiotiques en France sont un échec. Il s’agit d’une activité fréquente et même, très fréquente du MG. Aux Etats Unis des études ont montré que 1 consultation ambulatoire sur 10 http://healthcare.utah.edu/publicaffairs/news/current/news%20item2.html aboutissait à la prescription d’antibiotiques et 2 sur 10 pour l’enfant se rendant chez un pédiatre http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22065263 . Pour la pop générale, 25% de ces prescriptions sont inutiles d’après les calculs de Hersch, l’auteur de ces études. Et facteur aggravant, la majorité de ces prescriptions se font avec des antibiotiques à large spectre qui détruisent toutes les bactéries sur leur passage surtout la flore saprophyte (normale)intestinale . D’autant plus que le médecin n’est pas sûr de ce qu’il traite et va ratisser large pour tout couvrir et pour se couvrir. Cela aggrave le problème des résistances aux antibiotiques, très prégnant en France. Mais c’est peut-être un peu abstrait pour les parents. Mais il faut savoir aussi que l’on a de plus en plus de preuves que CELA REDUIT LA CAPACITE DE L’ORGANISME DE SE DEFENDRE CONTRE DES INFECTIONS ULTERIEURES. Une expérience a été menée par chercheurs néerlandais sur des souris qui vient encore accroître les éléments de preuve en faveur d’un rôle protecteur très important de la flore saprophyte intestinale même pour des infections transmises par voie nasale comme celles à pneumocoque (le vaccin Prevenar est présenté comme un vaccin luttant contre les infections graves à pneumocoque en particulier chez l’enfant de moins de deux ans et sa généralisation à cet âge a été justifiée par le fait qu’il allait permettre la réduction des résistances aux anitbiotiques de cette bactérie, le pneumocoque, qui provoque environ 360 cas par an d’infections graves à pneumocoque chez les nourrissons de moins de deux ans).

CMT a dit…

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Les chercheurs néerlandais de l’academic medical centre dont l’auteur principal J. M. Lankelma1, ont littéralement vidé les intestins de souris de leur flore en leur faisant ingérer un cocktail d’antibiotiques, et puis les ont exposé à du pneumocoque par voie intranasale. Ils ont constaté que la survie des souris vidées de leur flore était moins bonne et qu’elles présentaient des infections plus graves, que leur système immunitaire fonctionnait moins bien, et qu’à l’inverse, un groupe chez qui on restaurait la flore intestinale retrouvait une bonne capacité de résistance aux infections (congrès international d’immunologie, resumés des travaux présentés p669 http://www.ici2013.org/pdf/uploads/abstracts-book.pdf ). Ce qui montre encore une fois que vacciner ne sert à rien si on ne lutte pas efficacement contre la surprescription d’antibiotiques parce que les anitbiotiques sont non seulement cause de l’augmentation des résistances des infections graves à pneumocoque, mais cause de leur sévérité. La pertinence des prescriptions d’antibiotiques par les MG et les pédiatres est un gros sujet qui n’est pas traité. Dans ce cas la meilleure prévention est de NE PAS PRESCRIRE. Et ça c’est une notion qui est très très loin d’être intégrée par les MG qui pensent que plus ils prescrivent plus ils se comportent comme des petits spécialistes.
DEUXIEME EXEMPLE LE DEPISTAGE DE L’AMBLYOPIE CHEZ L’ENFANT. C’est quelque chose de fréquent dans ma pratique. Dans la littérature 4%. C’est quelque chose qu’on peut prévenir. L’hérédité, donc l’anamnèse, est un facteur important. Il faut noter que les parents qui portent des lunettes ne savent presque jamais dire pourquoi ils portent des lunettes (heureusement on m’a appris à « lire » dans les lunettes) et il y a quantité de parents (chez moi en tous cas) qui ne savent pas qu’ils sont amblyopes. Là c’est du dépistage et ça concerne le généraliste. Voici un bon résumé http://www.gfrup.com/protocole%20strabisme%20toulouse.pdf . Je reconnais qu’il m’est arrivée de me tromper et d’adresser des asiatiques pour rien chez l’ophtalmo, le temps que je comprenne. Mais tant pis.
TROISIEME EXEMPLE, LES DEPISTAGES OU PREVENTIONS SYSTEMATIQUES
J’ai un peu de mal à comprendre pourquoi les libéraux (pas qu’ eux) ont tendance à adorer cette approche. On va faire de la vaccination systématique, on va faire du dépistage systématique. On dirait que rien ne peut faire plus plaisir à beaucoup de médecins que de faire quelque chose en systématique avec une organisation de type militaire ou stalinien, au choix. Le systématique, c’est de la » médecine préventive pour les nuls », c’est de la « santé publique à l’intention des illettrés de la santé publique ». Non pas que ce ne soit jamais utile. Le dépistage systématique du cancer du col est utile, un ensemble très cohérent et convergent d’études l’a démontré.
Est-ce l’impression de faire de la prévention à peu de frais (c'est-à-dire sans avoir besoin de se creuser la tête pour comprendre) ? est-ce l’impression de participer, pour une fois, à l’œuvre commune , de faire partie du grand groupe des sachants se distinguant de la foule inculte ?
Je ne sais pas mais à l’évidence, cet adressage contraint et consenti est largement fondé sur l’ignorance et la peur (dans le cas du cancer du sein, peur du cancer pour la femme, et peur du procès pour le médecin). Et son essence même est de transformer les individus en exécutants apeurés, de nier et exclure la possibilité d’un choix et d’une subjectivité. Je trouve ça très dangereux à plusieurs titres. Y compris au titre de la santé publique.
J’ai été un peu longue mais j’en termine. Je crois que les MG ont UN GROS PROBLEME IDENTITAIRE. Lorsqu’ils sauront qui ils sont ils sauront mieux quel est leur périmètre d’intervention, qui est à la fois très vaste et très important en termes de santé publique. Pas besoin d’aller empiéter sur le territoire des spés. Juste savoir qui on est et à quoi on sert.

NP a dit…

Le périmètre de la MG j'ai bien l'impression qu'il est actuellement la conséquence de l'équilibre local entre le secteur libéral et le secteur hospitalier d'une part et la MG et les spé. d'autre part. Je peux me tromper car mon domaine est spécifique et un peu clos, nous sommes très ignorants des conditions de nos activités respectives il me semble. Je suis persuadé que les MG ont raison de reprocher aux spé. leur mode de fonctionnement souvent autarcique, ignorant des réalités personnelles des patients et de l'importance de leur contact avec le MG. Je sais que je devrais faire plus de correspondance pour les tenir au courant de ce que je fais avec leurs patients, notamment quand moi-même je les adresse en OPH. Mais j'ai déjà du mal à assurer le courrier basique, un mi-temps de secrétaire exclusif ne suffirait pas... Je suis surpris néanmoins d'entendre un MG dire que jamais un OPH ne l'a appelé en 23 ans de pratique. Sur la même période je dois en avoir 1 à 2 par semaine au moins, régulièrement, tous ont mon numéro de ligne directe et j'appelle moi-même facilement.
Je ne peux pas travailler sans les MG. Pour toutes les pathologies qui relèvent de l'interniste: neuro, vasculaire, inflammatoire... Pour tout l'aspect médico-social: demande d'ALD, ALD non exonérante, conteste familial et social, organisation de certaines prises en charges... Comment se passer de celui qui fait les liens ?
Ensuite, les MG n'ont pas une activité homogène. Docdu16 d'un coté, Genou des Alpages de l'autre par exemple. Mais aussi des conceptions différentes de leur activité: je veux/je sais/j'aime ou je ne veux/sais/aime pas faire ceci ou cela. Enfin des conceptions économiques différentes, mais rien de spécifique à eux ici.
Une autre chose est la démographie à venir des spé. libéraux. Pour ce que j'en sais elle va laisser de la place à la MG, à la fois par le nombre d'individus formés et par le relatif désintérêt qui semble se manifester pour l'installation libérale.
On pourrait donc dire que, dans le secteur libéral, la médecine de spécialité commence où veut s'arrêter la MG et que la MG doit reprendre la main après la spécialité. Le combat seraît à mener sur le second terme de la proposition.

NP a dit…

PS: pour revenir sur mes rapports téléphoniques avec les MG: coincidence, deux dissections carotidiennes. Pour l'une j'au dû demander au MG d'insister auprès du cardio qui enfin a vu une image sur son écho avant d'envoyer à l'IRM. Pour l'autre, VP doit s'en souvenir, moi au téléphone et elle avec le patient à son cabinet: on fait le diagnostic clinique de CBH douloureux (procédure d'examen des pupilles). J'ai revu la patient avec l'IRM et le diagnostic confirmé.
Sympa !