jeudi 26 juin 2014

Les affaires Bonnemaison et Lambert : sociétalisation de la médecine.

Appartement au centre de Zurich utilisé par Dignitas pour recevoir les patients durant leurs dernières heures.

Je ne suis pas un spécialiste de la question des fins de vie. Je ne suis pas un expert. Je n'ai pas tout compris dans les attendus des jugements. Et d'ailleurs je m'en moque. Je suis un Français moyen qui parle sans savoir, qui s'exprime, et qui a déjà écrit un billet sur la question (ICI) où il était effectivement question d'hypnovel et où je me suis fait allumer par les commentaires car je ne connaissais rien à l'hôpital, à sa profonde humanité et aux merveilleux personnels dévoués qui s'occupent des malades 24 heures sur 24... 
Au lieu d'être un inconvénient, le fait de ne pas être un expert me semble au contraire, à la lumière d'expériences médicales accumulées au cours des ans (couchage des nourrissons, dépistage du cancer du sein par dosage du PSA (plaisanterie), antibiothérapie dans l'otite moyenne aiguë, et cetera), un avantage considérable pour m'interroger sur les affaires Lambert et Bonnemaison. 
Un collègue twittos qui se reconnaîtra et que l'on reconnaîtra a envoyé un gazouillis qui disait en substance : "Le seul tort de Vincent Lambert est de ne pas avoir croisé Bonnemaison." Voir ICI. Cette remarque est profonde et résume ce qu'il était nécessaire de savoir sur l'affaire.

Mais mon propos est autre.

Je voudrais auparavant me justifier.
Dans un souci de bienséance, et pour ne pas avoir à être taxé de je ne sais quoi par je ne sais qui, je ne suis ni un catholique intégriste, ni un musulman intégriste, ni un anti pro choix, ni un partisan de  l'acharnement thérapeutique, ni un paternaliste alapapa, ni un néolibéral, ni encore moins un libertarien, ni un partisan de la peine de mort, ni...
Et j'ajoute : il m'arrive de côtoyer des gens qui vont mourir.

Mon propos est le suivant : par un injuste retour des choses, et après que les médecins n'ont eu de cesse de médicaliser la société (et jadis on disait médicaliser la vie), c'est la société qui sociétalise la médecine.
Les médecins sont devenus, à l'insu de leur plein gré, des outils sociétaux au service de l'opinion publique et, surtout, de l'opinion privée. Qu'une technique existe et les médecins sont sommés de l'utiliser au risque de passer pour des conservateurs, des pisse-froid, des paternalistes, des réactionnaires, au risque, aussi, d'être traînés devant les tribunaux.
Par un tour de passe passe ironique de l'histoire, mais de plus savants que moi sauront retrouver des exemples antérieurs, la gauche morale a enfilé les habits de la droite libertarienne. Mais n'en parlons pas, c'est tabou. Il y a eu une étape préalable, le passage par le libéralisme et par le néo libéralisme. Remarquons au passage que les bons esprits de la gauche morale (nous entendons ici la gauche de la gauche, Dieu reconnaîtra les siens) ne voient aucune différence entre libéralisme et néo libéralisme (qu'ils aillent faire un tour sociétal dans les pays néo libéraux et libéraux et ils comprendront les "subtilités" de l'affaire par rapport à la législation du travail par exemple) et qu'il en est même qui confondent conservatisme et libéralisme (et néolibéralisme puisqu'ils ne savent pas en faire la distinction), ce qui est assez gratiné.

La sociétalisation de la médecine fait des médecins les outils des désirs sociétaux (et l'histoire nous dira s'ils étaient fous ou non), ces désirs qui sont instrumentalisés ou justifiés par la philosophie des Droits : "J'ai le droit de..." Et gare à ceux qui ne s'y conforment pas. Le slogan de mai 68 "Tout est possible et sans tabou" est devenu le leitmotiv des sociétés "avancées" qui disposent des techniques ad hoc. La médecine ne peut plus raisonner pour elle-même (on me dit dans l'oreillette que ce n'est pas envisageable) et doit, technicienne, se plier aux bons vouloirs de l'opinion publique.
Les médecins ont toujours fait partie intégrante de la société (quand ils ne l'ont pas organisée) et depuis les temps immémoriaux des chamans, et ont toujours voulu lui plaire (pour en vivre par exemple) mais ils sont parfois passés par des extrêmes (nous allons atteindre, très chers amis, le point Godwin et le point Stalwind -- marque déposée docteurdu16--), Mengele, la psychiatrie soviétique, les injections léthales dans l'administration de la peine de mort, des extrêmes qui existent toujours aujourd'hui : essais cliniques sur des enfants et des femmes du Tiers-monde, trafics d'organes, et cetera.
Puisque la greffe d'un sixième orteil sur le pied dominant améliore de 12 % les temps au 50 kilomètres marche et qu'une clinique costaricienne la pratique à San José il est scandaleux, prétendent les théoriciens des Droits, qu'aucune clinique française ne la pratique, qu'elle ne soit pas remboursée par la CPAM, et qu'elle soit considérée comme de la médecine améliorative susceptible d'être assimilée à du "dopage". 

Revenons aux cas Bonnemaison / Lambert.
Que viennent faire les médecins dans cette histoire ? 
Dans le cas Lambert les médecins et une partie de la famille du patient considèrent qu'il s'agit d'acharnement thérapeutique et les parents, semble-t-il, s'opposent à l'arrêt des soins. Peut-on, doit-on obliger en conscience des médecins et des équipes soignantes à garder en vie végétative un patient qui, selon les médecins, souffre quand même et qui ne sortira jamais, en l'état actuel des prévisions de la science, de son état ? Les médecins et les équipes soignantes n'ont-ils pas, eux aussi, une conscience qu'il est nécesssaire de respecter ? La conscience médicale et soignante doit-elle être considérée comme quantité négligeable et doit-on contraindre des médecins à pratiquer des actes qu'ils réprouvent ? Est-on au courant du fait qu'agir contre sa conscience peut entraîner des dégâts considérables ? Même en cas de décision de justice. Sociétalisation de la médecine, dis-je, et même sociétalisation à géographie variable : le dépaysement de Vincent Lambert à Bayonne aurait peut-être réglé le problème...
Dans le cas Bonnemaison que l'on a décrit comme "assassin par compassion" il semble que son instrumentalisation (les acclamations de la salle d'audience à l'annonce de l'acquittement en témoignent) par les associations ne fasse aucun doute. Je ne dirai rien de ce que j'ai pu percevoir de la personnalité de Bonnemaison (son changement de coupe de cheveux avant et après est assez stupéfiant) et des raisons qui l'ont poussé à pousser la seringue mais, je l'avais déjà signalé ailleurs (LA), les Bonnemaison aux mains propres ne sont pas rares dans les centres hospitaliers mais on n'en parle pas, on le tait. Et là, a contrario, il s'agit de la pratique des médecins, forcément inexplicable car non expliquée parfois aux patients et aux familles, qui se substitue à la conscience des patients et des familles. Médicalisation de la vie et ici de la mort par des équipes soignantes comme pendant de la sociétalisation de la médecine à qui l'on demande de se plier aux désirs de la société. Eût-il fallu que Bonnemaison confie hypnovel et/ou Norcuron à la famille pour qu'elle accomplisse le geste d'amour  et de compassion ? 

Ce que je voulais souligner : les médecins font désormais partie de la "boîte à outils" sociétale. Ceux qui en profitent feront de l'argent. Les autres souffriront.

PS. On remarquera que les infirmières et aides-soignantes sont condamnées et les médecins acquittés. Vous avez le droit à plusieurs grilles d'interprétations : marxiste, genriste, sexuelle, autre...

Illustration venant de LA.
Dignitas, CH : ICI.

PS du premier juillet 2014 : Judge Marie (LA) justifie en droit Bonnemaison. Je lui réponds.
PS du trente-et-un octobre 2015 : le docteur Bonnemaison a fait une tentative de suicide et se trouve entre la vie et la mort (selon la presse : ICI).


8 commentaires:

CMT a dit…

J’ai l’impression que les jurys dans cette affaire, se sont fait comme happer dans une sorte de tourbillon d’émotions où, ni la raison, ni la loi, ni le bon sens n’ avaient leur place.
Pourtant, tous les éléments de l’abus de faiblesse semblent réunis. On a entendu les familles qui avaient hâte d’être libérées de la souffrance intolérable que représentait le spectacle de la déchéance de leurs proches. Mais pour les malades, les experts ont déclaré qu’il n’y avait pas de souffrance intolérable. Et Nicolas Bonnemaison, lui, a dit que ce qu’il voulait était prévenir la souffrance intolérable, y compris psychique, qui n’aurait pas tardé à se manifester. On est dans la plus totale subjectivité d’un esprit qui m’apparaît bien malade.
Donc, d’un côté des familles en grande fragilité, qui, comme dans les sectes, ne demandent qu’à être débarrassées de leur faculté de choix, dans un mouvement régressif. D’un autre, un médecin qui cache derrière une compassion affichée, une réelle soif de toute puissance et de contrôle. Une sorte de gourou charismatique exerçant son emprise de manière occulte, par signes. Ce que les parents des malades prennent pour une forte complicité, et qui est plutôt le signe d’une forte emprise sur le mode régressif (avant le langage).
La collégialité est vraiment la seule garantie contre l’arbitraire de telles décisions et que celles-ci ne deviennent pas le moyen d’expression de pathologies psychiques des soignants.
J’ai aussi entendu parfois des témoignages de personne « aidant à mourir ». Et il y a une complaisance dans la description de ces moments qui relève de la fascination morbide. Sans parler de l’aspect commercial, présent chez certaines associations pourtant encensées http://www.letemps.ch/Page/Uuid/1d6399d4-5c74-11df-8e8f-d2055fc22cb9|1

pr mangemanche a dit…

Quelques questions qui me restent en travers de la gorge :

-Qui souffre ? La personne mourante ou bien son entourage ?
- La souffrance de qui veut-on soulager ? La souffrance de la personne mourante ? Ou la souffrance de l’entourage à la vision de la mort d’un proche ?
- Sur quels signes se base-t-on pour évaluer la souffrance de la personne mourante quand elle est incapable de s’exprimer ? Il existe des grilles schématiques basées sur les mimiques, l’expression faciale. Ces outils sont-ils utilisés ? Que penser de la posture d’une personne, d’un proche ou d’un soignant, qui s’arroge le droit d’interpréter la souffrance d’une personne qui ne communique pas, ou plus ? « je le vois dans ses yeux qu’il veut en finir » a-t-on pu entendre dire…
- Que penser d’une démarche de « fin de vie active ou programmée » concernant une personne non mourante ? c’est-à-dire non appelée à mourir à brève échéance d’après les connaissances médicales en cours ?
- L’alimentation et l’hydratation font-elles parties de mesures thérapeutiques déraisonnables et donc qualifiables « d’acharnement thérapeutique » ?
- Comment apprécier les attitudes opposées concernant des personnes en état végétatif chronique, ou « pauci-relationnelles » ? : dans certains cas, la famille, les soignants font tout pour maintenir en vie avec un maximum de confort une personne à domicile, en établissement de soins (dont certains services sont exclusivement dédiés aux états pauci-relationnels), en établissement médico-social ( MAS ou autre), dans d’autres cas, la situation est jugée intolérable, insupportable, ne peut plus durer et la fin de vie programmée semble la seule solution. Qu’est-ce qui fait pencher la balance d’un côté ou de l’autre ? Le ressenti de l’entourage ? le bon vouloir des médecins ?
.

pr mangemanche a dit…

- Quelle leçon pouvons-nous tirer de ces patients qui nous interpellent, quand ils sont en bonne santé, pour nous faire promettre d’abréger leur souffrance le moment venu, et qui, le moment venu, n’ont plus le moindre désir d’abréger quoi que ce soit ?
- Quelle leçon pouvons-nous tirer de ces situations où les patients atteints de maladie incurable, mal calmés par les antalgiques notamment opiacés, le plus souvent en grande souffrance psychologique associée, pour lesquels nous mettons en place une sédation à visée antalgique (ex : midazolam), et non à visée d’euthanasie (je tiens au distinguo), au risque assumé cependant d’évolution fatale accélérée, et qui donnent lieu à un malaise généralisé tant chez les soignants, que chez les proches, devant la nécessité d’exprimer publiquement et collectivement son choix personnel d’accepter d’abréger la vie de quelqu’un, de le regarder mourir à son rythme, et la tentation apparaît alors non pas seulement de soulager mais bien d’en finir.
- Pourquoi nous évertuer à sauver malgré eux des suicidés qui ont clairement exprimé leur volonté de mourir, et au contraire euthanasier des personnes qui n’ont rien demandé, mais qui se trouvent à passer aux Urgences ?
- Qui a donc bien pu penser que les médecins étaient les personnes les mieux qualifiées pour mettre en œuvre une fin de vie programmée ? Pourquoi le suicide assisté devrait-il relever de la compétence des médecins ?
- La collégialité, si elle semble nécessaire (beaucoup de soignants se rappellent sûrement des « cocktails lytiques » administrés le week-end en milieu hospitalier, en catimini), est-elle vraiment un rempart suffisant contre l’arbitraire de telles décisions, au train où se répand cette pensée soi-disant progressiste sur « le droit à » l’euthanasie dans l’opinion générale et parmi les soignants ?
- Qui définit les critères d’une vie indigne d’être prolongée ?

Et pour finir par une provocation : Ces questions sont plus vite escamotées quand le processus est moins brutal, mais que disons-nous, que faisons-nous quand tel service de cardiologie intensive refuse l’admission pour syndrome coronarien aigu en raison de l’âge avancé ?

Je me permets de préciser à l’instar de JCG que je ne suis d’aucune obédience religieuse, philosophique ou politique, que ces questions sont issues notamment de ma pratique professionnelle, que je n’ai jamais fui mes responsabilités avec des patients en fin de vie (c’est en tout cas ainsi que je le perçois), et que je suis simplement étonné que ces questions soient si peu évoquées et qu’on se précipite sur la solution considérée comme acquise.

Doudou13314682 a dit…

Toutes ces questions ne sont pas posées 1 peu hors vieux soignants ont l'expérience et l'intelligence de la diversité des situations ,sont par exemple à même de dire que l'évolution majeure de ces dernières semble être l'impossibilité sociale de suivre l'agonie d'un proche

hexdoc a dit…

La collégiabilité, déjà c'est moche comme mot, ensuite, c'est quoi ? un jury qui pourrait se faire comme happer dans une sorte de tourbillon d'émotions ? Une décision solitaire, c'est une souffrance solitaire, une décision collégiale, c'est peut être une décision professorale ... Car dans un collège, les paroles ne sont pas égales, même dans une vision marxiste. Car il peut y avoir dans le collège une relation hiérarchique, mais aussi une relation du type "d'extension du domaine de la lutte".

Pour ma part je ne suis juge du du docteur incriminé, ni des familles qui ne peuvent envisager l'agonie de leur proche.

Par contre je répondrais franchement au pr mangemanche : oui l'alimentation artificielle d'un patient que l'on sait condamné est une mesure thérapeutique déraisonnable; et si c'est le cas, alors l'hydratation artificielle de ce même patient est également une attitude déraisonnable, et ces deux mesures sont qualifiables d'acharnement thérapeutique. Et dans ces situations, on peut effectivement en tant que soignant si on a prit la décision d'arrêter ces thérapeutiques déraisonnables, sédater le patient pour soulager ses derniers instants.

Je l'ai demandé pour mon père, incapable de s'alimenter et d'exprimer sa volonté, pour lequel j'ai refusé la pose d'une sonde gastrique, de gastrostomie, ainsi qu'un cathéter pour alimentation parentérale.

En tant que soignant, on peut en discuter avec les familles, sans pour autant proposer un choix binaire. Et cette discussion, et celle des soignants impliqués doivent aider la décision du prescripteur; car au final la collégiabilité n'est qu'un cache sexe, ou le médecin prescris, l'infirmière exécute, et l'aide soignant soigne.

CMT a dit…

A hexdoc,
Je ne juge pas mais j’essaye d’analyser un jugement que je ne comprends pas et qui ouvre en grand un porte tout à fait officielle, puisqu’il s’agit d’une jurisprudence dont il faudra tenir compte dans les jugements futurs, à l’arbitraire dans les décisions de médecins isolés et installés dans une sorte de toute puissance au nom de leur supposée compassion.
La collégialité n’est pas une garantie, comme aucune mesure formelle ne peut être une garantie absolue contre l’arbitraire. Mais c’est un pré-requis posé par la loi et qui pose un cadre aux décisions. Un cadre qui permet que ces sujets soient tout au moins PARLES, explicités, qu’on envisage plusieurs choix. Comme on sait, seule la parole permet de construire, de symboliser et de prendre du recul quand les émotions sont trop fortes. N’est-elle pas le premier outil thérapeutique des psychologues, par exp ? Le fait de parler aurait peut-être pu faire envisager les choses autrement aux familles, aurait pu leur permettre de prendre du recul par rapport à cette souffrance qui les submergeait. Mais il semble que l’implicite, la gestuelle, aient remplacé la parole et permis à chacun des protagonistes des passages à l’acte, directement ou par procuration, de désirs non assumés et dont les motivations profondes, en particulier du côté du médecin, étaient probablement bien loin du bien être des patients.
D’ailleurs, n’y avait-il pas un psychologue dans le coin ? Quelqu’un qui aurait pu servir de médiateur ? Probablement non et pour la raison qu’on se trouvait là dans une UHCD http://www.ch-pau.fr/nos-equipes/pole-urgences/uhcd.html un de ces services qui, pour des raisons économiques, servent à la gestion des lits des services de réanimation. Une sorte de no man’s land éthique. On sait que des patients sortent de réanimation pour y mourir mais il ne faut pas le dire (les familles pourraient refuser la sortie de réanimation) et rien n’a été pensé pour encadrer et gérer cette possibilité.

CMT a dit…

A pr mangemanche
Pour ce qui concerne l’admission des sujets âgés en soins intensifs, le rôle des scores et leur pertinence, leur rôle éventuel dans la discrimination des patients en fonction de leur âge à l’entrée en soins intensifs, avait été le sujet de ma thèse, il y a bien longtemps, mais le problème reste d’actualité, peut-être plus que jamais.
Pour résumer, l’emploi des scores pronostics avait été promu par les pouvoirs publics dans les années 70 comme réponse à l’augmentation galopante des dépenses de santé et parce que les soins intensifs sont, parmi les séjours hospitaliers, de loin les plus onéreux. On voit maintenant que cette idée de rationner les soins pour diminuer les coûts en se servant de scores n’a été d’aucune utilité puisque ce ne sont pas les outils qui déterminent la pertinence des dépenses, mais bien la pertinence et la cohérence des politiques de santé publique. Or, les politiques de santé en France ont promu en permanence une surmédicalisation d’un bout à l’autre de la vie et, en revanche, un déficit chronique au plan de la prévention. Si elles n’ont pas permis une diminution des dépenses, ces politiques ont en revanche aggravé les discriminations, notamment par l’âge. Et l’utilisation des scores a justifié cette discrimination en lui donnant une allure de pseudo-rationalité.
Pourquoi ?
Les scores utilisés pour sélectionner les patients à l’entrée en USI visaient à sélectionner ceux qui avaient le plus de chances de tirer bénéfice des soins intensifs, notamment en essayant de prédire le risque de décès, partant du principe qu’il est moins coût efficace d’utiliser une débauche de moyens pour des patients qui allaient, de toutes façons, mourir, que pour des patients qui allaient survivre.
L’âge a été intégrée dans les scores par facilité, parce que c’est une variable extrêmement facile à déterminer et que cela correspond sans doute à la morale implicite commune selon laquelle une vie jeune vaut plus qu’une vie âgée.
Mais en réalité la questions est : est-ce que toutes choses égales par ailleurs l’âge est un facteur prédictif indépendant de mortalité à l’occasion d’un évènement aigu, voire même , l’âge est-elle un facteur prédictif indépendant de qualité de vie dégradée à l’issu d’un tel évènement ?
Ma réponse, dans la thèse, après un long examen critique de la biographie, et après l’examen rétrospectif de 95 observations consécutives de patients âgés de 70 ans ou plus intubés-ventilés, était non.
Il semble qu’en France le problème de la discrimination par l’âge se pose de manière plus aigüe qu’à l’étranger , en tous cas qu’aux Etats Unis, la sélection à l’entrée des services de soins intensifs en fonction de l’âge, étant plus importante en France qu’aux Etats Unis.
Déjà, il faut remarquer que les scores sont des tests statistiques mais qu’ils ne devraient pas être utilisés pour faire des prévisions individuelles mais seult pour comparer des services, des groupes de patients par pathologies, p exp, en vue d’améliorer la qualité et la pertinence de la prise en charge.

CMT a dit…

suite
En ce qui concerne l’âge, tous les scores intègrent cette variable, alors que, comme je le disais, elle ne devrait pas être intégrée comme variable indépendante prédictive du résultat. L’âge est simplement une variable commode. Par exemple, dans le score appelé SAPS II, dans un souci de simplification, on avait éliminé une série de variables corrélées à l’âge. L’âge était donc pris comme substitut à ces variables. Cela conduisait à attribuer à l’âge un coefficient élevé (et donc à en faire un critère autonome de gravité) pour compenser la perte d’information. Par exemple, pour une personne de 80 ans présentant une valeur modérée des variables ainsi éliminées, son seul âge pouvait représenter 25% du total des points attribués par le score, et cet addition de points correspondant à une sévérité supposée plus élevée mais en fait purement artificielle.
Or, le pronostic y compris au plan fonctionnel et de la qualité de vie des personnes âgées dépend surtout de leur état de santé antérieur et du diagnostic.
Le problème c’est que, même à supposer que le score ne soit pas utilisé directement pour une sélection à l’entrée des soins intensifs, l’utilisation inadaptée de l’âge comme variable dans les scores induit une sorte de confirmation du présupposé selon lequel l’âge est un facteur autonome de prédiction et favorise la discrimination à l’entrée des USI par l’âge.
Pour ce qui concerne la part prise par la famille dans les décisions, il y avait une étude limitée mais intéressante (Geety et coll) sur 52 patients qui montrait que lorsqu’on proposait différents scénarios d’intervention à des sujets âgés pour savoir quel type d’intervention ils seraient prêts à accepter en fonction des pathologies et deschances de survie, la concordance avec les choix faits par leurs proches n’était pas supérieure à celle due au hasard.