dimanche 18 octobre 2015

Bruits des sabots et corruption en médecine.

Le dernier billet de Bruit de sabots (voir ICI) a provoqué de nombreux commentaires dans le petit milieu.
Il pose des questions essentielles.
Mais il pose des questions essentielles à ceux qui se posent des questions, c'est à dire à très peu de médecins (on sait que 60 % des médecins reçoivent la visite médicale et je ne sais combien, une majorité de ces médecins disent ne pas être influencés).


Mon lien d'intérêt est clair : je connais Bruit des sabots IRL (In Real Life), je lui ai parlé lors d'un congrès de Prescrire, je communique parfois par mel avec lui et il m'a fait relire sa thèse avant parution : ICI, une thèse d'une grande qualité mais qui, ironie du sort, traite justement du sujet). Et je l'aime bien. 

Quand j'ai lu le billet il y avait déjà un commentaire de Martin Winckler. Qui m'a déçu en bien. J'ai posté moi-même un commentaire qui a dû en surprendre plus d'un.

Puis est paru le billet de Perruche en automne (ICI). Auquel j'ai répondu. Mais les autres commentaires sont plus intéressants et les réponses de l'auteur indiquent qu'il est moins méchant qu'il n'y paraît.

Sylvain Fèvre (ASK) a écrit un billet bien fichu et favorable au choix de Bruit des sabots (LA).

Puis Bruit des sabots a réécrit un billet : LA.

Les liens d'intérêts et les conflits sont une affaire sérieuse qui demande des bases solides. En France, pays de profiteurs, pays où la triche fiscale est un sport national pour lequel la bienveillance est de rigueur, l'immense majorité des habitants de ce pays merveilleux ne sait même pas ce qu'est un lien d'intérêt. Alors, la différence entre lien et conflit paraît pour ces habitants de cette contrée merveilleuse que tout le monde envie, un concept martien.

Voici une définition états-unienne que j'ai traduite.

"Un concours de circonstances qui crée le risque qu'un jugement professionnel ou des actions relatifs à un intérêt primaire soient injustement influencés par un intérêt se condaire.

"Les intérêts primaires sont : promouvoir et protéger l'intégrité de la recherche, le bien-être des patients et la qualité de la formation médicale.

"Les intérêts secondaires peuvent inclure non seulement un gain financier mais aussi le désir d'avancement professionnel, la reconnaissance d'une réussite personnelle et des faveurs pour des amis et de la famille ou des étudiants et des collègues.

"L'IOM ajoute que les intérêts financiers sont souvent mis en avant notamment auprès de l'opinion publique mais qu'ils ne sont nécessairement pas plus graves que les autres intérêts secondaires ; ils sont en revanche plus objectivables, plus opposables, plus quantifiables et plus réglementés en pratique de façon équitable"

Avec un commentaire de Robert Steinbrook (LA).

Vous pouvez également lire un billet de Marc Girard qui, comme à son habitude, va plus loin (ICI).

Sur le site de Marc Girard il y a de très très nombreux billets sur le sujet ainsi que sur ce blog car le sujet est important et complexe.

Je voudrais revenir brièvement sur le concept de transparence et sur celui de lien/conflit d'intérêt. Rapidement.
La transparence est un concept barbare. Comme je l'ai écrit quelque part (LA), la transparence et la publicité, considérées comme geste éthique fondamental vis à vis des medias, de la maladie des hommes politiques, par exemple, est une des composantes, je pèse mes mots, du totalitarisme moderne des sociétés libérales, celui de l'intrusion de la démocratie d'opinion dans la vie privée de tout un chacun., et je peux citer Kundera, qui a une certaine habitude des systèmes totalitaires, qui fut choqué en arrivant en France (on l'avait chassé de Tchécoslovaquie où la transparence consistait à diffuser à la radio d'Etat des  enregistrement volés à l'intimité des opposants) de découvrir à la une des journaux des photographies de Jacques Brel mourant à la sortie de l'hôpital américain de Paris.

Passons-en aux faits :
  1. Soulignons, mais ce n'est pas une excuse, la franchise de Bruit des sabots qui, au lieu de se cacher derrière son petit doigt, au lieu de se poser des questions seul dans son coin et de faire  un choix difficile (avec ses amis, ses relations, sa famille, en toute autonomie) a choisi de mettre le débat sur la place publique (hétéronomie) et, on le lit, dans la douleur (voir son dernier billet qui paraît en même temps que j'écris : ICI).
  2. Insistons sur le fait majeur de ce billet : on y apprend (je l'apprends et je suis confus de ne pas l'avoir su avant) que l'industrie pharmaceutique sponsorise des postes universitaires ! Ainsi, non contente de toucher de l'argent ici ou là (le professeur Grimaldi clamant haut et fort que le système informatique de son service a été payé par un laboratoire, Sanofi-Aventis, qui est un acteur majeur de l'activité, la diabétologie, du dit professeur) l'université accepte tout par manque d'argent.
  3. Et le paradoxe de tout cela : je lui conseille d'accepter, je pense qu'à son âge je l'aurais fait (parce qu'à son âge je ne connaissais même pas l'existence de la notion de lien ou de conflit d'intérêt), je lui conseille (que ce terme est mal choisi, comme si je pouvais me permettre de conseiller quelqu'un dans un choix moral) de faire ce qu'il a choisi de faire, mais, aujourd'hui, aujourd'hui que je sais ce que je sais et que ma vie professionnelle est derrière moi,  je pense que sa position est sans doute intenable à terme mais la vie est ainsi faite qu'il faut expérimenter, aujourd'hui donc je n'aurais pas accepté.  
  4. Je fais un détour par Matthieu Calafiore qui est président du SNEMG (syndicat national des enseignants en médecine générale) et qui participe activement au CNGE (collège national des généralistes enseignants) ou au congrès de la médecine générale sponsorisé par l'industrie (ICI et LA) : je pourrais être critique à 100 %, sachant ce que je sais, mais je constate qu'il fait des cours à la Faculté dénonçant par exemple le tout cholestérol. S'il ne le faisait pas qui le ferait ? Le professeur Danchin ? Donc, Bruit des sabots, fais le Matthieu...
  5. Puis un détour par Jean-Marie Vailloud (LA) dont le billet est d'une désespérance totale. Ce billet mérite, comme on dit, de "déplaquer" : ce cardiologue (que je ne connais ni des lèvres ni des dents) écrit sans doute le blog de cardiologie le plus pertinent qui soit (sans doute mille fois plus pertinent que la revue Prescrire quand elle parle de cardiologie) et il nous narre, au delà de la défense corporatiste de Perruche en Automne (je vais parler du fond de ce billet dans le paragraphe suivant), son parcours compliqué pour éviter l'industrie, et le fait qu'il ne puisse pas l'éviter. Il nout dit ceci en filigrane : nous sommes cernés. Donc, Bruit des sabots, fais aussi bien que Grange Blanche
  6. Mais, cher Bruit des sabots, le morceau de résistance, c'est le billet de Perruche en automne (LA). J'ai écrit que le billet était méchant. Je persiste et j'ajoute que le ton, au delà de l'ironie, est méprisant. Il s'agit en réalité d'abord d'un plaidoyer pro domo : je résume : les petits khons ki croient ke c'est pas possible de ne pas être corrompus feraient mieux de fermer leur gueule puisque moi la meilleure Perruche en automne de la création, et malgré que j'en aie, je suis bien obligé d'écrire avec un stylo, manger un petit four, aller dans des congrès all inclusive pour le meilleur de ma spécialité et que d'ailleurs la fac c'est pareil, c'est pourri de partout donc, faut le dire aux jeunes qui s'inscrivent à une prépa pour faire médecine, ils vivront dans la corruption et on ne peut faire autrement, et cetera. Ensuite, l'autre aspect de son billet la vengeance personnelle. Comme ce garçon a l'air très bien, propre sur lui (j'ai déjà écrit ailleurs que ses billets, bien qu'un peu complexes pour un petit généraliste de banlieue sensible comme moi, étaient souvent d'une rare qualité scientifique bien qu'un peu anti pédagogiques par moments, mais, en tous les cas très au dessus du lot des néphrologues communs -- ceux que je côtoie toute l'année sont très en dessous et eux, sans vergogne aucune, écrivent leurs ordonnances sous l'influence directe de big pharma), qu'il sait quelles sont ses propres compromissions (je connais les miennes, merci) il se rappelle le Bruit des sabots qu'il était dans son extrême jeunesse (je romance, je freudise comme un crétin) et se venge de lui en se moquant de l'autre. Je me relis et je me rends compte que c'était ma première impression, ma première impression méchante et que, comme je le disais plus haut, les réponses aux commentaires de l'auteur le montrent sous un jour plus favorable mais, comme dirait l'autre, le vendeur de chez Darty, c'est la première impression qui compte...  
  7. Enfin, BdS, les commentaires sur twitters, enfin les quelques que j'ai interceptés, sont intéressants également. Y a 1) le mec, il l'a pas volé, 2) J'aurais pas fait comme lui (surtout les mecs à qui on ne l'a pas proposé), 3) Retour à l'envoyeur, 4) La vie, c'est un compromis, 5) Il faut être intègre, pas intégriste, 6) C'était pas la peine de faire tout ce cinéma pour finalement faire ce que fait tout le monde, 7) Je l'aime bien, je lui pardonne, mais pour un autre, je ne l'aurais pas fait, 8) La vie est un long conflit d'intérêt...
En gros, cher Bruit des sabots : fais ce qui te plaît et ne cherche l'approbation de personne mais tu sais désormais que tes prises de position seront examinées avec un œil neuf et que l'on te cherchera des poux dans la tête à la première occasion.


Image : Ray Liotta dans Les Affranchis de Martin Scorcese.


4 commentaires:

  1. Une nuance importante à mon sens : l'association en question a des liens d'intérêts indirects avec l'industrie du médicament via la sponsoriastion de ses colloques, mais BigPharma ne finance pas le poste en question. La question posée est donc celle des liens de réciprocité indirects qu'induira cet engagement contractuel pour le poste, et non celle d'une réciprocité directe par des liens financiers.
    C'est un détail qui a son importance.

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  2. Une nuance importante aussi à mes yeux : cela fait plusieurs années que je ne participe pas au congrès de la Medecine générale de Paris (CMGF) car je refuse d'aller dans un congrès où l'industrie pharmaceutique fait partie du programme "scientifique"
    Je ne participe donc pas activement à ce congrès là, comme tu l'écrivais.
    Amitiés.
    Matthieu

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  3. Je reprends ici le commentaire d'un représentant, visiblement consterné, de la fameuse URPS de Basse Normandie, posté suite au post de Perruche en automne et reprenant une remarque que j'avais fait dans un précédent commentaire, au sujet du fait que, même si j'ignore tout de ce type de poste, je conçois mal que le fait d'être financé par telle URPS oblige en quoi que ce soit à orienter ses interventions pédagogiques ou ses recherches dans un sens donné.

    Thierry Lémoine écrit:

    "« D’autre part, il me semble que le financement par l’URPS ne signifie en rien que celle-ci ait le droit d’influer sur les orientations en matière de pédagogie ou de recherche du médecin qu’elle finance. »

    Oui, vosu avez tout à fait raison ; je voudrais apporter ici un autre éclairage :
    il s’agit d’un poste de chef de clinique financé en partie par l’URML de Basse-Normandie, c’est à dire le parlement régional des médecins libéraux.
    Il faut savoir qu’en Basse-Normandie, il y a deux postes de chef de clinique de MG (ce qui est bien évidemment très insuffisant) et qu’à ce titre, il est apparu opportun à l’URML de promouvoir la filière de MG dans la mesure de ses moyens (qui sont je le rappelle pour l’essentiel le fruit des cotisations obligatoires de tous les médecins libéraux conventionnés).
    Le chef de clinique de MG doit être installé à mi-temps en libéral, et participe donc de ce fait au financement de son propre poste puisqu’il est assujetti à la cotisation URPS obligatoire.
    Ce 3eme poste créé à l’initiative de l’URMLbn et qui n’existerait pas autrement est donc financé sur un partenariat URML-Faculté- Région,
    A aucun moment il n’y a eu financement par une entreprise pharmaceutique, l’auteur confond avec un partenariat entre l’URML BN et un laboratoire lors de l’organisation d’un colloque de médecine libérale depuis 3 ans.
    Dr Thierry Lemoine
    Trésorier de l’URMLbn"

    Ma conclusion? En médecine comme "IRL", toujours en revenir aux faits. Sinon on discute dans le vide,cela ne vaut guère mieux que des commérages et, surtout, on tire des conclusions fausses.

    Et j'aimerais tout de même bien aussi qu'on prenne acte, ce qui ne ressort pas des conclusions de l'IOM que tu cites, et qui est un point central concernant les conflits d'intérêts, que la caractéristique des conflits d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique est de générer des biais systématiques, c'est à dire toujours dans le même sens et d'être massifs, à l'image des moyens investis par Big Pharma pour les générer, ce qui les différencie de tous les autres conflits d'intérêts, individuels, circonstanciels, disparates et multidirectionnels.


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  4. le point #darty is the new #godwin

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