jeudi 28 mai 2015

Un secret médical. Histoire de consultation 183.


La jeune B, 14 ans et 7 mois, entre dans le cabinet de consultation en faisant la tronche. Elle est accompagnée par ses parents. 
Je sais déjà de quoi il est question car sa mère m'en a parlé auparavant.
L'histoire est la suivante (racontée par la mère auparavant et confortée ce jour) : B sort avec des hommes et elle a des rapports.
B s'est assise les mains entourant ses joues avec les coudes appuyés sur les cuisses.
Les parents voudraient : 1) que je lui fasse faire des examens (IST) ; 2) que je lui parle (i.e. je la raisonne en lui disant les dangers qu'elle court) ; 3) que je lui prescrive une contraception.
B ne dit rien. Elle écoute en prenant un air blasé.
B est déjà venue me voir toute seule et a tout nié ou presque. Presque. Ce qui m'a donné l'occasion de dire quelques mots de prévention et de tenter d'éclaircir la situation.
" Si on t'écoutait..."
Elle regarde ses parents qui sont assis l'un à côté de l'autre et elle du côté de son père.
" Je n'ai rien à dire. Ils se font des films."
Regards entendus des parents.
" Tout est faux ?
- Non. Mais je n'ai pas envie de parler.
- Pourquoi ?
- Parce qu'ils ne peuvent pas comprendre."
La mère de B se lance dans un long monologue énervé et revendicatif d'où surnagent les mots "avenir", "études", "gâcher sa vie", "ne pas être enceinte", et cetera.
Le père de famille (docteurdu16) est globalement d'accord ; le médecin (docteurdu16) pense au côté "médical" de l'affaire ; le moraliste (docteurdu16) réfléchit.
Le père de B regarde sa femme et dit ceci : " Je crois que l'on devrait la laisser seule avec le médecin."
La mère acquiesce à regret.
B sourit.
Ils sortent.
B s'assure que les portes sont bien fermées.
" Vous ne direz rien à mes parents ? Vous êtes tenu au secret.
- Je ne dirai rien sauf si je pense que tu es en danger."
Elle m'a "tout" raconté. Une version différente de ce que ses parents savent. Une version plus soft, une version moins hard, mais une version qui fait quand même frémir un père de famille. Je ne pense pas qu'elle soit en danger. Mais une jeune fille de 14 ans et 7 mois qui est à la fois d'une grande maturité physique et d'une grande naïveté.
Je ne peux en dire plus pour des raisons de confidentialité.
Si B a souri tout à l'heure quand son père lui a proposé de la laisser seule avec moi, c'est qu'elle avait compris que ce qu'elle me dirait, ses désirs, ses raisons, sa façon, à 14 ans et 7 mois de vivre la sexualité, jamais ses parents ne le sauraient. A moins qu'elle ne leur en parle. Mais il y a au moins 3 versions identifiées : 1) ce qu'elle vit ; 2) ce qu'elle a raconté à ses parents ; 3) ce qu'elle m'a raconté.
Que deviendra cette jeune fille ?

Illustration : Balthus (Balthazar Klossowski de Rola : 1908 - 2001) : Katia lisant (1974).


dimanche 24 mai 2015

Des examens complémentaires à foison pour un faible taux d'élucidation. Histoire de consultation 182.


Madame A, 53 ans, a été adressée par son médecin traitant, le docteurdu16, chez le cardiologue (choisi par la patiente pour des raisons de proximité et parce que la copine du gars qui a vu le gars lui a dit que sur DocAdvisor les commentaires étaient sympas) parce qu'elle ressentait le début de l'esquisse d'une dyspnée d'effort.
Cette patiente est hypertendue équilibrée (PA 135/80 ce jour) (esidrex, betaxolol), diabétique non id à peu près équilibrée (HbA1C = 7,7) (metformine 500 mg x 3, glibenclamide 2,5 mg x 2), sa fonction rénale est normale et son LDL (le LDL est le "bon" cholesterol) est à 1,08 (sans traitement) avec des TG à 3,27. Quant à sa rétine, elle est nickel.
J'écris donc une lettre en ce sens en soulignant le problème du (très fort) surpoids (124 kilos pour 167 cm). 

Premier courrier du cardiologue qui confirme que tout va bien (ECG) mais "qu'en raison des facteurs de risque", elle programme, une échocardiographie, un echodoppler artériel des membres inférieurs (cette femme n'a jamais fumé) et des troncs supra-aortiques et une épreuve d'effort.
On peut noter en passant que le cardiologue ne "croit" pas beaucoup au rôle du cholesterol (qui est normal de chez normal et sans traitement) ou "croit" trop au rôle du cholesterol car elle pense qu'un cholesterol aussi bas sans traitement n'est pas encore assez bas.



Par la même occasion le cardiologue redemande une prise de sang (la mienne datant d'un mois et devant être trés ancienne) en la complétant par des examens qui avaient été faits, normaux quatre mois auparavant et prend d'elle-même un rendez-vous chez le pneumologue (de la même clinique) pour explorer un éventuel syndrome d'apnée du sommeil et un rendez-vous chez l'orthopédiste de la même clinique car elle a mal au genou.
Ces deux derniers rendez-vous, j'en apprends l'existence de la bouche de la patiente.
Pour l'apnée du sommeil, nous avions déjà programmé l'affaire il y a un an mais la patiente avait temporisé, car "porter un masque, c'est un peu coupe l'amour". M'enfin.

Bon. Rien que de très "normal" dans ce monde normal.
J'attends la suite.

La suite est la suivante :
Tous les examens sont normaux de chez normaux.
La cardiologue ne s'en satisfait pas.
La cardiologue suggère donc fortement d'ajouter au traitement : 1) une statine (pour sans doute faire baisser le "mauvais" cholestérol qui est à 1,08) et 2) du kardegic 75 (pour des raisons qui tiennent sans doute à la "gravité" de ce diabète).



Morale de l'affaire :
Primo : le docteur du 16 aurait dû gérer tout seul cette esquisse d'esquisse de dyspnée d'effort (voir ICI pour ce qu'il faut penser de l'adressage).
Deuxio (secundo aurait fait trop latin ce qui aurait pu, selon les nouveaux programmes de l'Education nationale, créer un clivage social entre les latinistes et les non latinistes, entre les pauvres et les riches, ad libitum) : l'inflation des examens complémentaires est ahurissant et l'aplomb des spécialistes terrifiant (pourquoi la cardiologue s'est-elle mêlée de ce genou ?).
Troisio (c'est la fin du latin dans les collèges) : je ne rajoute rien au traitement mais je dois passer du temps à expliquer pourquoi et à dire pourquoi je ne suis pas d'accord avec la cardiologue qui a au moins une note de 4 sur DocAdvisor et à me justifier du fait qu'il ne s'agit pas de non confraternité.
Quatrio (même remarque encore pour ceux qui n'auraient pas compris) : faire maigrir la patiente n'est pas de la tarte, n'a jamais été de la tarte et ne sera toujours pas de la tarte. C'est sans doute le rôle du médecin généraliste que de se mettre en quatre pour éduquer thérapeutiquement les patients en surpoids, a fortiori s'ils sont diabétiques et hypertendus, mais comment faire quand on doit lutter contre le plaisir de manger entretenu à coups de milliards par McDo, Coca Cola, Nestlé et autres...
Cinquio : on pourrait très bien, désormais, se passer des médecins généralistes en disposant de spécialistes aussi polyvalents et, surtout, de maisons médicales de spécialistes, on appelle cela parfois des hôpitaux ou des cliniques, où on peut pratiquer, en toute désorganisation des soins, le cabotage.

Addendum : Ne croyez pas, critiques sincères, que la situation soit très différente dans les hôpitaux où le cabotage est une institution et où l'on adresse à des spécialistes que l'on sait nuls, non EBM, David Sackett ignorants ou big pharma addicts...


In memoriam: David Sackett (1934-2015)

jeudi 7 mai 2015

Un malade d'Alzheimer sur deux n'est pas diagnostiqué. Article écrit par un robot dans le journal Le Monde.


Alzheimer : des révélations fracassantes !

Voir ICI pour l'article.

Le titre : Un malade Alzheimer sur deux ne serait pas diagnostiqué en France.
La signature : inconnue. Ou plutôt : Le Monde.fr avec AFP. Un robot journaliste, sans doute.
La source : Une étude publiée par Cap Retraite. Le robot aurait pu nous donner le lien pour l'article, non ? Le VOICI. Le rapport est beau comme une brochure publicitaire. Il n'est pas signé (c'est la Revue Prescrire qui fait des émules), les couleurs sont belles, la bibliographie ronflante. Est-ce la même agence qui a réalisé le document vantant l'intérêt de Sophia, le machin, disease management de la CPAM ? 
Le financeur : je donne le lien sur Cap Retraite pour le robot qui a écrit l'article : LA.
Cap Retraite est un service gratuit et il n'est pas clair à première vue et sur son site de savoir qui le finance. Le robot recherche sur google (pas très loin) : le robot trouve LA des éléments indiquant que Cap Retraite a fait l'objet d'une enquête de la revue 60 millions de consommateurs : voir ICI, LA et LA. C'est pas clair, clair, clair.
Bon, vous voulez un dessin ? 

Ensuite, en lisant l'article (qui reprend sans le savoir, à moins que le robot n'ait été programmé ou qu'il ne s'agisse que du recopiage pur et simple du communiqué de presse officieux de Cap Retraite, on se rend compte que :
  1. Il y a 500 000 personnes qui souffrent d'Alzheimer et, d'après l'INSERM, un million en souffrirait... Sous-diagnostic.
  2. Le nombre de ces malades risque de doubler et d'atteindre les 2 millions en 2014. Apeurer les populations.
  3. Dans les départements les mieux lotis 30 % des malades seraient effectivement pris en charge et, ailleurs, 15 % On sent le scandale pointer.
  4. Et là, on sort l'arme magique : le médecin généraliste ! Arme bien entendu à double tranchant : on a besoin de lui, il ne fait pas encore son boulot, il va le faire et s'il ne le fait pas, c'est que c'est un khon. MG bashing.
  5. La phrase choc sur la prise en charge précoce. On cite un gériatre cité dans l'étude qui fait partie de Cap Retraite. "Une prise en charge précoce permettra au sujet de rester plus longtemps à son domicile, lieu par excellence à favoriser, car porteur de l’histoire et de la mémoire" Hugues Bensaïd est expert Cap Retraite : LA.
  6. Rengaine : les MG ne font pas leur boulot. En effet, "20 % des malades estimés résidant à domicile sont pris en charge par les ESA, es accueils de jour spécialisés et l'hébergement temporaire, les 80 % restants n'ayant pas encore été suivis, faute de diagnostic". Comme en d'autres domaines "on" demande aux MG, ce "on" signifiant les experts, les spécialistes, les gériââââtres, les marchands de réseaux, les marchands de médicaments, les marchands de structure, les promoteurs immobiliers, les mutuelles, les assureurs, qu'ils se transforment en rabatteurs pour le plus grand bien de la santé publique. un citoyen qui oublie l'endroit où il a posé ses clefs, une citoyenne qui ne se rappelle plus ce qu'elle a vu à la télé la veille, est un Alzheimer en puissance, un ou une citoyenne que le MG, brave gars un peu niais (la MG, brave  fille un peu niaise), doit ficher immédiatement pour l'adresser dans un centre mémoire où, n'en doutons pas, le diagnostic d'Alzheimer sera porté, les anti Alzheimer prescrits, et cetera.
  7. L'article continue, il avait des trucs à vendre : Il faut créer 20 fois plus de places en ESAD et multiplier par 10 le nombre de places d'accueil de jour, et, dans les Ehpad (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes). Le robot serait-il passé par les ARS ?
  8. Mais, on l'aura remarqué, l'article ne dit pas un mot sur les médicaments dits anti Alzheimer, on n'oserait plus ?
Cet article, ni écrit ni à écrire est un concentré de disease mongering (fabrication des maladies, stratégie de Knock, voir ICI pour les précisions), une manoeuvre de plus pour alzheimeriser la société, je me permets de vous rappeler ce que j'écrivais LA sur ce sujet, la doxa des experts de l'Alzheimer : dépister le plus tôt possible une maladie incurable pour pouvoir prescrire aussi tôt que possible des anti Alzheimer (voir ICI pour ce qu'il faut penser de leur efficacité et de leurs effets indésirables), annoncer coûte que coûte le diagnostic au malade (je vous demande de lire ce que le docteur Leforestier dit, c'est effrayant, je cite : "Il n’y a plus d’indicible en médecine. La nomination d’un constat clinique doit se faire. Le faire de façon simple, humble, et cette ouverture donne un sens au suivi médical. Le fait de ne pas vouloir un diagnostic est un Droit des malades... mais le déni est très rare... on commence par dire le diagnostic et on analyse le déni..."), accompagner, aider les aidants..., une façon de promouvoir des marchands d'illusions et des associations louches.

Fin de l'article.

Maintenant, et cela dit, qu'est-ce qu'on fait ?

Gertrude Weaver, 116 ans, doyenne de l'humanité pendant 5 jours


Le médecin généraliste (je commence le blablabla) est effectivement au centre de la prise en charge des personnes âgées.
Petit détour : et si les malades Alzheimer (sic) n'étaient que le symptôme plus général d'un problème sociétal éternel (la peur de la maladie et de la mort) et circonstancié (le vieillissement de nos sociétés et le nombre accru de personnes atteignant le stade de dépendance et le grand âge) et d'un problème anthropologique (la gestion des anciens par les familles).
L'anticipation est le maître mot de la médecine longitudinale. Parler de l'avenir avec ses patients est une façon de les informer et de les sonder sur leurs intentions, leurs possibilités et sur les moyens dont ils pourraient disposer quand ils commenceront à perdre leur indépendance.
Il n'est pas de semaine où je ne reçois un ou une patiente qui pense avoir un Alzheimer car elle a des trous de mémoire, il n'est pas de semaine où je ne reçois un ou une patiente qui me dit que la prochaine fois que je verrai son conjoint, sa conjointe, interrogez le (la) sur ses trous de mémoire, ça devient pénible.
Je commence par interroger, je commence par prendre le pouls (au sens figuré) de la situation médicale, familiale, sociale, avant (1) d'administrer un test de mémoire, (2) d'adresser.
Quand j'ai l'impression que c'est rassurant je fais passer un test MMS (mini mental state), téléchargeable pendant la consultation pour la consultation suivante, qui, le plus souvent, dans ces cas bien entendu, est rassurant : rassurant par ses résultats, rassurant parce que le patient, la patiente, est étonné (e) de la simplicité et de l'évidence des questions. Il est donc nécessaire de rassurer, de comprendre ce qu'il est possible de changer dans la vie du patient pour qu'il aille mieux.
Les personnes vieillissantes ont peur d'être malades, de souffrir, de devoir dépendre de quelqu'un, elles sont anxieuses, elles dorment mal, et cette anxiété, cette trouille, cette angoisse, intergissent avec leurs performances mentales, avec leur mémoire, et pas seulement en raison des anxiolytiques et des hypnotiques trop souvent prescrits. Il ne faut pas confondre les causes et les conséquences (à moins que cela ne soit l'inverse).
Et les familles des personnes vieillissantes, attention, j'enfonce des portes ouvertes, sont elles-aussi anxieuses que les personnes vieillissantes qu'elles aiment souffrent, perdent la mémoire et... meurent. Comme dirait l'autre : cela les renvoie à leur propre vieillissement...
Une anecdote : une patiente sous neuroleptiques et anxiolytiques est vue lors d'un passage à l'hôpital (problèmes digestifs) par la consultation mémoire qui conclut à un Alzheimer... Les troubles de la mémoire et la désorientation ne devaient pas faire partie des effets indésirables notés des neuroleptiques et des anxiolytiques (la malade a retrouvé ses esprits et n'a plus d'Alzheimer).
Quand le malade, la malade, a vraiment un Alzheimer ou apparenté. Il faut d'abord travailler avec la famille, quand c'est possible. Il est rare que les familles soient absentes ou qu'elles ne soient pas capables de gérer avec l'aide des services sociaux (assistantes sociales, centre de gérontologie) les problèmes d'APA et la recherche de structures. Le maintien à domicile est souvent plus compliqué à organiser et coûte cher.
Mais le rôle du MG, en général, à condition qu'il s'agisse d'une famille qu'il connaît, est surtout un rôle d'accompagnement des familles. Pas un rôle médical, sinon gérer le quotidien. Soutenir le mari ou la femme non malade. Voir les enfants, leur parler. Savoir que cela risque d'être un bouleversement considérable dans l'équilibre familial. Etablir, avec les services compétents, un projet de vie.

Heureusement, nous sommes partis loin de l'article robotisé.
Mais les problèmes liés au vieillissement...  Cela ne vous donne pas envie d'être anxieux ?



vendredi 1 mai 2015

Faut-il interdire la domperidone ?












Le billet de Dominique Dupagne, que je vous invite à lire ICI, pose plusieurs questions médicales, industrielles et idéologiques qui vont bien au delà du problème de la molécule elle-même.

Il faut d'abord dire que ce billet présenté sous la forme d'un questionnement fictif est avant tout un plagiat.

Plagiat d'un article de Marc Girard que vous pouvez lire LA.
Si j'avais le temps et l'intérêt de surligner les "doublons"vous seriez surpris du résultat.

La domperidone est une molécule peu active dont le Service Médical Rendu est soit modéré (soulagement des symptômes de type nausées et vomissements), soit insuffisant dans toutes ses autres indications.

Voici donc quelques réflexions qui mériteraient chacune de longs développements.
  1. Qu'est-ce qu'une publication ou une "recommandation" de la Revue Prescrire ? Est-ce qu'une revue de littérature de la Revue Prescrire a la même valeur prescriptive qu'une méta-analyse de la Collaboration Cochrane ? Marc Girard a répondu sur le point de la valeur scientifique d'une publication en interne dont les tenants et les aboutissants, c'est à dire les validités intrinsèque et extrinsèque sont pour le moins floues et franchement liées à une expertise a priori, avis d'expert, qui serait ici la Revue Prescrire elle-même. J'ajouterai ceci (et je précise, je déclare mes liens d'intérêt,  que je suis abonné à la Revue Prescrire, que j'en suis parfois relecteur) :  la Revue Prescrire m'a apporté, elle continue de m'apporter, de moins en moins car cela ronronne sec, un éclairage pertinent sur ma façon de prescrire en médecine générale... (Je ne développe pas non plus les critiques qui peuvent être faites sur la Collaboration Cochrane mais il faut se rappeler que l'esprit critique est indispensable même et surtout quand il s'agit d'institutions). Dans le cas présent la Revue Prescrire publie un communiqué de presse (ICI) à partir d'un article édité dans un journal de pharmacoépidémiologie (LA) signé par Catherine Hill et 5 autres personnes (relevons, dans le cadre de la transparence, que le communiqué de presse ne mentionne pas que l'un des signataires, PN, est un abonné de la revue et qu'un autre, BT, en est le directeur éditorial) et, en lisant entre les lignes, demande d'abord le déremboursement, puis, sans doute, l'interdiction de la molécule. La méthodologie de l'étude même pose problème. J'ai déjà signalé (LA), mais les interprétateurs étaient différents, à propos d'un rapport de l'ANSM sur les glitazones, que les bases de données utilisées (celles de la CNAM) étaient pour le moins peu pertinentes et que la robustesse des donnée était pour le moins farfelue. Voir le rapport ICI.
  2. Faut-il interdire des molécules commercialisées depuis plusieurs dizaines d'années ? La question peut paraître sotte si on ne la considère que sous l'aspect des effets indésirables et, plus généralement, du rapport bénéfices/risques. Si les effets indésirables sont graves et/ou le rapport bénéfices/risques défavorable (les effets de la domperidone sont pour le moins modestes), où est le problème de les retirer du marché ? Il y a 4 interrogations en réalité : (a)  : Comment se fait-ce que l'on ne s'en soit pas rendu compte avant ? Est-ce lié à la sous déclaration des effets indésirables ? Est-ce lié à un mésusage ? Est-ce lié à des doses aberrantes ? Est-ce lié au fait que cela n'est pas vrai, tout simplement ? ; (b) : Ne s'agit-il pas d'une manoeuvre de big pharma pour laisser passer au bon moment des informations qu'elle avait tues jusqu'à présent ou fournir de fausses informations alarmantes dans le but, dans les deux cas, de promouvoir d'autres produits, plus récents, moins étudiés, et dix fois plus chers ? ; (c) : N'y a-t-il pas un danger de transferts de prescriptions vers des molécules encore moins sûres ? ; (d) Est-ce que le fait que certains malades, même quelques uns, puissent vraiment en bénéficier suffit à ce que le retrait ne soit pas prononcé (tout en sachant que la preuve de ce besoin exclusif pour certains patients soit affirmée) ?
  3. Si ce que prétendent Hill et coll est vrai, le scandale du Mediator, c'est de la gnognote par rapport à celui de la domperidone. 231 morts en une seule année (2012) ! Qui dit mieux ? Il faudrait prendre des mesures urgentes alors que le plus souvent la domperidone est prescrite dans des indications mineures et de confort. Nous ne parlons pas des nausées/vomissements induits par la chimiothérapie (ça marche peu) ou des vomissements prolongés de la grossesse (ça marche pas beaucoup mieux) mais des vomissements dans les gastroentérites où la situation clinique est la plus souvant hyper gênante mais ne met pas le pronostic en jeu (sauf chez les nourrissons où les solutés de réhydratation...), sauf chez les personnes âgées où là, justement, les risques d'accidents électriques cardiaques sont les plus importants en raison de la déshydratation, des pathologies et des médicaments associés.
  4. Rappelons également pour mémoire l'affaire prepulsid/cisapride retiré du marché américain le 14 juillet 2000 par la firme Janssen et du marché français le 3 mars 2011. La molécule était en particulier "indiquée" chez l'enfant de moins de 3 ans et utilisé larga manu par les pédiatres dans le cas de reflux gastro-oesophagien alors qu'une publication Cochrane indiquait que son efficacité n'avait pas été démontrée (LA). Cette affaire était exemplaire de la mécanique big pharmienne de promotion dans le cadre du phénomène général de disease-mongering : dossier d'évaluation sans preuves ; promotion intense en amont de l'AMM ; mise en avant de la "gravité" de l'affection chez les "petits" ; AMM obtenue avec des restrictions ; promotion intense en aval chez les pédiatres et les médecins généralistes pour élargir la cible promotionnelle (c'est à dire prescrire chez des sujets non identifiés refluant) ; persuader les médecins que "ça" marche dans leur expérience interne et rendre le médicament "indispensable". La crainte de procès a fait le reste.
  5. Faut-il publier des listes positives ou des listes négatives de médicaments ? La Revue Prescrire a choisi la deuxième solution (voir LA). Indépendamment de la question de fond (l'interdiction, au bout du compte), est-ce que cela marche ? Il serait intéressant de regarder la courbe des ventes des 71 molécules jugées inutiles ou dangereuses par la revue. J'en suis incapable personnellement car il faut disposer de données payantes. Qui pourrait nous donner des informations ?
  6. Faut-il faire confiance à l'information éclairée des possibles prescripteurs et des patients ? Ce point est crucial. Marc Girard et Dominique Dupagne sont d'accord sur ce point : ils pensent, sauf information à laquelle j'ai échappé, que les retraits de médicaments sont contre-productifs. Ce qui signifie, selon moi, qu'ils pensent que le marché va se réguler tout seul. Personnellement, je ne fais confiance à personne et encore moins à des médecins qui seraient de purs scientifiques au service de leurs patients. J'ai soutenu, avant même que l'affaire n'éclate,  le retrait de Diane 35 et de ses génériques. Avais-je tort ? Je n'en sais rien mais la prescription des pilules 3G et 4G se sont effondrées (selon les dires des agences gouvernementales). Je ne crois donc pas beaucoup au tact prescripteur des prescripteurs à moins qu'ils ne soient menacés personnellement de poursuites pénales ou de pertes financières. (Je ne souhaite pas entrer encore une fois dans la querelle libéralisme, néo-libéralisme, voire libertarianisme, les libéraux en général prétendant que ce sont les individus pensant et informés qui doivent décider par eux-mêmes, une régulation "naturelle" se produisant "naturellement")
  7. Faut-il prescrire des placebos ? Cette question peut paraître incongrue dans le contexte de l'interdiction éventuelle d'un médicament pour effets indésirables graves mais elle a été soulevée dans les commentaires du billet de Dominique Dupagne. J'ai trois petits commentaires à faire sur le commentaire de JM Bellatar ***. Précisons ceci sur l'utilisation d'un placebo en médecine : j'ai largement exprimé mon opinion contre l'utilisation de placebo en médecine (sans omettre qu'il m'arrivait de le faire dans des moments de grande fatigue, de désespoir ou de renoncement) : voir ICI ce que j'en pense. Les commentaires : (a) : l'effet médecin fait certes partie de l'effet placebo mais l'effet placebo, c'est surtout le médicament (du moins dans notre culture et notamment dans les essais contrôlés où l'on tente de négativer cet effet pour dégager l'effet thérapeutique du médicament actif) ; (b) : le remède-médecin décrit par Balint est surtout critiqué par lui pour ses effets nocebo : les mots ont un fort pouvoir létal, prétend-il ; (c) : le fait de ne pas prescrire un médicament actif (en l'occurence un "placebo" avec des effets indésirables) dans des pathologies où le malade "guérit" tout seul ressort de la déprescription que nous tentons de nous promouvoir.  
  8. Je lis aussi que quelques malades en ont vraiment besoin. Est-ce vrai ? 
  9. Enfin, il me semble, je peux me tromper, que le billet dont nous parlons peut être ressenti comme une attaque violente contre la Revue Prescrire et, indirectement contre Catherine Hill.

Conclusion : faut-il ou non interdire la domperidone ? Sans doute oui si l'essai de Hill et coll. est fondé. Sinon : de grosses restrictions d'utilisations sont à prévoir.
Conclusion 2 (après le commentaire d'un anonyme) : faut-il ou non interdire la domperidone ? Immédiatement (mais sur le plan réglementaire cela va être compliqué) si l'essai de Hill et coll. est fondé mais vous avez compris qu'il me semble que cela n'est pas le cas. Sinon : campagne grand public et sérieuses restrictions d'utilisation à prévoir notamment chez les personnes à risques et en limitant sérieusement les doses.


*** j’utilise de plus en plus l’effet placebo (encouragé par la revue Prescrire ), que l’on peut appeler aussi remède-médecin selon Balint, ou pour le dire autrement un temps d’écoute prolongé de la parole du patient, avec une amélioration des symptômes très fréquente sans aucune prescription médicamenteuse(je n’ai jamais réellement cru à l’effet de la dompéridone).