mardi 4 octobre 2016

Monsieur le directeur de la CPAM des Yvelines. Privatisation, gaspillage de l'argent public et destruction du parcours de soins.


A l'attention du directeur de la CPAM des Yvelines, Monsieur Patrick Negaret.
(Copie Nicolas Revel, directeur général de la CNAMTS)

Bonjour Monsieur,

Je vais vous raconter ce cas exemplaire. Ce cas exemplaire n'est pas une histoire de chasse. De nombreux médecins généralistes pourront vous raconter la même chose.

En 2013 j'avais déjà parlé de cette patiente aux services de la CPAM des Yvelines.  Je vous rappelle le cas : ICI. (voir ICI et LA pour d'autres informations sur le sujet).

Voici ce qui m'avait été répondu (en substance) (un certain E. Le Boulaire) (voir LA) : 
  1. L'examen se santé périodique fait partie des droits de chaque assuré social...
  2. ... les organismes d'assurance maladie doivent veiller à offrir ces examens en priorité aux personnes les plus démunies et les plus vulnérables au plan de la santé plusieurs fois dans l'intervalle des cinq ans.
  3. Ils contribuent à l'amélioration de l'état de santé des assurés par la combinaison de procédures qui relèvent du dépistage, de l'éducation à la santé et du conseil individualisé.
  4. Le centre IPC, certifié ISO 9001 version 2008...
  5. S'agissant de la réalisation d'examens biologiques dans le cadre du bilan... l'examen est modulé selon le référentiel... le médecin appliquait les référentiels scientifiques...

Madame A, 62 ans, dont je suis le médecin traitant, est convoquée par l'IPC, officine privée, avec des papiers où la CPAM est mentionnée.

Madame A va à ce rendez-vous.

Elle revient me voir avec un compte rendu. "Ils m'ont trouvé des choses."

Je lui demande pourquoi elle est retournée à l'IPC alors que je lui avais dit la première fois que cela ne servait à rien. Elle lève les yeux au ciel : "J'ai eu peur de ne pas aller à la convocation. Et puis : on ne sait jamais."

Voici le compte rendu d'examen.



Ainsi, le docteur T a-t-il signé un compte rendu où une PA anormale a été trouvée sans aucune mention du fait qu'elle est traitée pour cette pathologie. Le docteur T n'a pas trouvé de troubles de régulation glycémique alors que la patiente est traitée pour un diabète de type 2. j'ai déjà dans un billet précédent analysé les termes employés comme "limites", rien ne change donc.

Mais surtout : l'IPC n'est pas foutue de savoir, on appelle cela le suivi des patients, que cette patiente a un passé dans son propre organisme.

J'ai déjà indiqué que d'autres officines (le CIPC, voir LA) faisait du grand n'importe quoi médical et faisait dépenser à la CPAM des sommes astronomiques alors que le simple bon sens clinique...

A qui tout cela sert-il ?

Cette patiente, dont je suis le médecin traitant, est diabétique non id. Elle a une ALD pour diabète de type 2. Elle est donc suivie par moi. Je passe sur les différents examens et sur la fréquence des consultations. La demande d'ALD a été approuvée par le médecin conseil (puisque la demande n'a pas été refusée).

Sans doute vos services lui ont-ils demandé de participer à Sophia, ce machin aussi inutile que coûteux (cf. un article de Dominique Dupagne : ICI).

Je le répète : la prévention au pif, au hasard, sans  signes d'appel, ça ne marche pas. Toutes les études l'ont montré.

L'expérience du NICE anglais ou, plus précisément, du Quality and Outcomes framework (ICI) a montré que les sommes englouties ne servaient à rien en termes de Santé Publique (LA) mais remplissaient les poches de médecins qui, par ailleurs, ne faisaient que du remplissage et négligeaient ce qui était hors du QoF.


Cette prévention, telle que vous la pratiquez ou telle que vous la faites pratiquer en privatisant la CPAM au profit de sociétés profitables, entre dans le cadre de ce qu'avait dénoncé un médecin anglais, Julian Tudor Hart, en 1971 : The Inverse Care Law ou, en français, la Loi Inverse des Soins. Je vous donne la référence (ICI) pour que vous puissiez faire lire cet article à vos services. C'est à dire que les ressources sont plus allouées aux personnes qui n'en ont pas besoin qu'à celles qui devraient en bénéficier.




Mais il n'y a pas que la CPAM qui ne connaît pas cette Loi. 
Les médecins libéraux ou hospitaliers font de même. Savez-vous que dans les hôpitaux des Yvelines et dans des cabinets libéraux des praticiens hospitaliers et des gynécologues pratiquent des frottis du col utérin annuellement (et à des prix non secteur 1) bien que la recommandation soit triennale et alors qu'il est si difficile d'obtenir des rendez-vous chez eux et que ce sont les femmes qui n'ont JAMAIS de frottis qui devraient en bénéficier en premier car, comme par hasard, ce sont elles qui sont les plus à risques ? Savez-vous que dans les hôpitaux des Yvelines des PH suivent mensuellement en consultation privée des nourrissons qui ne posent aucun problème alors qu'il est si difficile d'obtenir des rendez-vous pour des nourrissons fragiles ? Savez-vous que des femmes de 40 ans sont initiées, sans risques particuliers, à la pratique d'une mammographie tous les deux ans, en dehors de toute recommandation et, surtout, en dépit du bon sens le plus commun ? 

Mais je m'arrête là. Tout le monde sait cela.

La prévention au pif, au hasard, cela ne marche pas. Pourquoi dépister des patients, comme ma patiente, qui bénéficie d'une ALD pour diabète de type 2, c'est à dire qui est connue en théorie de vos services médicaux, sans que le médecin traitant ne soit informé. cela s'appelle, dans votre jargon, un non respect du parcours de soins.

Que de temps perdu !
Que d 'argent perdu !
Que de légitimité perdue !


Je voudrais rappeler ici la fameuse, trop fameuse, phrase de David Sackett : La médecine préventive est trois fois arrogante : Premièrement, elle est agressivement affirmative traquant les individus sans symptômes et leur disant ce qu'ils doivent faire pour rester en bonne santé... Deuxièmement elle est présomptueuse, persuadée que les actions qu'elle préconise feront, en moyenne, plus de bien que de mal à ceux qui les acceptent et qui y adhèrent. Finalement, la médecine préventive est autoritaire, attaquant ceux qui questionnent la validité de ses recommandations." Voir ICI.

Sachant que mon courrier, comme celui que j'avais écrit en 2013, ne peut être pertinent puisqu'il ne correspond pas aux objectifs que vous vous fixez, à savoir toujours plus d'examens périodiques de santé, je ne désespère pourtant pas qu'il puisse être lu et pris en compte.

Avec mes meilleurs sentiments.


Docteur Jean-Claude GRANGE

9 commentaires:

Anonyme a dit…

Excellent. Il faut que ce soit dit et re-dit.
Mais:
"Que de temps perdu !" ils s'en moquent, ils en ont plein devant eux
"Que d 'argent perdu !" ils s'en tapent un peu puisque ce n'est essentiellement pas le leur
"Que de légitimité perdue !" ils préfèrent les "légitimités de salon"

Bravo !

Lambert

Popper31 a dit…

C'est déjà navrant, d'inutilité, et nous avons tous je pense, des patients avec un cancer actif traité, passés à ces fameux examens préventifs, en oubliant ou en ne sachant pas cocher les bonnes cases, ressortis avec des bilans ne trouvant rien ou de minuscules anomalies anodines. Absence de sensibilité, absence de spécificité, rapport coût bénéfice catastrophique, mais on continue alors que les missions initiales sont bâclées : 2 à 6 mois pour renouveler une carte vitale entre autres. Mais le mois est rose Fluo General Electric et nous n'en sommes plus à un gaspillage près dans ce système de santé qui est passé de la "première ??? " à le 24ème place, et qui voit l'espérance de vie décliner.

ANNETTE LEXA a dit…

Ce que je lis ici est proprement ahurissant.Je ne savais pas. Et personne, hors vous-mêmes les MG le savez . Les media n'en parlent pas .Ce sont des dérives graves dont les plus pauvres font les frais au final. Cette dame n'a pas de lunette en fin de "parcours de soin" par exemple . J'imagine que ces gens y vont parce qu'ils craignent qu'on leur suppriment leur aides sinon. Quel système pervers....

Anonyme a dit…

Bravo pour ce billet.
Mais aura t'il l'impact que l'on espère auprès de gens sensés et concernés?

Jeep a dit…

Je ne compte pas le nombre de patients pour lesquels j' aurais pu faire des remarques similaires; A l'occasion, je me suis fendu de quelques lignes en réponse au courrier du centre et , de façon générale je dissuade carrément mes patients d' aller à ces "bilans".
MAIS....
Il faut bien voir que ces centres ne sont pas autre chose qu'une organisation autour d' un mythe colossal qui est celui du "grand bilan de tout" auquel tout le monde a participé, y compris les structures privées (cliniques) , y compris, hélas, le crops médical entier - et , oui, aussi, beaucoup trop de généralistes pour diverses raisons-
Alors comment voudrait-on que, dns ces conditions un politique ou un para-politique (le staff des structures de la sécu) prenne la décision de tout arrêter.
Et je ne sache pas qu' il y ait beaucoup de pays étrangers qui fassent beaucoup mieux (en tout cas pas les USA...)
Jeep

Dominique Dupagne a dit…

Je confirme juste que l'histoire décrite est d'une grande banalité. Régulièrement, la Cour des comptes interpelle la CNAM sur la justification de ces bilans à 200 M€ par an. La réponse immuable de la CNAM est "on l'a toujours fait et c'est un droit pour les patients".

CMT a dit…

Pourquoi on ne peut tirer aucune conclusion d’examens faits au hasard ?Comme Jeep a eu le courage de le dire, et ceux qui ont ce courage sont très rares, les médecins sont ambivalents vis-à-vis des mythes médicaux et ont tendance à générer chez les patients des attentes qu’ils se plaignent ensuite de ne pas pouvoir combler.

Pour ma part, je trouve les groupes de défense de patients très ignares en matière de médecine, mais le corporatisme des médecins qui réagissent comme un seul homme aux provocations, sûrement peu constructives, d’un certain MW me rebutent. J’ai trop vu l’effet de ce corporatisme dans les institutions et à quel point il contribue à laisser les cadavres cachés dans le placard. Des cadavres tels que pédophilie ou maltraitance. Ce sont tojours des affaires où se conjugue un abus d’autorité et une volonté corporatiste des institutions de cacher ces abus.

Si on commençait par avoir une vision un peu plus réaliste de la médecine et de ce qu’on peut en attendre et un langage commun ?...

CMT a dit…

SUITE
Ce post et celui de Borée http://boree.eu/?p=1861 peuvent y contribuer .
Borée explique que la construction de la norme et la régression à la moyenne font que si on prend un résultat chiffré biologique à un instant t on a des chances non négligeables de tomber sur un résultat en dehors des seuils. Ces chances augmentent si on multiplie les tests.

Il faut y ajouter un problème supplémentaire, l’abaissement constant de la norme, comme dans le diabète, l’hypercholestérolémie et la Tension artérielle, pour des raisons qui ne sont pas directement liées à des impératifs de santé mais aussi à des conflits d’intérêts chez ceux qui élaborent les normes, sujet traité surtout par Gilbert Welch http://dartmed.dartmouth.edu/winter10/html/changing_the_rules.php .

Il faut aussi ajouter aussi le fait que les appareils ne sont pas infaillibles, même si étalonnés et surveillés et qu’une erreur est toujours possible. Les récents déboire des essais cliniques sur le Rivaroxaban (Xarelto R) sont là pour nous le montrer http://www.bmj.com/content/352/bmj.i575/rr-1 .
Donc, la seule conclusion qu’on puisse tirer d’un examen fait sans qu’acune symptôme ne soit pas présent, c’est, la plupart du temps, qu’on ne peut tirer aucune conclusion et que, si on le juge nécessaire, il faut faire d’autres examens. D’où la tendance à créer une inflation inutile des actes de ces examens faits au hasard ;

Les centres de santé ne sont pas les seuls à contribuer au mythe des bénéfices du dépistage systématique et aveugle.

JC GRANGE a dit…

@ CMT
Nous sommes tous responsables d'une trop grande prescription d'examens complémentaires.
Il faudrait que, chaque fois que nous prescrivons un examen complémentaire, nous nous posions les questions de base dont la plus importante est : Que ferais-je ensuite ? Sera-ce pour le bien du patient ?
Le médecin a autant de responsabilité que l'institution (dont il fait partie).
Le patient a aussi sa part de responsabilité (il fait partie de l'institution également).
Il est plus facile pour le médecin d'accepter l'incertitude que de la faire accepter au patient. C'est un des rôles non valorisé du médecin.
Comme tu le soulignes les mythes traversent toute la société et n'oublions pas que les mythes, c'est nous qui les avons inventés.
j'attends toujours des nouvelles de Patrick Negaret.