mardi 13 décembre 2016

Et si Fillon avait raison sur le rhume mais pour de mauvaises raisons ?


Les déclarations (maladroites ou émanant de son inconscient libéral avancé) de François Fillon sur le rhume (alias le petit risque) ont entraîné des réactions outrées, des réactions incongrues, des réactions non argumentées, des réactions politiques (les adjectifs précédents peuvent encore servir, accolées à politiques), et cetera.

Nul doute que le rétropédalage du candidat à l'élection présidentielle (voir ICI), mais pas de celui choisi par la primaire de droite, est électoraliste mais, s'il est aussi peu fondé que ses propos précédents, il pose des questions fondamentales dont les habitués de ce blog sont au courant.

Le rhume nécessite une boîte de mouchoirs en papier.

Rappelons la vieille pochade : un rhume dure huit jours en général et... une semaine si l'on va voir son médecin.

Vous avez autre chose à dire ?

Voici les arguments des pro rhumes :
  1. Un rhume peut "descendre" sur les bronches
  2. Un rhume peut cacher une maladie grave
  3. Un rhume est un motif caché de consultation
  4. Un rhume est une demande d'arrêt de travail
  5. Un médecin aimant les histoires de chasse : "Jai un jour vu un rhume se transformer en infarctus à mon cabinet..."
  6. Un rhume peut en cacher un autre
  7. Un rhume peut enrhumer l'entourage, et cetera.
Convainquant ? 

Nous entendons à longueur de réseaux sociaux les médecins se plaindre de l'encombrement de leurs consultations par des citoyens qui ne sont pas vraiment malades, nous entendons ces plaintes en ville comme à l'hôpital, ces consultations et ces urgences surchargées qui feraient passer les vrais médecins à côté des vraies urgences ou des vraies pathologies.

Alors, le rhume ?

Il faut aller chercher le motif caché de François Fillon : les maladies graves, ou rendues graves par le marketing, seraient remboursées par l'Assurance maladie et, le reste, par les mutuelles privées. OK, mais n'est-ce pas exactement ce qu'a initié Marisol Touraine en obligeant les salariés à avoir une mutuelle (privée) pour le (petit) risque ?

Car, ne l'oublions pas, le lobby santéo-industriel parle la même langue de gauche et de droite (ou l'inverse) : favoriser la consommation de soins inutiles, coûteux et dangereux. A gauche on agite le mouchoir de la justice sociale et à droite celui de l'efficacité économique (vous me dites si je me suis trompé quelque part...). 

Un citoyen porteur de rhume consulte. Le médecin perd son temps (on me souffle dans l'oreillette qu'il pourrait mesurer sa pression artérielle, lui demander s'il est fumeur, s'il boit exagérément, s'il frappe sa femme, enfin, toutes les petites cases qu'il faut cocher pour être un "bon" médecin aware des problématiques modernes, et cetera) en le recevant, en lui demandant de l'argent et, surtout, en lui prescrivant quelque chose.

Le comité novlangue me demande déjà pourquoi je n'ai pas écrit "Un.e citoyen.ne" au lieu de... Zut. Parce que seuls les rhumes d'homme sont à prendre en compte, les femmes, je généralise, ne consultent pas pour un rhume, elles ont d'autres choses plus importantes à faire.

Le médecin généraliste prescrit donc, il faut bien qu'il justifie ses maigres 23 euro, plus s'il est filloniste et qu'il consulte un médecin généraliste secteur 2 (va pour 50 euro), mais on me chuchote à l'oreille que des non fillonistes, voire des hamonistes ou des montebourgeois, consultent aussi des généralistes secteur 2, voire 3. Il prescrit des "gouttes pour le nez" (les seules encore remboursées : pivalone), du sirop (on tousse toujours un peu), du doliprane. Mais il peut faire mieux : du rhinofluimucil, voire du derinox (le rhume à nez bouché) ou un dérivé de la pseudo éphédrine par la bouche (non recommandé par La Revue Prescrire), un sirop codéiné, de l'ibuprofène, de la lamaline, le choix est vaste. Sans compter les antibiotiques : "On ne sait jamais", "ça peut tomber sur les bronches", "chaque fois que vous me voyez pour un rhume ça se transforme en bronchite", "mon médecin, dans les rhumes, y me prescrit toujours du clamoxyl"...

On en reste à la boîte de mouchoirs en papier ?

Il y a aussi le pharmacien qui peut faire la même chose que le médecin généraliste (sans les 23 euro ou plus pour les fillonistes ou les non fillonistes - voir plus haut) avec des produits dans le même genre mais un peu plus chers et non remboursés... sans compter quelques granules, pas chères, mais des granules quand même. Mais sans antibiotiques. 

Il y a aussi les urgences, non, je ne plaisante pas, tout urgentiste vous dira qu'il a reçu des rhumes à deux heures du matin, et les urgentistes, dont ce n'est pas le métier, feront aussi mal que les médecins et les pharmaciens.

Il y aussi l'ostéopathe qui redressera la cloison nasale à l'origine du rhume.

Mais n'oublions pas l'association des patients enrhumés (APE-National) qui va hurler en affirmant que l'accès aux soins est largement entravé si le rhume n'est plus remboursé et que c'est la santé publique tout entière qui est menacée.

Voilà. On a trouvé l'éléphant dans le couloir : ce n'est pas le déremboursement du rhume qui pose problème, remontons en amont, c'est le fait que des concitoyens pensent qu'il faut consulter un médecin quand on a un rhume. Et a priori les médecins ne protestent pas pour certaines des raisons sus-citées et... pour protéger leur chiffre d'affaires.

Bon, on récapitule ?

L'instruction sanitaire nationale devrait dire et répéter à nos concitoyens que le rhume n'est pas grave et qu'il n'est pas nécessaire, justifié, raisonnable, de consulter pour cela.

Je livre ces concepts à votre attention :
  1. Médécalisation/démédicalisation
  2. Autonomie/hétéronomie
  3. Médicamentation/démédicamentation
  4. Santé publique/hygiène/médecine
  5. Bonne santé
  6. Maladie/symptôme
  7. Sur médicalisation/sur diagnostic/sur traitement
  8. Hypochondrie
J'en passe et des meilleurs.

Mais, cela dit, le "petit risque" (que le rhume ne résume pas) mériterait un long billet. Et les déclarations de François Fillon montrent assez combien quelqu'un qui est en campagne depuis trois ans se fie à des collaborateurs qui ne préparent pas leurs dossiers.

Les propositions Fillon 2017 sont LA. On voit que c'est du bla bla déjà entendu et lu cent fois et que la bonne idée du rhume ne s'est pas concrétisée. Il a d'ailleurs corrigé et caviardé en fonction des réactions à son incise rhumesque.

C'est dramatique.

Fillon s'est enrhumé tout seul.

(lien d'intérêt : je ne suis pas allé voter pour Fillon, ni pour personne, d'ailleurs, à la primaire de la droite)

16 commentaires:

Unknown a dit…

Faire un article sur le rhume sans citer le Rhino-Horn. "Quelle indignité!" ;-)

Lee O'Neil a dit…

Mort de rire, l'ostéopathe qui replace la cloison nasale ! C'est exactement ça.

Anonyme a dit…

On revient à l'éducation pour la santé des citoyens en amont de tout ça (et ne pas comprendre éducation thérapeutique).

Doudou 13314682 a dit…

Billet très juste :8 axes conceptuels dépassent de loin l'entendement du politicien même expérimenté de ses sbires concurrents and co
Un ticket moderateur selon revenu existant dans le grand nord présuppose la mise à plat totale de la fiscalité personnelle donc dans l'allégresse imaginons 2017 pire que 2016��

Unknown a dit…

Atchoum !

Unknown a dit…

Je ne crois pas que le maintien du CA soit une motivation pour les MG qui pour l'essentiel sont saturés. Je suis installé depuis 8 mois en plein Paris et mes RV sont pleins tous les jours depuis le troisième mois (les syst de prises de RV par internet drainent d'ailleurs facilement des enrhumés). Je n'ai,aucun souci de chiffre d'affaire alors que je débute en zone dite normalement dotée. En aucun cas je ne ressent le besoin d'agir pour "sêcuriser " le CA et c'est une liberté formidable. Comme tu le sais j'ai passé une gde partie de mon existence pro hors MG à courir àprès du CA et ne plus m'en soucier est un bonheur que j'apprécie à sa juste mesure.

JC GRANGE a dit…

@JBB
Tu as raison mais si ce n'est pas pour le CA... Pourquoi ? Non, mais pourquoi ? Il est vraisemblable que le fait de prescrire des médicaments pour un rhume fait du médecin prescripteur un "grand" médecin, que le rhume guérisse ou qu'il ne guérisse pas. Car, dans le dernier cas, cela voulait dire que c'était un rhume "grave" qui méritait que le patient fût vu en consultation et que, grand malade, il pût bénéficier de traitements autres que la boîte de mouchoirs en papier.
Je crois quand même qu'il y a du CA derrière tout ça : un rhume, c'est 23 euros faciles.
Bonne soirée.

Big Lunettes a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Sylvain F. a dit…

Bonsoir Docduseize,

Je suis bien incapable de savoir ce qu'il faudrait faire bien que je pense comme toi que le rhume ne devrait pas être médicalisé ni médicamenté.
Juste une observation/réflexion sur le rhume chez l'enfant, notamment de moins de 2 ans. Depuis qu'on a mis le holà sur les sirops, fluidifiants, bave d'escargot etc... j'ai l'impression et ça n'est qu'une impression (aucune preuve en ma possession) que les marmots simplement enrhumés (dont des vraiment petits de moins de 6 mois) sont mis sous bronchodilatateurs et/ou corticoïdes et/ou antibiotiques à vitesse grand V. Parfois aussi sous antihistaminiques. Je ne veux surtout pas en conclure qu'il faudrait remettre les sirops and co mais la nature ayant horreur du vide, si on dérembourse d'un côté, il faut peut-être dans le même temps trouver le moyen d'éviter l'escalade thérapeutique et l'utilisation de médicaments loin d'être dénués d'effets indésirables mais remboursés...

Ensuite, sur le programme de Fillon et son histoire de dérembourser le petit risque mais mieux rembourser le gros risque (pathologies graves et chroniques), il y aurait beaucoup de choses à en dire. Juste une réflexion comme ça à la volée, je trouve que ça laisse entendre qu'il n'y a rien à revoir dans le remboursement des médicaments des maladies graves et chroniques alors que c'est peut-être justement là qu'il y aurait quelques bons coups de balai à donner comme par exemple celui que la ministre de la santé actuelle n'a pas osé (osé n'est sûrement pas le terme approprié) donner sur les anti-Alzheimer.

PS : je ne suis pas allé à la primaire de la droite, n'irai pas à celle de la gauche, j'ai donc 2+2+1+1 soit 6 euros en poche pour m'acheter quelques boîtes de mouchoirs voire un Rhino-Horn pour mes rhumes à venir ;-)

DSC a dit…

Bonjour,
Super article.
Et si on apprenait aux gens a reconnaître un rhume sans signe de gravité et à se traiter "soigner" seul sans médicalisation ou alors un accès téléphonique à un soignant (genre SAMU pour les non urgences) qui pourrait lui expliquer qu'il n'y a rien de grave?
Qu'en pensez vous ?
Apre sle pb c'est que ça fait moins de revenus faciles pour les MG?! ça risque de grogner non ?!

Drjbblanc a dit…

Bingo : ma première ce matin décrite par SF : gamine avec rhino,qui arrive sous josacine desloratadine et célestène. Mais sans lavages de nez !!!

CMT a dit…

J’ai bien pris note que les hommes politiques sont désormais supposés n’avoir aucune idée en propre, mais se livrer en permanence à un marketing électoraliste où ils changent de projet au gré des sondages.

Les propos des hommes politiques sont désormais jugés par les journalistes selon qu’ils ont un bon ou mauvais timing, selon le choix des mots, plus ou moins porteurs et selon leur sex appeal et leur charisme. Bref, les journalistes semblent avoir acté que la politique est l’univers du paraître et que les hommes politiques, tels des starlettes cherchant à percer, sont prêts à se vendre au plus offrant et à changer d’avis comme de chemise selon leurs intérêts électoraux, et en fonction du public auquel ils s’adressent.

Mais j’ai la faiblesse de croire que les hommes politiques ont quelques idées en propre, et que Fillon en particulier, après 40 ans de carrière politique et quelques années comme premier ministre, ne découvre pas la problématique du coût des soins et de la sécurité sociale.

A moins de penser comme les journalistes il faut donc prendre au sérieux ses propos. Tout ce que cherche Fillon, en tant que libéral, c’est une manière acceptable aux yeux du public de présenter sa détermination à faire privatiser l’assurance maladie. Ca ne va pas plus loin que ça. Il y a là quelques 200 Mds (Consommation de soins et de biens médicaux) qui tendent les bras aux assureurs privés qui peuvent en faire une opportunité de profits. L’occasion est trop belle et il ne s’agit pas de la rater.
Au-delà du rhume ou rhinopharyngite, quatrième motif de consultation et visite chez le généraliste spécifiée avec 5,5% d’après des données d’une enquête de 2002, mais première chez les enfants de 0 à 12 ans avec 19,8%, d’autres questions se posent sur l’augmentation du nombre de consultations. Dans l’étude citée http://onala.free.fr/drees315.pdf , l’HTA était la première cause de consultation (16,9%), les examesn systématiques et de prévention la deuxième (8,2%), l’anxiété et l’angoisse la troisième (7,9%), la dépression la cinquième (4,9%), la lombalgie la sixième (4,8%), puis venaient hyperlipidémie, arthrose et diabète. Donc, 3 causes représentaient à elles seules le tiers des consultations.

Au-delà de la question du rhume se pose la question de l’augmentation du volume d’actes, que Jean de Kervasdoué attribue à la volonté des médecins d’améliorer leurs honoraires http://www.lexpress.fr/actualite/societe/sante/ce-que-gagnent-vraiment-les-medecins_1613994.html . De 1980 à 2013 on est passé de 2593 actes par MG par an à 4390 actes , et de 1,9 actes chez le MG par français à 3,6, soit un quasi doublement.
SUITE

CMT a dit…

SUITE
Les conflits d’intérêts vus du côté du médecin sont de plusieurs ordres sans doute : volonté du médecin, plus ou moins consciente, de réguler ses honoraires, cela paraît probable quand on constate que les MG en secteur 2 ont le même niveau d’honoraires que ceux en secteur 1, 140 000 euros, en moyenne, avec bien moins d’actes, mais aussi désir de préserver son image d’expert de la santé, qui se conjugue mal avec la volonté de donner de l’autonomie aux patients.
Quand le médecin prescrit 4 médicaments pour une rhino sans donner d’explications au patient (généralement, ça va de pair), il fait passer plusieurs messages implicites au patient, sans vraiment répondre à la question implicite de celui-ci, qui craint la gravité potentielle du rhume. Il lui fait comprendre que le rhume est une affaire d’experts, potentiellement grave et qu’il est seul à pouvoir le gérer.

Quand un patient a reçu une réponse partielle fausse ou insatisfaisante à une question, il va revenir avec la même question, et le médecin contribue de cette manière à entretenir un lien de dépendance avec le patient.
A travers la question des petits problèmes c’est aussi la question de l’autonomie du patient et la question de l’avancée de l’ignorance qui se pose.
L’apparente sophistication de la prise en charge, renvoie le patient vers son ignorance et lui fait perdre toute confiance en son propre jugement. Avant que les médecins ne médicalisent les rhumes les parents se sentaient tout à fait capables de les gérer tous seuls.

En réalité, tous les rhumes ne font pas l’objet de consultations, parce que à raison de deux rhumes par an par habitant ils représenteraient alors la moitié des consultations. La majorité des patients enrhumés ne consultent donc pas.
Les urgences pédiatriques, qui cherchent à désencombrer leurs services, ont adopté une attitude systématique : tout enfant ou nourrisson qui vient pour une rhino simple est renvoyé chez lui avec du sérum phi pour tout traitement. Je ne suis pas sûre que cette manière de faire, si elle n’est pas accompagnée d’explications détaillées, soit efficace pour éviter le retour des enrhumés. Parce que l’enjeu est que les patients se sentent compétents pour apprécier la gravité de la maladie, ou se sentent capables de se prendre en charge.
Le vrai débat est donc de savoir pourquoi le nombre de consultations par habitant a doublé en France en 30 ans, et pourquoi, alors que les problématiques de santé sont, globalement, plutôt de moins en moins graves, les patients se sentent de plus en plus incompétents sur les questions se rapportant à leur propre santé.

Dr MG a dit…

Chère CMT

Je crois que la réponse à ta question est : communication

Faire de la politique aujourd'hui c'est faire de la communication rien de plus.
Le "storytelling" a pris le pas sur toutes autres considérations.

Si les patients consultent autant c'est que la "communication officielle" les incite à le faire.
Il ne faut pas chercher plus loin, communication : "si vous avez le moindre soucis de santé, consulter votre médecin".
Avec en plus le marketing de la peur : "consulter votre médecin, ce que vous avez peu être grave !!!"

Personne n'a jamais cherché à autonimiser les patients, du moins personne en capacité de décision de santé publique.

Anonyme a dit…

Les patients ont besoin d'être rassurés, à chaque consultation après auscultation je prescrits des conseils sur l'ordonnance

Jean-Luc Dion a dit…

Si tous les enrhumés pratiquaient ce que j'ai appris d'un défunt collègue originaire d'Égypte il y a une trentaine d'années, les médecins et les pharmaciens seraient partiellement au chômage... ;)

Auparavant, quand j'attrapais un rhume, j'en avais pour deux semaines de misère, en subissant toutes les phases. Maintenant, c'est cassé en moins de deux...

Le truc est pourtant connu, mais si peu utilisé. Simplement des douches nasales massives à l'eau salée tiède préparée avec de l'eau bouillie ! Dès l'apparition du symptôme de rhume, renifler au moins 50 ml en recrachant, trois fois par jour au moins.

Et ça ne coûte rien !...