dimanche 16 avril 2017

Est-ce au médecin (généraliste) de choisir ce que doit lui dire le consultant ?


J'ai lu l'autre jour le tweet d'un médecin généraliste qui trépignait d'acquiescement en vantant une affichette telle que celle que je vous montre ci-dessus et qui était apposée sur la porte d'une salle d'attente à destination de patients (anglais) consultant en médecine générale : "Un problème par consultation. S'il vous plaît."


Cette affiche est, selon moi, la négation de la médecine générale. 
Mais, et certains s'en souviendront peut-être, je n'ai pas toujours pensé comme cela : je me laissais sans doute emporter par la colère, par le mainstream des idées faciles, par mon paternalisme et... par l'encombrement des consultations...

Examinons l'affaire.

La médecine générale est une médecine de premier recours. Mais pas que.
Ce n'est pas au médecin de choisir le ou les motifs de consultation des patients (ou des non patients).
Il est possible (et souhaitable) que ce soit le médecin qui détermine la hiérarchie des priorités : un infarctus versus un rhume.

Tout le monde connaît cette histoire de consultation : Un.e dame.monsieur vient pour a) le renouvellement de ses médicaments, b) un (petit) rhume, c) une verrue et, en fin de consultation, la main sur la poignée de la porte : "Jai mal au mollet". Et c'est finalement une phlébite...

Chaque consultation de médecine générale est unique (même ceux qui parlent de bobologie le comprendront) et dans les réunions de groupes de pairs, les cas les plus banals sont souvent ceux qui entraînent le plus loin dans le coeur du métier.

Quand un patient consulte pour un "renouvellement", ce renouvellement comporte plusieurs sous motifs : faudrait-il les scinder ?

Dans le cadre d'un suivi longitudinal (diachronique selon la vulgate universitaire un peu péteuse) le praticien, en accord avec son consultant, peut décider d'aborder lors de consultations successives des problèmes qui peuvent être considérés comme distincts : prévention du cancer du col et/ou régime hypocalorique et/ou autokinésithérapie pour lombalgies.

Lors d'une consultation unique il est aussi possible de faire le point sur les différentes pathologies suivies afin de fournir au consultant une vision cohérente de son état de santé : plusieurs motifs, plusieurs problèmes (et vision synchronique pour les péteux).

Je m'arrête là. La médecine générale peut et doit avoir une vision holistique (terme très péteux également) des patients mais il faut se méfier de cette vision globalisante qui a tendance à faire du tout médical et à médicaliser la santé.

Cette affiche issue du NHS dont tout le monde dit du mal en dehors du Royaume-Uni mais que  Margareth McCartney défend bec et ongles (en voulant le transformer) dans son dernier livre "The state of Medicine" et où elle écrit que tout le monde envie le NHS -!-) est une affiche économique.



C'est une vision économique de la médecine comme j'ai une vision économique dans mon propre cabinet avec des rendez-vous tous les quart d'heure qui sont un compromis entre les attentes des consultants, les représentations collectives de la santé (péteux), le prix de la consultation, mes charges et mes besoins...

Donc, pour des raisons fonctionnelles (et économiques), le système choisit ce que le consultant doit et a le droit de raconter pendant la consultation.

Oups.

On pourrait dire également : le médecin, sous couvert des contraintes du système, choisit ce que le consultant doit et a le droit de raconter en consultation. On est loin de la décision partagée. Les associations de patients pourraient parler, à juste titre, d'abus de pouvoir.

Nous sommes en plein paradoxe : les médecins veulent tout médicaliser, s'étonnent que les consultants les prennent au pied de la lettre, s'arqueboutent sur le pouvoir médical mais voudraient que les consultants hiérarchisent eux-mêmes leurs plaintes dans une démarche économique et consumériste (le principe des marketeurs influençant les industriels est : à un besoin ou à une indication correspond un produit ; l'exception étant Minimir, les vendeurs ont des ruses infinies, qui est multi usages et pas cher : une métaphore du médecin généraliste ?).




Le consultant consulte pour des raisons qui lui échappent parfois et qui échappent parfois aussi au consulté.

Il semblerait donc que le rapport temps/bénéfices soit au centre de notre sujet.

Je rappelle qu'en moyenne une consultation de médecine générale dans le NHS anglais dure 7 minutes et que le temps réel en France est de moins de 15 minutes.

Commentaire des gens qui critiquent le système anglais parce qu'il n'est pas assez libéral mais qui en retiennent des aspects positifs (la rémunération)  : "Oh là là, le nul, il ne sait pas que dans le système du NHS, il y a une nurse qui  note des éléments administratifs, prend la tension, et cetera, avant que le docteur n'examine le patient. Ce qui explique le faible temps de consultation." Je rappelle aussi que les médecins généralistes anglo-gallois voient en moyenne 50 à 60 patients par jour !

Une patiente me disait par ailleurs l'autre jour que chez son pédiaaaaaaatre, une assistante (secrétaire ? infirmière ? puericultrice ? jeune fille au pair ?) déshabillait l'enfant, le pesait et le mesurait avant que le docteur n'intervienne. Elle trouvait ça bien, elle m'a même dit "c'est classe".

Mouais.

Je vais caricaturer : 

La médecine générale est la médecine de l'individu malade (ou non) et non une médecine de motifs séparés (j'ajouterai : de pathologies déjà constituées). Je pourrais développer mais j'aurais peur de me répéter sur l'originalité de la médecine générale et sur ses manques (cela fait environ 800 billets de blog).

Bel articulet de Margareth McCartney sur le sujet initial (un problème, une consultation) que j'ai trouvé en picorant sur le web : ICI.

((je lisais l'autre jour un compte rendu d'hospitalisation d'une de mes patientes -- d'origine africaine-- suivie depuis trois ans dans un service parisien huppé de rhumatologie, et je ne comprenais strictement rien. J'ai seulement compris que le diagnostic de Polyarthrite Rhumatoïde avait été fait depuis belle lurette mais qu'on cherchait pourquoi la patiente ne répondait pas aux traitements proposés (tout en, la méchante, faire plein d'effets indésirables gênants). Le jargon était diafoiresque mais la patiente n'allait pas mieux. J'avais souligné dans le premier courrier d'adressage que j'avais remarqué l'incidence curieuse de pathologies rhumatologiques complexes chez mes patientes d'origine africaine et le chef de service m'avait gentiment répondu sur le sujet sans me donner d'explications -- que vous imaginez : la polyartrite rhumatoïde était un diagnostic négligé en Afrique, la dépaysement qui fait que les gens nés en France finissent par "attraper" des maladies françaises,  et, bien entendu les réactions immunitaires...))


Prendre la pression artérielle est un geste médical (que l'on peut déléguer, que l'on doit parfois déléguer à des non médecins, mais surtout aux patients eux-mêmes) dont les conséquences sont majeures. Une étude a montré que plus on répétait la prise de la pression artérielle en cabinet de consultation et plus les patients, au fil des ans, était traité par un nombre toujours plus important de médicaments anti hypertenseurs.

Déhabiller un enfant ou le faire déshabiller par la maman ou le papa ou les deux est un moment très important de la consultation et ce d'autant que les enfants sont petits. Quand je touche et parle à l'enfant que je mets à nu, j'ai une relation particulière avec lui et les questions que je lui pose, les propos que je lui tiens, fût-il un nourrisson, sont toujours fructueuses. Mon examen clinique, j'exagère, et mon examen social, et sociétal est pratiquement terminé (quand il n'y a pas de problèmes) après ce déshabillage. J'exagère bien entendu. Ah, au fait, l'enfant, combien de motifs de consultations ?

C'est tout pour aujourd'hui.


4 commentaires:

M@rion a dit…

Le moment ou l'on échange avec le patient est primordial dans une consultation. Que ce soit en lui laissant un moment pour parler librement (on sait que les médecins coupent vite la parole des patients, et que, si on ne les coupe pas, le temps spontané de parole tourne autour de 2 minutes)... ou bien en les examinant. Car l'examen rapproche de l'adulte autant que de l'enfant, et apprend plein de choses sur les gens. Tout en continuant à échanger avec eux.
Je trouve personnellement navrant que beaucoup de patients aient pour seul examen clinique une prise de tension. Et pour diagnostic principal face à une rectorragie: hémorroides, et ceci sans examen clinique ou avec un regard poli de loin. Seul l'échange en confiance, qu'il soit oral ou physique, permet au médecin de gérer les motifs de consultation, et de se diriger vers la prise en charge adaptée.
Je suis d'accord avec vous, ce n'est pas au médecin de définir ce que doit dire le consultant. D'ailleurs, certains patients vont mieux rien que d'avoir eu assez de temps et d'écoute pour exprimer ce qu'ils voulaient dire.

Anonyme a dit…

Nous aussi, allions chez une pédiatre qui demandait à sa secrétaire de déshabiller l'enfant pour le mesurer et le peser. Je suis étonnée qu'une maman trouve cela "classe". Moi je voyais surtout un manque total de respect et d'empathie pour les enfants : les faire attendre en couche ou culotte que le médecin soit disponible.
Et qui d'entre nous aurait accepté que la secrétaire nous pèse et nous mesure ?
Agathe

Maubouss a dit…

@M@rion :
"on sait que les médecins coupent vite la parole des patients". J'espere que tu ne fais pas allusion aux celebres "23 secondes après lesquelles le médecin interrompt le patient".
Parce que ce chiffre est issu d'une étude réalisée aux USA en 1998...

Bien sur que le temps d'écoute est important.
Bien sur que venir pour un motif et en sortir un second est normal, humain, légitime....
Le problème c'est la patient qui "groupe" par pur calcul "économique de temps" en commençant par "tant que je suis là...."
Renouvellement suivi de ttt hta, bon
et puis epuis 03 jours j'ai mal ici... bon...
et puis depuis 1 mois j ai mal au dos tous les matins....
et puis dans 02 mois je pars au mexique , vous pouvez me marquer pour le palu et tout ça parce que j ai pas envie de revenir
et puis vous pourriez dépanner ma fille pour sa pilule parce que sa gyneco peut pas la recevoir..

et là il me semble que les limites de la "prise en charge globale" sont atteintes et celles de la grossiereté frôlées....


Limiter 1 consult à un motif en mg parait difficile
faire comprendre aux patients u on ne pourra pas forcement tout regler en une seule fois me semble utile ( pour la santé du médecin mais aussi pour la qualité des soins).

Ph Mauboussin

JC GRANGE a dit…

@ Philippe Mauboussin
Nous sommes d'accord grosso modo.
Mais : Pourquoi parler de grossièreté ?
J'ai déjà publié ici sur le modèle économique du médecin : 4 consultations par heure ou trois pour certains.
La "grossièreté" est donc partageable sur la base de ce modèle économique.
J'ai l'habitude d'écrire : de prescripteurs les médecins sont devenus des prescrits.
J'ai aussi écrit sur doctolib.
La générication des médecins, que je n'osais pas imaginer, est arrivée : les citoyens changent de médecin, puisque c'est gratuit et puisque j'y ai droit, jusqu'à ce qu'ils obtiennent ce qu'ils veulent.
J'ajoute que "mes" patients le savent désormais (pas tous) : je veux vous parler de trois trucs mais je reprendrai rendez-vous.
Donc, encore une fois, nous sommes d'accord.
Bonne journée.