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mardi 13 novembre 2018

Placebo, effet placebo, granules, homéopathie, éthique, Assurance maladie.


Pour résumer de façon succincte et non exhaustive.
  1. La médecine "moderne", "scientifique" (et "occidentale") est fondée en théorie sur l'exigence de preuves qu'une procédure (une molécule seule ou associée, une intervention chirurgicale, une prise en charge kinésithérapique, un dispositif implantable, une mesure de dépistage, une mesure de prévention, un ou des soins, et cetera) est efficace et qu'elle présente un rapport bénéfice/risque acceptable. Ces preuves peuvent être apportées au mieux par au moins un essai contrôlé positif (mais il vaut mieux qu'il y en ait deux), c'est à dire randomisé, en double-aveugle, procédure active versus placebo (essais de supériorité) ou procédure active versus procédure ayant déjà fait la preuve de son efficacité (essais de non infériorité). 
  2. La médecine moderne évaluative date de 1948 quand a été publiée la première étude randomisée en double-aveugle streptomycine versus placebo dans l'indication tuberculose pulmonaire, Streptomycin treatment of pulmonary tuberculosis, dont les promoteurs étaient une structure publique.
  3. Il s'agissait de prendre en compte (et d'éliminer) l'effet placebo, c'est à dire d'identifier le "vrai" pouvoir thérapeutique d'une molécule active, toutes choses égales par ailleurs (1) (2) (3). Quelques précisions supplémentaires : (4)
  4. En 2018 aucun essai "granules homéopathiques versus placebo" n'a fait la preuve de l'efficacité des dites granules.
  5. La messe est dite
  6. Je vous épargnerai la fameuse, trop fameuse phrase : l'absence de preuve n'est pas une preuve d'absence.
  7. Du point de vue de la médecine moderne les granules homéopathiques, quelles que soient les indications thérapeutiques dans lesquelles ils sont proposés, peuvent donc être considérés comme des placebos purs
  8. Il paraît donc normal et licite que les granules homéopathiques ne soient plus remboursés par l'Assurance maladie.
  9. Ce qui est gênant est ceci : nombre de molécules, de procédures et/ou de soins, sont remboursés par l'Assurance maladie sans qu'ils aient été soumis à des essais contrôlés ou, plus grave, il arrive que des essais aient été menés et aient montré qu'ils n'étaient pas efficaces et il n'y a pas eu de déremboursement (5). Des chercheurs états-uniens et britanniques ont montré que seules 35 à 54 % des procédures thérapeutiques sont validées selon les critères de la médecine moderne (voir LA)
  10. On peut donc affirmer que l'utilisation de placebos en médecine est courante, qu'elle soit volontaire ou involontaire.
  11. L'utilisation des placebos impurs est rarement abordé. Les placebos impurs sont par exemple des antibiotiques prescrits pour des angines virales ou dans des bronchites sans facteurs de risque. Ce sont aussi des vitamines prescrites hors carence ou des fluidifiants bronchiques. Les placebos impurs sont aussi des molécules actives prescrites hors AMM dans des indications où des évaluations scientifiques n'ont pas été faites mais où des bruits de couloir parlent d'une efficacité (cf. infra point 18).
  12. La question n'est donc pas, comme il est lu ici ou là, de renoncer ou non à l'effet placebo en médecine car il est inhérent à la pratique médicale mais aussi à la pratique non médicale qu'elle soit sacrée ou non.  A partir du moment où une personne souffrante, malade décide de consulter un médecin, un non médecin ou un chaman, elle se livre, par conventions sociales, sociologiques,  religieuses, anthropologiques ou autres à l'effet placebo. C'est l'aspect contextuel de la recherche du soulagement ou de la guérison (ce que l'on appelle de façon contemporaine Les représentations collectives de la santé). Même s'il n'y a pas de prescription médicamenteuse.
  13. Renoncer à l'effet placebo serait aussi renoncer à l'efficacité globale des procédures actives (cf. supra le schéma en haut du billet) mais c'est bien entendu impossible puisque l'efficacité de tout geste de soins comprend l'effet placebo (même et surtout un simple contact physique empathique avec le patient).
  14. Donc, les homéopathes qui argumentent sur l'effet placebo que les médecins non homéopathes combattraient se trompent de cible. Tout comme les médecins non homéopathes qui leur répondent.
  15. Un des arguments "marronniers" des homéopathes, non démontré à ma connaissance, serait qu'il écoutent plus et mieux leurs patients que les autres. C'est introduire une nouvelle notion, celle du médecin médicament qui est une notion répandue chez tous les pourvoyeurs de soins (voir plus haut l'effet contextuel). Un analyste d'obédience freudienne, Michael Balint, souvent cité, peu lu, a mis à jour deux faits de ses observations tirées de la pratique de groupes avec des médecins généralistes, sur les interactions entre patients et médecins : a) le médecin considère souvent qu'il est le meilleur médicament pour son patient ; b) le médecin peut exercer un effet nocebo considérable sur ses patients. D'où l'intérêt des groupes Balint pour en discuter.
  16. Une incise : un placebo peut entraîner un effet nocebo. Les essais randomisés en apportent la preuve. Dans un essai placebo versus anti hypertenseur il existe des effets indésirables de la série cardiovasculaire dans le groupe placebo. Dans un essai placebo versus anti ulcéreux il existe des effets de la série gastroentérologique dans le groupe placebo. Ainsi, par un effet évident, les effets indésirables supposés de la molécule active sont attribués au placebo.
  17. Une autre incise : il est parfois très difficile de démontrer l'efficacité d'une molécule dans des domaines où il est reconnu que l'effet placebo en général, lié à la prescription on non d'une molécule active, est très élevé. L'effet placebo est en moyenne de 30 à 35 % mais il peut atteindre 75 à 80 % dans les pathologies anxieuses et/ou dépressives !
  18. La vraie question est celle-ci : Est-il éthique de prescrire un placebo à un patient en sachant qu'il s'agit d'un placebo ? (6)
  19. Répétons les propos de Howard M Shapiro qui me semblent fondamentaux : "... Je voudrais souligner plusieurs dangers liés à l'utilisation d'un placebo : cela pollue la relation médecin malade, cela accentue la relation asymétrique -paternalisme- existant entre les médecins qui savent et les patients qui souffrent, cela peut être médicalement dangereux -spécialement quand le but du médecin est de savoir si oui ou non le patient souffre d'une affection organique- et renforce l'arrogance du médecin, infantilisant les patients encore plus... Finalement nous avons à considérer ce qui peut être le plus grand danger pour le médecin, à savoir que donner un placebo pourrait lui donner une opinion encore meilleure de ses propres capacités à aider."
  20. En résumé : quand les homéopathes nous parlent de l'effet placebo, au lieu de leur répondre, "Ben, on est pareils", ce qui est vrai, il serait plutôt nécessaire de les (nous) interroger sur l'aspect éthique de la prescription d'un placebo.
  21. Ainsi, l'autre question cruciale est : les homéopathes sont-ils sincères en pensant ne pas prescrire un placebo ? (Il est probable qu'il est difficile de parler des homéopathes en général, certains étant exclusifs, d'autres prescrivant des procédures non homéopathiques en plus de leurs prescriptions de granules, d'autres ne le faisant qu'exceptionnellement, en appoint.)
  22. Faudrait-il qu'ils disent à leurs patients (comme cela a été suggéré par certains chercheurs à propos de placebos non homéopathiques - avouons que cette distinction ne manque pas de sel !) : Je vous prescris des granules homéopathiques qui n'ont pas fait la preuve de leur efficacité dans des essais contrôlés mais qui peuvent vous soulager.
  23. Et surtout : il existe un problème d'indications. Quand un homéopathe prescrit des granules pour soulager l'anxiété, ce n'est pas pareil que lorsqu'il prescrit d'autres (?) granules pour traiter un cancer.
  24. Ce qui sous-tend ceci : Est-il éthique de prendre en charge un patient dans une pathologie pour laquelle nous ne sommes pas capables de lui proposer des solutions répondant à l'Etat de l'Art actuel ?
  25. Pour terminer ce bref aperçu abordons la question suivante : Faut-il que les consultations faites par des homéopathes soient remboursées par l'Assurance maladie ? La réponse est compliquée :  les homéopathes purs sont des médecins qui prescrivent des placebos à des patients qui croient en l'homéopathie. Est-il contraire à l'éthique de prescrire des placebos granuleux dans des indications comme l'anxiété, le rhume ou l'insomnie ? Voir le point 18. Mais si les indications sont cancer, corps étranger intra trachéal ou vaccination contre la grippe, cela relève du Conseil de l'ordre des médecins.
  26. Enfin : l'homéopathie est une croyance à l'aune de ce que nous savons actuellement de la médecine moderne. Cette croyance est facile à combattre avec des arguments scientifiques, éthiques et pratiques. Il est en revanche plus difficile de lutter contre les croyances de la médecine académique. Mais c'est un autre sujet (cf. point 9).
  27. Quant aux laboratoires qui fabriquent des granules homéopathiques, c'est une histoire qui mériterait une enquête approfondie sur l'industrie pharmaceutique en général et sur la corruption des esprits en particulier.

Notes

(1) Iain Chailmers, un des fondateurs de la Collaboration Cochrane, en explique ICI les raisons. Pour les plus curieux l'étude de 1948 n'arrive pas comme un cheveu sur la soupe, elle a une histoire racontée brièvement par Bothwell et Podolsky dans le NEJM : LA.
(2) Rétrospectivement on peut dire que les promoteurs prenaient peu de risques... Pourtant, des cliniciens se sont cru obligés de le faire et ils ont eu raison.)
(3) Cette étude aurait pu être le modèle qui allait être suivi par tous et partout pour l'expérimentation et la commercialisation de nouvelles procédures. Mais ce n'est qu'en 1970 que la FDA a exigé ce type d'études et seulement pour les molécules, pas pour les procédures en général !
(4) Dans les essais cliniques randomisés en double-aveugle (et malgré toutes les critiques méthodologiques que l'on peut faire en général et selon les essais) les patients sont avertis qu'ils sont tirés au sort, et l'aspect des molécules (principe actif et placebo) est identique, ce qui évite en théorie l'effet médecin bien qu'il faille également prendre en compte l'effet centre (la structure dans laquelle le patient est reçu), l'effet boîte, l'effet couleur, bla bla bla, ce qui élimine également les effets classiques en médecine "ouverte" à savoir la régression à la moyenne, l'effet Will Rogers et le paradoxe de Simpson mais surtout l'effet Hawthorne (LA) : Les modifications des comportements naturels de sujets d'études en raison de leur participation à cette dernière peut entraîner une surévaluation des effets du traitement, en particulier dans le groupe contrôle
(5) De nombreux exemples contraires peuvent être trouvés mais il s'agit le plus de retraits du marché liés à des effets indésirables graves
(6) (http://www.bmj.com/cgi/content/full/337/oct23_2/a1938)
A peu près la moitié des internistes et des rhumatologues qui ont répondu à l’enquête (679 sur 1200 contactés, 57 %) rapportent qu’ils prescrivent des placebos de façon régulière (46 à 58 % selon les questions posées). La plupart des praticiens (399, 62 %) pensent que cette pratique est éthiquement admissible. Peu rapportent l’usage de comprimés salés (18,3 %) ou sucrés (12,2 %) comme traitement placebo alors qu’une large proportion rapporte l’usage d’analgésiques en vente libre en pharmacie (over the counter) (267, 41 %) et de vitamines (243, 38 %) comme traitement placebo durant l’année pasée. Une petite mais notable proportion de médecins rapporte l’usage d’antibiotiques (86, 13 %) et de sédatifs (86, 13 %) comme traitement placebo pendant la même période. Bien plus, les praticiens qui utilisent les traitements placebo les décrivent à leurs patients comme potentiellement bénéfiques ou comme non classiquement utilisés pour leur maladie (241, 68 %) ; très rarement ils les décrivent explicitement comme des placebos (18,5 %).

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mardi 12 juillet 2011

Le professeur Claude Béraud "sauve" l'assurance maladie.


Je viens de lire un article du Professeur Claude Béraud hébergé sur le site de Pharmacritique (ICI) et, bien que les commentaires soient à nouveau ouverts sur le site de Madame Elena Pasca, mon commentaire est trop long pour être publié et je n'aime pas être "modéré" au sens propre et au sens figuré.
Je vous demande donc de lire l'article sur le site et de revenir me voir.

L'article de Claude Béraud (CB), "Menaces sur l'assurance maladie : entre fictions et réalités.", et, avant tout, on peut se demander si l'auteur est un lanceur d'alerte (whistle blower) ou un repenti (pentito), je vous laisse choisir sans modération, est une accumulation de clichés, de dénonciations archi connues et nous laisse sur notre faim quant aux solutions possibles.
CB, qui tel Philippe Even, a occupé des postes éminents dans l'administration et dans le privé et ne s'est pas rebellé à l'époque pour des raisons que nous n'analyserons pas ici, se livre au sport favori des Français (mais pas seulement, des exemples étrangers du même type sont nombreux), l'autodénigrement désespérant et insoluble dans l'autosatisfaction. Tels ces experts, dont l'appartenance au lobby de l'automobile ne faisait aucun doute, qui prétendaient dans les années soixante à l'irréductibilité du nombre des morts (17500) sur les routes françaises pour des raisons franco-françaises anthropologiques liées à, je cite entre autres, l'esprit individualiste des Gaulois et leur rapport à la bagnole, et qui nient encore qu'il y ait moins de 4000 morts par an (chiffre de 2010) et que ce soit lié, entre autres, aux limitations de vitesse...
Mais revenons-en à notre Saint Jean Bouche d'Or et ce qu'il dit être les 4 causes principales de l'excès des dépenses de l'assurance maladie. (J'ajoute perfidement qu'il ne parle à aucun moment des dysfonctionnements qui pourraient exister à l'intérieur de cette noble institution).
  1. L'absence d'organisation du système de soins. Et là, contre toute attente, nous avons droit à une attaque en règle des médecins généralistes (MG) selon un procédé rhétorique extrêmement connu : il commence par assigner un rôle aux MG, rôle inventé par le donneur de leçons et authentifié par une référence américaine, qui est de "répondre durant 24 heures, 365 jours par an à la quasi totalité des soins et des urgences et de (...) coordonner les soins délivrés par les spécialistes et les hôpitaux." (Diable !) ; puis il constate que les MG ne le font pas ; puis il donne, comme il dit un, je cite, "bon exemple" (charité bien ordonnée commence par soi-même), celui de l'hospitalisation abusive des personnes âgées. Le professeur Béraud marche sur la tête. Il ne connaît ni les données démographiques, ni les donnée sociologiques, ni les données budgétaires.
  2. Les prescriptions non justifiées par les données scientifiques. CB entonne la vieille rengaine de l'incompétence, de la légèreté et de l'inconscience des médecins (que j'ai déjà dénoncées ici et là sur ce site), et je souligne que lorsqu'il était en poste il n'a rien fait pour s'y opposer. CB, ancien médecin conseil national de la Sécurité sociale (ça en jette !) ne dit pas un mot du CAPI (devoir de réserve), pas un mot de l'HAS (devoir de copinage), pas un mot de la vaccination anti grippale (devoir expertal), et, puisqu'il parle beaucoup des personnes âgées dans son papier, ne dit rien du scandale scientifique et financier de la prescription d'anticholinestérasiques dans la maladie d'Alzheimer qui sont non seulement des médicaments inefficaces et très coûteux mais sont aussi générateurs d'effets indésirables cardiovasculaires jamais recensés.
  3. La médicalisation des souffrances liées aux difficultés et aux contraintes de la vie quotidienne. Là, je ne sais pas s'il faut en rire ou en pleurer. Un tel tissu de contradictions, un tel manque de recul, une telle précipitation dans la dénonciation des médecins, et, vous l'aurez noté, des MG en particulier, ces espèces de sous hommes que l'on peut maltraiter comme l'on veut, me laissent indécis. D'un côté notre moraliste nous dit que l'on médicalise la vie et de l'autre que les MG, qui, on l'a vu, doivent être sur la brèche 365 jours par an sauf les années bissextiles, devraient mieux écouter les patients en prenant plus de temps, des patients qui souffrent parce que leur chef de service les harcèle, parce que leur compagnon les trompe, parce que leurs enfants leur disent merdre, en prenant plus de temps et sans prescrire de médicaments ; écouter les plaintes d'un homme dont la femme vient de le quitter n'est pas pour CB une expression sublime du disease mongering généralisé mais le rôle fondamental du MG... CB veut que les MG fassent de la médecine 24 heures sur 24 (sauf les jours de passage à l'heure d'été ou à l'heure d'hiver), de la vraie médecine s'entend, et leur demandent aussi d'être les rafistoleurs du système de production français, sans prescrire de médicaments, sans prescrire, j'imagine, d'arrêts de travail, sans prescrire d'examens complémentaires inutiles, c'est à dire se comporter en emplâtres sur jambes de bois au service des experts qui nous gouvernent et qui savent tout, aux experts qui défendent le droit de l'Assurance maladie à ne plus être solidaire, à faire de la visite médicale académique ou à supprimer le médecin référent...
  4. Le consumérisme médical, poursuit notre Candide, est un important facteur de croissance des dépenses de soin, notamment chez les personnes âgées. Mais comment ne pas y avoir pensé plus tôt ? CB est le seul à connaître la cause de tout, le deus ex machina de nos errements. Il critique donc les bilans de santé mis en place par l'Assurance maladie pour les nécessiteux et qui  sont élargis à tous les publics, privatisation oblige, il critique les campagnes de prévention (cancer du sein) mis en place par l'Assurance maladie et faisant l'objet de primes pour les médecins s'y prêtant, il critique les tests de mémoire qui sont au centre de la stratégie de prévention de la maladie d'Alzheimer et qui sont favorisés par l'Assurance maladie, il critique les mesures préventives non validées (vaccination anti grippale) destinées aux personnes de plus de 60 ans (en sachant qu'à partir de 65 ans le vaccin est vraiment inefficace) qui donnent aussi lieu à des primes pour les MG qui ont signé le CAPI.
Claude Béraud avait le pied dedans quand il exerçait ses fonctions à l'Assurance maladie ou à la Mutualité française et il a le pied dehors maintenant qu'il est retraité de ces mêmes organismes...
Le professeur CB sait tout, voit tout, entend tout, dit tout, mais trop tard. C'était quand il professait qu'il aurait dû dénoncer et ne pas participer à cette entreprise de gabegie intellectuelle et financière qu'il semble condamner désormais sans retenue.

Mais le professeur Béraud :
  1. Oublie les aspirations des Français au sacro-saint Droit à la santé, la République des Droits, que l'Etat de gauche ou de droite, l'Etat comme entité hypostasiée d'une volonté générale, leur a inculqué depuis des années au nom d'idées généreuses, l'Enfer est toujours pavé de bonnes intentions, d'idées qui se déclinent encore sous forme d'incantations vidées de leur sens (lutter contre les inégalités), que le citoyen devait vendre son âme à l'Etat qui allait, dans sa grandissime bonté, pourvoir à tout ; incantations humanistes dans le genre "La Santé n'a pas de prix", proposition malhonnête qui sous tend qu'il faut tout faire pour sauver une vie, commercialiser des anticancéreux de troisième ligne à des prix défiant toute concurrence et sans aucune garantie de sécurité d'emploi, et augmentant, dans des essais randomisés, l'espérance de vie de trois semaines (et là, je suis optimiste), à demander encore plus et encore plus de mammographes (CGR ?) pour dépister et dépister encore, à ne pas fermer des services de réanimation obsolètes où il y a plus de morts que de vivants à la sortie (exagéré-je ?) ; incantations humanistes dans le style "Il vaut mieux prévenir que guérir", incantation largement démentie par les faits et par Sackett (ICI), qui fait accepter n'importe quoi, du Gardasil au taux toujours plus bas de mauvais cholestérol. Et ainsi le citoyen a-t-il pactisé avec le Diable de la médecine toute-puissante qui fait dire à un maire de ville ou de bourgade que la lutte contre les inégalités signifie que des services d'urgence soient prêts chaque minute que Dieu fait à recevoir un malade souffrant de rhume et que le sérum physiologique devrait être remboursé pour les mêmes raisons.
  2. Oublie l'arrogance médicale qui participe à la confusion généralisée qui mélange sans discernement la médecine, l'hygiène, le mode de vie, l'anthropologie, la culture et les conditions de travail. L'arrogance médicale c'est considérer que tout ce qui est arrivé de bien à l'humanité (pas partout, cela va sans dire), je veux dire le recul de la mortalité infantile et maternelle, la disparition de certaines maladies, les progrès de la chirurgie, le contrôle des naissances, l'augmentation de l'espérance de vie brute et sans douleurs, mais la liste n'est forcément pas exhaustive, nous pourrions y passer la soirée, est lié à la compétence médicale. Ce tour de passe passe idéologique permet, comme on l'a vu, de tout commercialiser, de tout rentabiliser et, surtout, de ne pas s'interroger sur la validité des hypothèses de départ. Il est aussi trop tard pour revenir en arrière dans de nombreux domaines comme le dépistage de certaines affections.
  3. Oublie l'arrogance sociétale du lobby administrativo-industriel qui, au nom de la liberté, laisse passer les publicités diabétogènes (junk food) à la télévision et propose des diagnostics et des traitements aux diabétiques qui n'ont jamais été aussi nombreux, non seulement en raison du mode de vie pléthorique de nos sociétés, mais aussi en raison de l'abaissement des seuils permettant de considérer un individu bien portant comme un intolérant aux glucides. Ce sont les mêmes qui commercialisent Mc Do et qui vendent les antidiabétiques.
  4. Oublie le sort réservé à la médecine générale : pas d'enseignement à la faculté ; numerus clausus favorisant les spécialités universitaires ; allocation de ressources négligeable et diminuant au cours des années ; spécialistocentrisme ; hospitalocentrisme malgré les revers continuels de cette politique et le sort réservé aux hospitaliers qui souffrent encore plus que les MG.
  5. Oublie les dernières réformes (Agences régionales de Santé) qui sont magnifiques dans les intentions mais qui, en pratique, sont l'expression achevée de l'inorganisation administrative française : peuplement des bureaux dorés et dépeuplement des hommes et des femmes de terrain ; accumulation de couches administratives, de règlements incompréhensibles, de discours de la vitrine, de lâchetés vis à vis des personnels, d'amoncellements de privilèges pour les nantis... Gabegie générale en quelque sorte.
  6. Oublie surtout les liens d'intérêts qui corrompent la médecine et l'administration du haut au bas de la pyramide ; oublie les conflits d'intérêts qui rendent la médecine infréquentable et dont témoignent la composition des Agences dites gouvernementales qui ne sont que des Agences liées à Big Pharma par inconscience et inconséquence plus que par volonté délibérée. Pas un mot de CB. Et pourtant, dans ses différents postes, il a dû en voir des compromissions tacites, des chèques passés sous la table, des déjeuners et des dîners mangés aux frais de la princesse, des congrès payés pour la bonne cause de la science triomphante et des échanges internationaux entre spécialistes, des interventions de ministres pour ne pas pénaliser tel laboratoire installé dans sa circonscription, de diktats de la DGS inspirés par la Santé Publique...
Claude Béraud a raison d'écrire de longs articles dans Pharmacritique dans lesquels il se donne le beau rôle mais cette longueur ne fait que plus souligner les oublis d'un professeur qui fut aussi haut fonctionnaire et patron dans le privé.

Que le lecteur ne pense pas que je défende le système contre Claude Béraud, ce blog en est le témoignage, mais il y en a assez de ces discours convenus, les uns approbateurs, les autres critiques, qui ne font pas avancer le propos en enfumant le débat comme dirait ce bon Even, le spécialiste de l'enfumage.

Je terminerai donc par ce beau texte de David Sackett qui non seulement fut à l'origine de l'EBM mais aussi de beaux discours sur la médecine.

La médecine préventive est trois fois arrogante : Premièrement, elle est agressivement affirmative traquant les individus sans symptômes et leur disant ce qu'ils doivent faire pour rester en bonne santé... Deuxièmement elle est présomptueuse, persuadée que les actions qu'elle préconise feront, en moyenne, plus de bien que de mal à ceux qui les acceptent et qui y adhèrent. Finalement, la médecine préventive est autoritaire, attaquant ceux qui questionnent la validité de ses recommandations.

(Le martyre de Saint-Sébastien - Andrea Mantegna - 1431-1506)