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vendredi 16 septembre 2011

Un asthmatique sûr de lui. Histoire de consultation 96.


J'avais remarqué le malade avant même qu'il n'entre dans mon bureau : il avait essayé de passer devant une ou deux personnes (la salle d'attente était pleine) en feignant la bonne foi. Bon, Monsieur A s'installe en face de moi et me dit, tout à trac, que son médecin n'a pu le recevoir, qu'il n'avait plus de rendez-vous et que... quand il était comme ça, il lui prescrivait du ciblor...
Il y avait bien un siècle que je n'avais pas entendu parler du ciblor, et c'est en écrivant ces lignes que je me suis rappelé de quoi il s'agissait (je me rappelle même, maintenant, en écrivant et en réfléchissant,la visiteuse qui me présentait l'affaire -- eh oui, j'ai reçu la visite médicale il y a quelques années et je ne me posais même pas de questions sur le bien / mal fondé de ma démarche, c'était une fille d'origine russe...)... Aucune importance.
En face de ce genre de patients qui prennent l'initiative et qui, sous prétexte que leur médecin est absent, loin de la jouer timorée ou un ton en dessous, s'installent presque dans votre fauteuil pour vous dire qui ils sont, de quoi ils souffrent, et ce qu'il faut leur prescrire. J'hésite toujours entre la condescendance, le mépris ou le sarcasme.
Qu'ai-je choisi aujourd'hui ?
On reprend par le début : le gars, 29 ans, est enrhumé, il est pris de la poitrine (il me montre l'objet du délit avec les paumes de ses mains), il n'a pas de fièvre, il a les yeux rouges (les efforts qu'il a faits pour tenter de gruger dans la salle d'attente ?) et il attend "son" ciblor.
Le dernier détail : il me dit qui est son médecin traitant (alors que je ne pose jamais de questions pour ne pas me faire influencer) pour appuyer ses demandes.
Le médecin traitant ne fait pas partie de mes copains.
Je vais donc examiner le malade avec beaucoup d'attention.
L'interrogatoire est difficile car le malade parle tout le temps et j'ai du mal à en placer une dans le bon ordre (les gens qui me connaissent sont en tain de douter mais, promis, juré, c'est vrai).
Je l'examine, il est assis sur une chaise dans la salle d'examen, il est en marcel et en pantalon (je précise cela pour les tenants du déshabillage intégral, style lido ou Pigalle -- mais comme il s'agit d'un mec, ce serait plutôt la Cage aux folles...), il a une pharyngite, un vague jetage postérieur, des tympans propres, secs et non inflammatoires, et l'auscultation pulmonaire retrouve des sibilants et pas de ronchus. Je le fais souffler dans un tube et son peak-flow est à 350. J'ai oublié de dire que sa pneumologue, eh oui, il a une pneumologue, est Madame B qui ne me fait ni chaud ni froid et que j'appelle, en plaisantant, Madame spiriva, tout malade entrant dans son cabinet en ressortant avec du spiriva (sauf les asthmatiques et les néos du poumon, j'espère)...
Bon, j'apprends en passant que lorsque son médecin ne lui prescrit pas du ciblor, il lui prescrit du symbicort en continu ainsi que du singulair. Pour le symbicort, je ne dis pas, pour le singulair il me semble que la pneumologue a comme nom de jeune fille Emme-esdé.
Et ainsi, comme je en suis pas un génie de l'asthme, je me récite le questionnaire (je rassure les lecteurs pressés, il fait trois lignes) que je me pose chaque fois que je vois un asthmatique qui a un traitement de fond et qui va plus mal. Primo : comment il prend son traitement de fond ; deuxio : s'il le prend ; troisio : où est l'allergène qui a déclenché la crise ?
Je lui fais un test au symbicort avec mon échantillon qui date de la guerre de 14 (quand je recevais les visiteuses médicales) : moyen.
Il dit le prendre régulièrement mais il lui arrive d'oublier. Et quand il oublie il prend de la ventoline qui, dit-il, marche bien en traitement de fond... Je ne lui fais pas faire de test à la ventoline : son médecin traitant ne s'en est pas chargé (pas plus que sa pneumologue) et je ne vois pas pourquoi je ferais le malin en lui apprenant des trucs à la gomme (voir ICI ce que je pense des médecins qui ne font pas de démonstration avec les aérosols doseurs).
Je lui mets les lampes en direct sur le visage, lui attache une main au radiateur et lui pose des questions en l'absence de son avocat. Après avoir nié toute participation à une entreprise d'allergophilie, il finit par me dire qu'il vient de déménager et que les peintures le font tousser et lui donnent les yeux rouges.
Encore une fois mon questionnaire de trois lignes m'aura apporté une réponse facile.
Je ne lui prescris pas de ciblor.
Je lui fais une démonstration avec le symbicort (les goguenards vous diront qu'il faut être très crétin pour ne pas savoir se servir du symbicort turbuhaler mais on a quand même des surprises)...
Je lui prescris de l'airomir avec démonstration.
Je prescris aussi une corticothérapie par voie orale.
Il va faire un rapport salé à son médecin traitant.

(Photographie : tests cutanés)