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mardi 1 janvier 2019

Bonne année 2019


Il serait heureux que l'année 2019 soit celle des patients.

Finalement, la santé publique, n'est-elle pas faite pour les patients ? 

"C'est de la démagogie, quand on est médecins, de s'inquiéter d'abord de l'avis des patients."

L'année des patients, pas l'année des consommateurs de soins.
La consommation de soins est devenue une obsession pour rester en bonne santé. Une obsession compréhensible. Une obsession liée à la peur de souffrir et plus encore de mourir.

Le mythe de la bonne santé entraîne les citoyens à croire aux théories les plus farfelues qui vont de  celles de l'Eglise de dépistologie (et de préventologie) à celles de l'holistique homéopathique.

Les citoyens revendiquent le droit de ne pas être malades, le droit d'être soignés, et le droit, celui-la considéré comme naturel, de faire ce qu'ils désirent quelles qu'en soient les conséquences (on appelle cela la conjonction entre la liberté des Droits de l'homme et celle du libertarianisme).

La "gouvernance" de la bonne santé se nourrit de recommandations, de modes de vie, de bons conseils, de bon sens, de normes, d'obligations (masquées sous le déguisement de l'intérêt général), et, pour tout dire, d'objectifs impossibles à atteindre, sources de frustrations, de conflits et de culpabilité.

Or,

La meilleure façon d'être en bonne santé en France, non, je m'avance, la meilleure façon de vivre longtemps (l'espérance de vie à la naissance) est de naître fille dans un milieu favorisé, de faire des études supérieures, d'exercer un métier "intellectuel" et de disposer de revenus vous faisant appartenir au moins à la classe moyenne supérieure. C'est le secret.

La moins bonne façon de vivre longtemps est de naître garçon. Vous aurez être issu d'un milieu favorisé, avoir fait des études supérieures, exercer un métier "intellectuel" et disposer de revenus vous faisant au moins appartenir à la classe moyenne supérieure, votre espérance de vie sera inférieure à celle des femmes.

Contrairement à tout bon sens (et à toute justice sociale) un cadre supérieur masculin vit statistiquement moins longtemps qu'une ouvrière d'usine (voir ICI pour toutes références supra et infra).

Mais si nous parlons de l'espérance de vie à 35 ans, c'est encore plus clair et désespérant :

Espérance de vie à 35 ans selon le sexe et la catégorie socio-professionnelle.
Une femme cadre a une espérnce de vie de 51,7 ans à 35 ans.

Ouvrons une parenthèse : il est pour le moins surprenant que le patriarcat obtienne des résultats de santé publique aussi défavorables aux hommes qui en sont les organisateurs (et les profiteurs).

Fermons la parenthèse : ce sont les mauvaises conditions socio-économiques et l'absence d'éducation à la santé qui conditionnent les moins bonnes conditions de vie et les décès prématurés par causes évitables.


Revenons à notre propos initial : l'année 2019 devrait être l'année des patients.

N'est-ce pas un peu démagogique ?

Contrairement à l'esprit ambiant, surtout ne pas laisser voir qu'un médecin puisse être dévoué (voir ICI), j'ai "fait" médecine non pour être médecin, je ne savais même pas ce que cela signifiait d'un point de vue existentiel même si je savais ce que cela représentait d'un point de vue social (et, à l'époque c'était négatif) : j'ai sans doute "fait" médecine pour soigner des humains (et comme j'étais un idéaliste forcené : pour les guérir).

Prendre l'avis des patients, éventuellement le respecter, s'intègre parfaitement dans la démarche de l'Evidence Based Medicine qui est attaquée de toute part et notamment par les progressistes et les libertariens. Mais c'est un sacré boulot ! Car, pour informer les patients de façon "neutre" ou "objective", il faut être au top des dernières publications, des dernières recommandations, des dernières critiques concernant ces publications et ces recommandations, donc, nous sommes en face d'une démarche épuisante et infaisable et d'un objectif inatteignable.

Quant à la décision partagée, c'est d'une complexité inouïe tant d'un point de vue des connaissances acquises, que de la façon de les délivrer (entre complaisance, auto-persuasion et autoritarisme), il faut s'efforcer de l'appliquer systématiquement.

Il est nécessaire d'avoir des relais, c'est à dire des correspondants experts qui nous simplifient le travail et nous évitent de nous épuiser à "tout" lire : les blogs et twitter peuvent servir à cela.

Mais les patients...

Il faut les prendre tels qu'ils sont. Leurs valeurs et leurs préférences ne peuvent pas être les nôtres ou peuvent parfois être les nôtres.

Nous ne pouvons nous substituer à eux. Ils ont le droit et le devoir de s'organiser comme ils veulent pour passer un épisode aigu ou pour s'installer dans la chronicité.

Nous avons, nous soignants, aussi le droit de les critiquer dans leurs choix tout en les respectant. Ou non.

J'ai lu des commentaires courroucés sur les patients pairs et les patients experts. Et des injonctions à être les premiers et à ne pas être les seconds. Nous verrons comment cela évoluera.

La prise de conscience des patients que leur santé peut aussi leur appartenir est récente en France et leurs tentatives pour s'autonomiser et lutter contre l'asymétrie ontologique entre soignants et patients ne sont pas exemptes d'erreurs d'appréciation et d'errances conceptuelles et scientifiques. Mais, laissons leur le temps. Ne les traitons pas comme des ennemis ou des illuminés, faisons leur profiter également de notre expérience, à savoir notre lente compréhension des illusions de la médecine triomphante, des dangers du dépistage et des sur promesses populationnelles de la prévention.

Vous avez tous à l'esprit les idées extrémistes de certains activistes sur la méchanceté perverse a priori des médecins. Ne les ignorez pas mais comportez vous de telle sorte que les pratiques des soignants aient toujours à l'esprit l'autonomie des patients.

Un véritable médecin ne prêche pas le repentir mais donne l'absolution.

PS1: Un article capital de Vinay Prasad : True Patient Advocates must be students of Evidence-Based Medicine. LA

PS2 : Un article polémique : ICI.

“True Patient Advocates Must Be Students of Evidence-Based Medicine”: An Impatient Rebuttal



mardi 6 janvier 2015

Bonne année 2015


L'année 2015 sera un tournant pour les médecins généralistes. Si la courbe des nouvelles installations ne s'améliore pas il semble clair que la partie sera finie.

Je voudrais fournir quelques données (que vous connaissez déjà) et explorer quelques pistes (que nous avons déjà évoquées) qui expliquent le déclin actuel --mais qui pourrait devenir inéluctable-- de la médecine générale telle qu'elle est pratiquée et de la médecine plus généralement.

Je parle ici des sociétés hyper "développées".

La médicalisation de la vie est sur le point d'être achevée.
Il n'existe plus un espace de notre vie (et de notre mort, et de notre conception) qui ne soit abordé sous l'angle de la médecine. La société, après avoir exigé d'être "soignée", exige désormais d'être en "bonne santé" selon la sotte définition de l'OMS (La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité) datant de 1946 et elle ajoute : peu en importent les moyens et peu en importe le coût. Il est amusant de lire cette définition de l'OMS à la fois comme une déclaration de "gauche" dans le sens du droit à la santé pour tous (la santé n'a pas de prix) et comme une déclaration néo libérale qui conduit aujourd'hui à l'utilisation du corps humain, et notamment celui des femmes, et au développement du Quantified Self grâce aux applis de santé.



Le "triomphe" de la médecine ou l'aveuglement des médecins.
Les médecins pensent sincèrement avoir permis l'amélioration constante de l'espérance de vie, et maintenant de l'espérance de vie en bonne santé, mais un certain nombre d'éléments indiquent que ce sont plus les progrès de l'hygiène et des conduites individuelles qui ont permis la fantastique courbe que voici (source INED). Il est normal que la société les croit et leur demande encore plus.


La négation du rôle de l'hygiène et des conditions de vie comme le triomphe du marché des soins payants. 
Mais si le rôle de l'hygiène est évident dans le cas de la rougeole :

Il est moins évident dans le cas de la diphtérie.


Ces courbes sont tirées du livre de Thomas McKeown : The Role of Medicine: Dream, Mirage or Nemesis ? (1979) que j'ai reprises sur le blog de Doctor Skeptic (LA).

L'arrogance de la médecine comme moyen de ne plus parler des inégalités sociales.
Puisque la médecine peut "tout", pourquoi parler des conditions de vie, pourquoi parler de pénibilité du travail, pourquoi prévenir les risques évitables, pourquoi prévenir les addictions, et cetera ? L'accessibilité aux soins est un plafond de verre : seuls les riches éduqués sont placés au dessus.

Espérance de vie à 35 ans selon le sexe et la catégorie socio-professionnelle.
Une femme cadre a une espérnce de vie de 51,7 ans à 35 ans.


Les médecins désormais sommés de se mettre à la disposition de la société.
Après avoir été les vedettes de l'amélioration constante de l'espérance de vie et, désormais, de l'espérance de vie en bonne santé, les médecins sont devenus pour la plupart les victimes consentantes de cette obligation sociétale. La société impose moralement aux médecins de s'impliquer dans des domaines de la vie devenus médicalisés : rappelons ici que l'IVG par aspiration n'a pas été "inventée" par un médecin, que la procréation médicalement assistée peut ne pas être médicale, que les peines de coeur sont désormais psychiatrisées à l'instar des "maladies" psychiatriques décrites de façon exhaustive dans le DSM, et que la mort (fin de vie et euthanasie) devient un impératif où les médecins doivent s'impliquer. (on apprend aujourd'hui que la Belgique autorise l'euthanasie d'un détenu qui s'estime incurable : on va sommer un médecin de pousser la seringue. Voir LA)

Sainsbury's GP surgery programme in supermarket



L'ère de la consommation médicale.
Nous sommes définivement entrés dans l'ère consumériste, c'est à dire que les médecins (pas tous) qui refusaient l'EBM car ils n'acceptaient pas les valeurs et préférences des patients sont confrontés maintenant à des demandeurs de soins qui, informés par le café du commerce de l'internet (et ce n'est pas péjoratif), veulent tel médicament, exigent tel examen complémentaire, imposent tel spécialiste d'organe ou telle clinique ou tel hôpital. Ce consumérisme est fondé sur la traduction française du self néolibéral rawlsien états-unien, à savoir "Je fais ce que je veux et vous m'emmerdez". Et il faudra être un médecin compliant pour survivre, un médecin dépensier, un médecin béni-oui-oui, un médecin qui rapporte (car l'autre volet de la consommation, c'est celui qui est en face du consommateur, le pourvoyeur de soins, car le médecin qui travaille en clinique, pour survivre, pour payer ses redevances, il doit bosser et fermer sa gueule, sur diagnostiquer et sur traiter, pas tous, bien entendu) et dans ce système consumériste le médecin sera (est déjà) pieds et poing liés à l'adminitration fiscale, à big pharma et à big matériel.




L'Evidence Based Medicine mise au service de big pharma.
L'évidence de l'intérêt de l'Evidence Based Medicine n'a pas été comprise car ce qui gênait les médecins était que l'on pût d'une part leur imposer des données scientifiques qui ne correspondaient pas à leurs pratiques intuitives et d'autre part leur imposer l'irruption du patient pensant et réfléchissant dans leur cabinet de consultation. Cette incompréhension a permis à big pharma d'identifier l'Evidence Based Medicine aux seules études contrôlées, études réalisées par big pharma, études permettant par l'élévation constante de leurs coûts de mettre hors jeu les essais publics ou faits directement par les autorités académiques, de corrompre les investigateurs et de demander des prix de remboursement des médicaments de plus en plus élevés.



Le paradigme de l'oncologie.
L'oncologie est devenue le premier levier de croisssance (avec la vaccinologie) de big pharma. Au delà des succès réels de la spécialité dans certains domaines (hématologie, cancer du testicule, cancer de l'ovaire, et cetera) l'oncologie, se fondant sur la vulgate de l'Eglise de Dépistologie, sur les bons sentiments (tout faire pour sauver une vie) et sur la crédulité de la société et des médecins a réussi l'exploit incroyable de protocoliser le cancer (l'objectif étant, selon un tsar de la cancérologie, d'inclure tous les patients dans des essais), de privatiser la recherche, d'obtenir des prix délirants pour 71 produits ( parfois dangereux) permettant d'allonger l'espérance de vie de 2,1 mois (ICI) au prix de 10 000 dollars par traitement.

Le lobby santeo-industriel.
Nous en avons tant parlé de la corruption de l'Etat, de l'Université, des centres de recherche et du fait que les conférences de consensus sont totalement infiltrées par les intérêts de big pharma, de big matériel et de l'industrie agro-alimentaire.

Est-il possible de faire une autre médecine ?
Je m'arrête là.
Malgré tous nos défauts, il me paraît que ce sont les médecins généralistes aidés de leurs correspondants favoris qui sauveront le système et pourront lutter contre les pratiques délirantes que sont la dépistologie sauvage, la prescription indue d'examens complémentaires inutiles, de médicaments "nouveaux", chers, mal évalués et parfois dangereux et sont les seuls, de par leur "ignorance" et de son acceptation, de gérer l'incertitude, les symptômes qui ne font pas maladie, les maladies construites comme les patients qui consultent car ils font grève de la société, grève de leur milieu professionnel, grève de leur couple, grève de leurs enfants, grève de leurs voisins, grève de leurs amis. Et qui ne sont pas "malades" pour un sou.
Je vous ai jadis proposé la Sécession (LA). Possible ?



Je suis fier d'être médecin généraliste (mais pas celui là).