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dimanche 4 février 2018

La médecine proche non industrielle.

Jeff Koons : l'art industriel

Le mercredi après-midi, c'est consultation libre.
C'est le seul moment de la semaine où je reçois sans rendez-vous.
(Entre 1979 et 2016, j'ai consulté sans rendez-vous tous les les après-midis, je me demande comment j'ai bien pu faire)
Il y a le plus souvent un monde fou.

13H30

(J'apprendrai au cours de l'après-midi qu'il y avait 11 personnes devant la porte, soit environ 9 patients, ce qui correspond grosso modo à une attente de deux heures et quart. Et comme les premiers consultants sont arrivés vers midi, je fais un salut discret aux urgentistes : bienvenue au club.
Je n'ai donc pas la possibilité de savoir qui je vais recevoir.)

Première personne (j'aurais dû écrire "Premier consultant" ou "Premier patient" mais comme les inclusifs/épicéniques auraient hurlé à la mort pour discrimination et que j'aurais dû écrire "Premie.è.re consultant.e" j'ai donc écrit "Personne", ce qui, sans nul doute, n'appauvrit pas la langue. Passons.)
Je vais donc chercher la première personne dans la salle d'attente.
" C'est à qui ?"
Monsieur A se lève.
" Bonjour Monsieur A.
- Bonjour docteur."


13H45

Je vais chercher la deuxième personne dans la salle d'attente.
"C'est à qui ?"
Madame B se lève.
"Bonjour Madame B.
- Bonjour docteur."

Deux personnes se lèvent (non, je n'ai pas écrit : "Comme un seul homme", trop connoté genriste) : "Docteur, c'est sur rendez-vous cet après-midi ?
- Non. Pourquoi ?
- Ben, parce que vous appelez les gens par leur nom, on a cru qu'ils avaient rendez-vous..."

Cela se répète souvent, ce genre de réflexions.

Je n'en tire aucune conclusion.

Je vous renvoie à un billet que j'ai écrit sur les bracelets d'identité à l'hôpital qui fait toujours polémique : LA.

Le jour où, à l'entrée des Maisons Médicales on attribuera des bracelets d'identité...



jeudi 14 septembre 2017

Bracelets d'identité à l'hôpital.















Dédicace spéciale pour Ph Ameline.

BRACELET

J'avais ironisé il y a quelque semaines sur le port des bracelets d'identité pour les nourrissons dans les maternités (un élément du pompeux dispositif d'identitovigilance et de traçabilité intégré dans le processus qualité de tout établissement de soins désirant faire moderne). J'avais écrit en substance : "La pose de bracelets d'identité chez les nourrissons est le témoin évident de l'anonymisation définitive des patients à l'hôpital."

Que n'avais-je écrit ?

Les urgentistes (et les hospitaliers) avaient mis le paquet dans le style : Comment un crétin de généraliste peut-il nous apprendre notre métier ? C'est toujours les gens qui n'y connaissent rien qui parlent. Les bracelets d'identité sont un progrès déterminant pour la sécurité des patients.

Disais-je le contraire ?

Nos amis urgentistes avaient oublié ceci : la pose de bracelets d'identité (il faut d'ailleurs pour qu'il soit posé que le personnel soignant ou non dispose de la carte d'identité du patient, de son passeport ou d'un titre de séjour, ce qui pourrait aboutir finalement à ce que l'on s'assure qu'il ne s'agit pas de faux papiers...) est sans doute un progrès concernant la sécurité des patients (voulez-vous que je vous serve la rhétorique officielle ?, "Cette mesure s’intègre dans un dispositif bien plus large de sécurité par l’identification du patient qui concourt au bon déroulement de la prise en charge de celui-ci. Il constitue une sécurité supplémentaire mais ne se suffit pas à lui seul. Il ne remplace en aucun cas le professionnel dans sa pratique et la relation de confiance établie entre le soignant et le soigné.") mais ce n'est qu'un maigre progrès, un pis aller vis à vis de la dégradation des conditions de soins et de travail dans les hôpitaux. On pose un bracelet d'identité aux patients parce qu'il n'est plus possible aux soignants (débordés, mal payés, démotivés) de connaître les patients, de les identifier vraiment, de leur prodiguer des paroles et des soins personnalisés. L'hôpital taylorisé, industrialisé, T2Aisé est acté (comme disent les technocrates) et revenir en arrière serait un recul. On nous le dit. C'est le progrès.

Vous avez compris ?

Je retrouve le courrier d'un syndicat d'infirmiers du 22 janvier 2008 remis à Roselyne Bachelot alors que l'administration souhaitait généraliser le bracelet à tous les patients de l'hôpital Saint-Louis. J'ai trouvé le truc un peu outré, un peu j'en fais des tonnes, mais, finalement, pas mal du tout. Vous pouvez le lire ICI.

Bon, pour résumer, le bracelet c'est super chouette, ça évite de se tromper, "La petite dame du box 7, elle va mieux ?", "Le pappy dans le couloir, il est réchauffé ?". Cela ne peut plus se passer comme cela. Merci les urgentistes.

Mais réfléchir sur l'aspect éthique (on est là pour sauver des gens, hein) ou sur le bordel organisé dans les hôpitaux... Y a plus personne.



MADAME A

Madame A est puéricultrice dans une maternité. Depuis 20 ans. Elle craque depuis plusieurs mois (elle a aussi des problèmes personnels, comme on dit). La réorganisation de la maternité, la façon de rendre physiologiques les naissances, les tâches accumulées, l'injustice, la façon impersonnelle de traiter les problèmes de personnel, elle craque. Il faudrait qu'elle s'arrête mais "je ne peux pas faire cela à mes collègues".

Je passe sur les détails. Elle me raconte ceci : "Le matin, lorsque je fais la transmission, je pleure parce que je ne me rappelle même pas la tête des nourrissons dont je m'occupe. C'est terrible ce que l'on nous fait faire."

Les urgentistes (et les hospitaliers) ont raison : heureusement qu'il y a le bracelet.

Illustrations : Chatiliez Emile. La vie est un long fleuve tranquille. 1988.