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lundi 14 mai 2018

La médecine m'inquiète : micro f(r)ictions (99)

Le Tintoret (1519 - 1594)  - Autoportrait (1547)


99
"Madame B, cinquante-deux ans, dont tu es le médecin traitant, est venue me consulter après son passage aux urgences non programmées de la clinique pour des précordialgies atypiques... L'examen que j'ai pratiqué est normal : pression artérielle, échographie... Je note toutefois un bilan lipidique limite chez cette patiente non fumeuse. Pour ces raisons je programme une épreuve d'effort qu'elle passera à la clinique dans quelques jours."




Résumé des épisodes précédents.

100
Mademoiselle A, vingt-huit ans, a perdu son bébé. Aux urgences où elle se rend on lui fait une péridurale pour « régulariser ». La péridurale, selon la patiente, ne « marche » pas. Elle commence par se faire engueuler : « Si, ça marche ! ». Bon, les douleurs qu’elle ressent sont donc factices. On l'engueule encore. On la laisse dans une salle de repos où des enfants courent dans tous les sens. Puis, quelqu’un vient la voir, de loin, et lui demande à la volée : « Vous voulez l’enterrer ou le faire incinérer ? »





dimanche 26 octobre 2014

Avalanche d'examens complémentaires. Histoire de consultation 177.


Madame A, 71 ans, est hypertendue connue depuis des siècles, traitée par un bêtabloquant (c'était la mode à l'époque), le betaxolol, et par une statine (pravastatine 20), tous deux prescrits par mes soins depuis une bonne vingtaine d'années.
La dernière fois qu'elle a vu "son" cardiologue, le docteur B, c'était, selon le dossier, il y a 5 ans. Et  le compte rendu de consultation était, comme à son habitude, laconique (une dizaine de lignes) et... rassurant.

Cette patiente est "ma" malade, je ne peux pas dire que je l'ai récupérée d'un autre médecin ou qu'autre chose ait pu influencer ma prescription : je suis responsable de ses médicaments. Et je suis responsable du fait que je m'en "occupe" (presque) seul.
Il y a également des siècles qu'elle présente un souffle systolique 2/6 au foyer aortique qui a été échocardiographié au moins deux fois par le cardiologue qui est désormais parti à la retraite. Depuis lors le souffle que j'entends est identique à lui-même.

Avant les grandes vacances elle a fait un séjour aux urgences pour un malaise non identifié qui a fini par être considéré comme "vagal" par le compte rendu de ces mêmes urgences.
Jusque là : tout va bien.
Mais un des médecins des urgences, celui qui l'a examinée ou un autre, celui qui lui a fait faire un ECG et une prise de sang, s'est étonné qu'elle n'ait pas vu de cardiologue récemment. "Votre médecin aurait quand même dû..."
Bon, est-ce que quelqu'un a vraiment dit cela, est-ce une façon pour la patiente de me reprocher de ne pas lui avoir dit qu'il fallait surveiller ce souffle, voire cette hypertension, je n'en sais rien... 
Elle est venue consulter pour le "renouvellement" de ses médicaments et  pour que je lui écrive une lettre pour le cardiologue. Son mari était là et il n'avait pas l'air content non plus.
Elle ne savait pas que le docteur B était parti à la retraite depuis environ 2 ans et elle m'a demandé de lui trouver un autre cardiologue.

A M* la cardiologie s'est beaucoup transformée. D'abord à l'hôpital où le chef de service est parti, où nombre des assistants ont fait de même et où la cardiologie interventionnelle a été arrêtée sur décision de l'ARS au profit de deux centres d'excellence "privés" du département (78).  Je ne ferai pas de commentaires sur la fin de la cardiologie interventionnelle à l'hôpital de M* pour des raisons confraternelles et parce que je n'en connais pas tous les tenants et les aboutissants. Disons qu'ils ne "voyaient" ps assez de patients, qu'ils ne posaient pas assez de stents et qu'ils ne dilataient pas assez les coronaires pour que cela soit "efficace". Disons que l'ARS considère qu'en deçà d'un certain nombre de gestes techniques il est possible de penser que c'est mal fait. On a déjà vu cela à propos des maternités. Quant aux centres d'excellence "privés", j'en parlerai une autre fois.
A M*, donc, la cardiologie libérale de ville a elle-aussi beaucoup changé : il y avait jadis six cardiologues, puis cinq, puis quatre, puis deux. Il y avait bien entendu aussi les consultations de l'hôpital. Puis, par une sorte de deus ex machina six installations se sont faites, ce qui fait qu'il y a désormais 8 cardiologues en ville. Trois à M**, 2 à M* (les anciens qui sont restés) et 3 au Val Fourré (en ZFU, alias zone franche urbaine). Si j'avais le temps je vous raconterais le pourquoi du comment de l'affaire alors que dans le même temps des médecins généralistes disparaissaient sur la même zone. Mais, à la réflexion, je me tairais (voir un billet précédent ICI) et, pour l'instant, je m'en tiendrais à ce billet qui est assez explicite.

Donc, j'ai adressé ma patiente au docteur C.
Le docteur C l'a reçue dans des délais raisonnables, lui a fait un examen cardiologique complet puis a proposé une épreuve d'effort (sur des données ECG j'imagine car, cliniquement, l'interrogatoire était muet).
Puis j'ai revu la patiente, son mari avait besoin de médicaments pour la tension, qui m'a dit textuellement : "Au moins, le docteur C, il est pas comme le docteur B, y m'a fait faire des examens..."
Mouais.
Je n'avais pas encore reçu le compte rendu de l'épreuve d'effort que j'apprenais qu'elle allait subir une scintigraphie cardiaque avec test à la dobutamine dans un centre privé extérieur au 78. Dans le 92.

Et à la fin tout était normal.

Je revois "ma" patiente avec son souffle, sa pression artérielle contrôlée (le bêtabloquant a été conservé pour des raisons surprenantes), sa statine (le cardiologue a précisé que le mauvais cholestérol pourrait être "un peu plus bas") et son mauvais caractère (que je ne connaissais pas auparavant).
"Alors, tout ça pour ça ?
- Que voulez-vous dire ?
- Vous vous plaigniez que je ne vous ai pas réadressée au docteur B qui n'avait pas jugé bon non plus de demander des examens... Vous les avez faits, les examens.
- Oui. Je suis rassurée.
- Mais... vous n'aviez rien... vous n'étiez pas essoufflée, il est possible que ces examens n'aient servi à rien... On vous a baladée à droite et à gauche...
- Et si j'avais eu quelque chose...
- Le risque était infime..."
Le mari : "C'était à vous de lui dire de ne pas le faire...
- Mais le ver était dans le fruit...
- Que voulez-vous dire ?
- A partir du moment où les urgences vous ont dit d'aller consulter un cardiologue, j'étais mis hors jeu. Vous vouliez cette lettre et je n'ai pas eu le culot de vous dire que cela ne servait à rien.
- Vous n'étiez pas sûr de vous ?
- Non. Vous vouliez consulter un cardiologue parce que vous étiez inquiète mais je n'avais pas d'arguments solides pour vous prouver que cela n'allait servir à rien... Et, le plus grave, ce n'est pas d'aller voir un cardiologue, mais tous les examens qu'il a demandés après.
- Il ne valait pas mieux les faire ?
- Je ne crois pas. Je crois qu'ils étaient inutiles.
- C'est facile de dire cela après...
- Moui... c'est l'intuition clinique...
- Comment aurait-on dû faire ?
- Je ne sais pas. Laissez moi réfléchir..."
Est-il possible de tout dire ? Est-il possible de dire à des patients que la médecine est en train de se moquer d'eux ? Est-il possible de dire à des malades qu'ils sont devenus des marchandises échangeables, des sujets d'une histoire qui ne les concerne pas ? Est-il possible de leur dire qu'il existe des réseaux, des circuits de malades, des médecins obligés et des médecins obligeants, des redevances de cliniques, des passe-droits, des sur diagnostics, des faux diagnostics, des diagnostics à tort et que ce n'est pas l'inquiétude des médecins qui les entraînent à prescrire toujours plus d'examens complémentaires (et accessoirement de médicaments) mais la logique du marché, l'impérieuse nécessité de rentabiliser les équipements coûteux qui ont été installés ici et ailleurs, de les faire tourner à plein régime, des équipements qui sont parfois inutiles parce que trop nombreux, et que donc, les dirigeants de cliniques, les fabricants de matériel, les fournisseurs d'isotopes, ont besoin de chair à pâté pour rentabiliser les investissements et, surtout, les retours sur investissements, et que les médecins généralistes ne sont plus suffisants, il faut des super docteurs, des rabatteurs, des représentants de commerce, pour alimenter le ventre de la machine de la santé, cette santé qui n'a pas de prix, cette santé qui valorise les examens coûteux, les machineries complexes, qui culpabilise les patients, les malades, les médecins pour qu'ils aient peur, qu'ils pètent de trouille, et tous les moyens sont bons, dont le PSA, la mammographie, la pose de stents inutiles (aux US un article grand public résume la situation : ICI), les dilatations sans objet, j'en passe et des meilleures, les campagnes de "sensibilisation" orchestrées par des fabricants de produits de beauté (Estée Lauder Pour Octobre Rose), cette santé qui oblige les citoyens à penser que le dépistage c'est bien, on ne discute pas, que les vaccins c'est génial, on ne discute pas plus et que ceux qui s'y opposent sont des passéistes, et cetera.
"Je crois, mes chers amis, que j'aurais dû vous dire qu'un malaise vagal, cela peut arriver à tout le monde, que cela n'a aucun rapport avec un petit rétrécissement aortique, et j'aurais dû écrire une lettre pour un cardiologue plus cool, moins interventionniste, cela existe à M*, et vous dire, après l'épreuve d'effort, s'il y en avait eu une, de renoncer.
- Mais, excusez-moi de vous dire cela, cela fait tellement longtemps que l'on se connaît, après ce que l'on m'avait dit à l'hôpital, j'avais besoin de faire des examens... Mais, nous sommes d'accord, le docteur B, il avait raison de pas s'inquiéter."

Cet exemple de cardiologie ne rend pas compte du fait que toutes les spécialités sont intéressées.
Nous parlerons un autre jour de Jean de Kervasdoué.

Illustration : Jeff Wall After 'Invisible Man' by Ralph Ellison, the Prologue 1999-2000
mca.com.au