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samedi 10 mars 2012

Un article de Claudina Michal-Teitelbaum : Secret médical et convention collective : conflits d'intérêt et conflits de loyauté.

Docteur du 16 : je vous propose donc un article écrit par CMT que je trouve particulièrement contributif sur le sujet des relations entre les médecins, l'administration et la CNAM.
Le secret médical comme garant de la démocratie

Redresser les comptes  de la Sécurité sociale et réduire son déficit est une priorité affichée par les pouvoirs publics depuis de nombreuses années.
Les médecins libéraux, ont une place spécifique dans le système de santé. Bien que dépourvus de la protection que confère un statut de salarié et théoriquement libres de pratiquer comme ils l’entendent, leur activité est largement tributaire des remboursements de leurs actes par la Sécurité sociale.
C’est pour cette raison que  l’Etat s’arroge en contrepartie un droit de contrôle et d’évaluation sur l’activité des médecins libéraux. Ce contrôle se fait sur la base de ce qui a été négocié lors de la convention médicale collective. La convention médicale est, l’un des principaux outils de la maîtrise médicalisée, qui vise à responsabiliser les acteurs à savoir essentiellement les médecins prescripteurs, les pharmaciens et les patients en vue de réduire les dépenses de santé.
Le contrôle est exercé, pour l’aspect économique, par les Caisses primaires d’assurance maladie (CPAM), des organismes de droit privé au niveau local, remplissant une mission de service public. Les médecins conseil des CPAM sont chargés de s’assurer qu’il y a conformité entre les activités du médecin et ses objectifs propres, objectifs pour lesquels les CPAM sont missionnées, qui sont des objectifs économiques de contrôle des dépenses de santé.

Pour exercer ce contrôle, et d’autant plus qu’il prétend exercer un contrôle étroit et fin, le médecin conseil va demander des informations sur son activité au médecin libéral, comme la loi l’y autorise.
 Se pose alors la question du secret.

Habemus papam. Nanni Moretti 2011.
Le pape, le psychanalyste et la Curie.

Les fondements du secret médical
Le secret médical est une déclinaison du secret professionnel.
Le secret professionnel a des fondements pratiques et vise au maintien de l’ordre public. Dans tous les cas où un particulier doit être en relation avec un professionnel et que la protection de ses intérêts, dans le cadre de ses relations avec ce professionnel, nécessite la confidentialité, il doit pouvoir compter sur sa discrétion. Celle-ci lui est garantie par la loi sous peine de sanctions pour le professionnel qui violerait cette règle. La nécessité de respect du secret a donc une traduction juridique.
L’article 226-13 du Code pénal énonce cette règle de la manière suivante : « La révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire, est punie d'un an d'emprisonnement et de 15000 euros d'amende. »
Le Code pénal considère donc que la révélation d’un secret est un délit et que c’est la personne qui est dépositaire du secret qui en est responsable . Elle pourra donc être poursuivie en cas de faute. L’incitation à la révélation du secret est également punissable.
Dans le cas de la médecine, l’intérêt du secret est aussi de permettre la qualité des soins grâce à l’accès à un grand nombre d’informations  pertinentes par le médecin car  « Il n’y a pas de soins sans confidences, de confidences sans confiance, de confiance sans secret ».


Le secret professionnel a aussi des fondements éthiques et répond au principe du droit au respect de la vie privée, qu’on peut aussi appeler droit à l’intimité. Le concept de vie privée n’est pas clairement défini mais le principe de son respect est posé par l’article 8 la Convention Européenne des Droits de l’Homme de 1950, encore appelée Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales,  signée et ratifiée par la France. La Cour européenne des droits de l’Homme, qui veille au respect de la convention, considère que «la protection des données médicales revêt une importance fondamentale pour l’exercice de ce droit, et que le respect du caractère confidentiel des informations sur la santé constitue un principe essentiel du système juridique des Etats membres de la Convention (CEDH, 27 août 1997, Anne –Marie Ac/Suède) » (P. Chiché, 2005) . http://www.echr.coe.int/NR/rdonlyres/086519A8-B57A-40F4-9E22-3E27564DBE86/0/FRA_Conven.pdf .

Dans le Code de déontologie, qui est inscrit dans le CSP (Code de santé publique) , article 4127 et établi par décret du Conseil d’Etat, le secret médical apparaît à l’article 4 qui dispose que:
« Le secret professionnel, institué dans l'intérêt des patients, s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi.
Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris. »
Contrairement à ce que beaucoup de médecins pensaient auparavant, le secret médical est pour eux un devoir et non un droit. Il n’est pas opposable au patient qui souhaite obtenir son dossier, sauf dans certains cas spécifiques. C’est ce qu’a établi la loi du 4 mars 2002, relative à la santé publique et aux droits des patients, appelée aussi loi Kouchner.
Le secret couvre aussi tout ce qui a eu lieu lors de la consultation, et notamment aussi tout ce que le médecin a pu voir ou entendre lors des visites à domicile .
Le médecin qui viole intentionnellement le secret (même sans intention de nuire) s’expose donc à des sanctions pénales (article 226-13) et disciplinaires, de la part du Conseil de l’ordre.
Seule la loi peut autoriser une dérogation au secret
L’article 226-14 du Code pénal limite le caractère absolu du secret professionnel et médical car il précise que «L'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret « .Le secret médical a donc un caractère absolu en dehors des obligations légales et des autorisations car :
-       Le patient ne peut pas délier le médecin du secret (jurisprudence)
-       Le secret demeure même après la mort du patient (cas particulier de la famille du défunt)
-       Le secret est valable même pour des confrères sauf dans le cas des nécessités du suivi du patient et avec l’accord de celui-ci (loi du 4 mars 2002 )
-       Il est opposable même devant un juge
-       Le médecin n’a, à priori pas le droit de révéler le nom des patients qu’il suit
Le médecin peut seulement se délier du secret pour se défendre en cas d’accusation


En pratique les dérogations établies par la loi sont de deux types : obligation ou permission.
La liste des motifs qui obligent un médecin a révéler des informations à caractère secret est limitative et explicite. La première question qu’un médecin doit  se poser si on lui demande de fournir ce type d’informations est donc : « est-ce que cela rentre dans le cadre d’une obligation ? ».
Ces obligations, édictées par la loi, répondent à des impéraitfs (tenue de registres des décès et des naissances, protection de l’ordre public, justification de certaines indemnités).
Le médecin est obligé par la loi :
- de déclarer les naissances ;
- de déclarer les décès ;
- de déclarer au médecin de la DDASS les maladies contagieuses dont la liste est fixée réglementairement(3).
- d'indiquer le nom du malade et les symptômes présentés sur les certificats d'internement ;
- de signaler les alcooliques dangereux pour autrui (pour les médecins des dispensaires, des organismes d'hygiène sociale, des hôpitaux, des établissements psychiatriques) ;
- d'établir, pour les accidents du travail et les maladies professionnelles, des certificats détaillés décrivant les lésions et leurs conséquences ;
- de fournir à leur demande aux administrations concernées des renseignements concernant les dossiers des pensions militaires et civiles.
- de communiquer à l’Institut de veille sanitaire les informations nécessaires pour prévenir et maîtriser les risques pour la santé humaine.

Il existe d’autres cas où le médecin est autorisé, mais non obligé, à révéler une information à caractère secret. Cela implique qu’il ne pourra être poursuivi pénalement lorsqu’il révèle une information dans ce cadre, et qu’il lui est permis de refuser de le faire.

Le médecin est autorisé :
1.     à signaler aux autorités compétentes et à témoigner en justice à propos de sévices ou mauvais traitements infligés aux mineurs  ou à des personnes qui ne sont pas en mesure de se protéger ; (article 226-14 du Code pénal, loi du 5 mars 2007 relative à la Protection de l’enfance)
2.      à signaler au procureur de la République (avec l'accord de victimes adultes) des sévices constatés dans son exercice et qui permettent de présumer de violences sexuelles.
3.      à communiquer, lorsqu'il exerce dans un établissement de santé public ou privé, au médecin responsable de l'information médicale, les données médicale
4.      à communiquer, lorsqu'il exerce dans un établissement de santé public ou privé, au médecin responsable de l'information médicale, les données médicales nominatives nécessaires à l'évaluation de l'activité.
5.      à transmettre les données nominatives qu'il détient dans le cadre d'un traitement automatisé de données autorisé.
6.     à informer les autorités administratives du caractère dangereux des patients connus pour détenir une arme ou qui ont manifesté l’intention d’en acquérir une.
NB : il existe aussi des autorisations en rapport avec la jurisprudence que je ne mentionnerai pas ici
Le premier point est celui traité par l’article 226-14 du Code pénal, qui restreint explicitement la portée de l’article 226-13 lorsque le médecin a connaissance de sévices sur des personnes vulnérables :
« L'article 226-13 n'est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret. En outre, il n'est pas applicable :
[…] 2° Au médecin qui, avec l'accord de la victime, porte à la connaissance du procureur de la République les sévices ou privations qu'il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l'exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n'est pas nécessaire ; »
Il faut noter que, dans le cas de mauvais traitements à personnes vulnérables, dont les mineurs de 15 ans, si le médecin est seulement autorisé à informer dans le cadre du Code pénal, le code de déontologie dans son article 44 lui en fait une obligation morale, car le médecin « doit, sauf circonstances particulières qu'il apprécie en conscience, alerter les autorités judiciaires, médicales ou administratives »
C’est un point important car dans un livre intitulé « Les oubliés , Enfants maltraités en France et par la France », Anne Tursz, qui est pédiatre et directeur de recherche à l’INSERM, établit à travers une étude de cas , que les statistiques d’infanticide sont notoirement sous estimées en France , d’un facteur 3 à 15. Elle montre aussi que les médecins sont très mal informés sur les facteurs de risque de maltraitance, que les médecins généralistes sont particulièrement frileux lorsqu’il s’agit de signaler des violences sur mineurs, que les médecins hospitaliers sous-investiguent certains cas en raison de leurs préjugés concernant l’origine sociale et ethnique des parents, que la coordination entre services est mauvaise, les expertises souvent de qualité médiocre et que, de manière générale, il y a une dégradation de la prise en considération de la maltraitance sur enfants ces dernières années en France, qui est donc de plus en plus occultée.
D’autre part, il faut savoir que si les médecins ne sont pas obligés de signaler dans ce cas, ils ne sont pas pour autant dispensés de toute responsabilité, puisqu’ils peuvent être condamnés au titre de l’article 223-6, sur la non assistance à personne en péril, comme cela est déjà arrivé http://www.nordeclair.fr/Actualite/2009/12/14/maltraitance-sur-enfant-deux-medecins-re.shtml

On pourra aussi remarquer que les notions sur l’autorisation de la télétransmission de données nominatives est particulièrement vague, car on ne précise pas quelles données peuvent être transmises, et à qui.
Vers une violation systématique du secret médical au nom du contrôle des dépenses
Si l’on prend cet aspect au pied de la lettre  et qu’on télétransmet toutes les informations autorisées sans discernement, cela vide totalement de son sens la notion même de secret médical et constitue une atteinte grave à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Il se crée ainsi, de par les contradictions de la loi, qui traduisent des intérêts contradictoires, ceux des patients d’une part, défendus pas la Convention européenne des droits de l’Homme, ceux de l’administration, d’autre part, qui veut contrôler, il se crée une asymétrie entre l’administration et les médecins, l’administration étant autorisée à réclamer ce que le médecin ne devrait pas révéler.
Il semble alors important de retenir que, hors obligation légale, le médecin n’est jamais tenu de livrer des informations à qui que ce soit au sujet de ses patients. Le secret constitue toujours, en dehors d’une telle obligation,  un motif légitime aux yeux de la loi de refus de transmission, y compris à l’égard des autorités judiciaires et à fortiori vis-à-vis des organismes de contrôle.
Dès lors, lorsqu’un médecin refuse de transmettre des informations, il ne pourra être poursuivi. Et seuls certains magistrats, tel le juge d’instruction, ont un pouvoir coercitif pour l’y contraindre, à condition de respecter une procédure rigoureuse, qui pourra être opposée devant un tribunal si elle n’est pas respectée. A savoir que pour accéder à des informations confidentielles il faut procéder à la saisie des dossiers. Celle-ci ne peut être effectué que dans le cadre d’une commission rogatoire, par un officier de police judicaire, ou alors par le magistrat instructeur lui-même et toujours en présence d’un membre du Conseil de l’ordre des médecins, qui vérifie la régularité de la procédure et trie éventuellement les pièces qui doivent être transmises c'est-à-dire uniquement les pièces pertientes.
Il existe un contraste saisissant entre ce formalisme et la facilité avec laquelle des informations à caractère secret sont transmises à l’administration, de manière systématique, dans le cadre de procédures de contrôle.
De fait, depuis que l’Etat cherche à rétablir l’équilibre des comptes de la Sécurité sociale, en axant son action essentiellement en aval sur le contrôle des dépenses, sans se préoccuper des origines du problème, les atteintes au secret médical ont pris un caractère de plus en plus systématique.
La convention collective entre syndicats médicaux et CPAM signée en juillet 2011 crée de nouveaux conflits d’intérêts
                  Dès 1999 les juristes et le Conseil de l’ordre des médecins se sont alarmés, de la contradiction entre la nécessité d’évaluation des pratiques médicales et l’impératif de la protection du secret professionnel.
                  Un rapport du Conseil national de l’ordre remarquait : » L’évaluation en médecine libérale pose le vrai problème de gestion du secret médical.
Dans ce cadre d’évaluation, le danger vient du risque de circulation à grande échelle de données dont il faudra vérifier la protection continue tout au long de la chaîne d’exploitation, et de l’intervention de non-médecins »

C’est la codification des actes à des fins d’évaluation économique qui posait notamment problème. D’autant que la loi a imposé, dans les années 1990 et 2000, une codification de plus en plus précise des actes, destinée à des personnels administratifs des Caisses d’assurance maladie, sous peine de non remboursement.
 Un patient qui voudrait conserver le secret vis-à-vis de l’administration sur les actes effectués, ce qui est en principe un droit, doit ainsi accepter, pour accéder à ce droit, de ne pas être remboursé.  http://www.conseil-national.medecin.fr/system/files/secretevaluation.pdf?download=1

Le recul du droit au secret s’est poursuivi avec l’introduction de la Classification Commune des Actes Médicaux (CCAM) en 2005, qui,  toujours à des fins de contrôle et d’évaluation, introduisait une codification plus précise, permettant, dans un grand nombre de cas, de connaître la raison exacte de la consultation, cette information étant directement transmise aux Caisses d’assurance maladie, c'est-à-dire à du personnel administratif, sous peine de non remboursement .
Les juristes ont commencé alors à penser que le secret médical avait vécu http://droit-medical.com/perspectives/9-variations/35-secret-medical-n-est-plus

La convention médicale collective signée le 26 juillet 2011 entre les syndicats et l’Union Nationale des Caisses d’Assurance Maladie (UNCAM) porte un coup supplémentaire au secret médical autant qu’à l’indépendance des médecins, ces deux aspects étant liés.

Les médecins libéraux, réputés indépendants, sont par ce fait même, peu protégés par le code de déontologie. Les articles 95 et 97 du Code de déontologie, qui traitent de l’exercice salarié de la médecine établissent clairement que la loyauté du médecin salarié doit aller au patient, et que son indépendance professionnelle doit rester intacte.
L’article 95 dispose que : » Le fait pour un médecin d'être lié dans son exercice professionnel par un contrat ou un statut à une administration, une collectivité ou tout autre organisme public ou privé n'enlève rien à ses devoirs professionnels et en particulier à ses obligations concernant le secret professionnel et l'indépendance de ses décisions.
En aucune circonstance, le médecin ne peut accepter de limitation à son indépendance dans son exercice médical de la part de l'entreprise ou de l'organisme qui l'emploie. Il doit toujours agir, en priorité, dans l'intérêt de la santé publique et dans l'intérêt des personnes et de leur sécurité au sein des entreprises ou des collectivités où il exerce. »


L’ article 97 ,dispose que : » Un médecin salarié ne peut, en aucun cas, accepter une rémunération fondée sur des normes de productivité, de rendement horaire ou toute autre disposition qui auraient pour conséquence une limitation ou un abandon de son indépendance ou une atteinte à la qualité des soins. »

C’est précisément ce que les médecins libéraux, moins protégés par le code de déontologie, ont accepté, puisqu’une partie de leurs gains sont liés au respect de normes de prescription.

D’autre part, il n’existe aucune limite « à priori » aux informations que les médecins conseil peuvent demander aux médecins libéraux à des fins de contrôle et d’évaluation. L’article R 315-1-1 du CSP énonce : « Lorsque le service du contrôle médical procède à l'analyse de l'activité d'un professionnel de santé en application du IV de l'article L. 315-1, il peut se faire communiquer, dans le cadre de cette mission, l'ensemble des documents, actes, prescriptions et éléments relatifs à cette activité. « 
Le problème c’est qu’il n’y a pas non plus de limite claire au contrôle ni entre le contrôle et l’évaluation et que l’informatisation, la télétransmission et les DMP (Dossier Médical Personnel, informatisé), introduisent la possibilité d’une évaluation et donc d’un contrôle permanent et total de l’activité du médecin, effectué par les mêmes personnes, qui sont les médecins conseils.
Ceux-ci ne sont pas des soignants et leurs intérêts professionnels sont étrangers à l’intérêt du patient. Ils peuvent de plus être des agents de droit privé http://droit-finances.commentcamarche.net/legifrance/66-code-de-la-securite-sociale/222640/article-l226-1 et donc peuvent présenter des conflits d’intérêts, car, à la différence des fonctionnaires, ils peuvent travailler aussi pour d’autres employeurs dont les intérêts entreraient en contradiction avec ceux du patient, tels des assureurs privés.
Or la nouvelle convention collective laisse la porte ouverte à la transmission de données nominatives outrepassant largement les besoins d’évaluation statistique, puisqu’il est question, parmi les indicateurs qui conditionnent la prime du médecin, d’instaurer la mise à disposition d’une fiche de synthèse individuelle contenant toutes les informations importantes concernant le suivi du patient (Convention médicale collective tableau p22 http://www.fmfpro.com/IMG/pdf/joe_20110925_0223_0016.pdf )
Il n’est pas explicitement indiqué à qui cette fiche de synthèse est destinée, mais le contexte permet de penser qu’elle pourrait aussi bien être destinée au médecin conseil à des fins d’évaluation, puisque cette fiche est mentionnée dans un tableau d’indicateurs, qui ne concerne pas le patient.
Le conseil national de l’ordre des médecins, lors de sa réunion plénière du 14 septembre  2011, s’émouvait de cette possibilité en ces termes : » Le médecin doit-il réaliser une synthèse médicale pour tous les patients qui l'ont choisi comme médecin traitant pour percevoir la rémunération conventionnelle ou seulement pour ceux pour qui cette synthèse présente un intérêt ?
Par ailleurs, quel justificatif en sera demandé ? L’Assurance maladie aurait-elle accès à ces documents. Ce n’est pas concevable.
A l’heure de la simplification administrative, il conviendrait que cet indicateur ne suscite pas d’obligations inutiles et déraisonnables
Quoi qu’il en soit ces nouvelles dispositions introduisent des conflits d’intérêts supplémentaires, puisque le médecin est rémunéré dans le but d’influencer ses prescriptions.
Le droit au secret a déjà été restreint pour le patient à travers la codification des actes, assortie d’une sanction de non remboursement en cas de refus.
Désormais, le droit au secret médical est menacé au niveau du médecin. Il ne s’agit pas de sanctions pour l’instant, mais d’incitations financières.
En pratique
Dès lors, lorsque, dans la grande majorité des cas, la liberté est laissée au médecin de décider s’ il doit transmettre des information il doit,  se poser des questions pertinentes :
-       Qui demande l’information ?
-       Dans quel but ?
-       Est-ce que cela entre dans le cadre d’une obligation légale ?
-       Quelle information est pertinente ?
-       Quelle information est nécessaire au but recherché ?
-       A qui sera transmise (pourra être transmise ) l’information ?
-       Et surtout : est-ce que la transmission de cette information est faite dans l’intérêt du patient ?
  .
Et si le médecin décide de transmettre l’information demandée, toujours avec l’’accord du patient hors cas particulier des enfants mineurs dans le cadre de la protection de l’enfance et des personnes vulnérable, il doit se limiter aux informations strictement nécessaires au but recherché en prenant en considération le bénéfice du patient.


Pour le médecin : quelles que soient les protestations de confidentialité des médecins conseils des services de contrôle, les médecins libéraux doivent se rappeler que ce sont eux qui sont les dépositaires du secret médical, et qu’il leur incombe de le protéger. A minima, en demandant l’avis du patient avant de transmettre toute information le concernant. Au maximum en refusant de transmettre des données nominatives à chaque fois que la loi ne les y oblige pas.
Pour le patient :  La Commission nationale informatique et liberté (CNIL) précise que : » Le titulaire d’un DMP (Dossier Médical Personnel, informatisé) se voit reconnaître le droit de « masquer » les informations qui y sont portées, c’est à dire de les rendre inaccessibles à tous les professionnels, hormis le praticien auteur du document. »
Le mieux est donc pour le patient de discuter en amont avec le médecin traitant des informations  que le patient ne souhaite pas voir figurer sur le DMP. Le patient doit profiter au maximum de cette liberté qui lui est encore laissée de protéger le secret auquel la Convention européenne des droits de l’Homme lui donne droit.
Il est possible aussi au patient de demander au médecin de ne consigner certaines informations que sur un dossier papier personnel au médecin et non transmissible. C’est la pratique des « notes personnelles ». Celles-ci, placées à part dans un dossier dûment identifié ne peuvent pas faire l’objet d’une saisie judiciaire.

En conclusion,
Pour beaucoup de juristes le secret médical et le secret  professionnel sont des garants de la démocratie que nous devons protéger http://laure.dourgnon.free.fr/articles/tsa26_2011.pdf
La nouvelle convention médicale, qui occupe une place subordonnée dans la hiérarchie des normes et n’entraîne pas d’obligation légale, agit par des mesures incitatives. Appliquée sans discernement, elle peut éventuellement empêcher le médecin de délivrer les meilleurs soins au patient (normativité des prescriptions) et met potentiellement en danger le secret médical, dont le médecin est dépositaire et reste garant vis-à-vis de son patient.
Le consentement du patient et du médecin à la divulgation d’informations à caractère secret a été obtenue à plusieurs reprises sous la pression (non remboursement pour le patient et incitations financières pour le médecin).
Cette entrave de fait à l’application du droit à la vie privée reconnu par la Convention européenne des droits de l’Homme, pourrait faire un jour l’objet d’un recours, soit individuel, soit de la part d’une ONG en tant que personne morale, devant la Cour européenne des Droits de l’Homme pour mettre fin à ces dérives.
Sources :
-       Conseil Nationale de l’Ordre , article 4 : http://www.conseil-national.medecin.fr/article/article-4-secret-professionnel-913
-       Convention médicale collective : http://www.fmfpro.com/IMG/pdf/joe_20110925_0223_0016.pdf
-       Légifrance
-       Chiché P, docteur d’Etat en droit, « Le secret médical face à la justice », Bulletin juridique de la Santé publique, février 2005.
-       Site du CNIL, http://www.cnil.fr/
-       Verdier P, « Secret porfessionnel et partage des informations « , revue d’action juridique et sociale novembre 2005

lundi 20 juin 2011

Actos : le rapport de la CNAMTS à l'origine de la suspension est d'une douteuse qualité !


J'avais prévu, à la suite de la suspension de commercialisation de la pioglitazone (Actos et Competact) par l'AFSSAPS - ICI- (que j'avais trouvée justifiée a priori), de me moquer de la FDA (que j'avais beaucoup louée sur ce blog pour ses alertes ICI pour la simvastatine / ZOCCOR et LA pour la finasteride / PROSCAR) qui avertissait à propos de la pioglitazone mais qui ne suspendait pas : voir le communiqué de la FDA ICI.
J'ai eu raison de ne pas me moquer.
Car voilà qu'un collègue me transmet le fameux rapport de la CNAMTS sur la pioglitazone, rapport que tout le monde a vanté comme exemplaire (et le collègue me l'a transmis pour implicitement en louer les mérites).
Je vous invite à le lire ICI et à revenir sur le blog pour lire mes commentaires. A moins que vous ne vouliez me faire confiance (ce qui est pour le moins aventureux).
Je veux préciser également, mais il semble qu'il s'agit d'une précaution superfétatoire, que je n'ai aucun lien et encore moins de conflit d'intérêt avec la maison Takeda. Mon penchant pour Tanizaki, auteur japonais parfois génial, ne pouvant, à mon avis, être l'esquisse de l'esquisse d'une preuve que j'ai des liens avec l'Empire du Soleil Levant qui ne soient autres que littéraires.
J'imagine maintenant que vous avez lu le rapport de 41 pages (et je suis désolé, il n'est pas signé).

Préliminaires : les essais antérieurs et notamment les essais développés aux US indiquent qu'il est probable que les cancers de vessie induits par la pioglitazone le sont après environ deux ans d'exposition. Par ailleurs, il est admis que la pioglitazone est un promoteur du cancer dont les premières cellules cancéreuses apparues sont liées essentiellement au tabac et à des substances cancérigènes contenus dans certaines peintures (dont on me dit qu'elles sont retirées du marché).

Le rapport. Je vais prendre 4 exemples montrant la qualité du rapport de la CNAM, son sérieux et sa véracité scientifique.
  1. Comment sont attestés les cancers de vessie incidents (page 11 du rapport) : Les cas incidents de cancer de la vessie ont été identifiés par les hospitalisations rapportées dans le PMSI avec un diagnostic principal ou relié de cancer de la vessie et dans le même séjour un acte chirurgical traceur lourd et/ou une instillation vésicale d'agent pharmacologique par cathétérisme urétral et/ou une chimiothérapie et/ou une radiothérapie (tableau I)
  2. Comment sont attestés les patients ayant reçu de la pioglitazone (page 18 du rapport) : L’exposition à la pioglitazone est décrite comme suit : au moins deux délivrances au cours d’une période de 6 mois entre 2006 et 2009. L’exposition a été codée comme une variable unidirectionnelle dépendante du temps : un patient est considéré comme exposé à partir du 4ème mois calendaire après la première délivrance et jusqu’à la fin du suivi.
  3. Comment sont attestés les patients fumeurs (page 19 du rapport) et là, on touche au sublime : Par ailleurs, l’exposition au tabac n’étant pas directement mesurable dans les bases de données, la comparabilité des groupes pour ce facteur a été mesurée : 1. par la comparaison des taux d’incidence dans les deux groupes exposés et non- exposés de l’incidence du cancer du poumon et des cancers ORL qui constituent des marqueurs de l’imprégnation tabagique de chaque groupe
    2. par un indicateur prenant en compte la consommation de médicaments de la bronchopathie chronique obstructive en 2006 et/ou une hospitalisation avec un codage de tabagisme. Pour la consommation médicamenteuse on retenait au moins trois dates de délivrance différentes en 2006 de Combivent® ou de Spiriva® dont les indications sont traitement bronchodilatateur continu destiné à soulager les symptômes des patients présentant une bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO). Pour les hospitalisations les codes CIM10 spécifiques enregistrés dans le PMSI entre 2006 étaient pris en compte (tableau IV).
  4. Sans oublier le facteur confondant suivant, la situation sociale (sic) (page 19 du rapport) : De plus la situation sociale est un déterminant de cancer, le taux de couverture à la couverture malade universelle complémentaire (CMUc) chez les personnes de moins de 60 ans a été comparé entre les groupes. D’ailleurs les ALD liées à la consommation tabagique sont plus fréquences chez les personnes titulaire de la CMUc [21].
Ainsi, selon le bon vieux principe que la multiplication des à peu près corrige l'erreur globale, le rapport conclut avec force (mais peut-être pas avec la robustesse souhaitée) : L’analyse de cette cohorte de 1,5 million de patients diabétiques suivis en France entre 2006 et 2009 conforte l’hypothèse de l’existence d’une association statistiquement significative entre l’exposition à la pioglitazone et l’incidence du cancer de la vessie. et passez muscade. Grâce à cet attrape nigaud rigolo, l'AFSSAPS est la première agence qui suspend la pioglitazone (bientôt suivie par l'agence allemande) et la base de données de la CNAM devient une référence universelle.

On l'aura compris, cette étude souffre de défauts majeurs : pas d'anatomopathologie pour les cancers de vessie ; peu d'éléments concernant l'exposition véritable des patients à 24 mois de pioglitazone (aucun élément sur l'observance et a fortiori sur les dosages sanguins) ; l'exposition au tabagisme est "mesuré" de la façon la plus farfelue qui soit sans éléments rétrospectifs (nombre de paquets/ années), utilisation de critères de gravité sans commune mesure avec la banalité du tabagisme (nombre de cancers du poumon et ORL), corrélation avec la prise de médicaments utilisés dans la BPCO (Combivent et Spiriva) dont on connaît la surutilisation en dehors de l'AMM et des pathologies liées possiblement au tabac.

Mais le rapport a réponse à tout (il faut lire la discussion pour s'en convaincre).

Je comprends un peu mieux que la FDA ait été plus prudente.

Je voudrais terminer en disant ceci : je n'ai jamais initié de traitement par actos ou competact.

Je me moque comme d'une guigne de la suspension de la pioglitazone par l'AFSSAPS.

Je suis atterré par le niveau scientifique de l'Agence qui ne pourrait pas faire de publication dans une revue ayant un Comité de Lecture indépendant.

(Photographie : la CNAMTS a tordu les cuillers de pioglitazone grâce à la technique d'Uri Geller)

Addendum du 31 mars 2016 : Une étude canadienne de cohorte confirme que la pioglitazone entraîne un sur risque de cancer de vessie (et non avec la rosiglitazone). ICI L'étude CPAM n'est pas citée mais ils avaient raison avant tout le monde.... Hum...

Erratum du 13 mai 2016 : L'étude canadienne cite l'étude de la CPAM comme le dit un commentateur de ce jour : "En réponse à l'addendum du 31 mars 2016: ben si l'étude CNAM est citée, référence 5


Neumann A, Weill A, Ricordeau P, Fagot JP, Alla F, Allemand H. Pioglitazone and risk of bladder cancer among diabetic patients in France: a population-based cohort study. Diabetologia2012;55:1953-62. doi:10.1007/s00125-012-2538-9 pmid:22460763.

Elle a d'ailleurs été publiée dans un journal avec IP correct, Diabetologia, la deuxième revue avec le plus fort IP en diabétologie.

A bon entendeur.
" Petit commentaire associé : l'IP "correct" de Diabetologia est un avis d'expert.

PS du 26 décembre 2016 : un essai rétrospectif infirme l'essai de la CNAMTS : ICI
Mais c'est un essai labo !