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jeudi 7 juin 2012

Contraception masculine réversible : une bonne idée ou une connerie ? Histoire de consultation 121


Madame A, 38 ans, est venue pour "renouveler" "sa" pilule.
Selon moi, chez une femme de trente huit ans sans facteurs de risque particuliers, non fumeuse, il n'y a pas grand chose à faire. Parler de la pluie et du beau temps, s'assurer que les frottis ont été faits en temps et en heure, éventuellement que la pression artérielle est au beau fixe, que le cholestérol est aux taquets...
Nous parlons donc du temps qu'il fait, de la famille (cela fait trente ans que je connais la patiente et un peu plus que je reçois son père et sa mère et un peu moins ses frères et ses soeurs), de ses enfants (je les vaccine et "soigne" leurs rhino-pharyngites), de son mari (cela fait dix ans que je le connais et que je le trouve sympathique).
Incidemment, elle me dit ceci : "Vous avez vu, docteur, ils ont trouvé une pilule pour homme, c'est génial ! Qu'est-ce que vous en pensez ?" Je souris : il y a dû y avoir une brève à la télvision. "Je pense que c'est une grosse connerie. - Oh, docteur, vous n'êtes quand même pas comme ça !"
Il est des moments où il faut surveiller ses propos dans son cabinet, et notamment les gros mots. Et pas seulement quand il s'agit de secret médical. La contraception masculine réversible est une affaire sérieuse. J'ai toujours pensé que c'était une connerie. Mais j'ai souvent eu affaire à des femmes qui ne comprenaient pas que je pouvais dire cela. Le plus souvent, elles trouvaient que c'était plutôt pas mal que les hommes prennent la pilule. Voici leurs raisons telle que je les ai entendues : y en a marre de la contraception asymétrique, il faut que les hommes s'y mettent, on ne parle pas assez des contraintes physiologiques sur le corps des femmes, ça va responsabiliser les bonshommes, ras le bol des effets indésirables, de la prise de poids, des migraines, qu'ils s'y mettent...
Mais il faut être prudent. Dans son cabinet médical lors du fameux colloque singulier et , encore plus en écrivant dans un blog. Si je mets brutalement les pied dans le plat, je vais passer pour un fieffé réactionnaire et / ou un ennemi du progrès, mais, surtout, les féministes vont me tomber sur le dos et se mettre à dos les féministes (sans entrer dans les détails des différentes chapelles, universalistes versus différentialistes, genristes absolues versus genristes relatives, marxistes versus non marxistes, et cetera...) est extrêmement dangereux. C'est dire si mon Tribunal Intérieur n'a pas mis longtemps à se réunir pour savoir si ce propos n'allait pas définitivement me faire basculer dans la cohorte honnie des machistes tombés de l'arbre et déconsidérer tous mes propos, même ceux concernant la hausse des prix ou le changement climatique. Ma dernière heure idéologique n'allait-elle pas sonner ? 
"Vous ne pensez quand même pas qu'il n'y a que les femmes qui doivent être contraintes et que, vous, les hommes, vous puissiez rester à l'écart ? Vous n'êtes pas comme ça, docteur ?" 
Je dois donc m'en sortir pour ne pas passer pour un machiste, cela n'est bien vu ni par la morale commune ni par mon Tribunal Intérieur (celui de Freud).
Dans le cadre de ce colloque singulier je ne peux reprendre tous les arguments que j'ai développés dans ma tête depuis des années et notamment en mode discussion café du commerce contre la contraception masculine hormonale ou non hormonale réversible et qui mériteraient d'énormes développements écrits qui me semblent nécessiter des efforts démesurés.
Voici ce que je dis à cette jeune femme qui est sur le point d'être déçu par son médecin traitant : "Je comprends ton point de vue. Mais, si je peux me permettre, ce qu'il y a de bien avec la pilule prise par la femme, c'est que c'est elle qui mène le jeu, elle n'a pas besoin de savoir ce qu'en pense son mari ou son compagnon... - Mais... avoir des enfants, c'est un projet de couple... - Oui, oui, oui, mais toi, quand tu prends ta pilule, c'est ce que je veux dire, tu es certaine que tu l'as prise, t'as pas besoin de demander à ton mari s'il l'a prise..." Elle fait oui de la tête mais elle ne semble pas convaincue. Il y a quelque chose qui la gêne. J'attends qu'elle se remette à parler, je la regarde et je pense en moi-même : "Je ne peux pas te dire, ma chère A, ce que je pense vraiment, à savoir que la contraception féminine, c'est la meilleure chose qui soit arrivée à la femme depuis les hommes des cavernes, car elle peut désormais décider du moment où elle n'aura pas d'enfant, avec son compagnon ou avec quelqu'un d'autre, du moment où elle pourra en avoir un, et avec qui ou sans qui, et elle pourra même dire l'avoir prise et être enceinte après avoir menti à son compagnon ou à quelqu'un d'autre, et même, ma chère A, je ne peux pas te dire qu'en prenant la pilule tu pourras même tromper ton compagnon en étant certaine de ne pas avoir d'enfant, et cetera... " Je ne lui dis rien car c'est à elle de parler. 
"Mais je fais confiance à mon mari. - Je n'en doute pas. - S'il me dit qu'il prend la pilule je le croirais. - Oui, mais s'il l'oublie, ce sera toi qui porteras l'enfant. - Je pourrais toujours avorter..."
Réponse imparable. "Et puis" continue-t-elle "c'est quand même normal que les hommes prennent du poids, prennent des risques et soient stressés par le fait de ne pas oublier."
Je rédige une ordonnance de pilule contraceptive hormonale réversible pour femme.

(Voilà ce que je n'ai pas dit parce que je n'avais pas le temps : la pilule contraceptive et le stérilet ont modifié profondément l'anthropologie, la sociologie, les moeurs et l'idéologie concernant les rapports hommes / femmes  par le seul fait de rendre les femmes responsables de leur refus d'être enceinte ; on objectera que les préservatifs, et depuis la nuit des temps, ont joué un rôle non négligeable et que, désormais, en raison des risques de sida, ce rôle est redevenu prééminent ; je n'ai pas dit non plus qu'un certain nombre de faits historiques, comme la diminution de la mortalité maternelle par 131 ou de la mortalité infantile par 69 depuis le milieu du dix-huitième siècle jusqu'à nos jours, de faits démographiques comme la transition démographique, ou de faits psychologiques comme la logique de l'enfant désiré, ou moraux comme la dissociation de la conscience, se sont mélangés pour aboutir à une prise du pouvoir de la femme sur sa fécondité. L'arrivée de la contraception masculine hormonale ou non hormonale réversible (ICI) n'est pas à mon avis une bonne nouvelle en général même si elle peut rendre service en particulier, car elle risque de nous faire rebasculer dans un paradigme où l'homme reprendrait la situation en main ; en conclusion : il me semble que cette "pilule" serait une formidable régression pour la condition féminine ; il faudrait, bien entendu parler de la vasectomie mais, d'une part c'est un sujet différent, et, d'autre part, il y a aussi un déplacement de la femme vers l'homme en termes de responsabilité)
(Je n'ai pas parlé non plus, il ne faut pas désespérer Billancourt, des effets indésirables de la pilule contraceptive féminine qui sont tus car, il ne faut pas l'oublier non plus, ce type de contraception arrange effectivement les hommes qui peuvent faire porter la responsabilité d'un "accident" sur la femme elle-même, qui sont tus depuis toujours mais dont il faudra bien parler un jour : modification du tissu mammaire, modification de la libido, sécheresse vaginale, et cetera)

PS - J'espère que j'aurai le courage de m'attaquer à des notions que j'ai évoquées ici comme la transition démographique, la logique de l'enfant désiré ou la dissociation de la conscience qui sont des outils majeurs dans le décryptage de la médecine générale en certains de ses aspects. Sans compter d'autres notions comme les pratiques contraceptives dans la basse vallée de la Seine à partir de 1750 et en France exclusivement, comme le nombre d'enfants par femmes non pas lié au niveau d'instruction de la femme mais du mari... Je remercie les lectures que j'ai faites sur ses sujets avec, en vrac, Hervé Le Bras, Paul Yonnet, Emmanuel Todd et Youssef Courbage et quelques autres qui m'ont aussi ouvert les yeux.

PS (rajouté le 11 septembre 2012) : Curieux propos de Winckler dans une revue grand public : ICI