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vendredi 14 juin 2019

Répondre à Luc Perino.

PLACEBO 1966


La tribune qu'a publiée Luc Perino dans le journal Le Monde, Déremboursons plus que l'homéopathie, pose d'énormes questions et les réponses de l'auteur paraissent pour le moins curieuses et problématiques. Voici La Tribune : LA.

Luc Perino prend prétexte de la tribune des 124 (ICI) demandant le déremboursement de l'homéopathie et d'autres babioles (vous verrez ce que j'en ai pensé LA) pour développer ses idées.

Il tire trois conclusions de la tribune des 124, je cite (en italique) : 
  1. Le remboursement doit être basé sur des preuves rigoureuses d'efficacité
  2. La comparaison à un placebo suffit à l'élaboration de ces preuves
  3. L'effet placebo ne relève pas de la solidarité nationale
Il est possible que les signataires de la tribune soient d'accord avec ces pré-requis...

Luc Perino décline ensuite de façon jusqu'au-boutiste cette argumentation et en tire des conclusions qui ne laissent pas de me surprendre.


La proposition 1. semble faire l'unanimité.
Qui pourrait penser que l'on puisse rembourser des pratiques médicales et non médicales, des pratiques de soins pour simplifier, qui ne soient pas efficaces ? 

Pourtant, ce n'est pas aussi simple que cela.

Considérons qu'à partir d'aujourd'hui ne soient remboursées que les pratiques de soins qui sont efficaces, que fait-on de celles qui sont déjà remboursées et qui n'ont pas encore prouvé leur efficacité  ? On les dérembourse en bloc ? C'est, me direz-vous, ce qui passe avec l'homéopathie. Mais que de difficultés pour cette pratique particulière qui n'entre pas dans le cadre de la science ! Quand on va s'attaquer à des molécules d'usage commercialisées par de grands groupes ce ne sont pas les experts Boiron qui vont monter au créneau. Et nul doute que les patients vont hurler au scandale  en disant : " La sécu ne rembourse plus rien !"

Par ailleurs, au delà des preuves d'efficacité à obtenir, il s'agit de définir a priori les preuves d'efficacité sur lesquelles se fonder pour décider de l'efficacité.

Prenons un simple exemple dans le domaine cardiovasculaire : les molécules qui obtiennent  (ou qui ont obtenu) l'Autorisation de Mise sur le Marché dans l'indication "Traitement de l'hypertension artérielle essentielle", sic, comme si l'hypertension artérielle était une maladie, ont fait la preuve, sans doute versus placebo, qu'elles faisaient baisser significativement la pression artérielle par rapport à un placebo. Mais combien d'entre elles, individuellement, et pas par effet de classe thérapeutique ou par effet de classe pharmacologique, sont capables de produire des essais montrant une baisse significative de la morbi-mortalité ? On peut en effet légitimement considérer que la pression artérielle est un critère de substitution.
Nous savons depuis un certain temps (2003) que l'utilisation des beta-bloquants en première ligne dans le traitement de l'HTA n'était pas fondée en termes de morbi-mortalité (étude LIFE) mais qu'ils faisaient baisser la pression artérielle autant que les sartzas, par exemple. Rappelons-nous également l'étude ALLHAT (en 2002) qui a détruit définitivement les alpha-bloquants dans le traitement de l'hypertension (voir LA).

Faut-il dérembourser toutes les molécules qui n'ont pas satisfait aux critères énoncés ?

Cela ferait du bruit.

Il existe des centaines de domaines, hors HTA, où l'on pourrait s'engager.

La proposition 2. est plus problématique.
La comparaison à un placebo suffit pour renseigner le point 1. Comme le souligne Luc Perino 90 % des molécules du Vidal n'ont pas satisfait à ce critère (il exagère sans doute), il faudrait donc, pour qu'elles ne soient pas considérées comme des placebos, et donc déremboursées, qu'elles soient soumises à des essais cliniques contrôlés. 

Qui va se lancer dans un truc pareil avec le prix de vente dérisoire  de certaines gouttes nasales et le coût pharamineux des essais cliniques ?

On a vu que la pénurie en France de prednisone, de prednisolone et/ou de betamethasone est probablement liée à leur prix de vente ridiculement bas.

Dans certains cas, quand il existe une ou des molécules qui ont fait la preuve de leur efficacité un essai contre placebo ne se justifie pas : il faut comparer la molécule entrante au produit de référence avec des critères méthodologiques validés. Je n'entrerai pas dans le détail des essais de non infériorité (qui ne sont pas tous critiquables), des essais où les critères d'efficacité sont biaisés dès la conception du protocole, des essais statistiquement significatifs mais cliniquement aberrants, des essais menés sur des critères de substitution, notamment en oncologie où les deux critères majeurs, sauf exceptions, il y en a toujours, devraient être la survie globale et la qualité de vie...

Mais surtout (et Luc Perino en parle) : quid des procédures ou des soins ou des matériels pour lesquels il n'est pas possible de mener un essai contrôlé en utilisant un placebo ? 

Prenons l'exemple de la psychothérapie. Est-il possible de mener un essai versus placebo en double-aveugle (avec un faux psychologue, de faux concepts ?). Les spécialistes vont nous dire qu'en psychologie clinique des essais ont été menés et sont significatifs. Mais pas des essais versus placebo.
Prenons l'exemple de la kinésithérapie. Existe-t-il des essais électrodes actives versus électrodes inactives ? Existe-t-il des essais massages transverses profonds versus faux massages transverses profonds ?

Prenons l'exemple des cures thermales. J'ai lu ici et là des essais qui montrent bla bla bla, mais ce ne sont pas des essais contrôlés en double-aveugle versus placebo.

Prenons l'exemple des prothèses de hanche, des pace-makers : vous voyez l'affaire...

(Je n'ai pas bien compris pourquoi, au bout du compte, Luc Perino finissait pas dire que les seuls essais interprétables devraient se faire placebo versus placebo... Ainsi les homéopathes pourraient-ils mener des essais de non infériorité granules homéopathiques versus placebo "neutre")

La proposition 3. est sans doute originale mais pose des problèmes compliqués.
On comprend que les placebos ne devraient plus être remboursés par l'assurance maladie. Les placebos ou les procédures placebos.

Prenons la proposition au pied de la lettre en poussant le raisonnement jusqu'au bout. Un essai molécule active contre placebo permet de vérifier le supplément d'âme du médicament par rapport à l'effet placebo.

Ainsi, pour pousser le paradoxe jusqu'au bout, si l'on considère que l'effet placebo constaté des molécules actives à visée anti dépressive varie entre 50 à 70 %, la solidarité nationale ne devrait rembourser que 50 à 30 % du prix demandé par le fabricant. C'est à dire la véritable activité de ces molécules.

A contrario il n'est pas besoin de faire un essai versus placebo pour savoir si des verres correcteurs permettent de mieux voir : les verres correcteurs devraient donc être remboursés à 100 %

Mais là où Luc Perino fait l'âne pour avoir du son, c'est quand il dit que les placebos ne devraient être remboursés que par les mutuelles... Oublie-t-il que les mutuelles a) sont devenues obligatoires, b) qu'elles sont des sociétés à but lucratif, c) et que leur tarif dépend de ce qu'elles remboursent ?

Donc : l'assurance maladie ne rembourse que les soins qui ont fait l'objet d'essais contrôlés versus placebo significatifs et les mutuelles le reste (en cessant d'être obligatoires).

Mais Luc Perino ne dit pas cela : "Osons séparer franchement le financement des soins entre le domaine régalien et le domaine marchand. Réservons au financement public les soins de proximité, la traumatologie, les urgences médicales et chirurgicales, la protection maternelle et infantile, l’obstétrique, la périnatalité et les agonies terminales. Et laissons au domaine privé toute la pharmacologie, placebo ou non, d’exception ou de routine, de pointe ou non."

Et là il dit n'importe quoi.

Quand il affirme que "Les autorités sanitaires n'ont plus les moyens de s'opposer aux lobbys", c'est terrible. Quand il écrit que "Les patients sont devenus les marionnettes de l'industrie et leurs associations sont les suppôts naïfs de l'industrie" il y va fort.

Tout au plus pourrait-on insinuer que la médecine à deux vitesses serait vraiment instituée : les procédures validées pour tout, le charlatanisme pour les riches.

La publication récente d'un article remettant en cause 396 traitements à partir de 3000 publications d'essais randomisés dans les Big 3 de l'édition mondiale à savoir JAMA, NEJM et Lancet arrive à point nommé : ICI.

En réalité si on voulait tirer des conclusions en mixant la tribune de Luc Perino à celle des 124, cela pourrait conduire à ceci :

  1. On remet en question le remboursement par la branche maladie de toutes les molécules, de toutes les procédures (de chirurgie, de psychothérapie non médicamenteuse, de kinésithérapie, de soins), de tous les matériels, de tous les programmes de prévention, de dépistage et autres qui n'ont pas fait la preuve de leur efficacité versus placebo
  2. On refuse toute nouvelle procédure qui n'a pas fait la preuve de son efficacité sur des critères pré-établis reposant sur le principe général des essais contrôlés.
  3. On supprime le ticket modérateur pour toutes les procédures validées dans un système où l'assurance maladie est le payeur unique.
  4. On renvoie aux assureurs le remboursement des soins non encore validés selon les critères préalablement établis et on supprime les mutuelles obligatoires.

Chiche ?

PS. Article paru le 21 juin 2019 dans le JIM : ICI.