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lundi 10 décembre 2012

Des enfants du hasard. Histoires de consultation 137, 138 et 139.


Durant la même journée.

137
L'enfant S, quatre ans et huit mois, fait partie d'une famille "cas social". La fille aînée est placée pour des raisons que j'ignore (cela s'est fait avant que je ne sois le médecin traitant du père, la mère est suivie par mon associée), le deuxième enfant A, 11 ans, est en CM2 et peine à suivre le rythme, la mère, 29 ans, est sur le point d'accoucher, le père 32 ans est en invalidité... La famille se lave peu et préserve ses pores de l'inondation avec beaucoup de persévérance.
S est allé dans le coin jeu de la salle d'examen pendant que j'examine A, intenable, pour une otite moyenne aiguë que je n'étiquette pas otite pour ne pas avoir à passer trois heures à expliquer pourquoi je ne prescris pas d'antibiotiques en première intention...
Je m'installe derrière mon bureau et je tapote la consultation puis l'ordonnance tout en remplissant le carnet de santé qui m'est toujours apporté, comme ça le docteur ne nous casse pas les pieds avec des pourquoi et pour qui...
Au moment de partir, on récupère S qui est assis sur un pouf en train de regarder un livre pour enfants avec texte et images. Je viens le chercher parce qu'il ne veut pas bouger et que je préfère que ce soit moi qui m'en charge plutôt que d'entendre les parents pousser des cris pour pousser le gamin vers la sortie... "Cela t'intéresse ? - Oui, c'est bien. - Tu sais de quoi ça parle ?" Et le voilà qui me lit le titre du livre. "Tu sais lire ? - Un peu." Je me tourne vers les parents qui sourient. "Vous lui avez appris ? - Non, on a remarqué. - Vous voulez dire qu'il a appris tout seul ? - Sûrement, j'en sais rien." Je m'accroupis près du pouf et lui demande de lire le début. Il n'ânonne même pas.
Je suis aussi déconfit que si je venais de me rendre compte qu'il avait un retard mental irrattrapable  parce que je ne sais pas quoi faire... A qui parler d'un truc pareil ? A l'école ? A un psy ? A une assistante sociale ? Je demande aux parents si l'institutrice s'en était rendu compte. Non. Et ils n'ont pas l'air de s'en préoccuper.
Je vais réfléchir.

138
M, trente mois, est assise sur la table d'examen et j'ausculte ses poumons. Mon stéthoscope est rouge et, en passant, je lui demande quelle est la couleur. Elle ne sait pas et sa mère n'est pas étonnée. En fouillant un peu elle reconnaît le bleu à la grande surprise de la maman qui n'a pas l'air plus sotte qu'une autre. Je fais mon petit discours gentillet et un peu accrocheur (celui que je ne supporte pas chez les autres) sur ce que l'on peut faire découvrir à un enfant, et cetera, les trucs que tout bobo lisant le Nouvel Obs ou Libé ou tout réac lisant Le Figaro ou Valeurs Actuelles sait depuis que le bébé est au stade de blastomères...  Je dis à la maman qu'il est possible de stimuler les enfants et elle me regarde, ahurie, "Cela veut dire quoi ? Stimuler..." Et la maman, un peu plus tard, ajoute en me remerciant peut-être mais avec une pointe de culpabilité qui me fait mal au coeur pour tous, l'enfant et... la mère : "Je ne savais pas que l'on pouvait apprendre les couleurs aux enfants, je croyais que cela se faisait à l'école..."

139
L, cinq ans et deux mois, est dans une classe expérimentale à double niveau grande section de maternelle / CP, le truc compliqué à mettre en oeuvre car il a été d'une part décidé que l'apprentissage de la lecture devait se faire à partir, grosso modo, de six ans (il n'y avait pas encore de scanner, d'IRM fonctionnelles mais Chomsky avait dû le démontrer) et, d'autre part, que cela tombait bien puisque l'école était segmentée en école maternelle et école élémentaire avec des enseignants ad hoc et qui ne s'aimaient pas. Nous sommes au mois de décembre et je demande à la maman s'ils ont commencé l'apprentissage de la lecture et elle me répond, étonnée : mais elle sait déjà lire...

Je ne ferai pas de commentaires, je les ai déjà faits ailleurs (ICI).
Disons que c'est une histoire sans paroles.

(Noam Chomsky 1928 - )

mardi 22 mars 2011

LOURDEUR DU CARTABLE ET EDUCATION : HISTOIRE DE CONSULTATION 74


Préambule : Que les enseignants ou enseignantes, femmes ou maris d'enseignants, maîtresses ou amants d'enseignants ou d'enseignantes, fils ou filles d'enseignants, petits-fils ou petites-filles d'enseignants se dispensent de lire ce post. Que les pourfendeurs de la démagogie ambiante se dispensent de lire ce post. Que les tenants d'une école centrée sur l'élève se dispensent... Que les défenseurs des vaches sacrées et autres religieux de tous poils se dispensent...
Le jeune B, 11 ans, est venu hier me voir avec sa maman pour que je lui refasse un certificat indiquant qu'il était nécessaire qu'il pût disposer d'un casier dans son collège pour pouvoir ranger ses livres et ne pas avoir à les transporter tous les jours sur son dos.
Depuis 20 ans, mais probablement plus, je n'ai pas fait de recherches précises, il existe un marronnier annuel qui est de se plaindre du poids des cartables. Et tous les ans depuis 20 ans, que le ministre de l'Education Nationale soit de gauche ou de droite, que les syndicats de l'Education Nationale soient de gauche ou d'extrême-gauche, que les professeurs appartiennent à n'importe quelle tendance de la "pédagogie" moderne dont celle du trop fameux Philippe Meirieu (son site) désormais membre d'Europe Ecologie, mon professeur de français latin grec, un certain José Lupin, disait dans son langage châtié de normalien : "les pédagogues aux gogues", eh bien, tous ces braves gens font des déclarations enflammées sur le fait que c'est intolérable et que cela va changer. Et rien ne change.
Il existe un pouvoir d'inertie qui, loin de se prélasser dans les cours de physique chimie, prend un malin plaisir à se répandre sur le rachis de nos charmantes têtes blondes (erreur : la HALDE va me tomber sur le dos, dans le collège de Mantes-La-Jolie il n'y a pas que des charmantes têtes blondes mais de charmantes têtes non blondes issues de la diversité)... Cela dit, B, issu de la diversité de ses parents, est un blondinet berbère charmant et timide.
Quoi qu'il en soit, notre ami B est un enfant plutôt chétif et l'examen de son rachis retrouve une simple attitude scoliotique avec une petite cyphose dorsale, des omoplates décollées et un attrait pour les activités physiques tenant vers le zéro pointé (zut, on ne donne plus de notes, cela stigmatise les mauvais élèves et cela pourrait entraîner les meilleurs à continuer de l'être). Un peu de natation, quelques conseils sur des exercices à pratiquer tout seul chez lui (je m'y emploie), lui éviter d'aller chez un kinésithérapeute qui finirait par lui faire croire que l'hétéronomie est meilleure que son inverse (l'autonomie) et qu'il faudrait porter des semelles et le tour sera joué : il est possible que notre ami B ne soit jamais un "sportif" ou qu'il le devienne, allez savoir, mais cela ne me regarde absolument pas (autre vache sacrée : le sport comme nécessité de l'homme et de la femme moderne).
Bon, venons-on au fait : B pèse 31 kilogrammes et son cartable dix et demi. Sachant, chers amis, que je pèse, les bons jours, 75 kilogrammes, je m'imagine arrivant au cabinet, faisant mes visites, avec une sacoche de docteur pesant 25 kilogrammes !
Il y a bien entendu de bonnes raisons pour que le cartable de B pèse 10,5 kilogrammes. Je n'en doute pas. D'ailleurs, ses parents n'ont qu'à lui acheter un cartable à roulettes...
Je rédige donc un certificat à la con qui ne servira pas à grand chose car, dans ce collège, il n'y a pas autant de casiers que d'élèves... Embouchons les trompettes de la renommée : vous voyez que les problèmes de l'Education Nationale sont liés essentiellement au manque de moyens...

Le poids des cartables est révélateur, à mon sens, de la crise de l'enseignement et de la démocratie.
Le matériel pédagogique, comme on dit, est plus important que la pédagogie elle-même.
Le rachis de cet enfant est moins important que les couleurs des classeurs et celles des intercalaires.
Les livres scolaires sont une industrie juteuse dont le poids ne rend pas compte de la valeur.
Chaque enfant de ce collège a eu droit, en CM1, à un ordinateur portable qui ne sert pas à se "cultiver" (quel mot horrible) mais à jouer sur internet ou à visionner You Tube, et donc, pas de fracture numérique (mon oeil !), mais un rachis souffrant.
Le médecin généraliste n'a aucun pouvoir sur le rachis est là pour rédiger des certificats.
L'enfant est au centre de la pédagogie sauf quand cela va à l'encontre de l'intérêt de l'administration.
Je me rappelle, enfant insouciant sur le chemin du lycée (les collèges étaient réservés aux élèves qui ne faisaient pas d'études "longues"), lançant mon cartable en l'air ou m'en servant pour donner des coups à mes camarades, un cartable léger comme mon insouciance, comme mon esprit léger...
Je me rappelle mon grand-père haut-savoyard me racontant ses longues chevauchées pour arriver à l'école, le cartable lourd comme une plume et tenu à bout de main.
Je me rappelle ma grand-mère, institutrice à Taninges, Haute-Savoie, m'apprenant à lire avec un tableau noir et une craie, sans matériel pédagogo mais avec pédagogie et se moquant de moi en CM2 parce que j'étais obligé de "poser" une règle de trois.
Nos cartables étaient légers comme l'air mais ce n'était pas l'époque moderne, celle où l'enfant est plus important que le savoir lire et le savoir compter, c'était l'époque utilitariste où le certificat d'études primaires avait une fonction sociale...
Que l'on me pardonne cette envolée sur les temps anciens où tout était mieux qu'avant, où les cartables étaient légers, les enfants dyslexiques rares et les enfants hyperactifs turbulents.


vendredi 8 octobre 2010

UN ENFANT ENURETIQUE DIURNE - HISTOIRES DE CONSULTATION : QUARANTE-QUATRIEME EPISODE


En recevant Madame A et son enfant, le petit A, trois ans et deux mois, j'ai ressenti, au bout de quelques minutes de consultation, une impression de déjà vu (cf. ici). Il se trouve que cet enfant est, comme l'enfant de la consultation vingt-deux, d'origine négro-africaine et la coïncidence ne pouvait en être que plus frappante dans mon esprit (vous avez sans doute remarqué que sur ce blog, j'essaie de ne pas -trop- parler de l'origine ethnique de mes patients pour ne pas induire de réflexes conditionnés de la part du lecteur ou de susciter un sentimentalisme anti raciste ou un sentimentalisme social -les pauvres populations immigrées- mais je finis par croire que j'ai tort : j'ai tort car il s'agit probablement d'autocensure de ma part, une autocensure bien pensante ou une autocensure signifiant Voyez comme je ne suis pas raciste... ). L'enfant de la consultation vingt-deux a changé d'école, on a fini par le mettre sous ritaline et les choses se passent mieux : est-ce une victoire de la pharmacopée ? Une victoire de la médecine ? Je n'en sais rien. Toujours est-il que sous ritaline l'enfant est scolarisé, la mère n'est pas contente, mais les choses rentrent dans l'ordre...
Revenons à notre petit A, trois ans et deux mois.
Voici ce que me raconte la maman : une semaine après la rentrée scolaire chez les "petits" A s'est mis à faire pipi dans sa culotte à l'école (nous sommes le cinq octobre). Réaction de l'institutrice : S'il continue, il faut l'exclure et il ne reviendra que lorsqu'il sera propre.
Le bon docteur du 16 a des idées préconçues sur l'Education Nationale mais il essaie de ranger cela dans sa poche et de mettre un mouchoir par dessus. C'est difficile.
J'interroge la maman alors que l'enfant, assis dans un fauteuil à côté de celui de sa maman, ne dit rien. J'essaie de lui poser des questions mais il ne veut pas répondre. Les analystes en auront déjà fait des tonnes. Le petit A ne fait pipi dans sa culotte qu'à l'école. Jamais à la maison, jamais chez sa grand-mère, il est propre la nuit et ne présente pas, dans la vie courante, d'impériosité.
Le versant social : la maman a longtemps vécu seule (le père est parti peu de temps après la naissance de l'enfant et il commence à revoir, mais de de temps en temps, son fils qui le réclame. Nous sommes toujours dans le discours maternel.), elle a un nouveau "compagnon" (c'est le terme qu'elle a utilisé, connaissant les habitudes linguistiques actuelles) qui habite chez elle depuis environ six mois "Et ça se passe bien."
Je résume : cet enfant demande son père qui a quitté sa mère qui vit avec un autre homme depuis six mois et présente une énurésie diurne uniquement scolaire.
L'institutrice (et la directrice) ont demandé à la maman qu'elle consulte un psychiatre et, à l'extrême rigueur son pédiatre (ce pauvre garçon est suivi par un généraliste), afin qu'il lui prescrive un médicament.
Je rassure la maman. J'essaie de lui expliquer qu'il y a probablement une cause à l'école : un conflit caché, institutrice, Atsem (agent spécialisé des écoles maternelles), camarade de classe, et cetera.
Elle doit revoir la maîtresse demain. Elle me demande un certificat que je refuse. Allez la voir, nous verrons après. Je l'informe toutefois que l'Education Nationale est un Grand Corps Sain d'où ne peuvent naître des conflits, les conflits constatés dans l'enceinte de l'école étant par définition extra scolaires, liés aux conditions de vie (la misère), aux conditions sociales (la monoparentalité), à des troubles neurologiques (dyslexie), à des troubles psychiatriques (hyperactivité), et j'en passe et ne peuvent être attribués au Corps Enseignant, aux Techniques d'Elevage, aux Théories d'Enseignement, à l'Idéologie régnante bafouée constamment (l'enfant au centre des préoccupations de l'Ecole).
Je vous donnerai des informations après que la maman m'aura raconté son entretien avec l'institutrice mais vous en connaissez déjà la teneur : Votre médecin est un con.

dimanche 18 juillet 2010

A CENT METRES DU CABINET - HISTOIRES DE CONSULTATION : TRENTE-SIXIEME EPISODE




(J'aime beaucoup ce proverbe indien : "Il est plus facile de faire la charité à cent kilomètres de chez soi qu'à cent mètres de sa maison." Que tous les donateurs du Téléthon en prennent de la graine.)
En cette toute fin d'année scolaire l'enfant A (exceptionnellement je donne son faux vrai prénom : Oussama, cela aura de l'importance pour la suite...) est assis en face de moi, sûr de lui comme prêt au combat ou, plus exactement, très déterminé. Il est accompagné de son beau-père que je connais depuis quelques années, Monsieur B. Il fréquente l'école primaire C, située à cent mètres du cabinet et qui est fréquentée par nombre de petits patients du cabinet.
A, dix ans, sait déjà ce qu'il va raconter. C'est un beau petit mec, un peu rond mais sans plus (nous avons déjà parlé ensemble des problèmes que peut poser la consommation des boissons sucrées, des frites et autres gracieusetés de notre formidable société d'abondance et sa belle allure montre qu'il a écouté ce que je lui ai dit et ce que ne cesse de lui répéter sa maman), que je ne vois pas souvent parce qu'il n'est jamais malade (comme on dit). la dernière fois remonte à un rappel vaccinal, il y a environ un an et demi.
L'histoire est la suivante : "Depuis plusieurs mois, A est en butte à des agressions répétées de la part de camarades de l'école. Cela a commencé par des faits particulièrement violents : trois garçons l'ont mis tout nu dans les toilettes de l'école élémentaire et l'ont roué de coups. Aucune intervention du personnel de l'école. Peu de réactions de la part de l'équipe enseignante, dont son institutrice. A parle, les parents réagissent immédiatement. Réunion avec le directeur et l'enseignante, les parents des trois enfants sont convoqués, excuses, tout va rentrer dans l'ordre. Ce n'est pas le cas."
Je demande au beau-père : "Vous avez porté plainte ? - Non. - Pourquoi ? - Parce que nous pensions que cela allait s'arranger. Et le directeur n'avait qu'une seule crainte : que nous portions plainte. - Hum. Et j'imagine donc que les choses ont continué..."
Suite de l'histoire : "Non seulement les choses ont continué mais elles se sont installées. Plus de mise à nu dans les toilettes mais agressions répétées dans la cour et à la sortie de l'école dont A sort en courant le plus vite possible. D'après l'enfant tous les enseignants ferment les yeux, personne ne surveille la cour de récréation (ils boivent des cafés à l'intérieur -- fait que j'ai vérifié ultérieurement--) et ce qui se passe à l'extérieur ne les regarde plus." Je suis étonné par la maturité de cet enfant, par les mots qu'il utilise, par, je dirais presque, la distance qu'il prend en disant les faits, comme s'il avait déjà tourné la page.
La version de A : " Mais surtout, un jour, ils m'ont tordu le bras dans la cour de récréation, je suis venu me plaindre à la maîtresse et elle m'a retordu le bras dans l'autre sens en disant que je l'avais bien cherché. Moi : Tu dis vraiment la vérité. - Je le jure. - Ouah ! Mais c'est grave. - Et, ajoute le beau-père, ils prétendent toujours que c'est lui qui cherche la bagarre... - J'ai déjà entendu cela quelque part (voir ici)."
Moi : Qu'est-ce que vous attendez de moi ? - On voudrait un certificat." Je leur explique le comment du pourquoi de ces certificats. "Vous êtes donc décidés à porter plainte ? - Oui. - Mais il faut que vous m'en donniez la preuve. - La preuve ? - Oui. Car si vous ne portez pas plainte je vais devoir contacter le procureur de la République pour faire un signalement. - Mais nous allons porter plainte. - Pourquoi ne pas l'avoir fait auparavant ? - Nous regrettons, nous regrettons, nous avions peur, mais maintenant qu'il va au collège en centre ville. - Il a obtenu A ? - Nous nous sommes débrouillés. - Le russe ? - Le russe."
Je rédige donc un certificat en m'entourant de toutes les protections possibles afin de ne pas raconter d'histoires, de ne pas dénaturer les propos et de ne pas faire preuve d'empathie. Je suis terrifié par ce que je viens d'entendre. Certes, autour du cabinet, il y a des agressions, il y a des voitures qui brûlent, il y a des menaces, des incivilités, et cetera mais que des faits pareils, s'ils sont avérés, se passent aussi près en touchant de si jeunes enfants... Et que les enseignants fassent preuve d'aussi peu de compassion ou de légalisme...
Je pose une dernière question : "Mais sais-tu au moins pourquoi ils t'en veulent ? - Ils me traitent de sale Français parce que maman vit avec lui ! (me dit-il en montrant son beau-père)." La boucle est bouclée.
PS - Le lendemain le beau-père vient me montrer les courriers adressés au Procureur de la République et à l'Inspection Académique. Bonnes vacances !

lundi 3 mai 2010

UN ENFANT TURBULENT. HISTOIRES DE CONSULTATION : VINGT-DEUXIEME EPISODE

Premier épisode.
L'enfant A, huit ans, n'a pas d'excuses pour être une victime : il ne supporte pas le remariage de sa mère et le fait qu'elle attende un enfant. "Je ne veux pas que ce bébé naisse !" "Je veux rester seul avec ma maman !" "Ce Monsieur n'est pas mon père !"
Qu'y a-t-il de plus explicite ?
Ainsi se comporte-t-il mal en classe. Ainsi refuse-t-il de travailler. Ainsi participe-t-il à toutes les bagarres et fait-il preuve de violence à l'égard de ses camarades et des enseignants.
La maîtresse en a marre. Le directeur en a marre.
"Cet enfant est indésirable."
Il va être exclu de l'école.
Va-t-on le mettre dans une autre école ?
Va-t-on lui donner une autre chance ailleurs ?
Non. Ce serait trop facile. Non : ce serait trop compliqué pour l'Education Nationale.
Le directeur convoque la maman qui est fonctionnaire. Votre fils va être placé dans un Institut Médico Pédagogique.
"Avec les handicapés ? Avec les autistes ? C'est cela que vous voulez ! De quel droit ?
- C'est le médecin scolaire qui a décidé.
- Je ne me laisserai pas faire !
- Ce sera comme cela."
La maman, et son fils, sont assis en face de moi au cabinet.
J'écoute leur version des faits. J'essaie de démêler le vrai du faux. Mais pourquoi y aurait-il du faux ? La maman a décidé qu'il n'irait pas en IMP. Le gamin est assis en face de moi, roulé en boule dans le fauteuil Ikéa trop grand pour lui. J'essaie de l'interroger mais ce n'est pas le bon jour.
"Je vais téléphoner au directeur de l'école, je vais téléphoner au médecin scolaire.", voilà ce que je propose.
Pour l'instant la maman ne souhaite pas qu'il continue de fréquenter cette école. Elle me raconte combien son gamin est gentil, combien il est agréable, elle est arrêtée car elle va accoucher et elle le garde en ce moment toute la journée. "Ce n'est pas un débile."
J'attends qu'ils soient partis et ma secrétaire appelle l'école : un répondeur informe des horaires et on peut laisser un message. Je dis simplement : "Bonjour, c'est le docteur G, je suis le médecin traitant de A, j'aimerais vous parler." Sur ces entrefaites, et pendant que ma consultation se déroule, j'appelle le médecin de l'Education Nationale qui n'est joignable que demain vers onze heures. Je laisse un message à sa secrétaire, cite l'enfant A et laisse mon numéro de portable. Ma secrétaire appelle la mairie et le service de la scolarité pour savoir comment l'on peut faire pour parler rapidement à un responsable ; elle cite mon nom, bien entendu, et celui de l'enfant A. On me rappellera.
J'attendrai ce midi pour rappeler le directeur d'école et demain pour rappeler mon confrère. Je rappelle le directeur et il y a toujours un répondeur.
Le lendemain matin j'appelle l'école vers huit heures vingt et le directeur est occupé. A onze heures j'appelle le médecin de l'Education Nationale, il ne peut me parler.
Ils ont gagné : j'oublie tout durant l'après-midi.
Le lendemain, vers dix heures, la maman m'appelle pour me dire qu'il va, finalement, être changé d'école.
Deuxième épisode.
Je revois la maman dans le cadre du suivi de sa grossesse. Elle vient avec A. J'essaie, bien que cela ne soit pas lui le patient, de l'interroger. Il est toujours aussi peu bavard. Il me regarde, la tête enfoncée dans les épaules.
"Maman m'a dit que cela se passait bien.
- Hum.
- Tu as de bonnes notes ?"
Il finit par lâcher un "Oui" provocant.
La maman fait une grimace et ajoute : "Ca peut aller. C'est même inespéré." Mais je ne suis pas sûr qu'elle fasse tout pour me convaincre.
L'enfant est suivi au CMPP (centre médico psycho pédagogique) par une pédopsychiatre. Il se rend sans rechigner aux rendez-vous.
Troisième épisode.
Un appel téléphonique de la maman. "A a recommencé. - C'est à dire ? - Il a recommencé à ne plus travailler et à répondre à sa maîtresse. - Et alors ? - Ils veulent de nouveau l'exclure de l'école sauf si j'accepte qu'on le mette sous médicament. - De la ritaline ? - Je crois. Qu'est-ce que vous en pensez ? - C'est quand même difficile de penser par téléphone. Venez me voir."
Mais l'entretien avec la maman ne donnera rien. A va prendre de la ritaline. La maman a accepté. Et le bon docteur G ? Il n'a rien pu faire. La maman ne veut surtout pas que j'intervienne.
A suivre.