Affichage des articles dont le libellé est EXPERIENCE INTERNE. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est EXPERIENCE INTERNE. Afficher tous les articles

dimanche 8 mai 2016

Une petite matinée de médecine générale comme les autres avec peu de médecine mais de l'empathie, du sociétal, de l'expérience interne, un peu de médecine quand même.


Rien que de très banal. Matinée calme entre 8 H 15 et 12 H. J'ai décidé de l'écrire car j'avais un peu de temps et que j'avais fini mon travail administratif au cabinet avant de partir en visites.
  1. Le premier rendez-vous de huit heures trente n'est pas venu : c'est plutôt inquiétant car j'aurais préféré que cette malade (très) fragile se présente en consultation.
  2. J'apprends par une patiente qu'une de mes patientes (très) âgée et suivie à domicile pour polypathologie va cet après-midi aux urgences sur les conseils d'une des IDE qui s'occupe d'elle (et qui ne me prévient donc pas ; IDE pour laquelle je suis patient car la patiente l'aime beaucoup bien qu'elle lui parle mal et qu'elle reste trois minutes montre en main à son domicile tous les jours) et du voisin de palier. C'est un deuxième avis après que j'avais déjà adressé la patiente au service ad hoc (pour la pathologie dont elle souffre).
  3. La famille d'un patient m'appelle à huit heures quarante-six parce que le patient en question est hospitalisé en USIC au décours de douleurs abdominales. Il ne veut pas prendre son (nouveau) traitement parce que ni son médecin traitant ni son cardiologue n'ont été prévenus. J'appelle l'USIC, je parle à l'IDE qui s'occupe de lui, je comprends la situation, il veut quitter la réanimation et revenir chez lui, je demande que le médecin me rappelle, j'appelle le patient sur son portable et je le convaincs de prendre son traitement et lui précise que je vais parler aux médecins qui s'occupent de lui. Le médecin du service de réanimation ne m'a toujours pas rappelé (il est 12 heures).
  4. Pendant ce temps les rendez-vous continuent, le téléphone sonne, la secrétaire répond, me passe parfois un appel, tranche, décide, évalue, temporise, dit non, dit oui, pondère, remplit mon carnet de rendez-vous, donne une information, un conseil, se tait, sourit, rigole...
  5. Une de mes patientes (âgée) part en Inde. Les informations fournies par l'agence de voyage, par le gars qui a vu le gars et par la crémière sont assez erronées. Je lui explique l'affaire et lui dit qu'effectivement, à Jaïpur, on peut acheter des tapis. Cette discussion extra médicale peut être interprétée de différentes manières -- voir de nombreux billets sur ce blog : incongrue, inutile, empathique, dangereuse, inconsidérée, paternaliste, pratique, égoïste, vantarde... Elle est aussi métaphorique des recommandations et des guide-lines : la patiente part au Rajasthan et, pendant la consultation, le médecin peut consulter des conseils aux voyageurs, le site de l'Institut Pasteur Paris, Lille ou je ne sais où, regarder ses notes mais qui mieux que quelqu'un qui connaît le Rajasthan, pourra dire à cette patiente âgée, non fragile, peu traitée (elle prend un anti hypertenseur et c'est tout), ce qu'elle devra éviter là-bas, quels sont les vrais dangers, et cetera ? C'est à dire que l'"expertise" individuelle, hors études, hors recommandations, au delà de l'avis d'expert, peut, dans une relation duelle et forcément multiple avec un patient, être d'un grand apport, ce que l'EBM appelle l'expérience interne du médecin.
  6. Je rédige une ordonnance "unifiée" pour un patient polypathologique qui est suivi par le cardiologue, le gastroentérologue, l'endocrinologue et le pneumologue et je m'arrache les cheveux. Mais le médecin généraliste est la bonniche de tout le monde et la CPAM n'en a rien à cirer. Une autre interprétation pourrait être celle-ci : seul le médecin généraliste, peut, s'il le souhaite, s'il en a les capacités, l'envie, les connaissances, le sens de la gestion du risque, le courage, l'immodestie, la faiblesse, le découragement, la décence, la conscience professionnelle, garder le contact avec la réalité, c'est à dire l'unité du patient écartelé entre ses différents organes, ses différentes fonctions, ses différents traitements, désorienté par tous les avis qu'il reçoit sur ce qu'il devrait faire, ne pas faire, sa voisine de palier, l'ostéopathe qui passe à la télé, le professeur Vallancien qui péessaïse, Marisol Touraine qui communique sur des sujets dont elle ne connaît ni l'alpha ni l'omega, Madame Buzyn qui monte en chaire pour prôner le dogme indéfectible de l'Immaculée Dépistologie, ou Michel Cymes baissant son pantalon sur des affiches, c'est le sens de la médecine générale rêvée ou idéale. Mais tout comme les quincailleries ont disparu, les cabinets de médecine générale vont s'éteindre. Tout le monde s'en moque : le vieux monde disparaît. Et ainsi, tel le quincailler du coin dans sa boutique foutraque, avec des objets qu'il vendait et qu'il avait utilisés lui-même, il en connaissait le bénéfice/risque, qui, pour gagner sa vie a dû émigrer chez Bricorama ou Leroy-Merlin, le médecin généraliste se retrouvera vendeur chez Maison de Santé Pluridisciplinaire. Mais il est vrai qu'une profession résiste : celle des coiffeurs indépendants. Certains médecins qui se réfèrent pour prouver la déliquescence de leur profession (due bien entendu aux méchants syndicats, aux corrompus syndicalistes, à l'Etat, aux énarques, aux économistes, à la loi Santé, que sais-je ?) à la valeur d'une coupe homme par rapport à celle d'une consultation de médecin généraliste, devraient méditer sur le fait que les grandes chaînes de coiffure n'ont pas encore mangé la profession, sans aides, sans subventions, sans remises sur les frais, sans protection fiscale... Comment ont-ils fait ?
  7. Je passe un temps fou à expliquer à une patiente les tenants et les aboutissants de la recherche de sang dans les selles à la fin de consultation dont le sujet principal était autre chose (des lombalgies), je veux dire évoquer le rapport bénéfices/risques de ce truc auquel je ne suis pas favorable. Ne serait-il pas possible que les gens qui envoient les lettres de convocation aux patients fassent une partie du boulot et informent vraiment ? Et nous ne sommes pas rémunérés pour faire un geste de dépistage qui demande du temps et m'oblige à manger mon chapeau. Et c'est la même chose pour le PSA (non recommandé officiellement mais imposé officieusement par les urologues), pour le dépistage du cancer du sein (le manque d'informations "balancées" à l'intention des citoyennes, cette crainte des autorités que le dépistage n'atteigne pas ses objectifs -- non pas diminuer la mortalité mais faire du chiffre, cette trouille de devoir expliquer des choses que les responsables de ce mensonge organisés ne comprennent pas eux-mêmes).
  8. Je m'interroge encore une fois à propos de ce patient sur l'intérêt des séances de kinésithérapie dans nombre d'indications, je me rappelle que mon ami twittos du nord m'a dit que sa femme allait nous faire un cours de posturologie ergonomique et j'attends toujours. L'auto kinésithérapie devrait être enseignée par la Faculté et s'il existe des formations ad hoc, je prends. Mais ce n'est pas à mon âge que je vais révolutionner la prise en charge en ville des patients qui nécessitent vraiment des séances de kinésithérapie. Profits et pertes des connaissances en médecine générale.
  9. J'écris un courrier pour le médecin du travail de PSA qui recevra lundi le patient lors d'une visite de pré reprise qui va être très importante. Je soigne mon style et je tente de flatter mon confrère en soulignant l'étendue de ses compétences afin qu'il fasse au mieux pour mon patient.
  10. Une de mes (nouvelles) patientes me fait un cours animé sur la Transylvanie dont elle est originaire, elle a bien entendu vu le film de Roman Polanski, Le bal des vampires, et elle m'explique que sa région d'origine, très liée aux Habsbourg, est beaucoup plus riche en histoire et en culture que le sud de la Roumanie. Je pose deux ou trois questions d'intérêt général. 
  11. Par paresse, chez cette autre patiente, je mesure la presion artérielle sans aller chercher mon brassard pour "gros" bras (ça fait grossophobe, hein ?), eh bien, même à l'avant-bras le brassard "normal" n'est pas suffisant. La dame dépasse aussi les possibilités de ma balance. Une étude américaine montre que l'IMC chez l'adolescent permet de prédire la survenue des événements cardiovasculaires à l'âge adulte : à cacher pour ne pas être taxé de grossophobie la nouvelle insulte anti médecins (cf. figure infra tirée de LA).
  12. Bon, je vais aller faire deux visites, l'une moyennement justifiée, et l'autre franchement (presque) abusive. Deux femmes de plus de 80 ans vivant seules à domicile, mais la neuvième décennie, mon brave Monsieur...


J'ai téléphoné à un patient pour savoir si je pouvais publier son histoire et il m'a dit qu'il allait réfléchir. Dommage s'il refuse. C'est particulièrement intéressant.

Illustration : Maximilien Luce (1858 - 1941) : Le Pont Neuf. La Seine. Petit bras (1900)

mardi 31 juillet 2012

Une métaphore tragique liée au PSA : un oncologue "guéri" du cancer et incapable de courir.


Dans les Archives of Internal Medicine, Charles L. Bennett, médecin, oncologue, spécialiste du cancer de la prostate depuis 25 ans et titulaire d'un diplôme de santé publique, raconte ICI (A 56-year old physician who underwent a PSA test Arch Intern Med. 2012;172(4):311-311. doi:10.1001/archinternmed.2011.2246) la tragique histoire d'un patient de 56 ans dont il s'est occupé et dont le destin morbide (parésie du bras et de la jambe droites apparue en post opératoire immédiat) le taraude en raison des décisions qu'il a prises et qui ont amené le patient à cette condition.
Le problème majeur : Charles L. Bennett est à la fois le médecin qui a décidé l'attitude thérapeutique et le patient qui a subi les effets indésirables.
Il conclut son article ainsi : "Même le patient le plus informé (moi en l'occurrence) a des difficultés à prendre une décision vraiment informée."
Cette lettre peut être interprétée de multiples façons.
Merci de la lire auparavant, c'est court, afin que vous puissiez vous faire une idée avant que je ne commente de façon qui pourrait vous paraître orientée.

Voyons d'abord la succession des faits :
  1. Il décide à 50 ans de faire son PSA annuel et rituel : 2,5 ng / ml (il était l'année précédente à 1,5). Et savez-vous ce qu'il fait ensuite ? D'en parler à un urologiste qu'il connaît bien et avec lequel il a effectué des recherches. L'urologiste lui demande de faire des biopsies.
  2. Les biopsies sont effectuées 6 semaines après et il va les lire lui-même avec l'anatomopathologiste. Le score de Gleason est à 3+3 dans 1 sur 12 des prélèvements et il n'y a aucun envahissement.
  3. Il a peur du cancer. 
  4. Son expérience interne lui rappelle que la majorité de la centaine de malades qu'il a vus avec le même tableau clinique ont, dans ce cas, opté pour la chirurgie, et une faible proportion pour la radiothérapie ou pour la simple surveillance. Son expérience externe, il la recherche auprès des meilleurs spécialistes du pays (chirurgiens, oncologues, radiothérapeutes) et non dans la lecture des publications.
  5. Il décide de se faire opérer (prostatectomie radicale).
  6. Pour mettre toutes les chances de son côté, et parce qu'il a peur, à 50 ans, de subir des conséquences sexuelles de l'intervention, il choisit un leader national pour l'opérer pensant que chez un homme en bonne santé de son âge les risques de troubles sexuels, de troubles vésicaux ou intestinaux sont faibles et qu'il y a 100 % de chances qu'il n'ait plus de cancer 20 ans après.
  7. Cinq ans après : pas de cancer, dit-il, PSA à 0 mais parésie du bras et de de la jambe droite. Il ne parle pas de sexe mais il ne peut plus faire sa course à pied quotidienne.
  8. Il cite alors les recommandations récentes de l'US Preventives Service Task Force (LA) et se lamente de ne les avoir pas connues auparavant. Il dit que si c'était à refaire il opterait pour la surveillance active.
De mon point de vue il s'agit d'une succession d'erreurs de raisonnement médical. Est-ce dû au fait que nous avons affaire à un spécialiste du cancer de la prostate ? Est-ce lié au fait qu'il soit à la fois le médecin et le patient ? Est-ce dû à sa pratique, à savoir travailler dans une équipe multidisciplinaire spécialisée dans la pathologie dont il croit être atteint ? Est-ce provoqué par la croyance répandue qu'en matière de cancer Le plus tôt c'est le mieux ? Est-ce lié à la cancérophobie personnelle du médecin malade ?

La communauté urologique croit majoritairement, notamment aux Etats-Unis d'Amérique, aux bienfaits du dépistage du cancer de la prostate par dosage du PSA.
Charles Bennett  a agi avec lui-même comme il agissait avec ses patients, prétend-il.
Travaillant dans un centre d'oncologie urologique depuis 25 ans il y a acquis une incontestable technicité et une façon de penser. Ce n'est pas une pensée sectaire mais une pensée communautaire de travail. Comme il existe une pensée communautaire majoritaire chez les boulangers ou chez les enseignants ou chez des employés de coca cola. Cela ne signifie pas que tout le monde pense la même chose, la réalité dit le contraire tous les jours, cela signifie que le fait d'endosser un statut entraîne de façon presque automatique une façon de penser et de se comporter qui ignore le reste du monde.
Robert Musil faisait dire à l'un de ses personnages dans L'homme sans qualités qu'il ne fallait jamais interroger quelqu'un sur son travail car il ne pouvait pas dire la vérité.

Dans les faits qui nous sont rapportés nous pouvons extraire quelques comportements erronés ou dangereux. 
  1. Demander une biopsie avec un PSA à 2,5 contrairement à toutes les recommandations, émaneraient-elles de la communauté urologique et / ou oncologique
  2. Lire lui-même les plaques histologiques le concernant
  3. Etre cancérophobe en étant oncologue
  4. Ne pas se mettre dans la position d'un questionnement EBM à propos de son propre cas, ce qui, admettons-le, est pratiquement impossible. Nul doute que son expérience interne aura changé...
  5. Décider de se faire opérer pour être à 100 % "cancer free" 20 ans après
  6. Etre persuadé que les complications post opératoires sont malades dépendants (il se dit en bonne santé) et opérateurs dépendants et donc non liées au hasard (ce qui, selon mon expérience interne est quand même assez vrai) et choisir le "meilleur" pour se faire opérer
  7. Etre un malade guéri
  8. Croire que les dernières recommandations, celles de l'USPSTF, sont sorties de nulle part et non de publications qu'il aurait dû lire (expérience externe).

Je voudrais également souligner un fait qui a dû, tout comme moi vous choquer : il ne dit pas un seul mot des centaines de malades qui ont défilé dans son bureau et pour lesquels il a appliqué les mêmes principes !