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dimanche 16 avril 2023

Bilan médical du lundi 10 avril au dimanche 16 avril 2023 : santé genrée, fin de vie chez les CSP +, metformine, imagerie, financiarisation des soins, LCA et VRS, covid long, nouveau calendrier vaccinal.

 

Via @pash22 Le système de santé états-unien

143. Quand le genre remplace les luttes sociales : l'intersectionnalité sans la lutte des classes.

Pratiquement au même moment un article est paru dans Slate (ICI) (Laure Dasinières et Antoine Flahaut) et une tribune a été publiée dans Le Monde (LA) (Anne-Sophie Leroux, Pauline Londeix, Jérôme Martin) pour dénoncer respectivement un manque de prévention genrée en France et un manque d'accès aux soins genré partout dans le monde.

Dans les deux cas les auteurs.e.s parlent de prévention médicale et d'accès aux soins médicaux.

Rappelons aux auteurs de ces textes que : 

  • 80 % des déterminants de santé sont non médicaux (on peut, certes, discuter, et le genre est un déterminant non médical a  priori)
  • l'accès aux soins (et aux prestations sociales) est lié à la Catégorie Socio-Professionnelle quel que soit le genre, les plus favorisées CSP + : les chefs d'entreprise, les professions libérales, les professions à plus fort revenu du secteur privé (cadres, ingénieurs, chercheurs, etc.) ainsi que l'ensemble des fonctionnaires de catégorie A. Associée à un fort pouvoir d'achat la notion permet de regrouper de manière approximative la classe moyenne supérieure et les ménages aisés.   Le dernier rapport de la DREES l'atteste : ICI.
  • la prévention en général, en France, est une rigolade sans fin pour ce qui est des risques évitables (en Europe) : alcool (n°2 en Europe), tabac (n°3), cannabis (n°1), cocaïne (n°1), accidents du travail (n°8), mortalité infantile (19/27 dans l'UE), mortalité maternelle (20/27)...
  • Il faut donc mettre le paquet pour que la France ne soit pas, dans l'OCDE, le dernier des derniers pays pour la prévention médicale et non médicale.

Mon commentaire sur twitter (ICI) souligne que la prévention genrée est éminemment politique et qu'elle repose comme le montre la littérature médicale et de sciences sociales sur : 

  • La diminution globale du temps de travail cumulé des femmes (domestique et professionnel, transports)
  • L'amélioration des conditions de travail des femmes exerçant les métiers les plus pénibles, les moins payés, les moins valorisés, 
  • Imposer la médecine du travail chez les femmes payés par des chèques Emplois Services, 
  • L'égalité des salaires hommes/femmes pour des postes identiques
  • Les protéger contre les violences domestiques
  • Lutter contre l'alcoolisme des hommes, première cause de féminicides
  • et cetera.
  • Ce sont les femmes des milieux défavorisés qui sont les plus à risques, qui sont les moins prévenus, les moins éduqués, les moins médicalisés et ce sont les femmes CSP + qui encombrent par exemple les consultations de gynécologie en se faisant pratiquer des frottis du col utérin tous les ans (et avec dépassement d'honoraires)
Je vous invite à lire cet éditorial passionnant du BMJ (accès gratuit) : LA.



Par ailleurs, le corps des femmes est un terrain d'expérimentation incroyable pour les médecins et les chercheurs : on leur dit ce qu'elles doivent faire depuis la préconception, pendant la conception (disease mongering ahurissant sur le diabète gestationnel), pour la naissance, pour le développement des enfants et la PMA est un parcours d'obstacles fait de souffrances physiques et psychologiques... Quant aux derniers développements sur l'IVG et la pénurie médicamenteuse de misoprostol, elle m'a fait penser au fait que l'on ne demande pas leur avis aux femmes (sauf pour des raisons de nombre de semaines d'aménorrhée) sur le choix de la méthode abortive (médicamenteuse ou instrumentale)...

Sans oublier le manque d'informations données aux femmes lors du dépistage du cancer du sein par mammographie avec des Aunt Tom comme cette mammographiste canadienne (voici le tweet original et le fil) : 

Le fil : LA

Vous avez lu ? Fausse alerte.

👉Je signale un billet de blog remarquable sur le dépistage du cancer du sein : ✊✊✊

Ecrit par une médecine généraliste. C'est un document de qualité. 

LA.

Et voici ce que proposent les agences gouvernementales comme prévention, relayées par l'Assurance Maladie. Navrant : 


La prévention est avant tout sociétale. Mais aussi individuelle.

Mais c'est injuste de faire porter la responsabilité des maladies sur les patients selon le vieil adage répété comme un mantra : La maladie est le salaire du péché.

Une initiative du gouvernement anglais : 




Détail d'une céramique de la maison Picassiette à Chartres qui mérite une visite...
Photo docdu16


144. Quand un CSP + hospitalier se rend compte que la fin de vie vue des urgences, ça dysfonctionne.

La Tribune de Mathias Wargon dans le journal Le Monde que l'on ne peut lire que si on est abonné (LA) méritait un commentaire.

Le voici sur twitter : LA


Via @RavaudGilles ICI
Les jeunes médecins (UK) demandent une augmentation de 35 % de leur salaire.


145. Existe-t-il encore une seule raison d'initier un traitement par metformine dans le diabète de type 2 ?

Nous avons abordé ce problème plusieurs fois dans ce blog et je rappelle l'excellent article de Boussageon R et al (LA).

Il remet en cause toutes nos certitudes (?) et il est probable que la metformine fera partie du Medical Reversal.

Je réponds à la question : oui.  Le ROSP ou l'incentive de l'Assurance Maladie qui ne rémunère les MG français que s'ils prescrivent de la metformine en première intention. 


Toujours la maison Picassiette.
Photo docdu16


146. Trop d'imagerie prescrite par les MG dans les troubles musculo-squelettiques (en Australie)

Un essai randomisé australien portant sur les effets d'un audit et d'une intervention/non intervention sur la prescription d'imagerie dans les troubles musculosquelettiques par les médecins généralistes :(LA).

Eh bien, la formation des MG, ça marche, du moins à court terme.




147. Financiarisation des soins.


Une analyse implacable de Nicolas Da Silva sans vraies solutions.  Malheureusement : ICI

La suppression des soins primaires est actée depuis longtemps. L'hospitalo-centrisme et la faillite de l'hôpital sont passés par là. 

Nicolas Da Silva ne voit que l'adjectif libéral dans les soins primaires.

Il est partisan de la suppression pure et simple de cette médecine libérale en soins primaires dont on connaît les défauts (il suffit de lire ce blog) liés aux soins primaires eux-mêmes (comme les expériences des autres pays le montrent) mais la nature ayant horreur du vide et comme les centres de santé communautaires ne vont pas pousser comme des champignons, les groupes privés vont capturer les médecins et il sera fini de la médecine longitudinale, la médecine de famille, pour une médecine au coup par coup qui n'a jamais donné rien de bon.


148. Lectures critiques d'article et vaccin VRS chez la femme enceinte.

Je lisais récemment sur twitter les propos d'un hospitalier prétendant que l'enseignement de la LCA était inutile et empêchait les étudiants d'apprendre la vraie médecine.

Oups. Prenons l'exemple du vaccin anti VRS ("bronchiolite") chez la femme enceinte. 

Voici l'abstract de l'article (il faut être abonné pour le lire en entier) : ICI.

Contre : un étudiant anonyme publiant chez Vinay Prasad

Pour : Eric Topol

ICI

Attendons l'avis de la HAS... 😅😅😅


@HillmanMarc


149. Covid long : un article analyse les critères retenus pour le définir : du grand n'importe quoi.

L'article paru le 25 mars 2023 (ICI) analyse les critères de définition du Covid Long dans 92 études publiées : dans seulement 54 % des études les résultats de laboratoire affirmant le covid étaient mentionnés ! Pour définir le Covid Long 8 durées de symptômes ont été retrouvées (entre 4 et 52 semaines) avec une moyenne de 12 (alors que 36 % des études ne précisaient pas la durée retenue). Un total de 57 symptômes a été pris en compte ! 


Ôé Kenzaburo (1935-2023)
Prix Nobel de littérature 1994
Première Division


150. Covid : Les essais d'un vaccin intranasal sont prometteurs chez les hamsters et les souris : du spin, du spin, du spin

Je commente ? C'est LA



151. Le nouveau calendrier vaccinal.

C'est LA.




dimanche 24 février 2013

Euthanasie active. Histoire de consultation 144.


Madame A, 55 ans, revient de Bordeaux où sa mère vient de mourir à l'hôpital. Elle est choquée. Elle tente de ne pas le montrer, du moins au début, elle consulte pour vérifier que son hypertension est contrôlée par le traitement qui lui est prescrit, mais, qui ne serait pas choqué par la mort de sa mère à l'hôpital ?
Je la laisse parler.
Je ne connaissais pas l'histoire et elle commence par me raconter les faits médicaux. C'est un cancer du poumon opéré. Qui a métastasé. Au cerveau, notamment, mais pas seulement.
Ce qui la choque (la consultation, la dernière des rendez-vous, aura pris du temps car elle a du mal à savoir ce qui est ou non important, en raison bien entendu de son implication) c'est que les médecins ont été à la fois terriblement optimistes, c'est à dire terriblement interventionnistes, voire jusqu'au boutistes, puis incroyablement défaitistes. Elle s'est sentie exclue de ces deux attitudes. Ou en décalage.
Je crois, en l'écoutant, qu'elle s'est sentie déphasée.
Il y a d'abord eu les premiers médecins qui ont laissé entendre qu'il n'y avait plus rien à faire (c'était dans un hôpital général). Puis la recherche d'un hôpital plus spécialisé (un CHU de Bordeaux) où les médecins ont dit qu'il y avait quelque chose à faire. Grâce à la pose d'un stent la maman de la patiente a gagné trois mois en très bonne santé. Puis le stent s'est bouché, retour d'abord à l'hôpital général où les médecins qui avaient annoncé que tout était fichu ont laissé entendre "qu'ils lui avaient bien dit que c'était fichu" et la dame de penser "avec trois mois en très bonne santé", puis il y a eu un nouveau transfert au CHU où les médecins ont dit qu'il fallait changer le stent, ce qui a été fait, mais avec de moins bons résultats. La maman a finalement vécu cinq jours après l'intervention mais dans de mauvaises conditions.
Mais le plus choquant arrive : la malade, la veille du décès, entre dans la chambre de sa mère et une infirmière lui apprend qu'on lui a donné un peu de morphine pour qu'elle ne souffre pas. Puis, en douce, une autre infirmière lui dit que, malgré la faiblesse des doses, il sera difficile de lui parler à nouveau. Et la patiente meurt le lendemain au petit matin. La fille demande à l'infirmière : "Mais elle souffrait tant que cela ?" Et elle : "Ce matin elle nous a dit qu'elle en avait assez."
Stupeur.
"Ce matin" me dit ma patiente "j'ai dit à mon mari que j'en avais assez de ces allers et retours à l'hôpital, je ne me suis pas méfiée, et il m'a planté un couteau dans le ventre pour me soulager."
Je la regarde. J'essaie de ne rien dire. Je pense qu'elle a raison d'être choquée.
"J'avais encore des choses à dire à ma mère. Ils ne m'ont pas demandé mon avis. Ils ont pris une décision hâtive. Ce n'est pas bien. Jamais elle ne m'avait dit qu'elle en avait assez. Je ne sais si elle voulait combattre ou non, si elle y croyait encore, si elle avait seulement envie de se laisser glisser, elle avait de grosses difficultés respiratoires, de l'eau dans la poumons, il lui arrivait de suffoquer, mais jamais, au grand jamais, elle ne m'a parlé d'abandonner, jamais elle ne m'a dit, ma petite fille je n'en peux plus, j'en ai marre de la vie, je ne veux plus lutter, mes derniers instants sont arrivés, je voulais vous dire que je vous aime, et cetera... et là, des inconnus, des personnes qui ne la connaissaient pas, qui ne connaissaient pas sa vie, qui ne connaissaient pas ses rapports avec ses enfants, avec moi, avec la vie, qui ne connaissaient ni ses croyances philosophiques, qui en aurait parlé avec elle ?, ni sa conception de l'existence, des inconnus, donc, ont décidé pour elle, ont décidé pour moi et je n'ai jamais pu lui reparler, je n'ai jamais pu l'entendre répondre à mes questions ou exprimer une demande... Je suis terrifiée. Je ne dors plus, je me réveille la nuit en sueurs, je fais des cauchemars, je vois la seringue qui s'enfonce dans le bras de ma mère qui lui dit c'est fini, qui lui dit 'puisque vous en avez marre, il faut en terminer avec la vie...', c'est quand même incroyable, mais pour qui se sont-ils pris ?, pour qui se prennent-ils ?, pour le bon Dieu... est-ce que le bon Dieu serait même capable de cela ?... "

Je ne suis pas un spécialiste des questions de fin de vie. Avant que de commencer à écrire cette histoire de consultation j'aurais dû m'informer plus avant sur les termes exacts de la loi Leonetti (ICI), sur les propositions de ceux qui veulent légiférer sur l'euthanasie, sur ceux qui sont déçus qu'on ne le fasse pas, sur les avis et futurs avis du Comité Consultatif National d'Ethique (LA) mais mon expérience interne, cet exemple comme deux autres que je vais vous détailler brièvement, me font dire que l'euthanasie active est courante dans les établissements de soins et à l'insu du plein gré de tout le monde.

Il y a donc une profonde hypocrisie sociétale : dans les faits "on", c'est à dire l'institution médico-hospitalière constituée en norme (locale ?, locorégionale ?, nationale ?, politique ?, confessionnelle ?, idéologique ?, bobooïque ?), décide de ce qui doit être fait et non fait sur de simples constatations, sur de vagues impressions, sur des propos de fin de nuit en établissement hospitalier, entre le bassin et la distribution des médicaments, entre la toilette et le bruit des sabots dans les couloirs, sans demander l'avis ni du malade (dans le cas que j'ai décrit) et encore moins (si c'est possible) de la famille du malade, des personnels hospitaliers constitués en démocratie d'opinion, en web 1.0 de l'hôpital, qui décident (dans la salle de soins l'interne ou le senior ou le chef de clinique ou le chef de service, allez savoir, il passe parfois, qui jette à la cantonade un 'Madame A, elle est fichue' et tout le monde de prendre des mines et de préparer le geste qui tue pour soulager des souffrances terrestres une malade condamnée... qui a dit l'autre matin qu'elle en avait assez de mal dormir), des personnels hospitaliers qui ne reverront jamais la famille, avec qui ils ne discuteront plus, dont ils ne connaîtront pas le destin ou la "vraie" vie à l'extérieur de l'hôpital...

Je parle avec Madame A et nous reprenons un à un les éléments de cette discussion et j'essaie de distinguer ce qui touche à l'information elle-même sur le pronostic de la maladie dont sa mère souffrait, le déphasage entre ce qu'elle a perçu et ce que voulaient dire les "soignants", de son désarroi, du fait qu'elle se raccrochait au moindre sourire de la moindre agent hospitalière, au moindre rictus de la moindre aide-soignante, au moindre clignement des yeux du moindre médecin pour se faire une opinion, j'essaie de distinguer le reste, c'est à dire le pronostic lui-même et la désinvolture de l'équipe soignante quand il s'est agi de prendre la décision activiste de l'euthanasie sans le dire...
Une euthanasie médiatisée avec des débats sans fin et des décisions privées et minables prises dans le dos des patients et des familles. Du bla bla pour amuser la galerie.

(Deux autres exemples : la famille s'aperçoit qu'un patch a été collé sur la peau  du patient sans que personne n'ait été informé ; une autre famille s'entend dire que de l'hypnovel a été administré et aucun dialogue, aucune discussion n'a précédé ce geste. La politique du fait accompli, comme si la morale hospitalière se substituait à la morale privée des familles, une sorte de prise de pouvoir sauvage. Au nom de quoi ? Ainsi, des familles demandent et en sont pas écoutées et d'autres ne demandent rien et sont privées de leur réflexion.)

L'arrogance de l'Institution qui dit la morale pour les autres.

(Précisions importantes : il ne s'agit pas d'un hôpital de Bordeaux ; il ne s'agit pas d'un service de pneumologie ; il s'agit d'une famille)

PS du 19 mai 2013 : une famille porte plainte : LA

mercredi 15 août 2012

Comment meurent les médecins.


Récemment, je ne vous avais pas parlé de façon allusive ICI d'un de mes patients qui refusait tout traitement de son cancer incurable (et je confirme qu'il a persisté dans son refus malgré toutes les "incitations" qu'il a reçues et tous les efforts désespérés des médecins pour le convaincre du contraire). J'ajoute que la première lettre que j'avais écrite pour l'adresser indiquait clairement que le patient, informé par mes soins, ce qui ne signifie pas bien informé par mes soins, refuserait et la chirurgie et la chimiothérapie et souhaitait simplement finir sa vie aux côtés de sa femme à la maison et dans la moindre souffrance possible.
Il y a plus longtemps je vous avais raconté LA l'histoire d'une de mes patientes, Madame A, 67 ans, touchée par un cancer incurable, pour laquelle je n'avais pu être assez rapide pour la faire échapper aux traitements agressifs qui n'avaient pu empêcher l'issue fatale et qui l'avaient rendue, dès le premier jour, terriblement mal. Sa famille était convenue avec moi (ICI) que l'on aurait dû ne pas la traiter tant les effets indésirables des traitements successifs avaient été désastreux et combien sa qualité de vie avait été altérée dès le premier traitement.
Je vous avais raconté LA combien le fait d'être un spécialiste d'une question médicale (le dépistage du cancer de la prostate par le dosage du PSA et la cascade décisionnelle qui s'en suivait avec des erreurs de jugement à chaque étape de l'algorithme implicite) rendait le spécialiste en son milieu spécialisé aveugle contre l'évidence de preuves contraires (le plus souvent apportées par des non spécialistes) et l'avait conduit à subir les effets indésirables du traitement qu'il estimait originellement rarissimes et qu'il regrettait maintenant.
Un article récent, qui m'a été transmis via twitter par Medicalskeptik à l'adresse @medskep, est particulièrement éclairant : ICI. Il a été écrit par Ken Murray, qui est Clinical Professor Assistant   of Family Medicine à l'USC (University of Southern California) dont le site, ICI, laisse rêveur.

C'est l'histoire d'un orthopédiste chez qui un chirurgien découvre un cancer du pancréas. Ce chirurgien n'est pas un chirurgien lambda, l'article nous dit (il faudrait vérifier mais le nom n'apparaît pas) qu'il a mis au point une technique chirurgicale qui permet de tripler le taux de survie à cinq ans, passant de 5 à 15 %, mais au prix d'une pauvre qualité de vie. L'orthopédiste n'est pas intéressé. Il est rentré chez lui le lendemain, il a fermé son cabinet et n'a plus jamais mis les pieds dans un hôpital. Il s'est concentré sur sa famille et sur le fait de se sentir le mieux possible. Il est mort quelques mois après sans chimiothérapie, sans radiothérapie, sans chirurgie. 

Cet article est très riche et il évoque nombre de problèmes qui se posent dans la gestion de la fin de vie en médecine et de la mort en général. Il aborde notamment le fait que les médecins auraient une attitude différente de celle de leurs patients (ou de la famille de leurs patients) pour gérer fin de vie et mort. Il indique qu'il est nécessaire de réfléchir sur les interactions entre ce que sait le médecin, ce que fait le médecin pour ses malades, comment il parle aux patients et aux familles de patients, comment il se parle à lui-même, comment il parle à sa famille avant sa propre maladie et comment il parle pendant, et aussi le rôle du système, c'est à dire celui des institutions.

Je vous résume : Les médecins connaissent la musique de la fin de vie ; ils connaissent les deux craintes de leurs patients à savoir mourir en souffrant et mourir seuls ; les médecins ont l'habitude, serait-ce en plaisantant, de parler à leur famille et à leurs collègues ; ils savent aussi l'inutilité des soins en services de soins intensifs où les corps sont des objets à qui l'on fait subir différentes tortures que l'on ne ferait pas subir à des terroristes ; administrer des soins douloureux est anxiogène, le ferait-on pour des personnes de sa famille ? ; les familles dont le parent vient d'être admis en réanimation disent souvent "Faites tout ce que vous pouvez" alors qu'ils veulent dire "Faites tout ce qui est raisonnablement possible" ; les médecins, en administrant des soins inutiles, peuvent en trouver la justification dans ce qu'ils pensent être les souhaits des proches ; comment établir une relation de confiance avec un médecin de réanimation que l'on n'a jamais vu auparavant et dont on ne connaît ni les valeurs ni les préférences ? ; un malade est admis en réanimation et le docteur Murray est appelé parce qu'il le connaît, ce malade a toujours demandé qu'on ne le réanime pas, Murray a des documents signés du patient pour le prouver, Murray débranche en accord avec le staff et la famille, le patient meurt deux heures après ;  il comprend   que c'est le système, celui du toujours plus, du toujours plus de médecine, qui l'a conduit là et qui a fait que l'on a agi contre la volonté du patient ; une des infirmières a même voulu porter plainte contre lui pour homicide mais ne l'a pas fait ; s'il n'était pas intervenu le malade serait resté de longues semaines contre sa volonté dans un lit de réanimation et au prix, dit Murray, de 500 000 dollars ; Murray raconte que les médecins demandent moins de traitements que les autres, qu'une étude a montré que les patients placés dans des établissements de soins vivaient plus longtemps que ceux soumis à des traitements actifs ; enfin, il raconte l'histoire de son vieux cousin, Torch, qui fait une crise d'épilepsie qui révèle des métastases cérébrales d'un cancer du poumon ; il consulte des spécialistes qui lui promettent, au prix de 3 à 5 séances de chimiothérapie par semaine, une survie de 4 mois ; il refuse et décide de revenir chez lui avec seulement des médicaments pour l'oedème cérébral ; Murray raconte qu'il s'est occupé de lui, lui a fait de bons petits plats et qu'un matin il ne s'est pas réveillé, est resté trois jours dans le coma et il est mort (huit mois après le diagnostic) ; Murray pense qu'il a coûté environ 20 dollars à la société. Il termine en disant que son cousin, qui n'était pas médecin, avait voulu vivre dans la dignité, avait voulu plus de qualité que de quantité de vie.

Rappelons qu'il faut toujours se méfier de ce que dit le bien portant à propos de ce qu'il convient de faire quand il sera malade. La maladie, et a fortiori la maladie mortelle, change le jugement et le rend parfois chancelant et, surtout, inapproprié à la personnalité de la personne bien portante. Quant au médecin malade ou au malade médecin, c'est encore une autre histoire, car se télescopent les jugements du médecin, du malade, du médecin malade et les valeurs et préférences sont parfois contradictoires et donc difficiles à gérer. Un autre aspect que l'auteur n'a pas traité est celui de l'image que la personne malade renvoie à la personne bien portante qui n'est pas identique à l'image que la personne malade a d'elle-même. C'est un des problèmes posé par la notion d'autonomie, un concept très à la mode dans les cercles politico-médicaux, et plus généralement chez les décisionnaires, l'Education Nationale n'a que ce mot à la bouche, un concept intéressant mais d'une grande complexité tant pour sa définition que pour son contexte et pour la façon de l'aborder. J'avais essayé d'en parler un peu ICI mais c'était trop court et trop léger.
Il faut parler à ses proches de ce que l'on souhaite pour soi-même.
C'est un bon conseil.

(Illustration : KEN MURRAY, clinical assistant professor of family medicine at the Keck School of Medicine at USC)
(Addendum : un article d'août 2012 de Ken Murray : ICI )