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jeudi 19 juillet 2018

La médecine m'inquiète : microf(r)ictions (87)

Jérôme Cahuzac fait des TIG comme médecin généraliste


Trois billets de blogs (écrits pas des médecins généralistes) sont parus récemment et leur pertinence illustre de façon saisissante l'état de la médecine en ce moment.

Le lien d'intérêt est évident : je suis médecin généraliste.


Ces billets de blog sont courts. Percutants.



Commençons par le cas clinique rapporté par Hippocrate et Pindare (H et P) (LA) : un patient diabétique est suivi par un endocrinologue qui est également son médecin traitant. Quand il commence à souffrir de (fortes) douleurs articulaires, le médecin traitant endocrinologue l'adresse à un rhumatologue et, semble-t-il, sans tenter de soulager ses douleurs afin de ne pas perturber le diagnostic (qui aura lieu dans quelques semaines en raison des difficultés pour obtenir un rendez-vous).


H et P tente de trouver des raisons à cet état de fait : mépris du médecin généraliste, mépris de la médecine générale, incompétence médicale de l'endocrinologue pour soulager un patient en dehors de sa spécialité, mais aussi incompétence du patient par rapport au parcours de soins.

Mon interprétation est la suivante : les spécialistes d'organes exerçant en ville sont des refoulés de l'hôpital dans deux acceptions : refoulés physiquement par manque de postes et refoulés psychologiquement par regret de ne plus faire partie de l'alma mater.

Cette interprétation est tendancieuse : en réalité, l'enseignement académique de la médecine et l'organisation hospitalière de la médecine, ne reconnaissent pas la médecine générale qui arrive comme une verrue en fin d'études sur le visage lisse et élégant de l'académisme hospitalier.

Quand un patient hospitalisé en CHU dans un service d'endocrinologie ou de médecine interne/endocrinologie fait un pet de travers, on appelle le gastro-entérologue. Sans doute pour qu'il n'y ait pas de perte de chance (on rit !). Il arrive même qu'un patient endocrinien guéri reste quelques jours de plus hospitalisé dans l'attente de l'avis spécialisé sur ce pet de travers.

Ce modèle est reproduit en ville (Note 1).

Dans le cas clinique rapporté par H et P l'erreur (administrative et théorique) fondamentale tient au fait qu'un spécialiste d'organe puisse être médecin traitant (on me dit qu'il s'agissait à l'origine d'une demande syndicale). La deuxième erreur tient au fait qu'un spécialiste d'organe puisse penser qu'il peut être médecin traitant, c'est à dire répondre à des demandes de soins qui sortent de sa spécialité. La troisième erreur tient au fait qu'un patient puise penser qu'il peut se passer d'un médecin traitant.

Mais surtout : la transposition de l'organisation hospitalière vers la ville passe par le culte du diagnostic.

Et encore : ce n'est absolument pas une critique à l'égard des spécialistes d'organe, non non non (un médecin généraliste sait combien l'avis des spécialistes est fondamental dans sa pratique) (Note 2).

Note 1 : Et je ne parle pas de l'hospitalisation non publique où le cabotage (i.e. le "à toi à moi" entre spécialistes d'organes n'est pas un problème diagnostique mais un souci économique)

Note 2 : On m'a maintes fois reproché de ne pas "aimer" les spécialistes d'organes ou de toujours les critiquer. Précisons ceci : il est normal qu'un cardiologue en sache plus en cardiologie qu'un médecin généraliste (les médecins généralistes universitaires sont en train de me traiter de traître) et itou pour les autres spécialités. En revanche il est anormal que le médecin généraliste se rende compte que le spécialiste ne fasse pas tout à fait le job, soit pour des raisons pécuniaires, soit pour des raisons idéologiques, soit pour les deux à la fois. 

Ce qui nous amène au billet de Bruit des sabots (BdS) (ICI).


Ce billet devrait être lu dans toutes les écoles de médecine avant toute explication théorique. Et relu. Il est parfait.

C'est la part invisible du travail des médecins généralistes qui est rapportée. Grosso modo BdS nous dit ceci : les médecins généralistes gèrent l'incertitude, les soins non programmés, c'est eux ; quand un patient arrive aux urgences, soit de son propre chef, soit adressé par son médecin traitant, c'est la partie émergée de l'iceberg, l'écume de l'activité, celle que l'on met en exergue pour parfois la critiquer.

BdS nous parle donc de la partie immergée invisible, celle que le médecin généraliste gère dans une zone non institutionnalisée, avec les moyens du bord, avec les correspondants amis ou non disponibles. Dans l'urgence ou la semi-urgence, au milieu d'un planning serré.

Quand les médecins généralistes auront disparu, c'est que l'iceberg aura fondu, il n'y aura plus de partie émergée et de partie immergée, le niveau des eaux aura monté et les malades couleront(Note 3).

Note 3 : BdS est le digne continuateur de la pensée de Desmond Spence, généraliste écossais. Qui dit aussi, ce qui peut être paradoxal : "La valeur de la médecine générale ne tient pas à ce qu'elle fait mais à ce qu'elle ne fait pas." Il signifie par là gérer l'incertitude, ne pas demander trop d'examens complémentaires, d'avis spécialisés. Voir LA.



Luc Perino nous dit ICI que la iatrogénicité est l'éléphant dans le couloir des soins. Que nombre de pathologies et/ou de symptômes sont liés à la prescription et que la déprescription est l'avenir de la médecine. C'est le triomphe de la médecine symptomatique qu'il faut remettre en question. C'est le triomphe de la médecine (et de l'industrie pharmaceutique) qu'il faut remettre en question. Il faut donc créer le médecin expert de demain en iatropathogénicité dit-il avec ironie. Créer un expert c'est comme créer une commission, c'est pour enterrer le projet.

Le cadre et l'horizon de la médecine, c'est la société de consommation. Les marketers ont une loi fondamentale : une tâche (ou une tache) un produit. Pour l'industrie pharmaceutique : une maladie, un produit, un symptôme, un produit. Et tout comme les alcooliers tentent de sensibiliser les jeunes enfants au goût de l'alcool ou les junkfooders à celui du sucre, on incite les consommateurs malades (ou non) au zéro douleurs.

On en revient au rôle du médecin généraliste : être fédérateur, informer les spécialistes d'organes, faire des choix, pondérer, arbitrer, disposer de toutes les ordonnances émanant des spécialistes ou non pour en faire une prescription unique.