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dimanche 28 décembre 2008

Histoires de consultations : quatrième épisode

Volonté des morts, volonté des vivants.

Monsieur M, cinquante-six ans ans, consulte après le décès de son père, quatre-vingt cinq ans. Il est triste, il vient renouveler son traitement habituel, il n'a pas envie de s'épancher et encore moins de médicaments. Mais il a un problème : sa mère refuse de faire incinérer son mari contrairement à des dernières volontés qu'il a toujours exprimées à qui voulait l'entendre. "Vous qui connaissez si bien maman, ne pourriez-vous pas faire quelque chose ? - Je ne comprends pas, répond le médecin en faisant l'imbécile. - Eh bien, c'est tout simple. Il faudrait que vous la persuadiez de faire incinérer papa. - Et pourquoi ? ... - Parce qu'il faut toujours obéir à la volonté des morts. Vous avez été le médecin traitant de mon père... "
La conversation est mal engagée.
"Pourquoi ne veut-elle pas ? - Elle dit qu'elle ne supporterait pas l'idée que le corps perde son apparence humaine... - C'est un point de vue. - Oui, mais ce n'était pas le point de vue de mon père... - OK, mais vous le lui avez rappelé et elle ne semble pas vouloir changer d'avis. - Elle dit qu'il est mort et que c'est elle qui reste. Elle a donc priorité. - Cela me paraît sensé. - Vous êtes d'accord avec elle ? - Non, je ne dirais pas cela : je dirais que son raisonnement se tient. - Je ne peux donc pas compter sur vous ? - Pour lui parler ? Certes. Pour le reste, je ne peux m'engager. - Je ne pensais pas cela de vous... Je suis déçu."
Silence dans le cabinet.
"Je ne sais pas si votre maman a tort ou a raison. Je peux seulement dire que c'est elle qui vit et que c'est elle qui ressent ce qu'elle peut supporter ou non. Il lui semble qu'il lui sera plus facile de vivre sans que son mari ne soit réduit en cendres. Elle a besoin d'avoir une représentation humaine de son cadavre. Pourquoi l'en blâmer ? Maintenant, il est vrai que l'on peut être choqué par le fait qu'elle ne fasse pas ce que son mari avait décidé pour lui-même mais la vie et l'histoire sont remplies de tels cas. Tel grand homme avait souhaité être enterré aux côtés de sa femme et voilà que l'Etat, plusieurs années après, décide que l'intérêt supérieur de la Nation veut que ses restes soient transférés au Panthéon. N'est-ce pas aussi aller à l'encontre de l'amour d'un homme pour sa femme au nom d'une prétendue gloire éternelle ? Qui proteste en ce cas ? Personne en général, sauf le syndicat d'initiatives de la commune d'où le corps va être déplacé. Qu'est-ce que vous en pensez ?"
Le fils de la femme qui trahit son mari après la mort n'a pas envie de comprendre ou de raisonner.
Le médecin aurait pu lui parler de Montaigne et de Saint-Augustin mais il a oublié les références et s'en tient là. L'histoire montre qu'il ne s'est fâché avec personne, que le fils a continué de venir le voir et que la mère n'a été au courant de rien.
Les choses ont été plus complexes : le fils a écouté le médecin et a soutenu sa mère devant les frères et soeurs mais le médecin n'en a rien su car l'homme n'en a pas parlé.
Montaigne, in Les Essais (I,3), citant Saint Augustin (Cité de Dieu, I,12) : "Le service des funérailles, le choix de la sépulture, la pompe des obsèques sont plus une consolation pour les vivants qu'un secours pour les morts."