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samedi 27 octobre 2018

Pourquoi détester les médecins dévoués ?



Une des raisons principales, selon certains médecins, de ne pas s'installer en médecine générale, outre les arguments habituels sur la charge administrative, l'URSSAF, la CARMF (1), les impôts, la CPAM et le taux anormalement bas de la consultation pour l'acte de base (25 €), "le plus bas d'Europe", sic, c'est le mythe dévastateur du médecin généraliste dévoué (2).

La petite maison dans la prairie


Qu'est-ce qu'un médecin dévoué ? Eh bien, selon la mythologie colportée par certains médecins, des généralistes bien entendu, c'est le sale type qui, le plus souvent installé en campagne, parfois en banlieue (défavorisée), ne compte pas ses heures, dit oui à tout le monde ou ne sait pas dire non, se fait rabrouer par les patients, fait des visites pour des broutilles, prend des patients entre deux, consulte sans rendez-vous, prescrit des antibiotiques pour des rhino-pharyngites (c'est comme cela qu'il a fidélisé sa clientèle), des corticoïdes dans les bronchites, prescrit à tout va, appelle les patient.e.s par leur prénom, rentre crevé chez lui, compte le soir sa recette avec avidité et voit rarement ses enfants.

Que des médecins ne veuillent pas mener une vie pareille, on les comprend.




Mais, ce qui me choque, c'est que l'on considère a priori péjorative l'expression de médecin dévoué.

La lecture de la signification du verbe "dévouer" ou "se dévouer" ne donne certes pas envie. Voir ICI.
Se sacrifier pour quelqu'un ou pour quelque chose. Se consacrer entièrement à.
Voici notre contre-modèle :



Mais on ne peut pas se lamenter à la fois sur la déshumanisation de la médecine et se moquer du médecin dévoué.

J'essaie d'expliquer l'affaire : d'abord, il est de bon ton de penser que vouloir être médecin par vocation est une vieille lune et désormais une attitude sans avenir ; ensuite, être dévoué signifierait, horreur des horreurs, s'impliquer dans une relation avec les patients qui outrepasserait les sacro-saints canons de la médecine moderne et scientifique : être froidement empathique.



Je continue : il n'est pas certain que n'importe qui puisse être un "bon" médecin (et ne me dites pas que je vous sers le plat réchauffé du "bon" médecin qui serait l'autre face du médecin dévoué) ; il n'est pas certain qu'il ne faille pas une empathie "naturelle" pour être un "bon" médecin (on sait désormais, enfin, c'est ce que l'on essaie de nous faire croire, que l'empathie "ça s'apprend", en réalité tout peut s'apprendre, et pour l'empathie il est possible d'en apprendre le langage et les outils) ; il n'est pas certain qu'il ne faille pas une attention naturelle aux "gens" pour être un "bon" médecin...




Les médecins dévoués seraient-ils les victimes expiatoires des patients désirants ?

Sans rire, il est nécessaire d'avoir un certain degré de dévouement, car l'exercice de la médecine, ce n'est que l'exercice de la médecine et, sauf en cas d'urgence vitale, la médecine, c'est peu dans une relation médecin/patient.

Et encore : la médecine, c'est un métier de merde. Les médecins (comme les autres professionnels de santé) sont confrontés à la souffrance, à la douleur, à l'échec, au succès momentané, à la mort, à l'exception, à la complication inédite, au mépris, à l'orgueil, à l'absence de reconnaissance, à l'excès de sentiments, aux remords, à l'excès de confiance. C'est un métier de merde car les patients sont le reflet de la vie passée, présente ou future des médecins...

Il faut donc être soit un parfait bloc de glace pour survivre ou être emphatique avec retenue et tact, et surtout : aimer ses patients.




Passez votre chemin les robots doctolibiens, les robots télémédecins, les robots chirurgiens, et cetera.

Dans les soins palliatifs à domicile est-ce être dévoué que de toucher les patients surtout quand le fait de les toucher ne sert à rien, il faut sortir son stéthoscope, écouter le coeur, palper l'abdomen... regarder, soulever les vêtements et ici le pyjama ou la nuisette...

Etre dévoué est donc perçu comme péjoratif. Il est vrai que la médecine consumériste, néo-libérale, technicienne, n'a que faire des personnes dévouées.

Rappelons cette phrase : "Do as much as possible for the patient while doing as little as possible to the patient".

Une dernière chose : est-ce que le dévouement est une variété dévoyée du professionnalisme ? Sans doute.

Pour conclure : on peut être dévoué  et ne pas se déplacer pour une rhino-pharyngite, on peut être dévoué et ne pas prendre de patients en plus pour des vétilles, on peut être dévoué et être ferme sur la civilité, et cetera. Mais si ne pas être dévoué signifie vouloir des patients à son image ou des patients qui obéissent ou des patients polis...

L'empowerment des médecins signifie aussi que les médecins prennent soin de leurs patients en respectant leurs défauts sans vouloir absolument les corriger, sauf s'il s'agit d'un problème médical.

La médecine technicienne, scientifique, n'aurait-elle besoin que de médecins non dévoués ?

Mais comme on a tous fait référence au moins un fois à Urgences,


et à Docteur Sachs, dont acte.




J'avais déjà écrit un article en 2012 déconseillant aux jeunes médecins de s'installer : ICI.

Notes :
(1) La CARMF ou Caisse Autonome de Retraite des Médecins Français est l'organisme garantissant la retraite libérale des médecins libéraux.
(2) Il n'existe pas de cardiologue dévoué ou de chirurgien dévoué dans la mythologie médicale. J'en ai pourtant connu. Et le médecin qui fait 24 heures de garde aux urgences : ne serait-il pas dévoué ?