Affichage des articles dont le libellé est MEDECIN TRAITANT. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est MEDECIN TRAITANT. Afficher tous les articles

mercredi 3 juin 2015

De l'intérêt de ne faire confiance à personne (et encore moins à soi-même). Histoire de consultation 184.


Première partie : Une histoire simple (ou presque).

Monsieur A, 59 ans, dont la pathologie principale est un infarctus du myocarde double stenté, revient me voir au décours d'une consultation chez le spécialiste en pneumologie. Il y a trois jours j'ai reçu une lettre du dit spécialiste qui me reprochait d'avoir arrêté le traitement par spiriva/tiotropium (voir ICI et LA des informations sur ce produit). La lettre est moyennement aimable et me place devant mes responsabilités arguant du fait que l'arrêt de ce médicament serait préjudiciable à la santé du patient.
Ce qu'il ne sait pas, le spécialiste en question, c'est que l'arrêt du dit médicament a été négocié entre le patient et moi (le fameux médecin traitant) il y a environ six mois car le patient ne ressentait aucune amélioration en le prenant. En réalité, le patient m'avait dit qu'il avait arrêté le produit de lui-même depuis environ 3 mois et que son état était inchangé (Pour les curieux, ils peuvent consulter le dossier de la commission de transparence (LA) et notamment sa conclusion : ce médicament a une efficacité symptomatique modeste et ne modifie pas le cours évolutif de la maladie.)

J'en discute ici et là.
  1. Je me fais engueuler par le docteur A. "Ce n'est pas une façon de se conduire." D'abord, il me dit "que je n'aurais pas dû arrêter le traitement sans prévenir le spécialiste en pneumologie. Qu'un appel téléphonique eût été plus fair. Que ce n'est pas non plus une façon de se conduire avec le patient que, il y a longtemps, j'avais adressé au spécialiste en pneumologie en question. Que peut-il et que doit-il penser de la médecine en général ?" Je ne suis pas d'accord. D'une part en raison de mes relations anciennes (et tumultueuses) avec ce spécialiste en pneumologie à qui, désormais, je n'adresse plus de nouveaux patients : communiquer ma décision eût conduit à une fin de non recevoir. D'autre part nous sommes convenus de cela avec le patient qui ne se trouvait pas amélioré par le spiriva, ce n'est donc pas une décision irréfléchie. En gros, le docteur A me reproche : "Si tu veux changer quelque chose il faut t'expliquer avec le spé, sinon vous vous traiterez de crétins jusqu'à la fin des temps... Vous vous mépriserez l'un l'autre... et rien ne changera."
  2. Je suis soutenu par le docteur B. "T'as eu bien raison. Nous devons préserver l'intérêt de 'nos' patients. Nous devons également tenir compte de leur avis. Cela fait partie de l'éducation thérapeutique bien comprise : gérer sa maladie, le malade a pris sa décision et tu n'avais pas d'arguments très forts pour le convaincre de continuer." Il ajoute : "Tu crois que le spé te prévient quand il change un traitement par convenance personnelle ?"
  3. Je suis ramené aux dures réalités. Un collègue pneumologue, le docteur C : "Es-tu bien certain que ce patient était obstructif ?" Je vérifie le dernier courrier adressé (le pas aimable) : le patient est vraiment très peu obstructif (stade 2 modéré de la classification, LA). J'ai donc commis une erreur fatale : j'ai lu d'un regard distrait le courrier du spécialiste des poumons et j'ai "renouvelé" le traitement sans me poser de questions. C'est moi qui suis en tort.
Cette histoire pourrait s'arrêter là mais les khonneries ne sont pas finies.


Deuxième partie. Je connais mal mes patients.

Pour écrire ce billet je consulte le dossier papier du patient (le dossier électronique remonte à 11 ans).
Et je me rend compte que le patient, étiqueté BPCO dans mon dossier (ancien fumeur, petit cracheur hivernal, quelques poussées de bronchites sifflantes), n'avait pas vu de spécialiste en pneumologie depuis plus de 6 ans et que c'est moi, un jour où je rêvais, le lendemain ou le surlendemain de la visite du laboratoire Boehringer à mon cabinet (j'ai très très longtemps reçu la visite médicale, disons entre 1979 et 2005, je sais, je devrais faire mon mea culpa, du moins une confession publique ou encore me fouetter le corps, que sais-je ?), qui ai prescrit spiriva à mon patient.

Je rassure tout le monde : le malade va bien.

Ainsi, le médecin généraliste lambda (c'est moi) prescrit du spiriva sur une vague impression clinique (mais le patient était déjà catalogué BPCO par un spécialiste en pneumologie) en suivant sans doute les recommandations d'un ou d'une visiteuse médicale, et, sans le savoir les recommandations de GOLD (voir ICI pour les commentaires) et je suis soutenu par le spécialiste en pneumologie qui aurait dû se poser des questions (tout comme moi, mais, après tout, je ne suis pas spécialiste en médecine générale) sur le diagnostic : ce patient n'a probablement pas de BPCO.

L'objection du docteur A, ne pas faire avancer le schmilblic en ne prévenant pas le spécialiste en pneumologie, était tout à fait justifiée mais je n'ai toujours pas écrit de courrier pour éclaircir les choses. Sans doute mon côté je râle et je n'arrive pas à faire changer les choses.
L'approbation du docteur B me convient mais convient surtout à mon laisser-faire (voir objection précédente).
La réflexion du docteur C est plus inquiétante sur l'état de la médecine : de la médecine générale pépère qui prescrit dans le probabilisme irresponsable et de la médecine de spécialité prescriptrice sur de vagues arguments. Il arrive donc que des patients soient traités pour une maladie, voire des symptômes, qu'ils n'ont pas. Et pendant de longues années.

Conclusion (peu conclusive).

Nous avons tous, les uns et les autres, des consultations chargées, des consultations de routine, des consultations de renouvellement, des consultations d'alerte, des consultations d'ennui, nous avons tous des dossiers surchargés (liés au suivi longitudinal pendant de nombreuses années) où les informations essentielles finissent par être enfouies, des patients qui ont oublié jusqu'aux pathologies qu'ils ont présentées, les effets indésirables qu'ils ont ressentis, des patients pressés ou inquiets, et cetera.
Quand un patient revient chroniquement au cabinet et quand la médecine se fait envahir par la conversation, il faut se mettre en alerte, il faut relire les anciens courriers de spécialistes comme les anciens courriers que l'on a adressés aux spécialistes...
Bon, pour les esprits critiques, on voit donc que j'ai été léger sans conséquences sur ce coup là (pour toutes les fois où j'ai pu être lourd et éventuellement dangereux).

(Traduction du dessin :  On n'a rien trouvé chez vous donc on va vous traiter pour Trouble d'Absence de Symptômes.)

jeudi 4 avril 2013

La CNAM, le médecin traitant, le spécialiste, Sophia, le CAPI, le ROSP et le bilan périodique de santé. Histoire de consultation 145.


J'ai fait une erreur.

Je n'aurais jamais dû accepter que Monsieur A, 43 ans, dont je suis le médecin traitant en titre (et pour lequel je touche 40 euro par an, on le verra plus loin, sans presque rien faire), et après que j'avais fait le diagnostic de diabète de type II, allât consulter un diabétologue.
J'avais oublié cette erreur jusqu'au jour où il est venu me revoir pour le diabète.
Monsieur A est gentil, calme, déterminé et de bonne foi.
Donc, il vient consulter sur rendez-vous et, après les civilités d'usage, après que HelloDoc eut daigné ouvrir le dossier de mon patient au bout de longues secondes d'angoisse, il me dit qu'il vient pour trois choses.

Déjà, le patient qui vient pour trois choses, me tape sur les nerfs a priori (ce qui est une réaction d'une grande idiotie, je le concède, mais qui me ramène à la notion de médecin généraliste qui peut -- et qui doit-- dans la même consultation faire le boulot d'un ou de trois, voire quatre, spécialistes non généralistes, voir ICI, pour la modique somme, en secteur 1, de 23 euro) et j'ai beau lui tendre le sourire le moins contraint que je connaisse dans ma panoplie de médecin généraliste empathique et soucieux de sa patientèle, un sourire contraint quand même qui cache un désamour certain, cela me rend dubitatif et légèrement sur mes gardes pour la suite de la consultation.

Les trois choses (et les trois rictus).
Il pose d'abord sur mon bureau le questionnaire Sophia en me disant, je cite, "J'ai accepté d'adhérer à Sophia, le suivi des diabétiques." Premier rictus.
Il pose ensuite l'enveloppe des résultats de son examen périodique de santé "Puisque c'est gratuit..." en me demandant de le regarder. Deuxième rictus.
Enfin, il a raté le rendez-vous avec le diabétologue et il veut que je lui refasse son ordonnance. Troisième rictus.

Tout baigne.
Mais ce n'est pas fini.
Je jette un regard distrait sur le questionnaire Sophia (pour le remplissage duquel mais je ne sais pas trop s'il s'agit d'un seul remplissage ou s'il faudra le faire plusieurs fois au cours d'une même année pour que je  reçoive la modeste somme de 2,5 C) et je vois d'une part que sont demandés des renseignements sur des analyses biologiques que je n'ai pas prescrites (et je ne dispose pas des résultats) et d'autre part que les items à remplir (sur papier glacé) m'ennuient au plus haut point. Mais le patient sophiaté a tout prévu : il a apporté ses prises de sang. Je me rends compte alors qu'il consulte "son" diabétologue une fois tous les six mois (il me le confirme) et que "son" diabétologue ne me fait jamais de courrier ("Ah bon, il ne vous envoie rien ?" Je confirme). Le dossier de "mon" patient indique qu'il n'est pas venu me voir depuis cinq mois (et pour une infection virale ORL qui n'aurait même pas dû faire l'objet d'une consultation et quand je lui ai posé des questions sur le diabète il m'a répondu "mais c'est le diabétologue..."). Donc, le patient me montre les résultats d'une HbA1C à 6 en février 2013, à 5,8 en août 2012 et à 6 en février 2012. Je pense au ROSP (Rémunérations sur Objectifs de Santé Publique*) qui est en train de me filer sous le nez comme un pet sur une toile cirée... Je rappelle ici que les grands experts de la CNAM ont décidé que pour "bien" suivre un patient diabétique de type 2 il fallait doser l'HbA1C (ou hémoglobine glyquée 3 à 4 fois par an), ce qui est du domaine de la pensée facile ou du bon sens bien pensant (même si Prescrire a dit que c'était acceptable...). Quant au LDL, dosé une fois, il est à 1,14.

C'est alors (cf. supra Mais ce n'est pas fini) que je lui demande s'il est d'accord pour que je lui mesure la pression artérielle (j'aurais dû dire : "Daignez-vous, cher patient dont je suis le médecin traitant et qui vous faites suivre à la sauvette par le bon spécialiste du diabète, que je vous prenne la tension ?") et il me dit "J'allais vous le demander" et il ajoute :"Lors de l'examen de santé, ils m'ont trouvé de la tension". Bon. Le patient a 170 / 90, ce qui est trop pour un diabétique de type II (selon les recommandations actuelles). Il ne m'a pas apporté le rapport complet de l'IPC, officine dont je vous ai déjà parlé ICI et LA, seulement les résultats de prises de sang, il a dû considérer que le reste était sans importance -- ce en quoi il aurait eu raison -- ou que son médecin traitant supposé n'était pas digne de les lire -- aurait-il tort ?, -- et je ne peux que le croire quand il m'affirme que la pression artérielle mesurée à cette occasion était à 16. Nous allons aviser...

Il y a donc les examens de l'IPC qu'il m'a apportés incomplets et qui, le médecin traitant n'ayant pas été consulté et l'examen de sang étant standard, ne comportent pas de dosage de l'HbA1C mais je lis une glycémie à jeun à 1,22... et un LDL à 1,23. Je survole le reste.

Puis il y a le renouvellement.

Cette consultation peut vous paraître foutraque mais c'est le lot de ces malades, de bonne foi, qui se baladent à droite et à gauche, c'est peut-être cela la collégialité involontaire, et qui vous déversent sur votre bureau, leur parcours de soins. Je ne vous parle pas des patients de mauvaise foi qui font la même chose en mentant, dissimulant et en tentant de vous prendre en défaut au cas où vous ne raconteriez pas la même chose que les spécialistes...

Je me rends compte, en lisant l'ordonnance du  diabétologue, que, pour une fois, le traitement que j'avais mis en route à l'origine, c'est à dire la metformine, a été conforté, qu'il n'a pas été prescrit autre chose et notamment les produits "innovants". Un miracle. 

Cette consultation appelle plusieurs observations (ne vous méprenez pas sur le côté docte de l'affaire) :
  1. Le médecin traitant que je suis s'est fait déposséder de son malade et a accepté. Mais c'est fini, il a demandé au patient de choisir.
  2. Sophia propose des questionnaires débiles qui n'aident pas le patient mais rendent la CNAM capable de faire des statistiques bidons (voir ICI)
  3. Ce patient parfaitement équilibré n'a pas besoin de trois ou quatre dosages d'HbA1C pour être bien équilibré et le ROSP tombe à côté de la plaque
  4. Les examens périodiques de santé sont une vaste rigolade, coûtent cher et n'apportent rien
  5. Les médecins qui ont touché pour le CAPI que j'avais refusé vont aussi toucher pour le ROSP que j'ai accepté (voir ICI) : c'est comme si, le même jour, on facturait une consultation deux fois
  6. Mais surtout : l'administration française a construit un édifice bancale, un mille-feuilles de décisions, de règlements, d'objectifs qui s'entremêlent et qui n'ont aucune visibilité (me voilà en train d'utiliser les termes du marketing managerial) et qui font le génie de notre fonction publique : "mon" patient diabétique dont je suis le médecin traitant me "rapportera" : le prix d' au moins 4 consultations par an (4 x 23 = 92 euro) (mais je peux faire du "à la revoyure", la rémunération Sophia (2,5 C = 57,5 euro), la rémunération ALD (40 euro), la consultation IPC (23 euro) plus la rémunération ROSP (inconnue), plus, pour les ex médecins CAPI la rémunération CAPI (inconnue).

L'expérience du NICE anglais ou, plus précisément, du Quality and Outcomes framework (ICI) a montré que les sommes englouties ne servaient à rien en termes de Santé Publique (LA) mais remplissaient les poches de médecins qui, par ailleurs, ne faisaient que du remplissage et négligeaient ce qui était hors du QoF.
On comprend que certains syndicats appuient la démarche ROSP puisque c'est la seule façon, le tarif de la consultation étant bloqué, d'augmenter les honoraires des médecins...
Mais c'est quand même du bricolage à la petite semaine...
(crédit photographique : ICI)


* ROSP : je ne veux pas paraphraser Cornelius Castoriadis qui disait, à propos de la défunte URSS : 4 initiales, 4 mots, 4 mensonges, parce que ce n'est pas tout à fait vrai : je vais quand même toucher de l'argent si HelloDoc fonctionne ; mais les dits objectifs de Santé Publique (une expression bien ronflante) sont sans intérêt... pour la santé Publique (voir ICI pour le CAPI, antichambre des ROSP)

mardi 5 février 2013

Nous marchons sur la tête. Histoire de consultation 142.



(Post scriptum du 5 mars 2020 : la HAS enfonce le clou : laissez le plus souvent les enfants tranquilles : ICI)

Le jeune A, 5 mois et 7 jours, est amené en consultation par sa jeune mère et sa jeune grand-mère parce qu'il tousse.
C'est la première fois que j'aperçois A et cela fait bien cinq ans que je n'ai pas vu la jeune mère (qui avait 13 ans à l'époque) et la jeune grand-mère qui a aujourd'hui 41 ans. Ils ont déménagé dans un département voisin où, m'a-t-on dit plusieurs fois, les médecins se font rares et ne veulent pas accueillir de nouveaux patients.
A ressemble beaucoup à son oncle, qui a 16 ans, même forme de visage, même forme de crâne.
J'entre la carte vitale dans le sabot et je crée automatiquement le nouveau dossier.
Le gamin est très coopérant, il se laisse manipuler, déshabiller, examiner, il sourit et l'auscultation retrouve quelques sibilants, le rythme respiratoire est normal, les tympans sont parfaits et la gorge est dans le même métal. Je ne parle pas du tonus, je le prends et il est droit comme un i, toujours aussi  peu effarouché et je note tout cela dans le carnet de santé qui, de loin et dans le brouillard, a l'air rempli. La jeune mère a surtout envie que je pèse et que je mesure son enfant. Je l'interroge sur les éventuelles régurgitations la moquette, les doudous dans le lit, le vieil interrogatoire des "allergiques" et des "reflueurs"
Je signale aux deux femmes que le port de tête de A indique qu'il a un petit torticolis (on me l'a dit, on nous l'a dit) et qu'il existe une (petite) plagiocéphalie (qui me rappelle celle de l'oncle). Je l'écris dans le carnet et je donne quelques conseils classiques (position de couchage en fonction de la forme de la plagiocéphalie, mouvements de décontraction du cou avec ébauches de roulade, et cetera) avant d'entendre la jeune grand-mère me demander :"Ce n'est pas la peine d'aller voir un ostéopathe ?" et cela me rappelle furieusement une autre consultation de nourrisson qui m'avait laissé un mauvais goût dans la bouche (ICI). Je lui donne ma position sur l'ostéopathie, ce que d'aucuns appelleraient un avis d'expert, et j'entends dire la jeune mère, qui travaille comme vendeuse à La Grande Braderie et dont le compagnon (je l'apprends après mais je le dis tout de suite) est à la recherche d'un emploi... que, de toute façon, à 50 euro la consultation non remboursée, ce n'était pas possible...
Bon.
Je mesure A, je le pèse sur ma (vieille) balance de bébé non électronique (un conseil : manipulez vous même le nourrisson et ne le confiez pas à la maman ou au papa pour le déposer sur le plateau : dans le premier cas le bébé ne pleure pas et, dans le second, il pleure...) et je tourne les pages des vaccins : l'enfant n'a aucun vaccin !
Je regarde la jeune mère, la jeune grand-mère, je feuillette le carnet où je vois le cachet d'un médecin généraliste et celui d'un pédiatre... et, de ma voix calme d'hypocrite absolu : "Comment se fait-il que A n'ait pas été vacciné ?" La jeune mère regarde la jeune grand-mère qui me regarde : "Le médecin généraliste que nous consultons n'a pas eu le temps de les faire et il a dit, la dernière fois, que ce n'était pas pressé."
Le monde à l'envers.
Il se trouve que je connais de nom le médecin généraliste (c'était dans une autre vie) et, à moins qu'il se soit laissé tenter par une secte anti vaccin, je ne me le rappelais pas d'un anti conformisme absolu : il était plutôt je fais tout dans les règles.
"Et la pédiatre, il n'a pas vacciné ?" osais-je. La grand mère : "Elle était surtout préoccupée de nous envoyer chez l'ostéopathe..."Moi : "Ah bon ? - Oui, elle nous a dit que si nous ne faisions rien A pouvait avoir des problèmes de développement neurologique. - Hum. - Je lui ai parlé de ma fille qui avait eu le même genre de déformation et qui n'avait pas eu de problèmes et elle m'a dit 'Oui, mais les filles, cela se remet mieux' et je lui ai parlé de mon autre fils... et elle n'a plus rien dit" 
Voilà pourquoi A ressemblait à son oncle : c'était la plagiocéphalie... Et, effectivement, à l'époque, j'avais beaucoup hésité à le faire consulter un pédiatre de l'hôpital... C'était il y a 16 ans... Il aurait peut-être échappé à l'ostéopathe...
Nous nous réinstallons de part et d'autre de mon bureau et je note cette fois dans l'ordinateur ce que j'ai écrit dans le carnet de santé... Je suis sur le point de rédiger l'ordonnance des vaccins quand la jeune mère me dit qu'elle les a déjà mais qu'elle ne les a pas apportés car son bébé toussait.
Rien n'est simple.
Au moment de payer et pendant que je vois la jeune grand-mère (qui est ouvrière d'usine) sortir son carnet de chèques je leur dis que ce n'est pas la peine, que je me ferai payer en consultation de nourrisson. 
La jeune mère n'en revient pas.
Il est possible que les problèmes financiers l'aient fait reculer pour certaines consultations, même remboursées.
J'ai fini par leur donner deux adresses de médecins situés dans leur coin en leur disant qu'ils pouvaient  se recommander de moi.

(Illustration : à partir d'un blog parlant de déformations délibérées des têtes dans les civilisations pré colombiennes pour des raisons culturelles et familiales : ICI)

PS du 17 mai 2015 : Le site de l'ostéopathie est un endroit où l'on peut lire des choses, disons, délirantes, au sens clinique du terme. LA.

jeudi 25 octobre 2012

La prévention selon la CPAM maltraite le patient (et le médecin traitant) et conduit à des examens inutiles.


J'avais déjà écrit un post sur la prévention conçue par la CPAM (ICI), prévention appelée examen périodique de santé, qui délègue à des officines privées le soin de la "pratiquer", des officines qui se moquent complètement de l'organisation du système de soins et notamment de la notion de médecin traitant, des officines qui se moquent complètement des recommandations pour prescrire des examens, font ce qu'elles veulent, quand elles veulent, au moment où elles veulent et publient des commentaires déplorables. J'avais écrit au directeur de la CPAM des Yvelines (ma naïveté me rend perplexe) qui m'avait répondu dans un style administratif d'une grande compétence qu'il ne faisait que suivre la loi et qu'il fallait que je m'adresse au médecin responsable du centre de prévention pour ce qui était de mes remarques médicales (probablement dans le but qu'un simple médecin généraliste, pas encore médecin spécialiste en médecine générale, fasse respecter la Médecine comme on dit respecter la LOI. Combien de divisions, docteurdu 16 ?).
Tout a donc continué comme avant, pourquoi se gêner ?
Il y a, certes, depuis, une publication de la Collaboration Cochrane, qui montre que les bilans de santé ne servent à rien (LA), mais les experts français ne considèrent pas que cette Collaboration puisse dire des choses intéressantes tant pour la vaccination contre la grippe (LA) que pour le dépistage du cancer du sein (ICI) et, en général, voici le mode de pensée français (au moment où on s'interroge sur l'identité nationale) :
Première version : Les Français se lancent à corps perdu dans des innovations innovantes que tout le monde nous envie, s'y perdent, s'y noient, et prennent du retard sur l'innovation innovante mondiale (Minitel puis Internet).
Deuxième version : Les Français se moquent de ce qui se fait ailleurs (c'est quand même nous les meilleurs), finissent par s'y mettre avec retard et avec beaucoup de sérieux sans tenir compte du fait que les expériences étrangères ont échoué (Capi et P4P).

Et là, je reçois un patient d'origine africaine, Monsieur A, 46 ans, parlant difficilement le français, en France depuis quelques années, patient du cabinet depuis son arrivée en France, qui a été convié par une de ces officines, appelé pompeusement Centre d'Investigations Préventives et Cliniques (CIPC, ICI), et j'aimerais tant que l'IGAS s'intéressât à son fonctionnement, à des examens de dépistage et que je revois, inquiet, avec un compte rendu, deux prises de sang, un scanner abdominal et une cholangio - IRM... 
Pendant ce temps là le nouveau Directeur de la CPAM des Yvelines pond des circulaires à la khon pour obliger les patients à consommer du générique et pour atteindre le taux de 85 % qui lui permettra de toucher son P4P de directeur de caisse...
Reprenons les faits depuis le début.
Monsieur A, 46 ans, a été convoqué par le CIPC (C.E.S. conventionné par la Sécurité Sociale, sic) à subir un examen périodique de santé, c'est à dire des examens GRATUITS dans son centre de Mantes-La-Jolie et dans des locaux que j'imagine prêtés gratuitement (enfin, sur des fonds publics) par la ville en question. La gratuité est une notion qui laisse rêveur quand on sait qui paie (les assujettis de la CPAM) et quand on connaît le rendement de l'affaire en termes de santé publique.
Il arrive avec une grosse pochette d'examens que nous allons examiner ensemble :
  1. Il est examiné le 26 mars 2012 et reçoit un courrier daté du 30 avril 2012 signé par le Docteur  D*** qui comprend 5 pages et des résultats d'examens complémentaires.
  2. "Le bilan ci-après ne montre pas, dans son ensemble, d'anomalies remarquables"
  3.  "..." "Nous attirons votre attention sur le fait que les éléments ci-après sont à prendre en compte : - tension artérielle limite (sic) - anomalie du bilan urinaire - globules rouges limites - bilan lipidique limite - bilan hépatique limite "
Reprenons les faits un à un.
  1. "Tension artérielle limite" (la notion de "limite" est assez nouvelle et nul doute qu'il faudrait que nous analysions en détail ce qu'elle signifie. Une recherche sur PubMed a été décevante, nous l'avouons bien volontiers. S'agit-il d'une pression artérielle normale ou anormale ? ). Les chiffres sont les suivants pour la première mesure en position couchée : 146/90 à droite et 141/90 à gauche ; la deuxième mesure effectuée nous dit-on par une infirmière (mais la position n'est pas notée) au bras de référence (à droite) : 142/92, ce qui nous donne, accrochez-vous aux barrières de votre lit médicalisé, des valeurs "moyennes" au bras droit de 144 (146 + 142 / 2) / 91 (90 + 92 / 2) ! Avouons que leurs calculs sont compréhensibles ! Je ne sais pourtant pas d'où ils tirent leurs notions. Les recommandations du NICE anglais ne demandent pas de faire des moyennes mais de prendre la valeur la plus BASSE lors de mesures répétées et notamment quand une infirmière a mesuré la pression artérielle (voir ICI). Monsieur A n'a pas une pression artérielle limite, il n'est tout simplement pas hypertendu.
  2. "Anomalie du bilan urinaire". Le bilan biologique a été réalisé au laboratoire de l'IPC dont le Directeur s'appelle J-M Kirzin (pharmacien biologiste). Les dépistages urinaires sont "qualitatifs", la Bandelette Combur-7 ROCHE indique 2 pour une normalité à 0+, et le commentaire est "Leucocyturie modérée à vérifier"
  3. "Globules rouges limites". Cette expression est également on ne peut plus précise et digne d'un questionnement. Je lis 5,54 GR avec un VGM à 80 et une Hb à 14,5 g / l ????
  4. "Bilan lipidique limite". Je dois être totalement ignare chez cet homme de 46 ans non fumeur : CT = 2,1 g/l ; TG = 1,08 ; HDL = 0,5 ; LDL = 1,38. Sans commentaires. Cela dit, suivent des conseils hygiéno diététiques pour "que l'alimentation devienne plus pauvre en cholestérol et en graisses saturées".  Conseils non personnalisés puisque le patient est musulman...
  5. "Bilan hépatique limite". Nous sommes confrontés à des problèmes d'interprétation majeurs puisque les résultats sont les suivants : ALAT = 55 UI/L (N < 55) ; ASAT = 35 (N < 35) ; GGT = 75 ; "gGT modérément augmentée à surveiller" ; Phosphatase OH = 78.
On voit combien les points sur lesquels le bon docteur D*** a "attiré l'attention" sont majeurs. Mais attendez la suite.

Pendant mes vacances (il a appelé le cabinet et ne voulait consulter ni mon associée ni ma remplaçante) et le patient résidant à Paris chez sa soeur pendant ses vacances, il se rend, alerté par l'attirage d'attention du CIPS, au Centre médical Europe, 44 rue d'Amsterdam, 75009, Paris, où le patient a droit,   le 21 juillet 2012, aux examens suivants demandés par le docteur C*** : VS = 6 ; TP = 100 ; ferritine = 82. 

Le docteur C***, gastro-entérologue de son état, a aussi prescrit le 18 juillet 2012 l'ordonnance suivante : Daflon 500, Hirucrème, titanoréine suppo, aerius, dexeryl et doliprane. 

Le 20 juillet de cette an de grâce 2012 où notre Ministre Marisol Touraine "révolutionne" les honoraires, et toujours selon la prescription du bon docteur C*** consultant au 44, rue d'Amsterdam, Monsieur A, 46 ans, a droit à une échotomographie abdominale réalisée, savez-vous où ? Au 44 rue d'Amsterdam ! L'indication de cet examen : "Augmentation des Gama (sic) GT". L'examen est normal selon le bon docteur M*** : "Foie homogène de taille normale".

Notre bon patient, Monsieur A, 46 ans, revoit avec ses résultats le non moins fameux docteur C***, qui prescrit un bilan biologique qui sera fait le 26 septembre : Gamma GT = 94 ("Aspect sans grande particularité"). Il prescrit une cholangio IRM qui sera réalisée dans la foulée dans un autre centre privé et le docteur S*** conclura : "Examen sans particularité."

Et ainsi revois-je Monsieur A, 46 ans, qui aura "droit" à un dosage de GGT dans trois mois. Comment faire autrement ? A part cela, et à part un peu d'anxiété liée à cette cascade d'examens, il va bien.

Remarques :
  1. Il faudrait aller voir un peu ce qui se passe chez CIPC
  2. Il faudrait voir ce qui se passe dans ces centres médicaux intégrés où je te passe le patient, je te le repasse, je te le renvoie et le tiroir-caisse fonctionne
  3. Tout le monde s'assoit sur le parcours de soins.

jeudi 23 août 2012

Un médecin généraliste peut-il être son propre médecin traitant ?


Je n'ai entrepris aucun sondage ne comprenant qu'une seule question (Un médecin généraliste peut-il être son propre médecin traitant ?) que j'aurais pu analyser sur un coin de table après l'avoir mené par téléphone auprès d’un échantillon représentatif de dix médecins spécialistes en médecine générale et publier conjointement en ligne et  dans la revue de la CPAM des Yvelines, par exemple, ils publient peu ces temps-ci, mais j'ai renoncé. Trop fastidieux. La science m'ennuie, enfin, la pseudo science, celle qui autorise de publier des essais prospectifs avec objectifs flottants et données manquantes à foison comme sait le faire la CPAM d'Alsace Moselle à propos de la prescription des antibiotiques par les médecins généralistes (ICI). 
Je n'aurais certes pas pu poser la question à des médecins spécialistes d’organes car j'ai pensé que mes collègues m'en auraient voulu pour des raisons communautaires (les brillants et valeureux généralistes opposés aux méchants spécialistes d'organes) et qu'un administratif avisé de la CPAM (des Yvelines) aurait pu arguer que les spécialistes dits d’organes sont rarement les médecins traitants désignés par les assurés sociaux (on voit que les bases de données servent à quelque chose).
Cela dit, on pourrait m'objecter que faire un tel sondage est idiot car tout le monde sait (l'opinion commune et générale) qu'un médecin ne doit pas soigner sa propre famille et ne doit pas se soigner lui-même car cela ne peut aboutir qu'à des catastrophes mineures ou majeures (niveau de preuve : faible).

J'ai donc fait mon propre sondage sur un échantillon non représentatif (étude menée sur un seul individu constituant son propre témoin, sans randomisation, sans double-aveugle, enfin, une catastrophe statistico-épidémiologique, un seul individu qui plus est non spécialiste en médecine générale administrativement parlant, voir ICI, profil atypique, trop d'années d'installation, exerçant dans une zone trop sensible, avec un pourcentage de patients d'origine étrangère très suspect et un nombre d'actes annuels beaucoup trop élevé pour qu'il puisse faire de la bonne médecine). 
Mon médecin interrogé a réfléchi avant de répondre. Tous les sondeurs savent cela : il existe des personnes qui réfléchissent avant de répondre, non pas tant parce qu'ils ne savent pas quoi répondre, cela existe bien entendu, il faut de tout pour faire un monde, mais parce que le sondé, au lieu de se mettre dans la position de l'électeur qui vote se met dans la position de l'électeur qui répond à un sondage, ou parce qu'il existe des gens qui disent au sondeur je vais voter X et qui, une fois dans l'isoloir, votent Y, parce qu'ils l'ont toujours fait ou, au contraire, pour ne pas faire comme d'habitude, mais surtout parce qu'ils se demandent comment leur réponse sera interprétée sur l'échelle non fermée de Richter qui évalue la bien pensance des réponses données soit au niveau national, soit au niveau régional, soit au niveau local, soit entre amis, soit en famille... 

Le médecin généraliste non spécialiste en médecine générale  interrogé a répondu "Oui, un médecin généraliste peut être son propre médecin traitant." 
Vous avez compris, vous êtes des malins, on ne vous la fait pas, le médecin généraliste en question et qui a répondu à la question, c'est moi. Et le médecin traitant, c'est aussi moi (pas pour la CPAM, je n'ai rien signé, rien adressé, je n'ai rien reçu en retour, mon attestation de sécurité sociale ne comporte pas la mention "A choisi un médecin traitant", je me suis contenté de me consulter et, surtout, de ne pas me consulter).

Voici quelques raisons (qui ne sont pas exhaustives, cela va sans dire) qui m'ont fait répondre OUI et, comme d’habitude dans des assemblées consensuelles, je ne parlerai pas des raisons de ceux, non interrogés, qui auraient pu répondre NON, ou alors en les citant mal, en les déformant ou en les raillant.

  1. Oui, je veux être mon propre médecin traitant, parce que je ne veux pas dé privatiser mon propre corps, que je ne veux pas le médicaliser dans les mains d'un confrère qui serait les mains de la société qui aime tout médicaliser et parce que mon corps m'appartient et que j'en fais ce que je veux.
  2. Oui, je veux être mon propre médecin traitant, parce que je ne veux pas médicaliser ma propre vie et que je ne veux pas confier à un autre que moi le soin de prendre des décisions personnelles me concernant. 
  3. Oui, je veux être mon propre médecin traitant, parce que je veux être mon propre juge comme je le suis généralement dans les moindres gestes de ma vie quotidienne privée ou professionnelle. 
  4. Oui, je veux être mon propre médecin traitant, pour rester le plus longtemps possible dans la catégorie des patients qui ne sont pas malades et qui ne veulent pas le devenir trop vite...
  5. Oui, je veux être mon propre médecin traitant, pour ne pas céder aux sirènes de la prévention et du discours moralisateur ou défaitiste (car il pourrait lui arriver d'avoir raison) de mon médecin traitant.
  6. Oui, je veux être mon propre médecin traitant, parce que je ne me défie pas de ma propre expérience interne, à moins de croire qu'elle me trompe constamment quand il s'agit des patients / malades qui viennent me voir, ce qui devrait me conduire à fermer mon cabinet au moins pour un  moment, oui, je veux être mon propre médecin traitant, parce que je ne me défie pas de ma double expérience interne, celle tirée de l'expérience de ma pratique avec mes patients et celle tirée de la connaissance de mon propre corps.
  7. Oui, je veux être mon propre médecin traitant pour m'appliquer la méthode que j'applique aux autres, c'est à dire, par exemple, le questionnement de l'Evidence Based Medicine (voir LA), exercice de questionnement encore plus ardu quand je suis en jeu puisqu'il est vraisemblable que les valeurs et préférences du patient et du médecin ne coïncident pas forcément.
  8. Oui, je veux être mon propre médecin traitant, bien qu'il soit possible que je puisse être partial, partiel, empathique ou sentimental à l'égard de moi-même, mauvais médecin en quelque sorte, mais que dire de l'attitude du confrère médecin traitant à l'égard du confrère médecin traité ? Se pourrait-il que le médecin traitant, paralysé par l'enjeu ou par la sympathie, soit lui-aussi partial, partiel, empathique ou sentimental, deviendrait-il ainsi mauvais médecin ? On peut aussi se perdre en conjectures sur les relations perverses qui pourraient (et qui doivent) exister entre confrère patient (ou malade) et confrère médecin traitant. C’est aussi placer le confrère médecin traitant devant une responsabilité majeure...
  9. Oui, je veux être mon propre médecin traitant pour ne pas être un malade différent de ceux que je tente de traiter par ailleurs, pour ne pas que quelqu'un d'autre, mon médecin traitant, en fasse trop ou pas assez à mon égard, les deux dangers majeurs de l'empathie.
  10. Oui, je veux être mon propre médecin traitant, même si je sais qu'il est difficile de regarder ses propres tympans, d'examiner soi-même son col utérin ou d'évaluer un grain de beauté au milieu de son dos ou de tester l'état de son cristallin.
  11. Oui, je veux être mon propre médecin traitant, afin de serrer les dents quand j'ai mal ou me bourrer d'antalgiques quand l'envie m'en prend, ou prendre des médicaments que je ne donne jamais à mes patients ou de ne pas prendre de médicaments quand j'en donne à mes patients dans ce cas.
La notion de médecin traitant est bien entendu flottante en fonction de nos propres connaissances. Un bon (ça veut dire quoi, bon ?) médecin traitant doit avant tout connaître ses limites et avoir de "bons" correspondants, c'est à dire des correspondants qui partagent ses valeurs et préférences et, à défaut, celles de ses patients. Et encore ?

Je fais un peu de provocation en écrivant cela, j'ai en effet toute possibilité de discuter médecine au cabinet avec mon associée et mon ex associé et, encore plus, à la maison, et je crois aussi, toujours sans sondage, que la majorité des médecins généralistes se "soignent" tout seuls et que c'est certainement la meilleure façon de ne pas se laisser embarquer dans le délire prévento-thérapeutique ambiant, d'avoir un peu de bon sens et de mettre une certaine distance à l'égard de soi-même.


(Illustration : Narcisse par Le Caravage - circa 1595)
(Une correction a été faite dans le texte : l'étude en Alsace-Moselle était prospective)

dimanche 29 janvier 2012

Des douleurs complexes . Histoire de consultation 113.


Mademoiselle A, 17 ans, est venue me voir pour une série de faits qui l'inquiètent. Je suis son médecin traitant mais il n'y avait pas de places pour consulter en rendez-vous avant samedi matin. Elle se plaint de douleurs abdominales et de diarrhée après qu'elle eut souffert de douleurs dentaires, de nausées et de fièvre depuis le début de la semaine.
Voici l'anamnèse (il est clair que les faits tels que je les retranscris ne sont pas tout à fait ceux que les différents intervenants ont découverts au fur et à mesure de l'histoire... puisque je connais la fin).
  1. Dimanche : Mademoiselle A souffre de (violentes) douleurs dentaires.
  2. Lundi : elle consulte son dentiste en urgence (ce qui est exceptionnel) qui lui prescris amoxicilline et doliprane.
  3. Mardi : cela ne va pas mieux, elle souffre toujours autant, elle commence à avoir mal au ventre, elle a des nausées, et elle a du mal à ouvrir la mâchoire (trismus ?), elle revoit son dentiste qui prescrit coamoxiclav et antiinflammatoires non stéroïdiens.
  4. Jeudi : la situation a empiré selon la patiente et, jour de congé du médecin traitant, elle consulte un médecin généraliste qui a) l'examine, b) lui fout la trouille, c) lui dit qu'elle psychote et qu'elle devrait voir un psy ; d) prescrit une prise de sang "complète" y compris des beta hcg plasmatiques.
  5. Samedi : Mademoiselle A consulte "son" médecin traitant (cf. supra pour les symptômes). Elle n'a plus mal aux dents.
L'interrogatoire est difficile pour démêler le vrai du faux et, surtout, la chronologie des faits. Le médecin traitant n'est pas un démiurge, le médecin traitant n'est pas un petit malin qui a raison tout le temps, le médecin traitant a eu le temps et le recul et a bénéficié des erreurs accumulées. Le médecin traitant est (aussi) débordé et n'a pu recevoir la patiente avant samedi sur rendez-vous (il y avait des consultations "libres" auparavant mais l'attente est comprise entre un et deux heures, parfois plus)... Donc, tous les problèmes ne viennent pas des autres. La nouvelle chronologie est bien entendu plus facile à établir puisque je connais la fin de l'histoire.
  1. Les douleurs dentaires étaient liées à la poussée d'une "dent de sagesse".
  2. Les nausées préexistaient avant les douleurs dentaires.
  3. Le bilan demandé par le médecin généraliste était strictement normal : nfs, crp, sgot, sgpt, glycémie, urée (?), sodium, potassium, créatininémie, betahcg plasmatiques.
  4. Le ventre est souple, avec un peu de météorisme et des "gargouillis" en FID (le médecin généraliste avait dit qu'elle psychotait parce qu'elle avait l'impression que des bulles "éclataient" dans son ventre !)
  5. Le test de grossesse a été demandé sans interroger la patiente sur une quelconque contraception... et elle prenait la pilule (mais il ne faut jamais croire une patiente que l'on n'a jamais vue)
  6. La patiente est sortie de mon cabinet sans médicaments et avec des simples conseils hygiénodiététiques
Quelques réflexions : 
  1. Les nausées étaient présentes avant le dimanche dentaire et leur apparition a coïncidé avec l'introduction par la gynécologue (qui ne m'a évidemment pas prévenu) d'une nouvelle pilule (holgyeme, générique de Diane) en remplacement de minidril "parce que", selon elle, "Mademoiselle A avait des boutons sur le visage" et alors que la patiente ne demandait rien, pilule prescrite hors AMM, entre parenthèses, pilule non remboursée, évidemment, et cetera, et cetera. J'ai expliqué à Mademoiselle A comment repasser de holgyeme à minidril.
  2. Le remplacement de l'amoxicilline par de la coamoxiclav a entraîné l'apparition d'une diarrhée, ce qui est d'une désespérante banalité.
  3. Prendre Mademoiselle A pour une conne sans l'interroger sur son statut par rapport à la contraception, dire que c'est une psychotique parce qu'elle décrit un signe abdominal non décrit dans les livres, et l'envoyer faire une psychothérapie, me rend songeur...
  4. L'excès de malades dans les cabinets conduit à une succession de gags. Il faut que j'essaie de mieux recevoir mes patients...