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mardi 14 février 2012

Une jeune professeure des écoles pleine de fraîcheur. Histoire de consultation 112.


C'est la première fois que Madame A, 28 ans, entre dans mon cabinet. Elle habite chez ses beaux-parents en attendant que la maison qu'elle a fait construire avec son mari soit terminée. Elle est enceinte de cinq mois, elle est jolie et parle doucement (j'ajoute ceci, et vous conviendrez que je ne le fais pas souvent, ne voulant pas polluer mes propos par des considérations susceptibles d'être interprétées comme une explication a priori de l'histoire clinique que je décris et qui prendraient, en fonction des a priori des lecteurs sur la question des origines qui peuvent représenter toutes les opinions politico-socio-anthropologiques possibles et polluer le jugement de ces mêmes lecteurs sur une histoire clinique que j'aurais moi-même du mal à croire universelle, mais en perdant probablement beaucoup de puissance de raisonnement et de profondeur de réflexion mais, également, en perdant une occasion de me mettre en valeur, "Voyez comme je suis un homme à la page et dans le sens du progrès de l'histoire citoyenne", j'ajoute donc que cette jeune femme est issue de l'immigration, maghrébine, algérienne en l'occurrence, qu'elle parle sans accent, ni celui des cités ni celui du pays d'origine de ses parents, elle parle français, un point c'est tout).
Je voudrais, avant d'en venir à mon propos, ou plutôt à ce qui a déclenché mon clavier, faire un détour par  quelques faits qui sont des constantes qui me font rager. Cette jeune femme est professeure des écoles (institutrice), elle exerce dans le 91 où elle habitait jusqu'à présent avec son mari ; son mari a été muté dans la région de mon cabinet, il est fonctionnaire de rang B, et elle l'a suivi. Pendant environ six mois, il a dû faire environ trois heures de trajet par jour pour aller à son boulot (du 91 au 95) alors qu'elle habitait à environ trois-quart d'heure de son école. Ils ont cherché activement un nouveau logement "pour rapprocher mon mari qui ne supporte pas les transports en commun". Elle a demandé sa mutation dans le 78 mais c'est compliqué. Depuis six mois, donc, elle fait tous les jours le trajet 78 vers 91 et retour alors que son mari est à une petite demi-heure de son travail (78 vers 95). Elle est épuisée (trois heures et demie de trajet par jour). Vous voulez un cours de politiquement incorrect ? Premièrement, le patriarcat qui fait que c'est la femme qui sacrifie toujours son travail. Deuxièmement, la faillite des transports en commun qui ont abouti, non à rapprocher mais à  distancer les gens. Troisièmement, la promotion sociale chez les "issus de l'immigration" telle qu'elle est vue à droite et à gauche. Quatrièmement, l'Education Nationale (il manque des postes dans le 78) et sa lourdeur. J'ai dû oublier deux ou trois vaches sacrées. Vous complèterez.
Revenons à cette jeune femme.
Elle est fatiguée, enceinte, elle a des contractions, enfin, pas des "vraies" contractions, et je vous passe le reste, le col est fermé.
Je vais l'arrêter.
Jusque là, rien d'exceptionnel.
Mais il se trouve que cette jeune femme est institutrice de CM2 et que mon dernier fils est en CM2.
Je parle de choses et d'autres pendant que je mesure sa pression artérielle, que je palpe son ventre, et autres banalités médicales, et j'apprends que la jeune femme est une anti pédagogiste. Qu'elle a souffert à l'IUFM des théories terribles des partisans de Philippe Meirieu qui est, selon Jean-Claude Michéa (in Le Complexe d'Orphée. Paris : Climats, 2011), le représentant achevé du néo libéralisme de gauche... le représentant zélé, et souvent l'inspirateur, de la nouvelle organisation capitaliste du travail... Mais c'est une autre affaire que celle de la critique de JC Michéa sur le libéralisme de gauche...
Je ne me rappelle plus si je vous ai déjà parlé de mon obsession de l'école... et de la façon dont les adeptes de Meirieu, candidat EELV, l'ont prise en otage en se prétendant des victimes du système. Les terroristes de l'IUFM, la patiente allongée sur le lit d'examen, elle les connaît sur le bout des manuels.
En résumé, nous nous concentrerons sur la méthode d'apprentissage de la lecture.
Les intégristes meirieuistes (cela rime avec les bourdieuistes mais pas avec les redoutables foucaldiens) considèrent que la méthode syllabique est une "violence symbolique" exercée à l'égard de l'enfant et "une négation de son droit fondamental à être le sujet de son propre apprentissage" (JC Michéa citant Philippe Meirieu et Charlotte Nordmann, une tenante du pédagogisme et, par assimilation rapide, du néo libéralisme capitaliste qui veut de la flexibilité à tout prix et qui approuve que les enfants, on ne dit plus élèves, n'apprennent plus mais "apprennent à apprendre"...).
Et ainsi, les enfants des milieux populaires, mais, et c'est plus nouveau, les enfants des classes moyennes et des classes supérieures, sont plongés dans les méthodes globales et semi globales (des enfants qui n'ont jamais vu un mot écrit dans leur environnement familial) qui sont la première cause d'échec scolaire (en dehors, cela va sans dire, du contexte environnemental et politico-social) avec pour conséquences une pseudo épidémie de dyslexie, des consultations chez le psychologue (dans le cadre des CMPE ou Centres Médico Pédagogiques pour Enfants, qui sont devenus des annexes de l'Education Nationale : un enfant "dyslexique" est adressé, dans l'ordre, à un (e) orthophoniste, un (e) psychologue, un (e) assistant (e) social (e), et on adresse ensuite des travailleur(e)s sociaux(ales) dans les familles qui sont, CQFD, immigrées, monoparentales ou polygames, avec une femme divorcée, un beau-père, une recomposition, c'est selon, des familles à problèmes, chômeuses, érémistes, éréssastes, et le tour est joué...), et personne de se poser des questions sur les méthodes, puisque les pédagogistes ont des mécanismes physiopathologiques précis, issus de Chomsky (ICI), cela fait classe, et surtout pas les enseignants qui ont droit à des heures supplémentaires bien payées pour faire encore plus de méthode globale à des enfants qui en sont déjà les victimes... Pour en revenir aux CMPE : les "dyslexistes" chez le psy et / ou à la ritaline... C'est l'hétéronomie de l'Education Nationale : elle ne peut être responsable de rien puisqu'elle est dépositaire de la Vérité de la sociologie pure et des structures archaïques du cerveau.
Lire la prose de Philippe Meirieu est dramatique (ICI). il emploie le vocabulaire du libéralisme de droite et du capitalisme globalisant. Et je ne plaisante pas : comme dans les écoles de management il parle de projet commun, d'objectifs partagés, de savoir-être ensemble. Et n'oublions pas non plus les sorties organisées, les séances de piscine ou d'escalade, elles font partie de l'incentive, elles sont l'équivalent pédagogique des séminaires créatifs de l'entreprise avec, en toile de fond, pour les réticents, les rebelles, ceux qui manquent d'esprit d'équipe, ceux qui refusent l'embrigadement, non seulement la disgrâce du groupe mais les impératifs et les traitements des psychologues des CMPE sans compter les travailleurs sociaux qui vont débarquer dans les HLM pour constater que les halls sont sales et que les locaux du vide ordure sont malodorants... On ne note plus chaque enfant, on note son appartenance au groupe, sa façon de participer à l'entreprise collective qui ne le mène plus à exercer un métier qui pourrait, c'est selon, entraîner une réaction corporatiste, voire, oh malheur, une conscience de classe, mais à occuper un emploi, emploi interchangeable, emploi polyvalent, emploi faisant utiliser des composantes transversales...
Si cela marchait, les théories de l'éducation fondées sur le respect de l'enfant, sur la prise en compte de sa créativité, sur sa participation aux connaissances communes (une sorte de web 2.0), sur sa capacité à dessiner de novo des dessins géniaux ou à peindre ex abrupto des peintures fortes, ou à mener à partir de rien des raisonnements socratiques, c'est à dire demander à de jeunes enfants de refaire l'histoire des idées de l'humanité par eux-mêmes, sans aide, sans contrainte, sans effort, ce ne sont que des enfants, sans notes et sans punitions, sans tabous, une société sans tabous, un rêve "citoyen", on verrait, depuis trente ans plus d'enfants d'ouvriers à l'université. Mais ce n'est pas le cas.
Et ainsi, le syndicat des orthophonistes pourrait parler et dénoncer. Mais il se tait car il est de gauche et lié aux syndicats de professeurs des écoles. Les orthophonistes qui savent, sans le demander, quelle méthode a engendré la pseudo dyslexie quand ils examinent un enfant...Et ainsi les partisans des méthodes d'apprentissage de la lecture syllabique sont des nazis, des réactionnaires, des racistes, et cetera. Et, surtout, des ignorants. Je conçois donc que la politique expertale est la même qu'il s'agisse de la vaccination contre la grippe ou de l'apprentissage de la lecture et de l'écriture.

Nous avons donc parlé de tout cela avec cette jeune femme, de Marc le Bris (LA) et d'Agnès Lursat (ICI et LA), mais nous n'avons pas abordé Jean-Claude Milner, et autres... qui dénoncent depuis des siècles les dérives aventureuses des pédagogistes.
Elle était contente, m'a-t-elle dit,  de rencontrer enfin un médecin qui était ouvert à ces problèmes... Mais on dira que je faisais du clientélisme.
Nous nous sommes posé la question de la raison pour laquelle droite et gauche confondues ne disaient rien : parce que les enfants des classes supérieures et, dans une moindre mesure, des classes moyennes, s'en sortent mieux. Que ce statu quo arrange tout le monde, que les pédagogistes s'inscrivent dans une logique libérale que droite et gauche ont acceptée et que l'extrême gauche défend l'école et le corps enseignant par principe... sans se préoccuper de l'acquisition des connaissances qui permettront aux enfants d'exercer leur esprit critique dès le plus jeune âge tout en recevant une solide connaissance de la langue, de leur langue, la langue qui leur permettra de critiquer, ensuite, le pédagogisme issu de Chomsky (on ne prête qu'aux riches).
Je ne suis pas le médecin traitant de cette jeune femme qui respirait l'intelligence mais j'aimerais bien l'être, après qu'elle aura construit sa maison.
Je ne me rappelle plus combien de temps a duré cette consultation, j'en connais aussi le prix, mais pas la valeur (pour moi, cela va sans dire : il n'est pas interdit de se faire plaisir en "distribuant" un arrêt de travail). J'ai parlé de cette jeune femme à mon entourage et nous nous sommes demandé s'il ne s'agissait pas d'un extra terrestre...

PS du 27 août 2015 : entretien dans le journal Le Monde avec les auteures du livre Ecole primaire : la fabrique des dyslexiques. ICI