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mardi 24 novembre 2015

Lendemain de SPRINT : comme un sentiment de s'être fait avoir.


Après que j'ai analysé l'étude SPRINT (ICI), lu ici ou là des commentaires académiques, les commentaires de CMT, conclu qu'il fallait diablement se méfier de ses conclusions en raison de nombreuses incertitudes protocolaires, je me suis rendu compte vendredi et samedi dernier pendant que je consultais que je prêtais plus d'attention qu'auparavant à la prise de la pression artérielle, et pas seulement systolique, et que je me posais même de sérieuses questions.

La culpabilité.

La prise de la pression artérielle est un des gestes rituels de la consultation de médecine.
Rituel au point qu'à la fin de la consultation, si d'aventure le médecin avait oublié de le faire (sciemment ou non) le consultant tend le bras.

J'ai jadis participé à une Thématique Prescrire sur l'hypertension artérielle où mes résultats au questionnaire final avaient été plus que bons... Ce fut la première et la dernière fois. Pour de multiples raisons tenant à la fois à la mauvaise qualité des documents produits (une resucée des articles Prescrire que j'avais déjà lus), aux efforts que j'avais dû fournir pour cette relecture et pour l'inanité de cette réappropriation. J'avais oublié que l'objectif de cette thématique n'était pas de cocher des cases de QCM pour avoir une bonne note mais de mieux prendre en charge les consultants (et non d'être plus savant). 




Quoi qu'il en soit, je me suis rendu compte, pendant ces deux jours, que je tentais de mesurer la pression artérielle avec mon sphygmomanomètre non électronique en essayant de me rappeler tout ce que j'avais retenu de ma formation thématique Prescrire. Sans oublier les vidéos que j'avais vues sur internet, les conseils multiples et variés sur les conditions de mesure, et cetera.

L'étude SPRINT était en train de me polluer l'esprit.

Et nul doute que c'était, dans l'esprit de ses promoteurs, le seul objectif.

Car, au delà des critiques émises sur le protocole, sur la façon de le mener, sur la cible théorique visée et sur les conclusions à en tirer, je me sens coincé par mes croyances, le socle de mes croyances et sur une vision idéale de la médecine qui serait une médecine parfaite où tout pourrait être contrôlé, où le contrôle serait possible à condition que le médecin soit lui aussi parfait, c'est à dire qu'il mesure "bien" la pression artérielle, qu'il "éduque" "bien" son patient, et cetera.

La normalisation de la prise de la pression artérielle est sans doute une bonne chose en soi puisqu'elle pourrait permettre d'homogénéiser les mesures et ainsi de pouvoir appliquer d'autres directives normalisées, thérapeutiques celles-là, voire, comme c'est déjà le cas dans certains pays, dans certaines institutions, remplacer la prise manuelle de la pression artérielle par des appareils automatiques considérés comme la norme, c'et à dire robotiser cette mesure comme si une mesure pouvait avoir une valeur absolue, et ainsi le protocole SPRINT pourrait-il conduire à la suppression pure et simple des médecins, des infirmières et conduire un appareil Omron à non seulement mesurer la pression artérielle, la comparer à la mesure précédente mais aussi à délivrer une prescription tenant compte des dernières données biologiques du patient contenues dans son Dossier Médical Personnalisé ainsi que de ses antécédents dûment répertoriés par un questionnaire rempli chez soi par le patient derrière son écran d'ordinateur, sans influences donc (?)... une prescription de molécules anti hypertensives vendues par les laboratoires partenaires...

L'étude SPRINT, dont la caractéristique principale est d'avoir modifié constamment en cours d'essai le protocole d'inclusion des patients et les modalités de leur prise en charge en ouvert (seule l'attribution des groupes était randomisée), c'est à dire que le médecin, pas le robot Omron (et encore, on ne sait pas), était au courant du groupe auquel appartenait le patient, l'étude SPRINT avait pour but, comme toujours dans les processus néo libéraux pseudo démocratiques (rationnalisation et contrôle des pratiques) de fixer des objectifs intenables (la façon de prendre la pression artérielle par exemple) et non tenus dans le protocole lui-même, afin que les conclusions de l'essai deviennent des impératifs thérapeutiques, c'est à dire de la prescription à outrance, au cas où, et, suprême élégance de la chaîne de commandement, la responsabilité du non suivi des recommandations non recommandables sera attribuée au pékin en bout de chaîne, c'est à dire le médecin généraliste.

Donc, je continue à mesurer la pression artérielle en mon cabinet et je me sens coupable inconsciemment de ne pas être à la hauteur d'une si belle étude, ce qui me conduira, n'en doutons pas, quand on est confronté à une situation d'impossibilité pratique ou de refus intellectuel, à renoncer.


Rappelons tout de même le génie de Philippe Geluk.

PS du 28 août 2016 : The European Society of Cardiology dit non à Sprint (ICI). Ce n'est pas parole d'Evangile mais...

jeudi 7 mai 2015

Un malade d'Alzheimer sur deux n'est pas diagnostiqué. Article écrit par un robot dans le journal Le Monde.


Alzheimer : des révélations fracassantes !

Voir ICI pour l'article.

Le titre : Un malade Alzheimer sur deux ne serait pas diagnostiqué en France.
La signature : inconnue. Ou plutôt : Le Monde.fr avec AFP. Un robot journaliste, sans doute.
La source : Une étude publiée par Cap Retraite. Le robot aurait pu nous donner le lien pour l'article, non ? Le VOICI. Le rapport est beau comme une brochure publicitaire. Il n'est pas signé (c'est la Revue Prescrire qui fait des émules), les couleurs sont belles, la bibliographie ronflante. Est-ce la même agence qui a réalisé le document vantant l'intérêt de Sophia, le machin, disease management de la CPAM ? 
Le financeur : je donne le lien sur Cap Retraite pour le robot qui a écrit l'article : LA.
Cap Retraite est un service gratuit et il n'est pas clair à première vue et sur son site de savoir qui le finance. Le robot recherche sur google (pas très loin) : le robot trouve LA des éléments indiquant que Cap Retraite a fait l'objet d'une enquête de la revue 60 millions de consommateurs : voir ICI, LA et LA. C'est pas clair, clair, clair.
Bon, vous voulez un dessin ? 

Ensuite, en lisant l'article (qui reprend sans le savoir, à moins que le robot n'ait été programmé ou qu'il ne s'agisse que du recopiage pur et simple du communiqué de presse officieux de Cap Retraite, on se rend compte que :
  1. Il y a 500 000 personnes qui souffrent d'Alzheimer et, d'après l'INSERM, un million en souffrirait... Sous-diagnostic.
  2. Le nombre de ces malades risque de doubler et d'atteindre les 2 millions en 2014. Apeurer les populations.
  3. Dans les départements les mieux lotis 30 % des malades seraient effectivement pris en charge et, ailleurs, 15 % On sent le scandale pointer.
  4. Et là, on sort l'arme magique : le médecin généraliste ! Arme bien entendu à double tranchant : on a besoin de lui, il ne fait pas encore son boulot, il va le faire et s'il ne le fait pas, c'est que c'est un khon. MG bashing.
  5. La phrase choc sur la prise en charge précoce. On cite un gériatre cité dans l'étude qui fait partie de Cap Retraite. "Une prise en charge précoce permettra au sujet de rester plus longtemps à son domicile, lieu par excellence à favoriser, car porteur de l’histoire et de la mémoire" Hugues Bensaïd est expert Cap Retraite : LA.
  6. Rengaine : les MG ne font pas leur boulot. En effet, "20 % des malades estimés résidant à domicile sont pris en charge par les ESA, es accueils de jour spécialisés et l'hébergement temporaire, les 80 % restants n'ayant pas encore été suivis, faute de diagnostic". Comme en d'autres domaines "on" demande aux MG, ce "on" signifiant les experts, les spécialistes, les gériââââtres, les marchands de réseaux, les marchands de médicaments, les marchands de structure, les promoteurs immobiliers, les mutuelles, les assureurs, qu'ils se transforment en rabatteurs pour le plus grand bien de la santé publique. un citoyen qui oublie l'endroit où il a posé ses clefs, une citoyenne qui ne se rappelle plus ce qu'elle a vu à la télé la veille, est un Alzheimer en puissance, un ou une citoyenne que le MG, brave gars un peu niais (la MG, brave  fille un peu niaise), doit ficher immédiatement pour l'adresser dans un centre mémoire où, n'en doutons pas, le diagnostic d'Alzheimer sera porté, les anti Alzheimer prescrits, et cetera.
  7. L'article continue, il avait des trucs à vendre : Il faut créer 20 fois plus de places en ESAD et multiplier par 10 le nombre de places d'accueil de jour, et, dans les Ehpad (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes). Le robot serait-il passé par les ARS ?
  8. Mais, on l'aura remarqué, l'article ne dit pas un mot sur les médicaments dits anti Alzheimer, on n'oserait plus ?
Cet article, ni écrit ni à écrire est un concentré de disease mongering (fabrication des maladies, stratégie de Knock, voir ICI pour les précisions), une manoeuvre de plus pour alzheimeriser la société, je me permets de vous rappeler ce que j'écrivais LA sur ce sujet, la doxa des experts de l'Alzheimer : dépister le plus tôt possible une maladie incurable pour pouvoir prescrire aussi tôt que possible des anti Alzheimer (voir ICI pour ce qu'il faut penser de leur efficacité et de leurs effets indésirables), annoncer coûte que coûte le diagnostic au malade (je vous demande de lire ce que le docteur Leforestier dit, c'est effrayant, je cite : "Il n’y a plus d’indicible en médecine. La nomination d’un constat clinique doit se faire. Le faire de façon simple, humble, et cette ouverture donne un sens au suivi médical. Le fait de ne pas vouloir un diagnostic est un Droit des malades... mais le déni est très rare... on commence par dire le diagnostic et on analyse le déni..."), accompagner, aider les aidants..., une façon de promouvoir des marchands d'illusions et des associations louches.

Fin de l'article.

Maintenant, et cela dit, qu'est-ce qu'on fait ?

Gertrude Weaver, 116 ans, doyenne de l'humanité pendant 5 jours


Le médecin généraliste (je commence le blablabla) est effectivement au centre de la prise en charge des personnes âgées.
Petit détour : et si les malades Alzheimer (sic) n'étaient que le symptôme plus général d'un problème sociétal éternel (la peur de la maladie et de la mort) et circonstancié (le vieillissement de nos sociétés et le nombre accru de personnes atteignant le stade de dépendance et le grand âge) et d'un problème anthropologique (la gestion des anciens par les familles).
L'anticipation est le maître mot de la médecine longitudinale. Parler de l'avenir avec ses patients est une façon de les informer et de les sonder sur leurs intentions, leurs possibilités et sur les moyens dont ils pourraient disposer quand ils commenceront à perdre leur indépendance.
Il n'est pas de semaine où je ne reçois un ou une patiente qui pense avoir un Alzheimer car elle a des trous de mémoire, il n'est pas de semaine où je ne reçois un ou une patiente qui me dit que la prochaine fois que je verrai son conjoint, sa conjointe, interrogez le (la) sur ses trous de mémoire, ça devient pénible.
Je commence par interroger, je commence par prendre le pouls (au sens figuré) de la situation médicale, familiale, sociale, avant (1) d'administrer un test de mémoire, (2) d'adresser.
Quand j'ai l'impression que c'est rassurant je fais passer un test MMS (mini mental state), téléchargeable pendant la consultation pour la consultation suivante, qui, le plus souvent, dans ces cas bien entendu, est rassurant : rassurant par ses résultats, rassurant parce que le patient, la patiente, est étonné (e) de la simplicité et de l'évidence des questions. Il est donc nécessaire de rassurer, de comprendre ce qu'il est possible de changer dans la vie du patient pour qu'il aille mieux.
Les personnes vieillissantes ont peur d'être malades, de souffrir, de devoir dépendre de quelqu'un, elles sont anxieuses, elles dorment mal, et cette anxiété, cette trouille, cette angoisse, intergissent avec leurs performances mentales, avec leur mémoire, et pas seulement en raison des anxiolytiques et des hypnotiques trop souvent prescrits. Il ne faut pas confondre les causes et les conséquences (à moins que cela ne soit l'inverse).
Et les familles des personnes vieillissantes, attention, j'enfonce des portes ouvertes, sont elles-aussi anxieuses que les personnes vieillissantes qu'elles aiment souffrent, perdent la mémoire et... meurent. Comme dirait l'autre : cela les renvoie à leur propre vieillissement...
Une anecdote : une patiente sous neuroleptiques et anxiolytiques est vue lors d'un passage à l'hôpital (problèmes digestifs) par la consultation mémoire qui conclut à un Alzheimer... Les troubles de la mémoire et la désorientation ne devaient pas faire partie des effets indésirables notés des neuroleptiques et des anxiolytiques (la malade a retrouvé ses esprits et n'a plus d'Alzheimer).
Quand le malade, la malade, a vraiment un Alzheimer ou apparenté. Il faut d'abord travailler avec la famille, quand c'est possible. Il est rare que les familles soient absentes ou qu'elles ne soient pas capables de gérer avec l'aide des services sociaux (assistantes sociales, centre de gérontologie) les problèmes d'APA et la recherche de structures. Le maintien à domicile est souvent plus compliqué à organiser et coûte cher.
Mais le rôle du MG, en général, à condition qu'il s'agisse d'une famille qu'il connaît, est surtout un rôle d'accompagnement des familles. Pas un rôle médical, sinon gérer le quotidien. Soutenir le mari ou la femme non malade. Voir les enfants, leur parler. Savoir que cela risque d'être un bouleversement considérable dans l'équilibre familial. Etablir, avec les services compétents, un projet de vie.

Heureusement, nous sommes partis loin de l'article robotisé.
Mais les problèmes liés au vieillissement...  Cela ne vous donne pas envie d'être anxieux ?