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samedi 8 décembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : John Berger (texte) et Jean Mohr (photographies. #15

Le texte de John Berger et les photographies de Jean Mohr sont déchirant.e.s : ce livre est à la fois un hymne à la médecine générale alapapa (John Sassall, le médecin, fait "tout", il écoute, il recoud, il prend soin, il guérit, il rate, il lit, il déprime, ...) et un formidable plaidoyer pour ne plus la pratiquer (il a quand même fini par se suicider).

J'ai déjà vanté le livre ICI



Berger John et Mohr Jean. (1967 et 2009 pour l'édition française). Un métier idéal (A fortunate man) : Paris : Editions de l'Olivier, 170 pp.

John Sassall est un médecin de campagne et pourtant, si différent, il ressemble au médecin de la ville de Lyon raconté par Jean Reverzy dans Place des angoisses, voir ICI

La récognition est le maître concept de ce livre (la récognition comme l'action de la reconnaissance en identifiant) : "Je sais, je sais..." ne cesse de répéter John Sassall à ses patients au lieu de murmurer "Oui, oui..." 

«Quand il parle avec un malade ou qu’il l’écoute, c’est comme s’il le touchait aussi avec les mains dans l’espoir d’être moins susceptible de se tromper ; et quand il examine physiquement un malade c’est comme s’il conversait avec lui. »

Il exerce dans un milieu rural pauvre, il roule en Land Rover, s'habille avec élégance et raffinement  : il ne fait pas semblant d'être peuple.

Dans le British Journal of General Practice Roger Jones commente de façon éclairante (LA) le livre consacré à John Eskell, le "vrai" nom du praticien, et le compare de façon pertinente à Julian Tudor Hart (qui inventa The inverse Care Law ou en français La loi inverse des soins, voir ICI) et à John Fry (voir LA) qui ont, depuis leurs lieux d'exercice de médecins généralistes, posé les bases de ce qu'est la médecine générale et comment l'articuler avec le système se soins et la santé publique.

Tout cela est bien idéaliste mais nous pouvons encore rêver.

John Sassall (1919 - 1982)



Et, pour finir :

John Berger par lui-même.

Et John Berger et Jean Mohr, cinquante ans d'amitié.

John Berger (1926 - 2017) et Jean Mohr (1925 - 2018)


jeudi 16 avril 2015

Les spécialistes d'organe sont indispensables, mais je me soigne.


Récemment, sur Twitter, un ophtalmologiste n'était pas content du tout car je relayais des informations Prescrire concernant des produits d'ophtalmologie. Un autre est venu à sa rescousse pour en rajouter. Le discours, en substance, était le suivant : "De quel droit Prescrire se permet-il de juger nos prescriptions ?..." Je rajoute sans forcer ce qu'ils voulaient dire : "De grands spécialistes n'ont pas besoin de journalistes non spécialistes pour dire leur spécialité."



Bon, faisons un détour par Prescrire avant de continuer.
Chaque année la revue détaille l'origine de ses abonnés. Et le nombre de spécialistes d'organes stagne lamentablement (5,3 % en septembre 2014). A quoi est-ce dû ? Je me permets une interprétation : Prescrire est une revue généraliste qui analyse la littérature scientifique et les spécialistes d'organes ont besoin de Closer et de bruits de chiottes pour briller. Ce n'est pas une provocation ! Restez avec nous. Closer, c'est le Quotidien du Médecin, Le Généraliste, Doctissimo, le JIM, Closer, c'est le ou la VM qui dit confidentiellement au spécialiste, avant les autres, pour qu'il passe pour un pionnier, un précurseur, un gars qui en est, que le professeur Dugland de l'hôpital des Trente et Quarante, eh ben, le vitreozumag, on peut en faire hors AMM dans telle indication et ça marche ! Un abstract publié par un des labos du big five et passez muscade (un des ophtalmologues condescendants avec Prescrire et avec ma pomme m'adresse  ce qu'il croit être un missile, un article (ou plutôt un abstract) tiré de PubMed qui justifie ses dires. Il suffit de cliquer sur le nom des auteurs pour se rendre compte que le papier a été financé par le laboratoire qui commercialise le produit. Beaucoup de naïveté.

Il y a aussi des médecins généralistes qui versent dans la servitude volontaire. "Puisque je n'y connais rien, faisons confiance" dit l'un, "La confiance est la base de la confraternité" dit l'autre. Ou alors :"Ils ont fait tant d'études qu'ils ne peuvent se tromper..."

Photographie de patients de John Sassall par Jean Mohr


Nous ne pouvons pas tout vérifier, cela va de soi. Nous avons donc des aides pour exercer notre esprit critique, Prescrire, bien entendu, mais aussi nos correspondants qui partagent avec nous une vision commune de la médecine, des relations avec les patients, des relations avec l'industrie, des relations avec les autorités. Mais tout comme nous ne pouvons être complètement d'accord avec Prescrire, nous ne pouvons être complètement d'accord avec nos correspondants, fussent-ils des amis chers et/ou de purs techniciens. Chaque spécialité a par ailleurs sa spécificité, ses qualités et ses dangers.

J'ai déjà écrit sur le sujet de l'importance des spécialistes d'organe : ICI. Mais il semble, d'après de multiples réactions négatives, que mon propos soit mal passé auprès de ces spécialistes qui pensent que la seule critique qu'ils puissent accepter ne puisse venir que de leurs pairs. J'ai également écrit par provocation que les spécialistes d'organes devraient faire un peu plus de médecine générale (LA). Pas de retours.

John Sassall


Les spécialistes d'organe sont indispensables.
Ils sont indispensables car ils ont suivi une formation spécifique (si je voulais être méchant, je dirais un formatage) et que les malades qui leur sont adressés sont des malades sélectionnés que les médecins généralistes n'ont pas l'habitude de voir (en termes de fréquence).
Ils sont indispensables car il est des situations cliniques qui exigent des examens complémentaires auxquels il est nécessaire d'être adapté et compétent, des situations cliniques qui exigent une adresse intellectuelle et manuelle liés à l'expérience interne, à l'expérience externe et, aussi, à l'automaticité des comportements.
Ils sont indispensables car certains malades nécessitent une hospitalisation, des soins particuliers, des tests diagnostiques effectués dans des laboratoires spécialisés.

Les spécialistes d'organe ne se ressemblent pas.
Nous entrons ici dans le vif du sujet. La prescription d'un spécialiste d'organe par un médecin traitant n'est pas un geste anodin et exige beaucoup de réflexion. Mais le médecin traitant dispose-t-il des éléments lui permettant de choisir ? Doit-on prescrire des radiographies en précisant le nom du radiologue ? A-t-on, en raison de la raréfaction de certaines spécialités, le choix éclairé possible ?
La connaissance du milieu est fondamentale. Ecoutez les conversations entre cardiologues et/ou entre chirurgiens orthopédistes, vous serez édifié sur qui est à la pointe, qui est un vendu, qui est un excellent clinicien, qui est un spécialiste de ceci ou de cela, qui est un sale khon.
Je dirai ceci par pure provocation : quand nous adressons un patient en aveugle chez un spécialiste, et en dehors de l'urgence, c'est que nous ne faisons pas notre boulot de médecin généraliste.

Les spécialistes d'organes ne sont donc pas généricables.
Il est donc du devoir du médecin généraliste de choisir. Mais est-ce possible et sur quels arguments peut-il se fonder ? Qu'est-ce qu'un bon spécialiste d'organe ? Chaque médecin généraliste prend des décisions inconscientes et conscientes dans ces situations.
Il paraît logique que l'on doive se décider en fonction de l'EBM en médecine générale (j'ai développé LA). Mais il arrive que nous ayons besoin, pour nos patients, d'un spécialiste qui ne partage pas notre vision de la médecine EBM en médecine générale...

Les spécialistes d'organe se doivent d'être à la pointe de leurs connaissances.
Un spécialiste d'organe a une obligation de connaissance, il se doit de lire, de discuter, de commenter les dernières publications concernant sa spécialité. Sinon, il ne sert à rien ! Quand un médecin généraliste se trompe, quand un médecin généraliste ne connaît pas la dernière mode, quand un médecin généraliste prescrit des examens complémentaires inutiles, il est tout aussi condamnable qu'un autre médecin mais il est nécessaire d'être indulgent, car la médecine générale, je l'ai assez répété, est un trou sans fond, un tonneau percé, une ouverture sur l'impensé, une inconnue sidérale, alors que le spécialiste d'organe est concentré sur un champ plus limité de la connaissance et de la pathologie.

Le rôle du spécialiste d'organe est aussi de donner l'exemple.
Donner l'exemple c'est former le médecin généraliste dans sa spécialité, c'est éviter les consultations inutiles, les interrogations pour rassurer, combler les manques conceptuels ou purement cognitifs, prescrire à bon escient, éliminer les produits inutiles, se concerter, ne pas céder aux sirènes de big pharma, des bruits de couloir, des bruits de chiottes entendus ici et là et, surtout, j'insiste lourdement, le rôle du spécialiste d'organes c'est d'affirmer, de confirmer les diagnostics et ne pas faire de la médecine d'organe probabiliste.

Dénoncer les pratiques anormales des spécialistes d'organe est aussi le rôle des médecins généralistes. Et vice versa.
Il ne s'agit pas de faire des listes et de donner des noms, il s'agit de rappeler l'excellence et de dénoncer les compromissions, quand elles existent, et de rappeler au règlement quand il s'agit de pratiques illicites, non déontologiques, commerciales, big pharmiennes, big matérielles...

Quelques idées de blogs spécialisés.
A défaut d'avoir ces spécialistes comme correspondants.

Pneumologie : https://2garcons1fille.wordpress.com/category/bureau-de-totomathon/. Je vous conseille notamment ses deux billets sur la spirométrie en médecine générale. Remarquable. https://2garcons1fille.wordpress.com/2014/01/30/la-spirometrie-pour-tous-1-la-spirometrie-en-cabinet-de-medecine-generale/

Cardiologie : http://grangeblanche.com, dans ce blog on trouve des analyses que l'on ne trouve nulle part ailleurs sur les médicaments et sur leur usage. En toute indépendance et avec beaucoup d'alacrité masquée.

Néphrologie : http://perruchenautomne.eu/wordpress/ et voici un exemple d'article "fameux" sur AINS et Insuffisance rénale aiguë : http://perruchenautomne.eu/wordpress/?p=3308 mais celui sur la restriction hydrique était un top : http://perruchenautomne.eu/wordpress/?p=3083 . A explorer.

Ophtalmologie : http://le-rhinoceros-regarde-la-lune.over-blog.org/page-1221302.html, blog militant mais quand il parle d'ophtalmologie, les propos sont didactiques et très adaptés à l'ignorant médecin généraliste que je suis.

Neurologie : http://etunpeudeneurologie.blogspot.fr. J'ai par exemple trouvé ce billet sur les arnoldalgies tout simplement remarquables : http://etunpeudeneurologie.blogspot.fr/2015/03/cephalees-dites-darnold-et-autres.html

Je me suis fait des amis en ne citant pas d'autres blogs tout aussi talentueux mais disons que je dis... la vérité sur ma pratique blogueuse.

John Berger
Les photographies sont tirées de l'excellent blog littéraire de Rick Poynor (LA) et montrent notamment les visages de John Sassall, le médecin généraliste rural, et de John Berger, activiste d'extrême-gauche connu pour son soutien aux Black Panthers et aux Palestiniens.

Selon les formules consacrées, ce livre devrait être remboursé par la sécurité sociale (du moins l'AMO) et, comme le dirait Bernard Pivot, si vous le lisez et si vous ne l'appréciez pas...

Il devrait, selon la formule paternaliste bien connue, être lu par tout étudiant en médecine et par tout IMG avant toute installation bien que la fin tragique du médecin pût entraîner une certaine réserve.

PS : désolé pour l'erreur technique qui a fait disparaître le billet du blog et qui n'a laissé en mémoire pour l'administrateur qu'une version très ancienne.


mardi 31 mars 2009

JOHN BERGER : UN METIER IDEAL



John Berger pour le texte et Jean Mohr pour les photographies : Un métier idéal – Editions de l’Olivier – 2009. (A Fortunate Man - 1967) (Traduction de l’anglais : Michel Lederer)
Ce livre est une petite perle. Il devrait surtout intéresser les médecins mais c’est une bonne occasion pour les malades en puissance (dont les médecins) de comprendre comment les praticiens expriment leurs interrogations existentielles.
Il raconte la vie professionnelle d’un médecin généraliste anglais, John Sassall, exerçant la médecine de premier recours au milieu des années soixante dans des conditions qui n’existent pratiquement plus (campagne anglaise reculée sans les moyens modernes de communication, petite chirurgie, urgences, soins de suite à l’hôpital, psychothérapies à domicile, accouchements et fins de vie…).
Le livre est tellement beau (le texte et les photographies de Jean Mohr) et pertinent qu’on se demande si ce n’est pas Sassall qui raconte sa propre histoire en se cachant derrière un écrivain : John Berger racontant l’histoire d’un médecin qui serait lui-même.
Mais ce n’est pas le cas : c’est un non médecin qui raconte la poésie tragique de la médecine. Un médecin fasciné par Conrad et l’ «inimaginable».
La partie la plus intéressante du livre (les anecdotes cliniques sont plus banales), c’est la réflexion sur l’exercice de la médecine, et cette réflexion n’a pas besoin d’être actualisée pour « parler ».
Tout est abordé : le statut social du médecin dans une campagne où la majorité des habitants sont des cultivateurs ou des manuels (Sassall, sur les photos, est habillé comme un dandy, roule en land rover et ne fait pas semblant de faire peuple) ; la profondeur de la relation médecin malade : « La conscience de la maladie constitue une part du prix que l'homme payait, et paie toujours, pour avoir conscience d'exister. Cette conscience accroît la souffrance ou l'infirmité. Et la conscience de soi qui en résulte constitue un phénomène social, de telle sorte qu'elle fait naître la possibilité d'un traitement et donc de la médecine." ; la façon d’aborder la maladie et le mal être et comment Sassall s’attache à en faire la distinction ; le passage continuel du patient au malade au cours de la même consultation ; l’importance de la récognition pour le malade ; la nécessité de briser la double unicité de la maladie et du mal être : Sassall ne murmure jamais « Oui, oui,… » en hochant la tête quand un malade lui parle de ses soucis mais « Je sais, je sais,… » avec une compassion sincère ; ou alors : «Quand il parle avec un malade ou qu’il l’écoute, c’est comme s’il le touchait aussi avec les mains dans l’espoir d’être moins susceptible de se tromper ; et quand il examine physiquement un malade c’est comme s’il conversait avec lui. » ; le nécessaire interdit de la sexualité avec les malades ; l’irréversibilité du temps ; qu’est-ce que c’est qu’un « bon » médecin ? ; l’EBM est également abordée : « Chaque semaine, désormais, il [Sassall] lit dans les moindres détails les trois principales revues médicales et, de temps en temps, va suivre une formation dans quelque hôpital. Mais il tire surtout satisfaction des cas où il est confronté à des forces qui ne se situent pas tout à fait dans un cadre répondant à des explications antérieures, parce qu’ils reposent sur la personnalité du malade. Il essaie de tenir compagnie à cette personnalité dans sa solitude. »
Le livre raconte aussi les épisodes dépressifs de Sassall et… son suicide.
« Rencontrer l’un de ses semblables dans un état de désespoir nous oblige à partager, du moins en imagination, ses problèmes fondamentaux : La vie a-t-elle un sens ? A quoi bon continuer de vivre ? »


Je m’arrête là.
J’espère ne pas en avoir trop dit qui pourrait décourager le lecteur de lire le livre qui est un bel objet en soi, avec les photographies.
Bonne lecture.