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jeudi 4 avril 2013

La CNAM, le médecin traitant, le spécialiste, Sophia, le CAPI, le ROSP et le bilan périodique de santé. Histoire de consultation 145.


J'ai fait une erreur.

Je n'aurais jamais dû accepter que Monsieur A, 43 ans, dont je suis le médecin traitant en titre (et pour lequel je touche 40 euro par an, on le verra plus loin, sans presque rien faire), et après que j'avais fait le diagnostic de diabète de type II, allât consulter un diabétologue.
J'avais oublié cette erreur jusqu'au jour où il est venu me revoir pour le diabète.
Monsieur A est gentil, calme, déterminé et de bonne foi.
Donc, il vient consulter sur rendez-vous et, après les civilités d'usage, après que HelloDoc eut daigné ouvrir le dossier de mon patient au bout de longues secondes d'angoisse, il me dit qu'il vient pour trois choses.

Déjà, le patient qui vient pour trois choses, me tape sur les nerfs a priori (ce qui est une réaction d'une grande idiotie, je le concède, mais qui me ramène à la notion de médecin généraliste qui peut -- et qui doit-- dans la même consultation faire le boulot d'un ou de trois, voire quatre, spécialistes non généralistes, voir ICI, pour la modique somme, en secteur 1, de 23 euro) et j'ai beau lui tendre le sourire le moins contraint que je connaisse dans ma panoplie de médecin généraliste empathique et soucieux de sa patientèle, un sourire contraint quand même qui cache un désamour certain, cela me rend dubitatif et légèrement sur mes gardes pour la suite de la consultation.

Les trois choses (et les trois rictus).
Il pose d'abord sur mon bureau le questionnaire Sophia en me disant, je cite, "J'ai accepté d'adhérer à Sophia, le suivi des diabétiques." Premier rictus.
Il pose ensuite l'enveloppe des résultats de son examen périodique de santé "Puisque c'est gratuit..." en me demandant de le regarder. Deuxième rictus.
Enfin, il a raté le rendez-vous avec le diabétologue et il veut que je lui refasse son ordonnance. Troisième rictus.

Tout baigne.
Mais ce n'est pas fini.
Je jette un regard distrait sur le questionnaire Sophia (pour le remplissage duquel mais je ne sais pas trop s'il s'agit d'un seul remplissage ou s'il faudra le faire plusieurs fois au cours d'une même année pour que je  reçoive la modeste somme de 2,5 C) et je vois d'une part que sont demandés des renseignements sur des analyses biologiques que je n'ai pas prescrites (et je ne dispose pas des résultats) et d'autre part que les items à remplir (sur papier glacé) m'ennuient au plus haut point. Mais le patient sophiaté a tout prévu : il a apporté ses prises de sang. Je me rends compte alors qu'il consulte "son" diabétologue une fois tous les six mois (il me le confirme) et que "son" diabétologue ne me fait jamais de courrier ("Ah bon, il ne vous envoie rien ?" Je confirme). Le dossier de "mon" patient indique qu'il n'est pas venu me voir depuis cinq mois (et pour une infection virale ORL qui n'aurait même pas dû faire l'objet d'une consultation et quand je lui ai posé des questions sur le diabète il m'a répondu "mais c'est le diabétologue..."). Donc, le patient me montre les résultats d'une HbA1C à 6 en février 2013, à 5,8 en août 2012 et à 6 en février 2012. Je pense au ROSP (Rémunérations sur Objectifs de Santé Publique*) qui est en train de me filer sous le nez comme un pet sur une toile cirée... Je rappelle ici que les grands experts de la CNAM ont décidé que pour "bien" suivre un patient diabétique de type 2 il fallait doser l'HbA1C (ou hémoglobine glyquée 3 à 4 fois par an), ce qui est du domaine de la pensée facile ou du bon sens bien pensant (même si Prescrire a dit que c'était acceptable...). Quant au LDL, dosé une fois, il est à 1,14.

C'est alors (cf. supra Mais ce n'est pas fini) que je lui demande s'il est d'accord pour que je lui mesure la pression artérielle (j'aurais dû dire : "Daignez-vous, cher patient dont je suis le médecin traitant et qui vous faites suivre à la sauvette par le bon spécialiste du diabète, que je vous prenne la tension ?") et il me dit "J'allais vous le demander" et il ajoute :"Lors de l'examen de santé, ils m'ont trouvé de la tension". Bon. Le patient a 170 / 90, ce qui est trop pour un diabétique de type II (selon les recommandations actuelles). Il ne m'a pas apporté le rapport complet de l'IPC, officine dont je vous ai déjà parlé ICI et LA, seulement les résultats de prises de sang, il a dû considérer que le reste était sans importance -- ce en quoi il aurait eu raison -- ou que son médecin traitant supposé n'était pas digne de les lire -- aurait-il tort ?, -- et je ne peux que le croire quand il m'affirme que la pression artérielle mesurée à cette occasion était à 16. Nous allons aviser...

Il y a donc les examens de l'IPC qu'il m'a apportés incomplets et qui, le médecin traitant n'ayant pas été consulté et l'examen de sang étant standard, ne comportent pas de dosage de l'HbA1C mais je lis une glycémie à jeun à 1,22... et un LDL à 1,23. Je survole le reste.

Puis il y a le renouvellement.

Cette consultation peut vous paraître foutraque mais c'est le lot de ces malades, de bonne foi, qui se baladent à droite et à gauche, c'est peut-être cela la collégialité involontaire, et qui vous déversent sur votre bureau, leur parcours de soins. Je ne vous parle pas des patients de mauvaise foi qui font la même chose en mentant, dissimulant et en tentant de vous prendre en défaut au cas où vous ne raconteriez pas la même chose que les spécialistes...

Je me rends compte, en lisant l'ordonnance du  diabétologue, que, pour une fois, le traitement que j'avais mis en route à l'origine, c'est à dire la metformine, a été conforté, qu'il n'a pas été prescrit autre chose et notamment les produits "innovants". Un miracle. 

Cette consultation appelle plusieurs observations (ne vous méprenez pas sur le côté docte de l'affaire) :
  1. Le médecin traitant que je suis s'est fait déposséder de son malade et a accepté. Mais c'est fini, il a demandé au patient de choisir.
  2. Sophia propose des questionnaires débiles qui n'aident pas le patient mais rendent la CNAM capable de faire des statistiques bidons (voir ICI)
  3. Ce patient parfaitement équilibré n'a pas besoin de trois ou quatre dosages d'HbA1C pour être bien équilibré et le ROSP tombe à côté de la plaque
  4. Les examens périodiques de santé sont une vaste rigolade, coûtent cher et n'apportent rien
  5. Les médecins qui ont touché pour le CAPI que j'avais refusé vont aussi toucher pour le ROSP que j'ai accepté (voir ICI) : c'est comme si, le même jour, on facturait une consultation deux fois
  6. Mais surtout : l'administration française a construit un édifice bancale, un mille-feuilles de décisions, de règlements, d'objectifs qui s'entremêlent et qui n'ont aucune visibilité (me voilà en train d'utiliser les termes du marketing managerial) et qui font le génie de notre fonction publique : "mon" patient diabétique dont je suis le médecin traitant me "rapportera" : le prix d' au moins 4 consultations par an (4 x 23 = 92 euro) (mais je peux faire du "à la revoyure", la rémunération Sophia (2,5 C = 57,5 euro), la rémunération ALD (40 euro), la consultation IPC (23 euro) plus la rémunération ROSP (inconnue), plus, pour les ex médecins CAPI la rémunération CAPI (inconnue).

L'expérience du NICE anglais ou, plus précisément, du Quality and Outcomes framework (ICI) a montré que les sommes englouties ne servaient à rien en termes de Santé Publique (LA) mais remplissaient les poches de médecins qui, par ailleurs, ne faisaient que du remplissage et négligeaient ce qui était hors du QoF.
On comprend que certains syndicats appuient la démarche ROSP puisque c'est la seule façon, le tarif de la consultation étant bloqué, d'augmenter les honoraires des médecins...
Mais c'est quand même du bricolage à la petite semaine...
(crédit photographique : ICI)


* ROSP : je ne veux pas paraphraser Cornelius Castoriadis qui disait, à propos de la défunte URSS : 4 initiales, 4 mots, 4 mensonges, parce que ce n'est pas tout à fait vrai : je vais quand même toucher de l'argent si HelloDoc fonctionne ; mais les dits objectifs de Santé Publique (une expression bien ronflante) sont sans intérêt... pour la santé Publique (voir ICI pour le CAPI, antichambre des ROSP)

vendredi 25 mars 2011

DIABETE : LES MYTHES SPECIALISES. HISTOIRE DE CONSULTATION 75

Kees Van Dongen - La femme lippue (1909)

Madame A, 84 ans, je ne la vois qu'à domicile, en visite. Je ne pense pas qu'elle soit venue une seule fois au cabinet. Je la connais depuis tente-deux ans, depuis l'époque où je m'occupais de sa mère, une vieille dame qui avait, à l'époque, 78 ans, et qui vivait avec sa fille dans la grande maison où je me rends aujourd'hui. J'ai donc suivi la mère qui était hypertendue et qui est morte, âgée, d'une insuffisance cardiaque aiguë, dans une clinique de notre ville, une clinique qui n'existe plus. Désormais je suis le médecin traitant de la fille qui est aussi devenue une vieille dame.
Je suis installé en zone sensible et ces deux femmes n'ont jamais voulu venir dans mon quartier et je n'ai pas insisté : trop dangereux, disaient-elles.
Pourquoi je vous dis cela ?
Parce que je fais des visites, de moins en moins de visites, presque dix fois moins que dans les années quatre-vingt, et que, pourtant, je fais encore des visites compassionnelles chez les personnes âgées. Compassionnelles, car certaines de ces patientes pourraient se déplacer, elles se déplacent bien chez le cardiologue ou... l'ophtalmologue. Mais quelques personnes âgées se déplacent aussi en consultation bien qu'elles soient vraiment très âgées : une question d'habitude.
Mais Madame A ne conduit pas. Le domicile de Madame A n'est pas proche d'une ligne d'autobus qui passe près de son domicile et de mon cabinet. Je vais donc la voir chez elle, quatre fois par an. Parfois une fois de plus quand Madame A a de la fièvre ou autre chose qui cloche.
Madame A prend trois médicaments : metformine, captopril et pravastatine. Son HbA1C, le critère principal de suivi d'un patient diabétique, est à 7,2 %, ce qui est correct selon le consensus actuel, la pression artérielle est bonne (130/80) et le mauvais cholestérol est dosé à 1,04. Elle présente pourtant des lésions rétiniennes qui l'ont conduite à subir (ou à bénéficier) de (s) séances de laser.
Chez Madame A je m'asseois, toujours sur la même chaise, j'ai ma chaise, et, chez d'autres patients, j'ai mon fauteuil, et elle me montre un courrier qu'elle a reçu de la sécurité sociale. "Qu'est-ce que je dois faire de cela ?" Elle n'est pas inquiète mais préoccupée. Je prends la grande enveloppe, l'ouvre et je comprends : il s'agit des documents que l'Assurance Maladie adresse à certains patients, dont des diabétiques, en leur faisant des recommandations et en leur donnant un tableau cartonné, haut en couleur, on dirait un prospectus pour un médicament, où tout ce que l'HAS a dit qu'il fallait faire en cette occasion est signalé et les performances du médecin sont indiquées : nombre de dosages de l'HbA1C, de la micro albuminurie, nombre de visites chez l'ophtalmologue, et cetera.
Je rassure la patiente qui pensait qu'elle devait répondre à cette injonction et regarde le carton coloré d'un regard distrait. Deux choses me frappent : il est indiqué qu'elle n'a pas vu d'ophtalmologiste depuis un an (c'est une "recommandation" de l'HAS), que l'HbA1C a été dosée deux fois (l'HAS et le CAPI conseillent trois à quatre fois par an) et qu'elle n'a pas vu de pédicure podologue.

Voici quelques commentaires sur le parcours de soins non respecté par les spécialistes hospitaliers, sur l'Assurance Maladie qui fait le forcing sur le diabète et sur d'autres pathologies auprès des patients (à l'instar du programme SOPHIA) et auprès des médecins (le programme CAPI).
  1. Madame A est suivie par un ophtalmologiste de l'hôpital qui a entrepris des séances de laser pour des lésions rétiniennes, il y a eu (j'ai vérifié) au moins deux séances cette année et à moins que le laser soit effectué par un cardiologue ou par un brancardier... L'Assurance Maladie n'a donc pas pris en compte ces séances de laser (la cotation doit être telle qu'elle n'a pas été "rapprochée" du chapitre Consultation en ophtalmologie, ce qui montre, vous pouvez choisir : a) les problèmes de saisie dans la base de l'Assurance Maladie ; b) les problèmes de cotation de la dite base). Je me souviens d'autant plus de cela que j'ai eu un "léger" accrochage avec l'ophtalmologiste en question. Les faits : il y a deux ans Madame A est allée, avec sa nièce, chez le spécialiste des yeux qui a trouvé des lésions au fond d'oeil, qui a programmé une angiographie rétinienne qui montrera ultérieurement des lésions lasérisables, selon lui, qui a dit que son diabète n'était pas bien équilibré et qui a conseillé fortement à la patiente de consulter un diabétologue... Donc, la nièce en question m'a engueulé par sa tante interposée, je n'avais pas fait mon travail, le diabète n'était pas bien équilibré et patati et patata. Je n'étais pas content. J'ai mis un certain temps à appeler le spécialiste des yeux car l'expérience m'a indiqué que ce genre d'appel ne servait généralement à rien : chacun restait sur ses positions. Voici, en substance ce que nous nous sommes dit. Moi : Je suis le médecin traitant de Madame A, il m'a été dit que vous aviez dit à la patiente et à sa nièce que son diabète était mal équilibré, ce qui, pour une personne de 84 ans avec une HbA1C à 7, me paraît bien difficile à soutenir. Lui : Elle a des lésions rétiniennes qui montrent que son diabète est mal équilibré. Moi : Certes, mais des études indiquent que faire baisser l'HbA1C en dessous de 7 entraîne une sur mortalité. Lui : Vous pensez vraiment que l'équilibre glycémique n'a aucun rapport avec l'état de la rétine ? Moi (énervé) : Non, mais je pense aussi que chez une femme de 84 ans il paraît illusoire, voire dangereux de faire baisser encore plus l'HbA1C, comme le montre l'étude ACCOR... Lui : Je ne connais pas cette étude. Moi : Dernier point : au lieu de demander à la patiente de consulter un diabétologue, vous feriez mieux de prévenir d'abord le médecin traitant, moi-même en l'occurrence. Lui : J'ai fait comme nous avons l'habitude de faire dans le service. Moi : C'est nul. Au revoir.
  2. Les statistiques de l'Assurance Maladie concernant cette patiente sont fausses. C'est peut-être une erreur isolée. Mais cela devrait inciter les signataires du CAPI (voir ici) à vérifier les chiffres qui leur sont communiqués. Avant de s'y lancer et après que les résultats leur sont communiqués. Autres points : a) cette patiente n'a eu que deux dosages d'HbA1C dans l'année et ses chiffres sont "parfaits" ; b) il est pointé par l'Assurance Maladie que les pieds de Madame A n'ont pas été examinés par un podologue, eh bien, mon expérience personnelle est que les podologues, chez les diabétiques, provoquent souvent des lésions qu'il n'aurait jamais eues s'ils n'étaient pas allés les voir ; c) le spécialiste de l'oeil ne lit pas les études sur le diabète et ne croient pas qu'un médecin généraliste puisse s'occuper d'une patiente diabétique.
Ainsi, dans cette affaire, on ne cesse de voir que la disparition de la médecine générale est, comme on dit, actée par l'Assurance Maladie. La disparition programmée de la médecine générale est une tendance lourde qui remonte à loin (1971 et 1979) et qui est liée essentiellement à la volonté de la spécialocentrie. L'Assurance Maladie constate et met en place des procédures pour contrôler l'activité des médecins généralistes (le CAPI) et pour contrôler la sincérité des malades (SOPHIA). L'Assurance Maladie obéit au pouvoir politique qui est conseillé par des experts issus de la spécialocentrie et de l'hospitalocentrie qui demeurent la base de toutes les politiques publiques de santé. Le pouvoir politique ne comprend rien à la médecine et voit la Santé Publique avec les yeux des grands patrons et des experts qui s'auto-entretiennent, s'auto-louent et s'auto-encensent. Mais ils creusent la tombe de tout le monde : l'hôpital se meurt et l'accès au soin va s'effondrer.

Madame A, 84 ans, va bien. Mais sa nièce croit qu'elle est mal soignée. Et l'Assurance Maladie aussi. Pas son médecin traitant (conflit d'intérêt majeur) qui essaie de la laisser tranquille.