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mardi 3 février 2015

Un PSA venu de nulle part. Histoire de consultation 180.


Monsieur A, 73 ans, est hypertendu et, accessoirement dyslipidémique. Il est traité par lisinopril 20 mg et pravastatine 20 mg depuis une vingtaine d'années (par le docteur du 16).
Il est venu avec sa femme, Madame A, 71 ans, qui a déjà "fait" un infarctus et qui souffre de deux ou trois trucs dans le même métal (HTA, diabète de type 2, dyslipidémie).
Un de leur fils est médecin hospitalier.



Monsieur A en fin de consultation : "N'oubliez pas le bilan annuel."
J'avais oublié.
J'écris donc "Evaluation d'une anomalie lipidique, créatininémie (poids = 83 kilos), glycémie à jeun".
Lui : "N'oubliez pas le PSA".
Moi : "A quoi cela peut-il bien servir ?"
Madame A : "Nous savons que vous êtes contre mais nous aimerions savoir."
Moi : "Vous voulez que je recommence à vous dire pourquoi le dosage du PSA en général et en particulier chez un homme de votre âge dont l'espérance de vie, grosso modo (là, je m'avance) est d'environ une quinzaine d'années, ne présente pas un intérêt évident quand on analyse le rapport bénéfices / risques ?"
Ils attendent que je refasse complètement le boulot.
J'explique, je réexplique, et je m'ennuie comme quelqu'un qui répète presque toujours la même chose et qui finit par se demander si l'autoritarisme, le paternalisme, l'avis d'expert, l'autorité de la chose jugée, le mieux disant médical et tout ce que vous pouvez imaginer, ne seraient pas mieux que les valeurs et préférences des patients...
Je refais donc le boulot (vous pouvez consulter sur ce blog le libellé Cancer de la prostate (28 occurrences) ou le libellé PSA (10 occurrences).
J'ai convaincu Monsieur qui reformule qu'il n'a pas envie des complications, du suivi, de l'attente des résultats, dans le désordre.
Un PSA prescrit par un collègue était à 1,25 (pour une normalité inférieure à 4) il y a environ deux ans.
Mais Madame A :"Je préfèrerais que vous le prescriviez et nous ne tiendrons pas compte du résultat".


samedi 22 février 2014

Le retour de Diane. Histoire de consultation 163.


Mademoiselle A, 18 ans, est venue avec sa copine qui est restée dans la salle d'attente.
Le dossier m'indique qu'elle n'a pas consulté au cabinet depuis environ trois ans.
Elle a une gastro, elle n'est pas allée en cours aujourd'hui, elle va mieux, c'est à dire qu'elle n'a pas besoin de médicaments, mais elle voudrait bien un certificat pour le lycée.
Je lui fais mon plus beau sourire.
"Ah, encore une chose, il faudrait que vous me prescriviez Diane 35..."
La jeune fille a trois boutons sur le visage cachés il est vrai par une épaisse couche de maquillage.
Nous commençons à parler du pays.
Je lui pose deux ou trois questions et je retiens ceci : elle a eu "tous" les traitements possibles pour l'acné (mais elle n'arrive à m'en citer aucun pas plus que ceux ou celles qui les ont prescrits), elle n'a jamais pris Diane 35, elle est complexée par ses boutons, elle n'arrive pas à survivre avec... 
Je lui dis : "Je ne vous prescrirai pas Diane 35"
Elle : Mais Pourquoi ? Maintenant vous avez de nouveau le droit.
Moi : Ce n'est pas une question de droit. Je n'en prescris pas comme ça, sans avoir examiné la situation, sans avoir fait d'examens complémentaires. Connaissez-vous bien les risques de ce médicament ?
Elle : Oui. J'ai regardé sur internet, j'ai vu tous les risques, je les assume. A vous de prescrire.
Moi : Ce n'est pas comme cela que cela se passe. Je ne suis pas votre machine distributrice de Diane 35. 
Elle : Vous ne vous rendez pas compte de ma souffrance, je ne peux presque plus me montrer, j'en ai fait une phobie. Il faut m'aider. Vous ne pouvez pas comprendre...
(Je suis presque en train de pleurer et mon esprit fonctionne à cent à l'heure : l'empathie, l'empathie, l'empathie. Je sens que Dominique Dupagne me surveille (ICI) et qu'il me dit : Il est interdit d'interdire, il y a des patientes qui ont besoin de Diane 35, pourquoi s'en priver, du moment que les patientes sont informées, qu'elles sont au courant, la liberté individuelle, ne nie pas la capacité des patientes à prendre des décisions lucides concernant leur santé (sic)... Est-elle informée, d'ailleurs ?)
(Je fournis ici, en passant, un sujet de billet de blog : le médecin intégriste, ayatollah anti Diane, qui fait un retour sur lui-même, une auto analyse et qui, devant la "souffrance" de cette jeune femme, lui prescrit finalement Diane 35... c'est-y pas beau, tout ça ?)
(Autre notion dont nous pourrions parler un de ces jours : la Décision Médicale Partagée ou Share Decision Making)
Bon, je lui ré explique deux ou trois trucs, mais elle n'en démord pas : elle va aller en demander chez un autre médecin.
(Le lendemain : réunion de pairs : une de mes pairs me raconte l'histoire de Mademoiselle A qui est venue la voir le lendemain : pas de Diane prescrite. Cela me rappelle furieusement l'affaire Mediator avant qu'elle n'éclate ; et ensuite tout le monde prétendait n'en avoir jamais prescrit).

Morale de cette histoire : ai-je eu raison (ma paire a-t-elle eu raison) ? Aurais-je dû lui proposer un bilan de thrombophilie ? Car cette jeune femme trouvera un médecin pour lui prescrire Diane 35 (j'ai des adresses) et, les choses et les statistiques étant ce qu'elles sont, cela n'aura aucune conséquence sur elle : les médecins jouent souvent sur les faibles probabilités de ne pas nuire en raisonnant à leur (petite) échelle de patientèle mais oublient que l'empilement des cas individuels peut induire des risques populationnels importants.


(PS. La demande de retrait du domperidone par La Revue Prescrire (ICI) se situe dans ce contexte. Je rappelle que je demandais le retrait de Diane 35 bien avant que l'affaire Marion Lara ne survienne (LA). Ce qui m'a été reproché. L'interdiction des produits une fois commercialisés pose un certain nombre de problèmes que je vais tenter de résumer ainsi :

  1. Les partisans de la non interdiction pensent que l'information du public et notamment de la possibilité d'effets indésirables graves règle le problème : je prescris un produit potentiellement dangereux à un patient averti qui prend lui-même sa décision (voir ICI). Précisons cependant que ces partisans de la non interdiction ne sont pas des jusqu'au boutistes car la majorité d'entre eux ont approuvé le retrait du Mediator : ils prennent en compte le rapport bénéfices / risques, disent-ils.
  2. L'Evidence Based Medicine nous apporte un éclairage identique : son questionnement pourrait aboutir à la prescription d'une molécule "dangereuse" ou d'un examen complémentaire potentiellement dangereux (comme le dosage du PSA) en accord avec le patient (en tenant compte de ses valeurs et de ses préférences).
  3. Les partisans du non retrait parlent également de paternaliste à l'égard de ce retrait : faire le bien des patients malgré eux.
  4. Le retrait peut permettre aussi à des médecins consuméristes ou incompétents qui prescrivent le  produit en sachant sa dangerosité mais en se réfugiant derrière la rareté des effets indésirables graves (voir plus haut) de les aider à se mettre en accord avec leur conscience.
  5. Pour le domperidone, je pourrais proposer une solution swiftienne : que la non prescription de domperidone devienne un indicateur du ROSP. Ainsi les médecins prescrivant de la merdre seraient récompensés en arrêtant d'en prescrire.)
Illustration : Jonathan Swift : Modeste proposition : pour empêcher les enfants des pauvres d'être à la charge de leurs parents et de leur pays et pour les rendre utiles au public. 1729

dimanche 28 décembre 2008

Histoires de consultations : quatrième épisode

Volonté des morts, volonté des vivants.

Monsieur M, cinquante-six ans ans, consulte après le décès de son père, quatre-vingt cinq ans. Il est triste, il vient renouveler son traitement habituel, il n'a pas envie de s'épancher et encore moins de médicaments. Mais il a un problème : sa mère refuse de faire incinérer son mari contrairement à des dernières volontés qu'il a toujours exprimées à qui voulait l'entendre. "Vous qui connaissez si bien maman, ne pourriez-vous pas faire quelque chose ? - Je ne comprends pas, répond le médecin en faisant l'imbécile. - Eh bien, c'est tout simple. Il faudrait que vous la persuadiez de faire incinérer papa. - Et pourquoi ? ... - Parce qu'il faut toujours obéir à la volonté des morts. Vous avez été le médecin traitant de mon père... "
La conversation est mal engagée.
"Pourquoi ne veut-elle pas ? - Elle dit qu'elle ne supporterait pas l'idée que le corps perde son apparence humaine... - C'est un point de vue. - Oui, mais ce n'était pas le point de vue de mon père... - OK, mais vous le lui avez rappelé et elle ne semble pas vouloir changer d'avis. - Elle dit qu'il est mort et que c'est elle qui reste. Elle a donc priorité. - Cela me paraît sensé. - Vous êtes d'accord avec elle ? - Non, je ne dirais pas cela : je dirais que son raisonnement se tient. - Je ne peux donc pas compter sur vous ? - Pour lui parler ? Certes. Pour le reste, je ne peux m'engager. - Je ne pensais pas cela de vous... Je suis déçu."
Silence dans le cabinet.
"Je ne sais pas si votre maman a tort ou a raison. Je peux seulement dire que c'est elle qui vit et que c'est elle qui ressent ce qu'elle peut supporter ou non. Il lui semble qu'il lui sera plus facile de vivre sans que son mari ne soit réduit en cendres. Elle a besoin d'avoir une représentation humaine de son cadavre. Pourquoi l'en blâmer ? Maintenant, il est vrai que l'on peut être choqué par le fait qu'elle ne fasse pas ce que son mari avait décidé pour lui-même mais la vie et l'histoire sont remplies de tels cas. Tel grand homme avait souhaité être enterré aux côtés de sa femme et voilà que l'Etat, plusieurs années après, décide que l'intérêt supérieur de la Nation veut que ses restes soient transférés au Panthéon. N'est-ce pas aussi aller à l'encontre de l'amour d'un homme pour sa femme au nom d'une prétendue gloire éternelle ? Qui proteste en ce cas ? Personne en général, sauf le syndicat d'initiatives de la commune d'où le corps va être déplacé. Qu'est-ce que vous en pensez ?"
Le fils de la femme qui trahit son mari après la mort n'a pas envie de comprendre ou de raisonner.
Le médecin aurait pu lui parler de Montaigne et de Saint-Augustin mais il a oublié les références et s'en tient là. L'histoire montre qu'il ne s'est fâché avec personne, que le fils a continué de venir le voir et que la mère n'a été au courant de rien.
Les choses ont été plus complexes : le fils a écouté le médecin et a soutenu sa mère devant les frères et soeurs mais le médecin n'en a rien su car l'homme n'en a pas parlé.
Montaigne, in Les Essais (I,3), citant Saint Augustin (Cité de Dieu, I,12) : "Le service des funérailles, le choix de la sépulture, la pompe des obsèques sont plus une consolation pour les vivants qu'un secours pour les morts."