Affichage des articles dont le libellé est VICTIMES. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est VICTIMES. Afficher tous les articles

dimanche 24 mai 2020

La publication des photographies des personnels de santé morts pendant la Covid-19.

Panthéon

Un syndicat médical, un journal, publient, ne cessent de publier les photographies de personnes, personnels de santé, mortes pendant la Covid-19.

Je me suis posé la question de la pertinence de cette action.

J'ai aussi demandé que s'il m'arrivait malheur on ne publie pas ma photographie. On m'a accordé (j'ai senti une certaine condescendance dans les réponses) ce privilège : comment peut-on refuser son quart d'heure warohlien post mortem ? 

Pourquoi ? Parce que j'ai travaillé pendant toute la première partie (j'espère la dernière) de la Covid-19, en ville, en médecine générale, en première ligne, en première intention, sans instructions très claires de la part des autorités de tutelle, sans matériel adéquat (les masques canards étaient périmés), je n'avais pas de sur blouses, je n'avais pas de visières, j'avais des masques chirurgicaux mais je ne pouvais pas en distribuer aux patients. J'ai bénéficié de conseils éclairés de collègues sur twitter sur la façon de se protéger avec les moyens du bord, sur la façon de rendre les locaux "propres", sur les informations et les consignes à donner aux patients. Et j'ai pataugé. J'ai fait des erreurs (d'asepsie, de conduite à tenir). A Mantes-La-Jolie aucune personne de la mairie n'a appelé les professionnels de santé. A Mantes-La-Jolie, cela fait seulement deux semaines que l'on peut envisager, pour des patients non hospitalisés, non passés par les urgences de l'hôpital, de faire pratiquer une PCR dont des millions sont pratiquées dans le monde... Mais aussi : j'ai résisté à la pression, je n'ai pas prescrit d'hydroxychloroquine et/ou d'azithromycine, de vitamine C, j'ai résisté à la pression des malades, à la pression de la famille des malades, je me suis fait traiter de charlatan, de mauvais médecin, de médecin qui allait laisser mourir ses malades... Bref, j'ai résisté contre la tentation de faire des essais sauvages en mon cabinet avec des molécules non éprouvées, avec des protocoles alagomme (et mon petit doigt me dit que dans les services de réanimation, outre le reste, ce qu'ils savent faire, ils ont cédé à la panique).

Bon. J'ai tenté d'assumer.

Est-ce que pour cela je suis un héros ?
Ai-je montré un quelconque courage ?
Est-ce que, si j'étais devenu symptomatique, voire pire, cela aurait fait de moi un super héros et... une victime ? 
Des collègues médecins de la région mantaise ont été déclarés positifs, ont été hospitalisés, ont été placés en réanimation, dois-je donner leurs noms ? Dois-je publier leurs photographies ? 

Et, à l'inverse, nombre d'infirmières et d'infirmiers libéraux du Mantois, ont caché leur positivité. Pudeur ?

Non, les médecins et les professionnels de santé ne sont pas des héros, ne sont pas des victimes. Un grand nombre des morts des professionnels de santé dues à la Covid-19 aurait pu être évité mais l'impéritie du système de santé, et pas seulement des ministres successifs, des hospitaliers et/ou des libéraux, l'impéritie d'un système sans âme, sans tête, sans corps, explique que les personnes les plus exposées aient pu succomber. 

Je réagis donc à un tweet d'un journaliste de Médiapart, Michael Hadjenberg, et je l'interroge sur la pertinence de cette publication.



Ce tweet est d'une indécence absolue, d'une pleurnicharderie lamentable, c'est un raccourci minable.

On me répond : "Lisez l'article, c'est expliqué, on a demandé l'avis aux familles..." Un autre : "Cela se fait partout".

Cette prose digne d'un journal de caniveau ne me donne pas envie de lire l'article.

Je dois être délicat.

Précisons que les personnes qui font cela ne risquent rien d'un point de vue juridique. C'est le plus important, coco (voir ICI).



Pour le reste, tout le monde (ou presque) trouve tout cela normal.

Tout le monde pense que le monde appartient aux vivants, pas aux morts.

Oserais-je parler de voyeurisme ?

D'imagologie ?

A qui profitent ces publications ?

Est-ce ?

Pour pisser de la copie ?
Pour avoir de nouveaux adhérents ?
Pour avoir de nouveaux abonnés ?
Pour honorer les victimes ?
Pour les faire revivre ?
Pour consoler les familles ?
Pour dénoncer un scandale d'Etat ?
Pour faire pression sur la justice ?
Pour faire du sentimentalisme ?

Je vais faire un détour par Milan Kundera. 

La première chose qui a frappé Kundera en arrivant en Occident, c'est de voir les photographies volées de Jacques Brel amaigri (et mourant) à la sortie de l'Hôpital. Cela lui faisait penser au régime communiste où l'intimité n'existait pas. Il s'est brièvement demandé s'il avait eu raison de partir.

Et ceci dans L'Immortalité : "L'homme peut mettre fin à sa vie. Mais il ne peut mettre fin à son immortalité."

Toujours Kundera qui a inventé un néologisme : l'homo sentimentalis. Il écrit ceci : "Le sentiment n'est plus sentiment mais imitation du sentiment, son exhibition." (je me suis aidé de ce texte LA)

Et enfin, pour conclure. c'est ce que j'ai appelé l'effet kiss cool à deux larmes : la publication de ces photographies représente la quintessence du kitsch kundérien.

J'interprète la phrase célèbre de Milan Kundera dans L'insoutenable légèreté de l'être : "Le kitsch fait naître tour à tour deux larmes d'émotion. La première larme dit : 'Comme c'est beau des photographies de professionnels de santé morts en soignant des patients." La deuxième dit : 'Comme c'est beau d'être ému avec toute l'humanité à la vue de photographies de professionnels de santé morts en soignant des patients?' Seule cette dernière larme fait que le kitsch est kitsch."



PS du jeudi 4 mai 2020 "on" demande la panthéonisation (cf. supra l'image) du premier médecin mort de la Covid en France (LA)

jeudi 30 janvier 2014

Ennuis mortels lors de la (non) remise de la Pilule d'Or Prescrire


Je me suis rendu ce jour Espace Saint-Martin pour assister à l'une des réunions annuelles Prescrire.

Réunion en trois parties.

Première partie (mortels effets indésirables) : Victimes de médicaments : sortir du déni sociétal pour mieux soigner.

Une dame anglaise parlant français, Millie Kieve, mère de victime, nous a fait écouter "Les voix des victimes" (ICI). Elle représente l'association APRIL (adverse psychiatric reactions information link) (LA) Discours compassionnel et ascientifique digne d'une réunion paroissiale. Nous avons cependant appris que sa fille avait eu une dépression lors de la prescription de Diane 35 prescrite pour une maladie fibrokystique de l'ovaire (imaginaire, nous a-t-elle précisé). Les crétins qui disent qu'il n'y a qu'en France que Diane 35 posait problème... en sont pour leurs frais.

Une juriste présidente de l'association "Amalyste" (ICI et sponsorisée par Groupama), Sophie Le Pallec, a fait un exposé (Gueules cassées du médicament : d'épreuves en épreuves, LA), au début pleurnichard, avec photographies ad hoc de malades exposant les problèmes jurifdiques des patients ayant subi un syndrome de Lyell et de Stevens Johnson pour se faire indemniser de leurs lésions. Elle a parlé du recueil des données, de l'imputabilité, des signaux et du déni des médecins ainsi que de la méchante industrie pharmaceutique et de la nécessaire déclaration des effets indésirables par les patients. Elle a oublié de dire, quelqu'un l'a signalé dans la salle, que la majorité des syndromes de Lyell et de Stevens Johnson sont dus à 4 molécules : tetrazepam, allopurinol, lamotrigine et bactrim.

Enfin, Bruno Toussaint, directeur éditorial de Prescrire, nous a servi la soupe gnangnan Prescrire (catho de gauche à mon avis mais, vu le décor de la salle, parpaillot de gauche serait plus approprié) sur "D'abord ne pas nuire ; puis comprendre et agir" (ICI). Il nous a parlé du DES sans nous dire que la France (je veux dire les gynobs français) ont été à la pointe de la khonnerie puisque, sachant tout, ils ont continué d'en prescrire alors que c'était inefficace et dangereux. Il nous a aussi parlé du vioxx sans nous dire qu'il y a eu zéro mort en France (l'esprit français ou la victoire de la pharmacologie à la française?). Couplet sur le Mediator avec couplet secondaire sur le suffixe -orex qui aurait dû alerter tout le monde. Les professeurs de pharmacologie et de diabétologie (pour les professeurs d'obésologie nous seront muets) étaient-ils an orexiques ? Et il a terminé sur les pilules de troisième génération que l'on aurait dû ne pas prescrire. Il en conclut qu'il faut écouter les victimes des médicaments. Ouaip. Ecouter signifie aussi déclarer les effets indésirables. 

Lors des questions de la salle l'incontournable députée européenne Michèle Rivasi a mis en avant la possibilité qu'ont désormais les patients européens de signaler eux-mêmes les effets indsésirables en oubliant de préciser que l'Europe avait lâché la pharmacovigilance à l'industrie dans le cadre vide d'EudraVigilance (LA) (le fameux Paquet pharmaceutique de 2008). Un intervenant pharmacovigilant a souligné combien la déclaration par les patients des effets indésirables était de la poudre aux yeux qui allait augmenter le bruit de fond et empêcher de recueillir les vrais signaux.  Bruno Toussaint n'a pas été d'accord. Le père de Marion Larat, victime  de Méliane, est intervenu pour dire combien les choses avançaient et il a semblé très optimiste pour la simple raison que les informations étaient désormais données aux médecins. Il ne connaît sans doute pas l'inertie du milieu médical. Le professeur Giroux, pharmacologue à la retraite, a souligné combien la pharmacologie clinique n'était pas enseignée à la faculté et, en privé, m'a dit que cela allait en se détériorant. Irène Frachon a parlé, à la suite de Sophie Le Pallec, de la difficulté qu'avaient les victimes du mediator à se faire reconnaître et indemniser, et que le doute bénéficiait plutôt à l'industriel. Juste un point : la responsabilité des industriels, des agences, des prescripteurs est engagée, sans nul doute, mais, dans le cas du mediator, et c'est une expérience personnelle, des patientes se sont détournées de nous parce que nous leur refusions le mediator ou allaient se le faire prescrire ailleurs sans nous le dire. La responsabilité de patientes informées est aussi engagée. Jean Lamarche, pharmacien d'officine, rebondissant sur les propos d'un responsable d'association, a souligné combien les pharmaciens étaient démunis contre les ordonnances erronées, les ordonnances bourrées d'interactions médicamenteuses potentielles, les ordonnances de produits hors doses, hors AMM ou franchement dangereux.

Voici ce que j'aurais pu ajouter si j'avais eu le temps (je n'ai évoqué que quelques points durant mon intervention).
  1. Très souvent les effets indésirables graves que l'on retrouve (avec difficulté) après commercialisation avaient été signalés et / ou évoqués (et enterrés) dans les dossiers d'AMM malgré le nombre étique de patients observés. L'exemple du pandemrix que Marc Girard m'avait signalé en son temps, à savoir 9 morts dans les essais pré AMM,  a illustré à la fois la naïveté des autorités compétentes et des relecteurs indépendants et la notion de sérenpidité car le pandemrix a peut-être entraîné des morts (jamais comptabilisés par la pharmacovigilance internationale) mais a entraîné des narcolepsies de novo (?)
  2. Madame Kieve a dit que seulement 10 % des effets indésirables étaient signalés mais elle est loin du compte ! J'ai estimé personnellement qu'un effet indésirable grave pour 511 était effectivement déclaré et des données anciennes parlaient de 1 déclaré pour 4610 ! Le billet sur mon travail est ICI.
  3. La déclaration des effets indésirables des médicaments n'est pas tout : il faut aussi que l'imputation se fasse. Et là, le classement vertical est extrêmement fréquent. Cela dépend également de la qualité des informations recueillies. Disons que les pharmacovigilants font de la rétention dans le public et de la destruction dans le privé. 
  4. Qui sont les plus responsables juridiquement ? Les firmes, les agences ou les prescripteurs ? Il semble que, finalement, ce soient les prescripteurs, isolés, sans l'assistance de cabinets d'avocats, qui soient les plus facilement attaquables.
  5. A aucun moment n'a été abordé le problème paradoxal des attaques portées de toute bonne foi contres des produits "anciens", dont les effets indésirables sont connus, répertoriés et étudiés, attaques dont les firmes profitent pour promouvoir de "nouveaux" produits, moins bien étudiés, aux effets indésirables potentiellement plus graves, et dix fois plus chers...

Deuxième et troisième partie : les (mortels) prix Prescrire.

Je suis toujours étonné que Prescrire continue d'appuyer sans nuances et avec son zèle idéologique obstiné la prescription en DCI (dénomination commune internationale) (prescrire en DCI c'est la sécurité des patients, prescrire en DCI c'est combattre le méchant capitalisme, prescrire en DCI c'est assurer des traitements pour les plus pauvres de la planète) et attribue des prix du conditionnement aux laboratoires méritants alors qu'il n'est pas possible, en prescrivant en DCI, de choisir son conditionnement. Comprenne qui pourra. Mon attitude : ne prescrire que le boîtage que l'on connaît. Bon, j'entends déjà les commentaires... Comme je ne peux faire confiance à chacun des pharmaciens chez lesquels vont mes patients je suis obligé de contrôler la délivrance de cette façon. Mais je n'ay arrive pas souvent.

Donc, cette année encore : pas de pilule d'or.

Mais "cité au palmarès", et en DCI imprononçable ou inécrivable : vaccin méningococcique conjugué  A, C, W135, Y. Je ne dirai rien sur le vaccin lui-même mais je dirai cependant ceci : s'il est un domaine où le conditionnement joue un rôle majeur, c'est bien celui des vaccins. Qui vaccine contre la grippe sait en double-aveugle de quelle aiguille il s'agit...

Dernier point pour conclure ce mortel palmarès : dire qu'il y a panne de l'innovation dans l'industrie pharmaceutique est peut-être vrai, les méchants chercheurs qui ne trouvent rien, et nul doute que big pharma investit surtout sur les marchés porteurs, c'est à dire avec grosses plus-values possibles, mais la raison principale évidente, me semble-t-il, est la suivante : l'amélioration constante de l'espérance de vie dans les pays "développés" est devenue asymptotique et la mortalité évitable est liée à des facteurs personnels (fumer, boire, manger) et / ou environnementaux au sens large. L'hygiène est supérieure à la médecine (ne le dites pas trop, les néo libéraux de tout poil, de droite, de gauche, d'extrême droite et d'extrême gauche vont vous tomber sur le rable au nom de la liberté de choix des consommateurs, oui, oui, j'ai bien écrit, des consommateurs) et le sera longtemps sur les prochaines années. L'arrêt du tabac a des conséquences plus favorables que la lobectomie sur l'espérance de vie des populations. Dans les pays dits moins développés, et pour certains, pré pasteuriens, les médicaments ont encore leur chance en raison des risques infectieux majeurs (qui ont disparu dans les zones développées). Mais une autre raison, pas secondaire du tout, est la suivante : big pharma investit sur des domaines porteurs où les investissements sont raisonnables (essais cliniques a minima), les marges majeures (en raison des prix exigés), les leaders d'opinion facilement démarchables, les associations de patients demandeuses, les agences peu regardantes, les médecins hospitaliers seuls intéressés... Vous avez deviné de quoi je veux parler ? Des anti cancéreux ! Une journée et demie de survie en plus et 1000 euro par jour le traitement. Vous rajoutez le domaine des vaccins, mêmes caractéristiques que précédemment, en rajoutant ceci : les vaccins ne sont pas généricables. La marge nette est de 98%

Bon, belle journée à l'Espace Saint-Martin (le buffet de petits fours était sympa. Mais comme je suis abonné à Prescrire je me suis dit que je mangeais mon argent) car, ne l'oublions pas, la Revue Prescrire a apporté la lumière à nombre de médecins, dont moi, voir le billet précédent (LA), qui n'avaient pas conscience de la nécessité d'un lieu critique capable d'exprimer la résistance à l'absence d'un enseignement indépendant de la médecine, la résistance aux instances gouvernementales incompétentes et la résistance aux efforts de big pharma pour cacher la vérité de ses produits en corrompant le milieu.

(Je ne vous ai pas parlé du représentant de Glaxo, un poème, il a failli me convaincre de sa bonne foi, LOL, la mission de big pharma dans le domaine de la pharmacovigilance, c'est comme si la revue Que Choisir, qui était associée à la journée Prescrire, était publiée par le MEDEF)
(J'ai discuté avec des gens charmants dont Alain Braillon qui m'a dit tout le bien qu'il pensait de l'e-cig : re LOL)
(Toutes les communications sont en accès libre sur le site Prescrire : LA)

Illustration : le cimetière juif de Prague.