jeudi 31 mars 2011

UN COMMUNIQUE (IMAGINAIRE) DU PROFESSEUR DANIEL FLORET

Squale (haine) - Grand requin blanc (inoffensif).

Le professeur Daniel Floret, Président du Comité Technique des Vaccinations, vient de réagir par uncommuniqué relayé par L'Agence Infovac Presse (AIP) à l'annonce par l'Agence Médicale Suédoise (Läkemedelsverket) de la suspension de la vaccination des personnes de moins de 20 ans par le vaccin pandemrix à la suite d'un essai de cohorte indiquant un risque 4 fois supérieur de faire une narcolepsie dans cette tranche d'âge par rapport à des personnes du même âge non vaccinées. Vous pouvez consulter le communiqué ICI.
(Cette étude vient à la suite des narcolepsies finlandaises post pandemrixiennes, 60 enfants et adolescents entre 4 et 19 ans, dont je vous avais parlé LA).
Voici le communiqué (imaginaire) : "Le vaccin Pandemrix est un vaccin sûr. Les données dont nous disposons en France indiquent que la narcolepsie n'a pas franchi les frontières, qu'elle est restée cantonnée en Finlande, en Suède et en Islande. La narcolepsie ne passera pas, pas plus qu'une éventuelle toxicité adjuvante squalénique ne peut contaminer notre pays. Le dossier d'AMM de Pandemrix est limpide. La pharmacovigilance française, que le monde entier nous envie, n'a pas constaté de phénomènes similaires. Pas d'inquiétudes à avoir : les virus sont bien gardés."

lundi 28 mars 2011

DIABETE : LA TECHNOCRATIE MEDIATIQUE EN MARCHE

Préambule : Voici le cheminement de ce post :
Je reçois la lettre d'information du docteur H Raybaud que vous pouvez consulter ICI. Parmi les têtes de chapitres, je trouve un commentaire sur le diabète qui me renvoie à un site qui s'appelle ESCULAPEPRO.COM que vous pouvez consulter ICI et dont le titre, pompeux, est Sept propositions pour faire face à l'épidémie du (sic) diabète. Article qui est lui aussi le commentaire d'un livre, Le Livre Blanc du Diabète, écrit par Alain Coulomb (ancien président de l'ANAES), Serge Halimi (endocrinologue hospitalier grenoblois) et Igor Chaskilevitch (directeur d'Edinews, une boîte de communication). Je n'ai donc pas lu le livre en question. Je commente l'article qui commente le livre. Ce n'est pas bien mais cela me suffit.

Introduction : Les technocrates à la tête des Agences Régionales de Santé (ARS) ont décidé d'appliquer les méthodes "modernes" de management à la Santé Publique. Comme ce sont des technocrates, des hauts (?) fonctionnaires et, plus fréquemment des fonctionnaires qui n'ont jamais mis les pieds dans le privé, qui ne connaissent du management que sa théorie et surtout pas sa pratique et dont l'emploi est une placardisation dorée de leur incompétence antérieure, ils osent tout et son contraire. Ils sont entrés dans une croisade néo libérale mais surtout ils s'emploient à plein temps à se médiatiser eux-mêmes et à médiatiser leurs actions sans penser une seconde qu'ils touchent à la Santé Publique qui est une structure fragile faite d'hommes et de matériels, les hommes ayant une valeur et les matériels un prix. Ces ARS sont des machins bureaucratiques dont la fonction régionale est de valoriser leurs chefs, potentats locaux qui ne risquent pas de voir arriver les forces de la coalition jusque dans son repère, mais qui sont les cache-sexe du pouvoir politique et de son bras armé dans le domaine de la Santé, à savoir la Direction Générale de la Santé de sinistre mémoire grippale. Vous remarquerez que cette fameuse DGS est épargnée par le "scandale" du Mediator, le ministre Bertrand tirant tous azimuts sauf dans sa direction et dans celle de Didier Houssin, le chirurgien aux mains nues.

Ainsi la machine bureaucratique est-elle en marche avec ses seniors, Philippe Even et Bernard Debré, ses liquidateurs, Jean-Luc Harousseau pour la HAS et Dominique Maraninchi pour l'AFSSAPS, ses contrôleurs, Frédéric Van Roekeghem et Hubert Allemand, créateurs du CAPI et de SOPHIA, ses larbins, les directeurs des ARS, ses journalistes croupions (voir La Lettre de Galilée) et ses lampistes, les anciens employés des DDAS... qui font la loi à l'hôpital comme en ville. L'hôpital, comme nous le verrons, ou plutôt les hospitaliers disent la super loi et les médecins généralistes sont encore une fois considérés comme la dernière roue du carrosse : de quoi pourraient-ils se plaindre, ils vont disparaître ?

Envisageons les 7 propositions de ce livre dont les trois auteurs résument très bien la politique de Santé Publique française : le technocrate, le patron hospitalier et le communicant.

1. Inventer pour réduire l'impact du diabète. La première phrase est assez gratinée : Il est primordial d'inventer une nouvelle offre de soins pour les 2,5 millions de patients pour lesquels l'hôpital n'est pas un passage obligé.
Le trio part donc du principe que tout diabétique doit, devra ou a dû fréquenter un hôpital ! Cela commence mal ! Et ensuite, dans une envolée sarkozyenne du plus mauvais aloi, ils parlent de façon dithyrambique des ARS, comme c'est bizarre, dont la seule fonction est de couper dans les coûts et de rationnaliser la médecine parle haut. Les ARS, grâce aux connaissances et aux expériences de terrain des professionnels de santé spécialisés dans le diabète... Qui sont-ils ? Ah oui : les diabétologues.
2. Médiatiser le diabète pour mieux le prévenir. Nous sommes en plein dans la communication pro domo. Le représentant de l'Agence de Com fait son marché ou, comme on dit, son marketing mix, en proposant des actions médiatiques qu'il facturera au prix fort en remettant une couche d'ARS et en alignant les voeux pieux comme "agir auprès des professionnels de l'agro-alimentaire". Il est possible que la médiatisation du diabète passe aussi par les publicités pour les aliments sucrés pour enfants aux heures où les enfants regardent la télévision...
3. Centrer l'organisation sur le malade et non pas sur la maladie. On touche au sublime. Après avoir convoqué les spécialistes du diabète (c'est à dire les prétendus spécialistes d'une maladie qui serait en phase épidémique, ils doivent se prendre pour l'OMS), on parle de "Projet de vie, milieu social, capacité à être autonomes, souhaits, désirs d'ordre culturels..."
Ainsi les auteurs inventent-ils le communautarisme médical : les diabétiques n'ont pas les mêmes goûts que les non diabétiques, ne lisent pas les mêmes livres, n'écoutent pas la même musique, ne regardent pas les mêmes expositions, ne zappent pas de la même façon devant leur poste de télévision... Notre trio vient d'inventer les gender studies pour diabétiques. Ouaf !
4. Améliorer la qualité de vie des malades.
Certes, comment ne pas être d'accord ? Pourquoi ne pas enfiler les perles du médicalement correct ? Et vous savez comment on améliore la qualité de vie des malades (diabétiques) ? Grâce à la télémédecine ! Je cite :"Elle devient pour le diabète un outil formidable pour prévenir l'hospitalisation." C'est tout ? C'est tout ! C'est tout pour la qualité de vie. Les auteurs ont séché. Je pourrais cependant leur souffler des idées. Ou des images. Des diabétiques en train de courir les bras en l'air dans un champ inondé de soleil en marchant sur des betteraves à sucre.
5. Orchestrer les synergies et mises en réseau des professionnels pour assurer une meilleure prise en charge des patients. Onze professionnels de santé sont cités (dont un coach sportif) et qui arrive en onzième position ? Le médecin généraliste. Vous avez envie de continuer ?
Je sens que non mais je continue quand même : pour y parvenir nos auteurs avisés proposent d'une part de renforcer les points forts de l'hôpital et d'autre part de permettre au diabétologue hospitalier ou libéral d'être au centre de l'organisation du système de soins... Et tout le reste est l'avenant.
6. Mieux former les professionnels de santé à l'éducation thérapeutique (ETP). La reconnaissance de l'ETP est une des grandes victoires des diabétologues ! Il n'y a qu'eux qui le savent. ET là, je ne peux m'empêcher, avec malice, de citer la phrase suivante qui fera plaisir aux signataires du CAPI considéré comme une avancée vers la médecine au forfait : A la ville le paiement au forfait mériterait d'être expérimenté pour les professionnels de santé qui souhaitent s'impliquer dans des actions d'ETP (après avoir été formés par les diabétologues pionniers).
7. Innover vers une recherche translationnelle et transversale commune à la majorité des maladies chroniques et explorer de nouvelles voies. Et dans ce chapitre jargonnant les auteurs arrivent à placer, comme dans un exercice de style, les mots translationnel, proximité, sciences cognitives... Pour terminer par : Les diabétologues pourraient faire des sciences cognitives leur nouveau cheval de bataille après celui de l'éducation thérapeutique.
On rêve.

Ce que je pense de cela ? Non, non et non !
Les ARS hospitalocentrisent, les ARS, spécialocentrisent, les ARS veulent recréer des réseaux qui n'ont jamais fonctionné, des réseaux hiérarchiques dirigés par l'hôpital et par les spécialistes, les ARS, forts du rapport de l'IGAS de 2006 (Améliorer la prise en charge des maladies chroniques : ICI), veulent associer l'Education Thérapeutique du Patient et le Disease Management (qui est aussi le cheval de Troie de Big Pharma) en omettant le médecin traitant (comme le rapporte fort justement et, selon moi, très maladroitement, un article de F Baudier et G Leboube : ICI). Les ARS mentent et font mentir.
Voilà une nouvelle sauce à laquelle nous allons être mangés.
celle concoctée par les diabétologues, ces diabétologues qui n'ont rien vu venir avec les glitazones, ces diabétologues qui prescrivent à tout va de nouvelles spécialités non validées, de nouvelles drogues dont le seul bénéfice est de faire maigrir les patients en baissant anecdotiquement l'HbA1C et, de toute façon, sans agir sur la morbi-mortalité.

vendredi 25 mars 2011

DIABETE : LES MYTHES SPECIALISES. HISTOIRE DE CONSULTATION 75

Kees Van Dongen - La femme lippue (1909)

Madame A, 84 ans, je ne la vois qu'à domicile, en visite. Je ne pense pas qu'elle soit venue une seule fois au cabinet. Je la connais depuis tente-deux ans, depuis l'époque où je m'occupais de sa mère, une vieille dame qui avait, à l'époque, 78 ans, et qui vivait avec sa fille dans la grande maison où je me rends aujourd'hui. J'ai donc suivi la mère qui était hypertendue et qui est morte, âgée, d'une insuffisance cardiaque aiguë, dans une clinique de notre ville, une clinique qui n'existe plus. Désormais je suis le médecin traitant de la fille qui est aussi devenue une vieille dame.
Je suis installé en zone sensible et ces deux femmes n'ont jamais voulu venir dans mon quartier et je n'ai pas insisté : trop dangereux, disaient-elles.
Pourquoi je vous dis cela ?
Parce que je fais des visites, de moins en moins de visites, presque dix fois moins que dans les années quatre-vingt, et que, pourtant, je fais encore des visites compassionnelles chez les personnes âgées. Compassionnelles, car certaines de ces patientes pourraient se déplacer, elles se déplacent bien chez le cardiologue ou... l'ophtalmologue. Mais quelques personnes âgées se déplacent aussi en consultation bien qu'elles soient vraiment très âgées : une question d'habitude.
Mais Madame A ne conduit pas. Le domicile de Madame A n'est pas proche d'une ligne d'autobus qui passe près de son domicile et de mon cabinet. Je vais donc la voir chez elle, quatre fois par an. Parfois une fois de plus quand Madame A a de la fièvre ou autre chose qui cloche.
Madame A prend trois médicaments : metformine, captopril et pravastatine. Son HbA1C, le critère principal de suivi d'un patient diabétique, est à 7,2 %, ce qui est correct selon le consensus actuel, la pression artérielle est bonne (130/80) et le mauvais cholestérol est dosé à 1,04. Elle présente pourtant des lésions rétiniennes qui l'ont conduite à subir (ou à bénéficier) de (s) séances de laser.
Chez Madame A je m'asseois, toujours sur la même chaise, j'ai ma chaise, et, chez d'autres patients, j'ai mon fauteuil, et elle me montre un courrier qu'elle a reçu de la sécurité sociale. "Qu'est-ce que je dois faire de cela ?" Elle n'est pas inquiète mais préoccupée. Je prends la grande enveloppe, l'ouvre et je comprends : il s'agit des documents que l'Assurance Maladie adresse à certains patients, dont des diabétiques, en leur faisant des recommandations et en leur donnant un tableau cartonné, haut en couleur, on dirait un prospectus pour un médicament, où tout ce que l'HAS a dit qu'il fallait faire en cette occasion est signalé et les performances du médecin sont indiquées : nombre de dosages de l'HbA1C, de la micro albuminurie, nombre de visites chez l'ophtalmologue, et cetera.
Je rassure la patiente qui pensait qu'elle devait répondre à cette injonction et regarde le carton coloré d'un regard distrait. Deux choses me frappent : il est indiqué qu'elle n'a pas vu d'ophtalmologiste depuis un an (c'est une "recommandation" de l'HAS), que l'HbA1C a été dosée deux fois (l'HAS et le CAPI conseillent trois à quatre fois par an) et qu'elle n'a pas vu de pédicure podologue.

Voici quelques commentaires sur le parcours de soins non respecté par les spécialistes hospitaliers, sur l'Assurance Maladie qui fait le forcing sur le diabète et sur d'autres pathologies auprès des patients (à l'instar du programme SOPHIA) et auprès des médecins (le programme CAPI).
  1. Madame A est suivie par un ophtalmologiste de l'hôpital qui a entrepris des séances de laser pour des lésions rétiniennes, il y a eu (j'ai vérifié) au moins deux séances cette année et à moins que le laser soit effectué par un cardiologue ou par un brancardier... L'Assurance Maladie n'a donc pas pris en compte ces séances de laser (la cotation doit être telle qu'elle n'a pas été "rapprochée" du chapitre Consultation en ophtalmologie, ce qui montre, vous pouvez choisir : a) les problèmes de saisie dans la base de l'Assurance Maladie ; b) les problèmes de cotation de la dite base). Je me souviens d'autant plus de cela que j'ai eu un "léger" accrochage avec l'ophtalmologiste en question. Les faits : il y a deux ans Madame A est allée, avec sa nièce, chez le spécialiste des yeux qui a trouvé des lésions au fond d'oeil, qui a programmé une angiographie rétinienne qui montrera ultérieurement des lésions lasérisables, selon lui, qui a dit que son diabète n'était pas bien équilibré et qui a conseillé fortement à la patiente de consulter un diabétologue... Donc, la nièce en question m'a engueulé par sa tante interposée, je n'avais pas fait mon travail, le diabète n'était pas bien équilibré et patati et patata. Je n'étais pas content. J'ai mis un certain temps à appeler le spécialiste des yeux car l'expérience m'a indiqué que ce genre d'appel ne servait généralement à rien : chacun restait sur ses positions. Voici, en substance ce que nous nous sommes dit. Moi : Je suis le médecin traitant de Madame A, il m'a été dit que vous aviez dit à la patiente et à sa nièce que son diabète était mal équilibré, ce qui, pour une personne de 84 ans avec une HbA1C à 7, me paraît bien difficile à soutenir. Lui : Elle a des lésions rétiniennes qui montrent que son diabète est mal équilibré. Moi : Certes, mais des études indiquent que faire baisser l'HbA1C en dessous de 7 entraîne une sur mortalité. Lui : Vous pensez vraiment que l'équilibre glycémique n'a aucun rapport avec l'état de la rétine ? Moi (énervé) : Non, mais je pense aussi que chez une femme de 84 ans il paraît illusoire, voire dangereux de faire baisser encore plus l'HbA1C, comme le montre l'étude ACCOR... Lui : Je ne connais pas cette étude. Moi : Dernier point : au lieu de demander à la patiente de consulter un diabétologue, vous feriez mieux de prévenir d'abord le médecin traitant, moi-même en l'occurrence. Lui : J'ai fait comme nous avons l'habitude de faire dans le service. Moi : C'est nul. Au revoir.
  2. Les statistiques de l'Assurance Maladie concernant cette patiente sont fausses. C'est peut-être une erreur isolée. Mais cela devrait inciter les signataires du CAPI (voir ici) à vérifier les chiffres qui leur sont communiqués. Avant de s'y lancer et après que les résultats leur sont communiqués. Autres points : a) cette patiente n'a eu que deux dosages d'HbA1C dans l'année et ses chiffres sont "parfaits" ; b) il est pointé par l'Assurance Maladie que les pieds de Madame A n'ont pas été examinés par un podologue, eh bien, mon expérience personnelle est que les podologues, chez les diabétiques, provoquent souvent des lésions qu'il n'aurait jamais eues s'ils n'étaient pas allés les voir ; c) le spécialiste de l'oeil ne lit pas les études sur le diabète et ne croient pas qu'un médecin généraliste puisse s'occuper d'une patiente diabétique.
Ainsi, dans cette affaire, on ne cesse de voir que la disparition de la médecine générale est, comme on dit, actée par l'Assurance Maladie. La disparition programmée de la médecine générale est une tendance lourde qui remonte à loin (1971 et 1979) et qui est liée essentiellement à la volonté de la spécialocentrie. L'Assurance Maladie constate et met en place des procédures pour contrôler l'activité des médecins généralistes (le CAPI) et pour contrôler la sincérité des malades (SOPHIA). L'Assurance Maladie obéit au pouvoir politique qui est conseillé par des experts issus de la spécialocentrie et de l'hospitalocentrie qui demeurent la base de toutes les politiques publiques de santé. Le pouvoir politique ne comprend rien à la médecine et voit la Santé Publique avec les yeux des grands patrons et des experts qui s'auto-entretiennent, s'auto-louent et s'auto-encensent. Mais ils creusent la tombe de tout le monde : l'hôpital se meurt et l'accès au soin va s'effondrer.

Madame A, 84 ans, va bien. Mais sa nièce croit qu'elle est mal soignée. Et l'Assurance Maladie aussi. Pas son médecin traitant (conflit d'intérêt majeur) qui essaie de la laisser tranquille.

mardi 22 mars 2011

LOURDEUR DU CARTABLE ET EDUCATION : HISTOIRE DE CONSULTATION 74


Préambule : Que les enseignants ou enseignantes, femmes ou maris d'enseignants, maîtresses ou amants d'enseignants ou d'enseignantes, fils ou filles d'enseignants, petits-fils ou petites-filles d'enseignants se dispensent de lire ce post. Que les pourfendeurs de la démagogie ambiante se dispensent de lire ce post. Que les tenants d'une école centrée sur l'élève se dispensent... Que les défenseurs des vaches sacrées et autres religieux de tous poils se dispensent...
Le jeune B, 11 ans, est venu hier me voir avec sa maman pour que je lui refasse un certificat indiquant qu'il était nécessaire qu'il pût disposer d'un casier dans son collège pour pouvoir ranger ses livres et ne pas avoir à les transporter tous les jours sur son dos.
Depuis 20 ans, mais probablement plus, je n'ai pas fait de recherches précises, il existe un marronnier annuel qui est de se plaindre du poids des cartables. Et tous les ans depuis 20 ans, que le ministre de l'Education Nationale soit de gauche ou de droite, que les syndicats de l'Education Nationale soient de gauche ou d'extrême-gauche, que les professeurs appartiennent à n'importe quelle tendance de la "pédagogie" moderne dont celle du trop fameux Philippe Meirieu (son site) désormais membre d'Europe Ecologie, mon professeur de français latin grec, un certain José Lupin, disait dans son langage châtié de normalien : "les pédagogues aux gogues", eh bien, tous ces braves gens font des déclarations enflammées sur le fait que c'est intolérable et que cela va changer. Et rien ne change.
Il existe un pouvoir d'inertie qui, loin de se prélasser dans les cours de physique chimie, prend un malin plaisir à se répandre sur le rachis de nos charmantes têtes blondes (erreur : la HALDE va me tomber sur le dos, dans le collège de Mantes-La-Jolie il n'y a pas que des charmantes têtes blondes mais de charmantes têtes non blondes issues de la diversité)... Cela dit, B, issu de la diversité de ses parents, est un blondinet berbère charmant et timide.
Quoi qu'il en soit, notre ami B est un enfant plutôt chétif et l'examen de son rachis retrouve une simple attitude scoliotique avec une petite cyphose dorsale, des omoplates décollées et un attrait pour les activités physiques tenant vers le zéro pointé (zut, on ne donne plus de notes, cela stigmatise les mauvais élèves et cela pourrait entraîner les meilleurs à continuer de l'être). Un peu de natation, quelques conseils sur des exercices à pratiquer tout seul chez lui (je m'y emploie), lui éviter d'aller chez un kinésithérapeute qui finirait par lui faire croire que l'hétéronomie est meilleure que son inverse (l'autonomie) et qu'il faudrait porter des semelles et le tour sera joué : il est possible que notre ami B ne soit jamais un "sportif" ou qu'il le devienne, allez savoir, mais cela ne me regarde absolument pas (autre vache sacrée : le sport comme nécessité de l'homme et de la femme moderne).
Bon, venons-on au fait : B pèse 31 kilogrammes et son cartable dix et demi. Sachant, chers amis, que je pèse, les bons jours, 75 kilogrammes, je m'imagine arrivant au cabinet, faisant mes visites, avec une sacoche de docteur pesant 25 kilogrammes !
Il y a bien entendu de bonnes raisons pour que le cartable de B pèse 10,5 kilogrammes. Je n'en doute pas. D'ailleurs, ses parents n'ont qu'à lui acheter un cartable à roulettes...
Je rédige donc un certificat à la con qui ne servira pas à grand chose car, dans ce collège, il n'y a pas autant de casiers que d'élèves... Embouchons les trompettes de la renommée : vous voyez que les problèmes de l'Education Nationale sont liés essentiellement au manque de moyens...

Le poids des cartables est révélateur, à mon sens, de la crise de l'enseignement et de la démocratie.
Le matériel pédagogique, comme on dit, est plus important que la pédagogie elle-même.
Le rachis de cet enfant est moins important que les couleurs des classeurs et celles des intercalaires.
Les livres scolaires sont une industrie juteuse dont le poids ne rend pas compte de la valeur.
Chaque enfant de ce collège a eu droit, en CM1, à un ordinateur portable qui ne sert pas à se "cultiver" (quel mot horrible) mais à jouer sur internet ou à visionner You Tube, et donc, pas de fracture numérique (mon oeil !), mais un rachis souffrant.
Le médecin généraliste n'a aucun pouvoir sur le rachis est là pour rédiger des certificats.
L'enfant est au centre de la pédagogie sauf quand cela va à l'encontre de l'intérêt de l'administration.
Je me rappelle, enfant insouciant sur le chemin du lycée (les collèges étaient réservés aux élèves qui ne faisaient pas d'études "longues"), lançant mon cartable en l'air ou m'en servant pour donner des coups à mes camarades, un cartable léger comme mon insouciance, comme mon esprit léger...
Je me rappelle mon grand-père haut-savoyard me racontant ses longues chevauchées pour arriver à l'école, le cartable lourd comme une plume et tenu à bout de main.
Je me rappelle ma grand-mère, institutrice à Taninges, Haute-Savoie, m'apprenant à lire avec un tableau noir et une craie, sans matériel pédagogo mais avec pédagogie et se moquant de moi en CM2 parce que j'étais obligé de "poser" une règle de trois.
Nos cartables étaient légers comme l'air mais ce n'était pas l'époque moderne, celle où l'enfant est plus important que le savoir lire et le savoir compter, c'était l'époque utilitariste où le certificat d'études primaires avait une fonction sociale...
Que l'on me pardonne cette envolée sur les temps anciens où tout était mieux qu'avant, où les cartables étaient légers, les enfants dyslexiques rares et les enfants hyperactifs turbulents.


dimanche 20 mars 2011

UNE GUERISON MIRACULEUSE : HISTOIRE DE CONSULTATION 73

Pierre Paul Rubens - Pan et Syrinx - 1617

Chapitre premier.
Madame A, 38 ans, est venue me voir pour la première fois il y a un peu plus de deux ans (elle avait déménagé). Elle avait beaucoup de choses à me montrer. Souffrant d'une maladie orpheline, elle connaissait mieux sa maladie que moi (ce qui était à la fois vrai et faux : vrai car elle avait lu et relu internet et faux car j'avais une petite idée --forcément préconçue-- sur la question). Elle avait apporté, lors de cette première consultation, un dossier complet retraçant son histoire pathologique (je le parcourus rapidement en lui disant que je ferai cela plus en détail à un autre moment), l'ordonnance (impressionnante) que lui faisait son ancien médecin (un neurologue) et des photocopies de communications du congrès auquel elle avait participé dans le cadre d'une réunion organisée par une association de malades.
J'étais là pour écouter, apprendre et modérer.
Son discours sur ses douleurs, leurs chronologies dans la journée, leur intensité, leur façon de se manifester, leurs topographies, leurs variations, était nourri.
Elle m'avait averti : ma maladie, avait-elle souligné, est difficile à cerner et les médecins, je ne parle pas de vous, docteur (elle se trompait), ont tendance à la minimiser et on nous traite souvent de fous.
Je ne cillais pas.
Je recopiais bêtement l'ordonnance délirante et lui fixais un rendez-vous le mois suivant, pour faire le point, lui avais-je dit, mais, surtout, pour définir une stratégie. Il me paraissait ahurissant qu'elle souffrît autant, qu'elle ne vécût plus qu'autour de cette maladie orpheline et qu'elle consommât autant de médicaments dont les indications et les effets indésirables possibles se superposaient dangereusement.
Mais elle avait balisé le terrain : les médecins qui ne la croyaient pas étaient d'affreux incompétents, d'affreux insensibles, d'affreux adversaires du progrès scientifique et de la reconnaissance de la souffrance humaine.
Quand elle revint me voir deux mois après nous abordâmes le sujet de sa (longue) ordonnance.
Elle : Mais je ne peux rien arrêter.
Moi : Il faut que vous fassiez la balance entre vos douleurs et les événements indésirables que vous ressentez : somnolence, vertiges, inconfort.
Moi : Mais j'ai mal.
Je recopiai la fameuse ordonnance.

Chapitre deuxième.
Son mari en a marre. Il en a marre des médecins qui n'arrivent pas à la soulager. Il en a marre de sa femme qui a mal. Il en a marre de sa vie qui n'est pas marrante.
Que puis-je lui dire ? Que dois-je lui dire ? Que nous parcourons tous ensemble, elle plus que que moi, lui plus que moi, un cercle vicieux qui nous oblige à accepter la maladie orpheline, à accepter les douleurs de la maladie orpheline, à accepter les traitements de la maladie orpheline, à accepter le cercle vicieux qui est une impasse.
(J'avais envie à l'époque d'écrire un post vengeur sur les maladies orphelines, sur les patients qui s'identifient aux malades des maladies orphelines, aux médecins qui les poussent à s'y identifier, aux associations de patients qui les confortent dans leur incompréhension, aux firmes qui financent les associations de patients pour fidéliser tout le monde. Mais je n'écris pas ce post. Je ne l'écris pas car je ne suis pas sûr de moi. Je ne suis pas certain, en l'écrivant, et même si elle ne le lisait pas, de ne pas faire de mal à ma patiente, de ne pas à la désespérer encore plus, de ne pas la détacher encore plus du corps médical, de ne pas être injuste, de ne pas, suprême culpabilité intériorisée, la négliger.)

Chapitre troisième.
Madame A arrive en fin de droits. Madame A, qui était vendeuse dans un magasin de vêtements, est incapable de reprendre un emploi de ce type. Il faut qu'elle fasse une formation. Elle s'est inscrite à un stage.

Chapitre quatrième (six mois après).
Madame A consulte pour une angine. Elle n'a pas d'angine. Une simple pharyngite. Détail.
Il y a longtemps qu'elle n'est pas venue me voir. Au moins six mois. Je ne l'interroge pas, par lâcheté, sur sa maladie orpheline. Je me doute qu'elle est allée voir ailleurs. Son mari et sa fille, je les ai vus entre temps, mais ils ne m'ont pas parlé d'elle et je n'ai pas abordé le sujet de la santé de leur femme ou mère.
Au moment de rédiger une ordonnance pour la pharyngite je lui demande ce qu'elle prend comme médicaments. "Rien" me dit-elle. "J'ai tout arrêté." Je fais des yeux ronds.
Elle poursuit : Je devais faire ma formation et, à cause des médicaments, tous les matins, j'étais dans le gaz. J'ai arrêté progressivement. D'ailleurs, c'est grâce à vous." Je la regarde avec étonnement. "Je me rappellerai toujours la tête que vous avez faite quand vous avez découvert mon ordonnance la première fois que que je vous ai vu. Et votre réticence à la renouveler. Vous m'avez aidé à diminuer les doses et maintenant je ne prends rien."

Epilogue.
Je sais, je sais, cette histoire vous paraît trop exemplaire pour être vraie. Moi-même je suis surpris par un tel dénouement et je ne peux même pas en tirer une quelconque gloire. Il faut considérer cette "guérison" comme une histoire de chasse, rien de plus. J'aimerais bien que tous mes malades chroniques prenant des médicaments les fixant dans leur chronicité puissent suivre le chemin de cette femme. Peut-être faudrait-il fonder une autre association de malades victimes de cette maladie non orpheline qui est l'addiction à des médicaments dont la prescription s'est autonomisée et ne sert plus qu'à s'auto entretenir, médicaments dont la seule utilité est de continuer à être prescrits. Je soulignerais aussi, mais c'est un infime détail, parfois un détail majeur, que tout ce que nous disons en consultation, tout ce que nous faisons (le non verbal), peut être retenu contre nous et peut décevoir le malade en bien ou en mal. Mais il serait aussi possible de retenir des leçons autrement fondamentales sur la fragilité des maladies et sur leur possible génération et disparition spontanée. Une autre fois, peut-être.

vendredi 18 mars 2011

LA VISITE ACADEMIQUE : UNE FAUSSE BONNE IDEE OU UNE VRAIE CONNERIE ?

Khon ou orgue à bouche. Instrument de musique thaïlandais
.
La visite académique est une invention curieuse, volontiers ambiguë, qui me paraît être le type même de la fausse bonne idée ou de la vraie connerie.
De quoi s'agit-il ?
Considérant que les médecins ont la visite médicale comme principale source d'information biaisée ON a pensé que la meilleure façon de faire pour contrecarrer les influences de Big Pharma étaient de proposer, sur le même modèle, des visites médicales qui seraient, elles, indépendantes de l'industrie.
La meilleure façon de ne pas être influencée par la visite médicale est de ne pas la recevoir.
Imaginons des médecins qui continueraient de recevoir la visite médicale et qui, en plus, laisseraient les "visiteurs académiques" venir dans leur cabinet : où trouveraient-il le temps ? Comment ne se rendraient-ils pas compte de l'incompatibilité de ces pratiques ?
Mais il y a aussi un antre problème (que l'industrie pharmaceutique avait résolu depuis belle lurette) : le statut des visiteurs.
Pour Big Pharma, et sauf exceptions, la visite médicale est faite par des non professionnels de santé, il arrive qu'il y ait des médecins ou des pharmaciens visiteurs mais le laboratoire leur demande de ne rien dire, pour des raisons de statut. Il arrive aussi qu'il s'agisse d'anciennes infirmières.
Dans le cas de la visite médicale ontarienne dont on nous rebat les oreilles, il s'agit de deux pharmaciens et d'une infirmière. Vous pouvez lire l'article fondateur ICI si vous lisez l'anglais.
Dans le cas de l'expérience française, INFOPROXIMED, mise en route sous l'égide de l'HAS (cela donne froid dans le dos) et pour laquelle La Revue Prescrire a donné son aval pour des raisons que j'ignore (ICI), j'ai essayé de savoir qui faisait les dites visites, et l'information manque. S'agit-il de médecins conseils de la CPAM ? Rien n'est indiqué.
L'autre expérience française, Institut PUPPEM (LA), utilise des DAM pour faire la visite. L'institut a comme slogan : Une Visite Médicale Indépendante de l'Industrie et comme accroche : pour médicaliser la maîtrise des dépenses de médicaments.

Ainsi, pour lutter contre la visite médicale de Big Pharma, ce démarchage à domicile pour, sous le couvert d'informations, vendre des médicaments à coup d'invitations à dîner, de post-it, et, plus généralement, de bimbeloteries comme les bons sauvages en recevaient des conquistadors, on réinvente la visite médicale indépendante. Quelle aberration !
Les médecins généralistes (car, vous l'avez compris, ce sont les médecins généralistes qui sont visés, les autres, les spécialistes, libéraux ou hospitaliers, ils ne sont pas influencés par la visite médicale, ils ne mangent pas au restaurant, ils ne sont pas invités dans des congrès, la visite médicale académique ne les vise pas puisque : a) ils n'ont rien à apprendre de plus ; b) ils comprendraient immédiatement la supercherie de l'affaire en raison de la différence évidente de statut de la visite dite académique : les spécialistes veulent soit des avantages en nature, soit des visites de pairs et non des visites faites par des médecins conseils, des pharmaciens ou des infirmières... Pourquoi pas par des brancardiers ? ; c) ils sont intouchables) sont donc, comme d'habitude, pris pour des Khons (instrument de musique thaïlandais, orgue à bouche, découvert par Boris Vian quand il voulait nommer les gens qu'il n'aimait pas dans son livre fameux mais oublié "En avant la zizique et par ici les gros sous", 4,75 euro chez Amazon), des Khons majeurs ou des Khons de chez Khons car, non seulement ils ne flairent pas le piège mais, en plus, ils s'y enfoncent comme des imbéciles heureux.
Utiliser l'arme de l'adversaire pour la retourner contre lui est une idée généreuse et digne d'un bobo qui aurait découvert la pierre philosophale derrière une fiche signalétique de médicament mais il faudrait en mesurer les conséquences : à l'époque d'Internet il faut encore payer des gens sur les deniers de la collectivité pour qu'ils aillent convaincre des médecins (et pas es qualités car il ne s'agit pas d'une visite de pairs, seraient-ce des médecins conseils qui ont un rôle de surveillance et de contrôle) de mieux prescrire et à meilleur escient ; il faut envoyer des visiteurs officiels sans bonbons, sans invitations, sans fanfreluches ; il faut faire perdre du temps à des médecins déjà débordés ; il faut envoyer des infirmière pour expliquer l'intérêt de l'acide folique en prévention des anomalies de fermeture du tube neural chez le nourrisson...
De qui se moque-t-on ?
Sait-on quel est le prix d'une visite médicale ?
La visite médicale est un bon moyen de faire prescrire des médicaments mais pourrait-ce être un bon moyen de ne pas en prescrire ?
Je suis sidéré que des esprits intelligents aient pu croire à de pareilles idioties.
Commençons par former les professeurs de médecine à la thérapeutique indépendante (la Formation Académique des Académiques).
Commençons par apprendre aux professeurs comment enseigner la thérapeutique indépendante (la Formation Académique à la pédagogie académique indépendante).
Commençons par former les médecins généralistes à la Faculté (j'appellerais cela la Formation Académique indépendante) par des Académiques formés à la thérapeutique indépendante (voir plus haut) et à la pédagogie académique indépendante (voir plus haut).
Commençons par enseigner aux professeurs de médecine la lecture critique des articles (et surtout ceux qu'ils ont publiés sous leur nom sans les avoir écrits) et non de leur demander leur avis sur des articles qu'ils n'ont pas lus.
Alors, on aura beau lire de la prose lénifiante sur le degré de satisfaction des médecins qui ont reçu la visite académique (c'étaient des Dow qui avaient eu leur diplôme de médecine à la fameuse université d'Oulan-Bator - Mongolie), la prose lénifiante des organismes privés promouvant la technique, la prose lénifiante de l'assurance Maladie dont le morceau actuel de bravoure est le projet Sophia dont je ne résisterais pas un jour à vous en décrire le processus ascientifique.

Donc, crachez sur la visite académique, lisez La Revue Prescrire, La Revue Médecine, le BMJ ou le NEJM, branchez-vous sur les sites et blogs que j'aime bien et portez-vous bien sans qu'une infirmière vienne vous expliquer la différence entre un sucre rapide et un sucre lent ou comment traiter le diabète en suivant les recommandations biaisées de l'HAS.
Donc, si vous ne voulez pas faire de médecine en plus, allez vous promener quand la visiteuse académique viendra vous raconter sa vie d'employée de la CPAM ou d'ex visiteuse médicale de Big Pharma reconvertie dans l'Académique.

mercredi 16 mars 2011

COMMENT ETRE UNE BONNE MALADE : HISTOIRE DE CONSULTATION 72

Un enterrement à Ornans (1849-50). Gustave Courbet

Madame A est une "commerciale". Elle a 37 ans et elle va mal : "Je suis fatiguée, je ne dors pas, j'ai perdu ma grand-mère il y a sept jours et... j'ai fait mon deuil."
Là, je suis scotché à mon fauteuil. Madame A "a fait son deuil" en une semaine ! Et encore n'a-t-elle pas dit (ce n'était pas dans son argumentaire de malade parfaite qui connaît son vocabulaire de patiente qui regarde les psychiatres et psychologues "qui parlent à la télé") "J'ai fait mon travail de deuil."
J'aurais été sidéré.
Je me reprends. Je prends mon attitude, non feinte, d'écoute (je connais les recommandations sur la façon d'écouter un patient, un malade, un client, tout ce qu'on veut, ce qu'il faut éviter, les mains croisées sous le menton, et tout le toutim freudopsychologique qui fait que le monde est monde... mais surtout : faire confiance, reconnaître, aider à identifier les ressentis profonds...) : cette femme souffre du décès de sa grand-mère.
Elle ne demande rien : "Surtout, docteur, ne me prescrivez pas de trucs pour dormir, je n'aime pas toutes ces saletés, on s'y habitue, pas d'antidépresseurs, j'ai vu une émission à la télé, c'est incroyable ce que les gens..., faut pas que je m'arrête longtemps, c'est pas bon... c'est quand même mieux de travailler que de tourner en rond... " Madame A me rassure et elle m'indique ce qu'elle a compris être ce qu'il faut faire dans le cas d'un deuil. Ce que la patiente doit faire (mais être en deuil, ce n'est pas une maladie, n'a-t-elle pas ajouté) et ce que le médecin ne doit pas faire en présence d'une telle malade : dramatiser, médicaliser, prescrire... Je bois du petit lait : Madame A me rend intelligent sans que je ne fasse aucun effort. Je suis dans les clous de la bien-pensance généralisée (enfin, celle que j'ai entendue récemment, on n'est jamais certain de rien, on peut toujours avoir plus bien pensant que soi, et, surtout, la bien pensance est une notion mouvante qui se déplace à la vitesse de l'éclair, une bien pensance remplaçant l'autre dans le Tribunal Intérieur de nos âmes) et la patiente m'y a conduit sans que je ne fasse rien de spécial.
Ecouter, ne pas prescrire de façon intempestive, ne pas faire preuve de sympathie, ne pas prendre parti... Ne pas trop prescrire d'arrêts de travail.
Je peux donc me concentrer, puisque cette patiente est finalement venue pour me dire sa souffrance, pour m'expliquer qu'elle ne veut pas de médicaments, qu'elle va s'en sortir comme une grande, qu'elle a fait son deuil toute seule en pleine autonomie, sur le rien faire, sur l'appropriation par la patiente de son propre cas dans le contexte actuel du deuil, me concentrer, dis-je, sur cette pressante interrogation : Ne suis-je pas en train de me fourvoyer ? Cette patiente n'est-elle pas en train de me raconter une légende ? Cette commerciale de 37 ans ne se construit-elle pas toute seule une personnalité qu'elle n'a pas ? Ne se réfugie-t-elle pas dans une carapace qu'elle s'est inventée et qui est aussi résistante qu'une feuille de papier ?
Madame A m'a raconté ce qu'elle voulait entendre. Madame A m'a raconté ce qui lui semblait être ce que je voulais entendre. Qu'en sait-elle, après tout ? Que sait-elle d'elle-même ? Que sait-elle de moi ? Nous sommes, au cours de cette consultation matinale, dans le malentendu le plus complet.
Je la connais. Je sais comment elle réagit d'habitude. Je lui fais confiance pour "prendre sur elle". Ce n'est pas la première fois qu'elle consulte dans des situations de deuil, de séparation ou de chagrin. Mais ne serait-ce pas aujourd'hui le Big One ? ne va-t-elle pas, après le discours auto-moralisateur qu'elle m'a tenu, pour m'amadouer, pour m'anesthésier, se suicider dans l'heure qui vient ?
Je suis donc, tandis que je rédige un arrêt de travail de trois jours, préoccupé par ces considérations, interrompu par le discours de la patiente, qui ne cessait de s'exprimer, mais qui change de ton : elle se met à m'interroger sur la souffrance des Japonais qui s'étale à la télévision... Je sursaute.
Et, au lieu de m'apitoyer encore sur le sort de Madame A qui ne s'apitoie pas sur elle mais sur des inconnus qui sont devenus proches par la grâce diabolique de la mondialisation des media, je me mets à penser, tout en lui répondant de façon mesurée (et là je fais ce qu'elle a fait tout à l'heure, je mets ma langue dans celle de la bien pensance tsunamico-nucléaire qui me semble être celle de la patiente), à tout ce que racontent les experts sur un sujet que je connais mal et je retrouve les Bricaire, Manuguerra, Floret, Flahault, dans toute leur splendeur grippale. On me dit que les Français sont en train de chercher des pastilles d'iode et de remplir leurs armoires de sucre.
Madame A sort, les yeux mouillés par la tragédie japonaise, avec de bonnes paroles et trois jours d'arrêt de travail.

PS - Les expressions "Faire son deuil" ou "Effectuer son Travail de deuil" font partie des mots plastiques dénoncés par Illich. Ces mots ou expressions dont le signifiant est implicite et le signifié incertain. Nous y reviendrons une autre fois.