dimanche 3 novembre 2013

Que reste-t-il de nos amours ?


(Ce billet a été écrit pour qu'il soit lu en entendant Trenet chanter)
En revenant du cabinet en voiture l'autre soir j'entendais d'un tympan distrait Des clics et des claques sur Europe 1 (A voix nue sur France-Culture m'ennuyait profondément, l'entretien avec un musicien m'ennuyait encore plus sur TSF Jazz) où David Abiker et Guy Birenbaum faisaient la promotion d'Octobre Rose. Cette émission "branchée" avait promu il y a quelques mois et avec un enthousiasme digne de la Médecine 2.0 le site Doctissimo en vantant la qualité de ses informations et son interacivité avec les patients sans mentionner une seule fois que le groupe Lagardère (propriétaire d'Europe 1) était un gros actionnaire du site en question.
Les affaires sont les affaires.
Octobre Rose est une affaire qui marche et les journalistes de gauche et à la mode ne se posent aucune question à son sujet : la prévention, cela permet de ne pas être malade, c'est gratuit grâce à notre merveilleux système de santé (que quelques peuplades reculées nous envient encore), cela évite des mortes, cela rend les familles heureuses et permet aux femmes de continuer à jouer leurs rôles de femmes.
Disons également, pour être juste (mais pourquoi m'occuperais-je des gens dont, politiquement, je ne suis pas proche ?) que les journalistes de droite et à la mode pensent la même chose sur Octobre Rose.
Quand Octobre Rose approche (avec la vaccination anti grippale et les centres d'appel pour la kinésithérapie respiratoire) je me sens comme Marcello Mastroianni dans Une journée particulière, le film d'Ettore Scola (ICI), isolé, désespéré, quand tout le peuple est embrigadé pour défiler avec Mussolini, à ceci près, bien entendu, comparaison n'est pas raison, que personne n'est sur le point de venir m'arrêter pour me déporter, qu'Octobre Rose, ce n'est pas le fascisme, et cetera... Pardon pour ceux que je choque.


Et, nostalgique, je me rappelais mon installation en médecine générale le 5 septembre 1979, la veille de mon anniversaire (j'allais avoir 27 ans), installation pour laquelle je n'avais fait aucune étude de marché, aucun compte prévisionnel d'exploitation (ce que je n'ai toujours pas fait aujourd'hui) et où, pendant au moins trois ans (peut-être un peu plus), j'ai compris ce que signifiait la confraternité généraliste (je ne parle pas de mon associé qui fut parfait et qui continue de l'être maintenant qu'il est retraité) quand il fallait s'inscrire dans le tour de gardes, et quand je plafonnais à 10 actes par jour...
Nostalgique, je me rappelais ma sortie de Fac et de l'hôpital (je ne supportais pas son ambiance hiérarchique, la nécessité de cirer les pompes de ses chefs, le mépris pour les malades, le mépris pour le petit personnel, le machisme ambiant, les plaisanteries de salles de garde, les gens super réacs) quand je ne me posais aucune question, formaté que j'étais par l'enseignement, la préparation de l'internat, mes idées "progessistes", et que je lisais le Quotidien du Médecin comme s'il s'agissait du New England (que je n'avais pas lu une seule fois), Le Généraliste (s'il existait), Impact Médecin, que je recevais gratuitement comme je recevais gratuitement la visite médicale (dont, entre parenthèses) j'avais un besoin criant tant la formation aux médicaments était si nulle et étique, que je n'avais vu prescrire que deux ou trois anti hypertenseurs et que je ne connaissais (et je m'en désolais) aucun sirop anti tussif...

Que reste-t-il de nos amours / Que reste-t-il de ces beaux jours / Une photo, vieille photo de ma jeunesse / Que reste-t-il des billets doux / Des mois d'avril, des rendez-vous / Un souvenir qui me poursuit / Sans cesse

Eh oui,
  1. Je recevais assidûment la visite médicale
  2. Je lisais le Quotidien du Médecin et passait même des annonces pour trouver un remplaçant (et je recevais plus de 100 appels) qui était honoré à 50 %
  3. J'étais fier de prescrire le dernier anti hypertenseur du marché
  4. Je prescrivais des phlébotoniques en toute bonne conscience
  5. Je croyais très fort en la prévention
  6. Je ne me posais aucune question sur les prescriptions des spécialistes
  7. J'écrivais des courriers à la va vite et à la main à des spécialistes et sans parcours de soins
  8. Je vaccinais sans me poser de questions
  9. Je dosais le PSA sans me poser de questions
  10. Je prescrivais des fibrates en me prenant pour un pionnier qui avait lu des commentaires de seconde main sur l'étude de Framingham
  11. Je demandais aux parents de coucher les nourrissons sur le ventre
  12. Je demandais aux parents de décalotter les petits garçons à chaque bain
  13. Je n'avais rien contre les trotteurs
  14. Je confiais les hypertrophies bénignes de prostate aux urologues
  15. Je prescrivais des amphétames aux femmes qui voulaient maigrir
  16. Je prescrivais à tire larigot antibiotiques, corticoïdes, ventoline sirop, fluidifiants et séances de kiné aux nourrissons siffleurs
  17. Je prescrivais des semelles orthopédiques
  18. Je prescrivais de l'aspirine plutôt que du doliprane chez les enfants fébriles
  19. Je prescrivai de la calcitonine dans les syndromes algodystrophies
  20. Je prescrivais des antibiotiques dans les rhinopharyngites, les angines, les bronchites...
  21. Ad libitum
Il m'a fallu trois ou quatre ans pour que je me rende compte que l'on m'avait menti.
Mais le passage à la pratique de la remise en question (lectures de première main) a mis du temps à faire son chemin dans mon esprit. Il me fallait des armes, des ambitions et des objectifs. Il fallait que je me dégage de ma sujétion à la Faculté, de mon complexe d'infériorité par rapport aux spécialistes, de mes idéaux "progressistes".

Je voulais donc dire à mes confrères et futurs confrères qui sortent de fac ou qui vont exercer la médecine générale (mais aussi les médecines de spécialité) qu'ils sont mieux armés que moi le 5 septembre 1979. Mais qu'il reste beaucoup à faire pour lutter contre les mythes et les illusions.

J'espère qu'un blogueur (y aura-t-il encore des blogs ?) qui vient de s'installer comme médecin généraliste (il paraît qu'il y en a encore) ne dressera pas dans 34 ans la liste suivante des "évidences" qui sont devenues chimères (encore que je connaisse encore des confrères qui ne soient pas choqués par certains des 20 points précédents) :
  1. La prescription d'antibiotiques dans les otites
  2. La prescription de statines en prévention primaire
  3. La prescription de kinésithérapie systématique dans les bronchiolites
  4. La prescription de spiriva chez les bronchitiques chroniques
  5. La prescription de pilules de troisième et de quatrième génération comme moyen premier de contraception
  6. La pratique de l'épisiotomie  
  7. La prescription de xolair chez l'asthmatique
  8. La pratique de la viscosupplémentation
  9. Les traitements de troisième et quatrième ligne en cancérologie
  10. Le dosage de la vitamine D remboursé
  11. Les traitements de l'ostéoporose
  12. La vaccination par Gardasil
  13. La chirurgie bariatrique pour le traitement du diabète
  14. Le Dépistage Organisé du cancer du sein
  15. Le baclofène prescrit contre l'alcoolisme
  16. La maladie d'Alzheimer traitée par des pseudo anti Alzheimer
  17. La fibromyalgie considérée comme une maladie
  18. Le traitement des verrues vulgaires
  19. La vaccination contre la tuberculose
  20. La prescription d'antibiotiques dans les bronchites 
  21. Ad libitum
Il est même possible que la maladie d'Alzheimer ait disparu et que les Alzheimeroriums aient fermé...


mardi 29 octobre 2013

Les circuits inutiles de l'Assurance Maladie. Histoire de consultations 156.


Madame A, 59 ans, est titulaire de l'AME mais sur le point d'obtenir la CMU (elle en a fait la demande).
Je la connais depuis quatre ans.
Elle habite chez son fils à Mantes.
Elle travaille comme femme de chambre au black sur Paris et elle habite aussi chez son cousin dans le quartier Saint-Lazare.
Elle est traitée par mes soins pour une (petite) hypertension par enalapril 20 mg et sa PA est mesurée (par mes soins) à 130 / 90.
Elle a reçu une convocation de l'Assurance Maladie pour un examen périodique de santé (voir ICI et LA pour ce que j'ai déjà publié à ce sujet ; en gros : c'est inefficace, cela coûte cher, et la CNAM a privatisé).
Elle vient me voir avec le rapport de l'IPC. Elle est inquiète. En vrac : les vaccinations ne sont pas à jour, il existe une hypertension non contrôlée (PA = 180 / 95), l'ECG montre des troubles de la repolarisation qui nécessiteraient une consultation chez le cardiologue et elle présente des troubles de la vision.
J'ai lu le rapport d'un oeil distrait.
La PA est ce jour identique : 130 / 85. Je n'entends pas se souffle. L'ECG me paraît normalissime.
Elle repart.
Je la revois hier.
Elle me rapporte les rapports de l'examen cardiologique et de la consultation faits au Centre Médical Europe (il semblerait qu'il y eût des connexions entre l'IPC et le CME). L'échographie cardiaque est normale de chez normale. La PA a encore été mesurée à 175 / 95. Le deuxième cardiologue a prescrit de l'exforge (5 / 80) pour trois mois.
La PA est à 130 / 80. Comme d'habitude.
J'oubliais : les vaccinations sont à jour.
Autre chose : elle est allée "voir", cela s'appelle les maisons de santé (!), l'ophtalmologue qui avait le cabinet d'à côté dans le CME. Elle a une prescription de lunettes. La patiente : "C'est cher : 360 euros et je dois payer 160 de ma poche. Cela attendra. Je ne peux pas payer. Je vais demander à mon fils."
Au moment de la fin de la consultation la malade me dit, incidemment, que ses jambes ont gonflé.
Bon : on résume : la patiente qui n'avait rien demandé (mais qui avait accepté car les courriers de la CNAM foutent la trouille au vulgum pecus) a été inquiétée pour rien ; elle a eu droit à des examens inutiles ; on lui a changé son traitement anti hypertenseur ; on est passé d'un IEC génériqué (inhibiteur de l'enzyme de conversion) à une association inhibiteur calcique / sartan non génériquée (le ROSP ou P4P conseille et donne de l'argent si l'on prescrit plus d'IEC que de sartan) qui induit un effet indésirable connu (oedèmes des membres inférieurs) et inconnu de la patiente.
Encore un (petit) truc : le cardiologue avait prescrit pour trois mois une boîte de 90 et le pharmacien, pour des raisons que je vous laisse deviner, a prescrit une boîte de 30.
Au delà de toutes les considérations que chacun d'entre vous fera, on est en plein dans le dysfonctionnement du système. 
  1. Les examens périodiques de santé ne servent à rien et la CPAM, non seulement les préconise (c'est un texte de loi auquel elle doit se soumettre) mais l'externalise à des instituts privés.
  2. Les sociétés privées qui pratiquent les examens périodiques de santé sont de mèche avec des centres de santé privés (le rêve des médecins généralistes, me dit-on, où le patient est captif) qui pratiquent des examens qui s'avèrent inutiles et qui prescrivent des traitements qui sont plus chers  (dans une politique opposée à celle de la CNAM, P4P, et exposent à des effets indésirables.
  3. La patiente n'a toujours pas de lunettes.

No comments. 

Illustration : Georges Braque (1882 - 1963). Deux oiseaux sur fond bleu (1963)

mardi 22 octobre 2013

Contraception hormonale : stratégies de diversion de Big Pharma : les prescripteurs et les femmes résistent.


Nous avons relaté (ICI ou LA) les controverses concernant les risques encourus par les femmes prenant la pilule oestro-progestative selon les estrogènes ou les progestatifs combinés qu'on leur a prescrits.

Les faits sont là : les pilules de troisième et quatrième génération sont plus dangereuses que les pilules de deuxième génération. Elles entraînent (sans tenir compte du tabac) un risque thrombo-embolique veineux (dépendant du progestatif) qui, la première année est, et par rapport au levonorgestrel, le progestatif de référence, multiplié par 1,76 pour le norgestimate, par 2,29 pour le gestodène, par 2,92 pour le desogestrel, par 3,55 pour la cyproterone, et par 4,14 pour le drospirenone. Quant au risque thrombo-embolique artériel, il dépend du taux d’éthynil estradiol (en sachant que le dosage optimum de 20 microg est atteint dans des pilules dites de deuxième et de troisième génération).

Cela paraît clair (voir ICI cependant) ? (1)
Il est possible de dire que le risque thrombo-embolique veineux est faible (cet adjectif est éminemment subjectif) puisqu’il est de 1,91 événements thrombo-emboliques veineux pour 10 000 femmes années à condition que la prescription de la pilule se fasse en respectant les contre-indications et sans tenir compte des facteurs de risques. Mais il faut parler des risques thrombophiliques (qui ne se diagnostiquent pas par l'interrogatoire) et surtout du tabac qui entraîne une multiplication par 9 des risques thrombo-emboliques sans distinction et augmente avec l’âge (effet cumulatif). Il n’est donc pas si faible que cela. Le tabac, comme le souligne JY Nau (ICI) est le grand oublié de l'histoire de la contraception estro-progestative et des communiqués des Agences, qu'elles soient européenne ou française. (2)

Ces controverses, et non les risques thrombo-emboliques veino-artériels encourus, ont été considérées comme des risques majeurs par les tenants experto-sociétaux de la contraception estro-progestative (publiant dans Libération, la fine fleur de la gauche bobo LA) dont font partie nombre de spécialités académiques (gynéco-obstétriciens, épidémiologistes, sociologues,  psychiatres, et cetera) dont les féministes (nous n'avons pas vérifié que toutes les chapelles féministes partageaient ce point de vue mais nous dirons, par approximation, que c'est la quasi majorité d'entre elles) arguant que cela allait entraîner une augmentation du nombre d’IVG dans les mois à venir (le fameux pill scare). Ce qui n’a pas été constaté. L'expérience danoise avait d'ailleurs montré qu'il était possible de freiner des quatre fers (passer des pilules de troisième et quatrième génération à celles de deuxième génération) sans augmentation sensible du nombre d'IVG. Vous pourrez consulter les données rapportées par JY Nau (LA) : entre 2010 et 2012 (et à la suite des travaux de Lidegaard que nous avons largement commentés ICI) les proportions de prescriptions de pilules de deuxième génération sont passées de 13 à 67 % du total, les pilules de troisième et quatrième génération passant dans le même temps de 87 à 31 %
Les chiffres français récents publiés par l'ANSM (ICI) indiquent que sur la période décembre 2012 - Août 2013 les ventes de pilules de troisième et quatrième génération ont diminué de 36,6 % par rapport à la même période de l'année précédente (avec une pointe à - 52,4 % en août) alors que dans le même temps les ventes des autres pilules augmentaient de 24,6 % (avec une pointe à + 32 % en août et avec une mention spéciale pour les pilules contenant 20 microg d'ethynil-estradiol  : + 100 %). N'est-ce pas un fameux camouflet pour les experts qui annonçaient l'apocalypse et nous citerons, au hasard, Israël Nisand et Bernard Hédon ? Et ce d'autant que durant les mêmes périodes les implants / DIU ont augmenté de 26,1 % (avec une mention particulière pour les DIU au cuivre chez les femmes de moins de 40 ans : + 50 %).

Mais si les faits sont têtus, Big Pharma l'est plus encore.
Ils ont d'abord envoyé leurs experts pour se battre en terrain découvert.
Le gynécologue David Serfaty et les autres co signataires (qui appliquent la doctrine Bruno Lina, du nom de ce grand virologue français, «Trop de corruption tue la corruption», doctrine conséquentialiste fondée sur  : "C'est parce que je reçois des subventions de tous les labos que je suis indépendant des labos..."), la lecture de leur Competing Interests étant pour le moins intéressante (ils travaillent avec toutes les grandes entreprises de la contraception hormonale), ont écrit un article (LA) qui reprend tous les poncifs que nous ont assenés les experts académiques et non académiques (le mensonge que je préfère est : "Il y a moins de phénomènes thrombo-emboliques sous contraception estro-progestative que lors d'une grossesse"), et dont le point d'orgue est une étude diligentée par Bayer Health Care (3) qui réfuterait tout danger avec les pilules de troisième et quatrième génération (ICI et LA).
Et cela marche ! 
Il y a des gens qui y croient et qui relaient l'article tel un économiste Frédéric Bizard (voir ICI) qui en profite d’ailleurs pour tacler l’Agence dans une belle envolée franco anti française en se permettant de donner des leçons de santé publique (mais oui…) qui seront démenties par les faits (comme on l'a vu plus haut avec le rapport de l'ANSM). Il écrit ceci : "26 spécialistes internationaux de renom de gynécologie, obstétrique et médecine de la reproduction estiment que 'cette crise a porté préjudice à tous, spécialement aux femmes'. Ils critiquent le fait que les autorités sanitaires françaises se sont 'senties obligées de réagir' sous la pression." A aucun moment il ne s’est posé la question des liens d’intérêts.
Mais il n'est pas le seul. 

Les blogueurs s'en mêlent comme Docbuzz, l'autre information santé (sic) comme il s'appelle lui-même, (ICI) ou les journaux comme le Quotidien du Médecin (LA)  ou le JIM (ICI). Et, très curieusement, JY Nau (ICI).

Puis arrive en sous-main l'EMA (European Medicines Agency). L'EMA a déjà été secoué par des scandales dominés, on s'en serait douté, par la non déclaration ou la non bonne gestion des liens d'intérêt (par exemple ICI avec un Français bien connu). Par l’intermédiaire du PRAC (Pharmacovigilance Risk Assessment Committee) Big Pharma publie un communiqué assassin et malin (ICI) qui parachève le marketing mix mis en place. Le communiqué innocente LES pilules estro-progestatives en mettant tout dans le même sac (première, deuxième, troisième et quatrième génération), ce qui est une stratégie classique pour enfumer tout le monde et pour rendre toute discussion difficile : « Le PRAC confirme que les bénéfices de tous les contraceptifs hormonaux combinés continuent d’en surpasser les risques ». Et passez muscade.
Et ça marche !
On prend les mêmes et on recommence : Docbuzz (ICI) et le Quotidien du Médecin (LA) qui s'y colle avec bravoure en reprenant les éléments de langage appris chez Big Pharma mais où ce qui est le plus consternant ce sont les commentaires des médecins (ou prétendus tels car c'est quasi anonyme).
Mais Le Monde résiste (ICI) et dit que l'EMA "ne fait curieusement pas la distinction entre les diverses générations de contraceptifs". CQFD.

Big Pharma a utilisé ses moyens habituels mais les médecins et les femmes n'ont pas marché comme le montrent les expériences danoises et désormais françaises.
Encore un effort et on pourra, en France et ailleurs, parler de contraception sans être intimidés par les experts et les féministes qui tentent de nous faire croire que la contraception hormonale est une des plus grandes avancées médicales et sociales de la médecine du vingtième... C'est faire fi de tous les indicateurs qui montrent combien les femmes sont encore exploitées tant dans la vie privée que dans la vie professionnelle.





Notes
(1) Le directeur de la rédaction de Prescrire a dit un jour qu'il fallait s'habituer à la disparition des pilules P3G et P4G. Il n'avait pas tort.
(2) Il est intéressant de noter que JY Nau qui, à juste titre sans doute (avis personnel), est un obsédé du tabagisme, aborde enfin la validité intrinsèque des risques thrombo-emboliques de la contraception hormonale par ce biais ! 
(3) Il faut oser, n'avoir aucun sens commun, être au dessus des lois ou des réalités, pour écrire ceci : These results contrast with those of published prospective cohort studies, sponsored by Bayer HealthCare, at the request of the European Medicine Agency (EMA) and the Food and Drug Administration (FDA) for an expanded post-marketing surveillance, which did not find such differences. This discrepancy led to an intensive scientific discussion among epidemiologists about possible confounders and biases in the published studies..

Illustration : Gustav Klimt. Le baiser (détail) : 1907 - 1908

jeudi 17 octobre 2013

Octobre Rose et vaccination contre la grippe : la difficile saison des médecins qui se posent des questions.



Le mois d'octobre devrait être intitulé le mois de la Santé Publique.
Nous avons d'une part la campagne Octobre Rose et d'autre part la mise en place de la vaccination anti grippale.
Sur Octobre Rose vous connaissez mon point de vue : rien ne va plus.
Sur la vaccination anti grippale : rien n'est jamais allé.

Que faire ? 

Pour les nombreux, les très nombreux médecins généralistes, qui suivent les politiques de Santé Publique décidées par les experts qui ne se trompent jamais et qui ne reviennent jamais sur les décisions calamiteuses qu'ils ont prises, la vie est belle. Et, ce qui ne gâche rien à l'affaire, quand l'expertise professionnelle du médecin spécialiste en médecine générale qui fait de la santé Publique utile lui rapporte des points d'indice ROSP (voir ICI), la morale est récompensée.

Pendant Octobre Rose ces gentils médecins accueillent avec un grand sourire les femmes qui se présentent avec leur convocation pour se faire dépister gratuitement par mammographie tous les deux ans. Les médecins ad hoc disent : Oh que c'est bien madame la patiente que d'aller faire une mammographie où vous voulez, chez le radiologue de votre choix, et que vous ne paierez pas et que plus vous vous y prenez tôt et plus que le cancer y sera pris à temps et plus que vous aurez plus de chances de guérir et de pouvoir profiter de la vie avec vos enfants et vos petits-enfants.
Pendant Octobre Rose ces parfaits médecins grondent avec un grand sourire les femmes qui n'ont pas encore fait leur mammographie de dépistage car dans leur merveilleux logiciel une alarme s'est déclenchée et ils les encouragent à le faire avec leur air de ne pas toucher au paternalisme médical.
Pendant Octobre Rose les gentils généralistes appropriés et adeptes des normes ISO 2002 répondent avec un aplomb formidable et une bonne conscience éclairée et en résonnance avec les grands docteurs et journalistes qui inondent les ondes télévisuo-radio-internetiennes aux patientes qui ont lu ou entendu ici ou là qu'il pouvait y avoir d'éventuels désagréments à se faire dépister tous les deux ans pendant des années : Mais non madame la patiente, tout ça c'est des polémiques stériles... Comme le dirait le grrrrrrrand professeur Vallancien le sur diagnostic, c'est une donnée a posteriori, on traite d'abord et on voit ensuite... Ou comme dirait le grrrrrand docteur Legmann (ICI) "Quant aux chimiothérapies, il vaut mieux en faire un peu trop que pas assez"... Depuis que je suis installé aucune femme dépistée lors du dépistage organisé n'est morte... Il vaut mieux dépister un cancer de trop qu'un cancer de moins...
Pendant Octobre Rose ces généralistes là sont les rois de l'entretien singulier : les media les soutiennent (de France 2 à France Inter en passant par Europe 1), les médecins blogueurs comme Luc Perino ou comme Jean-Daniel Flaysakier, le premier raflant toutes les mises puisque mettant sur un pied d'égalité les pour et les contre (LA) et l'autre tentant de ménager la chèvre (les agences gouvernementales et l'appareil politico-acédémico-industriel) et le chou (la vraisemblance scientifique) en ne parlant pas des sujets qui fâchent (ICI).
Si vous voulez savoir ce qui va se passer dans les octobre roses qui vont venir il faut lire cet article américain qui est dramatique : LA.
Et encore ceci :

Octobre Rose est devenue une cause nationale et une façon habile, sinon élégante, pour les politiques, les collectivités locales, les associations, de se donner une image morale. Si vous avez lu le livre de Rachel Campergue, "No mammo ?" (ICI), vous savez ce qui se cache derrière l'opération Octobre Rose : des bons sentiments et du fric.
Octobre Rose est une usine à fric, une usine à prébendes, une usine à postes, une usine à mammographes, une usine à chimiothérapie, une usine à radiothérapie, une usine à oncologues, une usine à radiologues.

Mais à cet instant je pense aux femmes qui ont eu, qui auront ou qui n'auront jamais un cancer du sein. Ces femmes que je vois dans mon cabinet. Comment leur parler sans leur faire de mal ? Comment exprimer nos doutes sans qu'elles s'en offusquent, sans qu'elles en souffrent ? Comment répondre à ces attaques comme : "Si vous êtes contre le dépistage c'est que vous n'avez jamais vu une femme mourir de cancer du sein. Que direz-vous à une femme qui vient avec une boule au sein et à qui vous n'avez pas fait faire de mammographie ?" Je vois des femmes toute la journée et je pense à elles et je pense aux femmes de ma famille, aux femmes amies... Mais pourquoi leur mentir ? De quel droit ?

La campagne de vaccination contre la grippe saisonnière est d'un autre tonneau car les risques de se tromper sont moins grands.
D'après les chiffres de la CNAM (ICI) pour promouvoir cette nouvelle campagne il y a eu  818 hospitalisations pour grippe grave en France l'an passé et le chiffre des décès a été de 153. L'InVS est certainement sur les dents pour compléter le chiffre trop bas par rapport aux espérances de big vaccine surtout si on le compare au pourcentage des patients à risque qui auraient dû être vaccinés (un des plus faibles de ces dernières années) : 53,1 % pour la campagne 2012 contre 64,8 % en 2008 chez les personnes âgées de plus de 65 ans, par exemple. (Ne parlons pas des chiffres sur l'asthme quand on sait qu'un enfant qui a reçu une fois de la ventoline reçoit un imprimé) La CNAM précise que 81,1 % des cas graves auraient dû être vaccinés selon les critères en vigueur, ce qui, selon elle, justifie, a posteriori la vaccination (tout en rappelant que la vaccination est modérément efficace, mais à un autre endroit), ce qui n'est absolument pas prouvé.
La CSMF met son grain de sel (ICI) et prend partie pour la vaccination (les syndicats médicaux "disent" la médecine) et pour protester contre la délégation des tâches aux infirmières qui n'en peuvent mais. Le problème est qu'ils ont raison mais pas en ces termes : la vaccination anti grippale n'est pas une tâche manuelle mais une décision intellectuelle (voir infra).
Quant à l'inénarrable Bruno Lina (le propagandiste de la doctrine célèbre : Trop de corruption efface la corruption) (voir LA un paragraphe qui lui est consacré) il fait encore parler de lui en disant que la pandémie grippale de 2009 a été parfaitement gérée car il y a eu peu de morts." via @DDupagne sur Tweeter dans l'émission TAC de France Inter (ICI).
Quant au journal Les Echos (ICI), lui, il dépasse les bornes de l'incompétence et se permet de donner des leçons aux patients (que font les associations de patients pour ne pas réagir à des phrases dans le style "Non, convaincre un tel public aussi étonnamment ignorant ne passera pas uniquement par de la publicité. " ou "Alors, où le bât blesse-t-il ? On l’a vu, le niveau de connaissance des patients est désespérant."?)
Ce sont les preuves qui manquent le plus.

Il y a des patients qui ne doutent de rien (mais il est possible de douter de façon différentielle) et  dont le médecin traitant ne doute de rien : la discussion devrait être non passionnée mais devrait s'en tenir à l'EBM en médecine générale.
Il y a des patients qui doutent et dont le médecin traitant doute : la discussion devrait être non passionnée mais devrait s'en tenir à l'EBM en médecine générale.
Il y a des patients qui doutent et dont le médecin ne doute de rien : la discussion devrait être non passionnée mais devrait s'en tenir à l'EBM en médecine générale.
Il y a des patients qui ne doutent de rien et dont le médecin traitant doute : la discussion devrait être non passionnée mais devrait s'en tenir à l'EBM en médecine générale.

Que faire quand, seul en son cabinet, on émet des doutes sur les deux ou sur l'une des deux campagnes pour ne pas faire douter le patient de la médecine ? 
Prenons l'exemple de la vaccination contre la grippe
Tentons donc de pratiquer l'EBM en médecine générale : l'expérience externe (les données de la littérature ou, pour être précis, certaines données de la littérature) m'indiquent qu'il faut être prudent ; l'expérience interne (mes 34 ans de pratique de la médecine générale) ne m'apportent pas grand chose à ceci près que j'ai connu une grande épidémie où nous avions vu, mon associé et moi, plus de 300 grippes avérées, et un ou deux décès -- j'oublie de dire que nous n'étions pas vaccinés et que nous n'avons rien "eu" (histoires de chasse) ; le patient ou la patiente : ils veulent se faire vacciner, je les informe, ils veulent quand même se faire vacciner (après mon information qui a tenté d'être neutre mais qui a dû ne pas l'être (problème central de l'information éclairée : peut-elle exister quand le médecin a une opinion ?) : ce sera fait ; ils me demandent mon avis : je les informe et ils font ce qu'ils veulent ; je ne les force à rien.
Prenons l'exemple de la mammographie :
Tentons de pratiquer l'EBM en médecine générale : l'expérience externe (les données de la littérature ou, pour être pécis, certaines données de la littérature font pencher vers le non dépistage organisé (1) ; l'expérience interne est contrastée et j'ai un peu de mal à passer à côté d'un cancer que je n'aurais pas diagnostiqué ; l'information "éclairée", je lis ses droits à la patiente : "Pour 2000 femmes invitées au dépistage pendant dix ans, un décès dû au cancer du sein sera évité mais dix femmes en bonne santé seront surdiagnostiquées. Ce diagnostic par excès conduira à 6 tumorectomies inutiles et à 4 mastectomies non justifiées et placera 200 femmes dans une situation de troubles psychologiques liés aux investigations suivantes. Ainsi, le pourcentage de femmes survivantes à 10 ans sera de 90,2 % si elles ne se sont pas prêtées au dépistage et de 90,25 % dans le cas contraire." Voir ICI pour la démarche plus complète. Si la patiente désire une mammographie, du moins dans le respect des dates indiquées pour le dépistage organisé : elle fera la mammographie.

On comprend pourquoi l'exercice de la médecine générale est difficile.





Notes
(1) Peter Götzsche (dont nous avons souvent parlé ICI) persiste et signe LA: à l'occasion de la parution des nouvelles recommandations canadiennes (LA) sur le dépistage du sein par mammographies chez les femmes âgées de 40 à 79 ans, dont il salue les avancées, il écrit ceci : "The best method we have to reduce the risk of breast cancer is to stop the screening program. This could reduce the risk by one-third in the screened age group, as the level of overdiagnosis in countries with organized screening programs is about 50%.11" Cela vous en bouche un coin ?  Et il ajoute ceci : "If screening had been a drug, it would have been withdrawn from the market. Thus, which country will be first to stop mammography screening?" Vous imaginez les pontes français du dépistage du cancer du sein dire le quart de la moitié d'un truc pareil....


vendredi 11 octobre 2013

Cas de conscience.


Deux collègues médecins généralistes ont disparu de ma zone de chalandise : l'un pour cause de maladie (et de retraite) et l'autre parce qu'il est parti retrouver sa famille en province.
Je ne les connaissais ni des lèvres ni des dents. Ils ne m'ont pas prévenu.
Je ne connaissais pas mes collègues parce que, pour ce faire, il aurait fallu que je fréquente les réunions de Formation Médicale Continue qui présentent deux inconvénients dans ma région : le premier, c'est qu'il est organisé par les laboratoires, le second, c'est qu'il est organisé par l'hôpital et que les thèmes sont hospitalo centrés (j'ai essayé une fois ou deux de mettre mon grain de sel pour faire une présentation -- volontiers iconoclaste -- mais, manifestement, je n'étais ni attendu ni désiré ni par les hospitaliers, ni par mes collègues généralistes).
On annonce partout que les médecins généralistes sont en train de disparaître : c'est vrai.
Des patients de ces deux médecins se présentent parfois à mon cabinet sur recommandation de mes propres patients. Je fais du coup par coup pour savoir si je dois les recevoir ou pas.
En revanche j'ai des patientes âgées qui m'appellent, qui n'étaient vues qu'en visites par les deux médecins sus nommés et qui disent ne pas pouvoir se déplacer. Je ne peux pas faire plus de visites que je n'en fais actuellement. Et ce d'autant que mes propres patients vont devenir impotents. Je leur dis non. Mais où est la solution ?
Demander un transport en ambulance ou en taxi à mon cabinet pour chacune de ces nouvelles patientes ?
Refuser tout le monde ?
Que vont devenir ces patients et patientes ? 
Je n'en sais rien. 
Mes horaires de travail font que j'effectue environ 46 heures par semaine.
N'est-ce pas suffisant ?
Je ne demande pas d'aide.
J'exprime mes difficultés à dire non.
Je ne dis pas que c'est dû, j'inspire un grand coup : au gouvernement, aux syndicats, au capitalisme, au paiement à l'acte, à la Faculté de médecine, à big pharma, au tiers-payant, à la CMU, au secteur 2, à l'hospitalocentrisme, à Guy Vallancien, à mon voisin de palier, à l'euro, aux immigrés, à Xavier Bertrand (Philippe Douste-Blazy, Bernard Kouchner ou Michèle Barzach...), au mauvais temps, au ROSP, à la gérontocratie ambiante, au taux de chômage... J'ai oublié quelque chose ?
Nous passons notre temps, au cabinet, à refuser.
Nous refusons des rendez-vous, nous refusons des visites, nous refusons, nous refusons, nous refusons et nous passons beaucoup de temps à rediriger les patients.
Car refuser peut paraître facile à certains mais que dire à un malade inquiet ? Comment ne pas lui donner un conseil, même si nous ne sommes pas le médecin traitant, comment le laisser se débrouiller avec le système de santé que nous dénonçons tout au long de l'année, comment envoyer à Pelloux un malade dont nous ne voulons pas pour des raisons de temps et d'engorgement et qui n'a rien à faire aux urgences ?
Nous sommes convenus, ceux qui répondent au téléphone au cabinet, qu'il faut changer de paradigme, qu'il faut recevoir, prendre des rendez-vous en fonction du diagnostic annoncé. Un rhume : non (voir ICI ou LA). Une gastro : non. Une toux : non.
Est-ce cela la dé médicalisation de la vie ? Le début de la dé prescription ?
Cet après-midi, et alors que je me tatais pour savoir si j'allais rappeler la malade de 83 ans, diabétique insulino-requérante, j'ai eu au téléphone Madame A, la maman du petit A, pour me dire que A allait mieux et qu'elle me remerciait. Je me suis rappelé que le petit A, m'avait été montré par sa maman, Madame A, pour une rhinopharyngite et que la dite maman m'avait bassiné pour que je precrive des antibiotiques, "A quoi cela sert d'aller voir le médecin si c'est pour que vous prescriviez du serum physiologique, du doliprane et que vous me disiez de surélever le lit ?", et que cela m'avait (un peu) énervé, et voilà qu'en me rappelant la maman faisait augmenter le NMNT (Nombre de Malades à Ne pas Traiter) de façon intéressante... J'ai relu ce que j'avais écrit à ce sujet (LA) et notamment en rapportant cette étonnante phrase de Tom Marshall :  si un médecin généraliste prescrit des antibiotiques à 100 malades de moins, 33 de moins vont penser que les antibiotiques sont efficaces, 25 de moins vont désirer consulter dans l'année suivante et 10 de moins ne reviendront pas consulter dans l'année suivante..
J'ai rappelé la vieille dame et je la verrai lundi à son domicile.

Illustration : Edward Hopper, Excursion into philosophy, 1959 
Sur le site LA : Edward Hopper :  Peindre l'irréfragable conscience.

dimanche 6 octobre 2013

Rithy Pahn et la maladie d'Alzheimer.


France Culture m'a permis cette semaine d'écouter Rithy Pahn, admirable, interrogé par Michel Ciment (voir ICI) à propos de son dernier film L'image manquante qui va être diffusé sur Arte mercredi prochain 9 octobre 2013 à 20 heures 50 (voici LA le fim et des entretiens avec le réalisateur) et le Magazine de la rédaction consacré à la maladie d'Alzheimer, nul (LA).

J'ai déjà écrit un billet sur Rithy Pahn (ICI) qui, inlassablement, parle du génocide cambodgien, en des termes qui me laissent pantois tant il a compris le passé de son pays et le passé de l'humanité (dont la shoah). 
Il lutte contre l'oubli. Il dit regretter, non le Cambodge de Long Nol ou de Sihanouk, celui d'avant le Cambodge communiste, mais le monde "imparfait et humain" dans lequel vivait sa famille, ce monde honni par les Khmers rouges (deux mille ans d'esclavage selon eux) qui veulent un monde pur et dur (ce que soulignait Jean Lacouture quand il était un anti colonialiste exacerbé et qu'il faisait du colonialisme sans le savoir lorsqu'il écrivait "Ce peuple incapable d'être pur et dur" pour ensuite se repentir). 
Rithy Pahn lutte sontre les intellectuels comme Noam Chomsky, le héros intouchable, ou comme Alain Badiou, qui pensent que le génocide cambodgien, ce n'était pas si terrible que cela puisque c'était une lutte anti coloniale. Mais surtout, à propos des regrets d'Alain Badiou, le grrrrand philosophe qui ne se prend pas pour de la merdre, et qui a dit : "Je manquais d'informations." ou "Je me suis trompé par manque de connaissances"... Comme le dit Rithy Pahn, comment un homme de cette qualité peut-il dire qu'il n'avait pas assez d'informations ? Soit on se met à douter de ce qu'il a écrit sur d'autres sujets (son champ réflexif académique), soit on se demande pourquoi il ne s'est pas tu. Les journalistes qui vont sur le terrain sont de plus en plus rares. Où est Joseph Kessel ? Où est Albert Londres ? 

L'émission sur la maladie d'Alzheimer est un modèle caricatural de ce qu'est le journalisme à la maison  au double sens du terme (comme on dit l'arbitrage à la maison), de l'absence de sens critique, de l'hospitalocentrisme, de l'autosatisfaction, du déni de la médecine générale, du disease mongering, de la psychologie de bazar et de la collusion entre le corps médical et les associations de patients (si éloignée de la médecine 2.0).
A Sainte Perrine tout est beau : La malade de 82 ans interrogée avec sa fille a un Alzheimer, joue au bridge, fait des mots fléchés et, comme dit la neurologue de Lille, avec les médicaments l'évolution sera lente. La fille de la malade nous apprend aussi que sa maladie est inscrite sur la carte de sécurité sociale (gloups !) mais que le diagnostic n'a pas été annoncé à ses petits-enfants. 
On apprend aussi qu'il n'y a pas un Alzheimer mais des Alzheimer et que seuls les grands experts sont capables de le savoir et pas ces khons de généralistes qui sont dans le déni de la maladie. 
On nous raconte l'histoire de ce patient de 47 ans où ce sont les neurologues (contre les psychiatres et les généralistes) qui ont fait le diagnostic. Mais aussi qu'à La Pitié ce sont les assistantes sociales qui demandent le 100 %, nous dit-on. Des assistantes sociales qui ne connaissent même pas le numéro de France-Alzheimer... Ce reportage est un grand n'importe quoi.

Heureusement que les neurologues sont là, les Ankri, les Leforestier, qui marquent leur territoire (cette dernière veut nous impressionner en nous parlant de l'Alzheimer qui peut être temporal et  frontal, non mais, c'est qui l'experte ?).
Grâce au docteur Nadine Leforestier nous comprenons ce qu'est la doxa des experts de l'Alzheimer : dépister le plus tôt possible une maladie incurable pour pouvoir prescrire aussi tôt que possible des anti Alzheimer (voir ICI pour ce qu'il faut penser de leur efficacité et de leurs effets indésirables), annoncer coûte que coûte le diagnostic au malade (je vous demande de lire ce que le docteur Leforestier dit, c'est effrayant, je cite : "Il n’y a plus d’indicible en médecine. La nomination d’un constat clinique doit se faire. Le faire de façon simple, humble, et cette ouverture donne un sens au suivi médical. Le fait de ne pas vouloir un diagnostic est un Droit des malades... mais le déni est très rare... on commence par dire le diagnostic et on analyse le déni..."), accompagner, aider les aidants...

Je suis effrayé.

Nous apprenons aussi que le docteur Nadine Leforestier, spécialiste de l'Annonce, le fait pour des maladies encore plus graves (en regardant le net, cela doit être en cas de Sclérose Latérale Amyotrophique) et qu'elle en est fière. Nous sommes passés du paternalisme triomphant (on ne disait jadis rien au malade qui n'était pas capable de comprendre sa maladie) au néolibéralisme rawlsien dont je vous ai si souvent parlé ici où les individus, fussent des alzheimériens, sont des êtres de raison qui sont capables d'analyser et de comprendre en toute situation... Nous sommes passés du règne du silence au règne de la vérité avec toujours autant de bonne conscience : ces annonceurs (cela ne vous rappelle pas quelque chose dans le monde des affaires) ont toujours raison...
Nous apprenons aussi que le docteur expert tutoie la citoyenne présidente de France-Alzheimer 93. Le monde est petit. Cette citoyenne experte, et je ne nie en rien a priori son rôle dans l'aide des aidants, parle aussi de l'annonce et fait une comparaison avec le cancer... Elle dit combien les médecins généralistes sont dans le déni de la maladie et qu'ils devraient se fier aux vrais experts (voir ICI pour leur expertise), et la neurologue ajoute qu'il faudrait épauler ces pauvres médecins (voir LA ce que pense Philippe Nicot, un MG, des experts ou Louis Adrien Delarue, un MG, des institutions expertales : ICI). La neurologue experte oublie également une étude toulousaine parue dans le British medical Journal (ICI) qui indique que pour les patients atteints légèrement (mild) ou modérément (moderate) d'Alzheimer le suivi comparé de ces patients par les centres de mémoire et par les médecins généralistes ne montrait pas de différence significative à deux ans.
Evidemment ce Magazine de la rédaction de France-Culture ne parle pas de la controverse sur les médicaments, sur la diminution de leur remboursement pour cause d'inefficacité.

Big pharma, la neurologue experte de l'Annonce, la représentante d'une Association de patients, la disparition des médecins généralistes. C'est le résumé de la situation.

Cette émission de France Culture sur la maladie d'Alzheimer est une mauvaise émission.

Certains pourraient penser qu'il est incongru de mettre sur le même plan la clairvoyance de Rithy Pahn tout autant que son analyse et son oeuvre concernant le génocide cambodgien et les experts de l'Alzheimer mais il me semble que le courage intellectuel (ne parlons pas du courage physique qui est une autre affaire) n'est pas bien partagé. Sans compter l'intelligence.

 
Sources : Crânes au musée du génocide cambodgien : ICI

mardi 24 septembre 2013

Refondation de la médecine générale. Réflexion 8 : la question fondamentale des patients.




Nous sommes convenus que la Refondation de la Médecine générale pouvait avoir comme présupposé le questionnement de l’Evidence Based Medicine en Médecine Générale (EBMG). Mais il ne s’agit pas d’un système fermé ou d'un dogme parce que ce questionnement n’est probablement pas approprié à toutes les situations de médecine générale et, plus encore, ne peut pas être la Norme pour une médecine générale dont la caractéristique excitante et angoissante est l’incertitude et, si l'on veut faire une comparaison avec l'Univers, et l'instabilité. La médecine générale est une construction sociale (et comme toute construction sociale elle est capable de disparaître) et les conservateurs et les révolutionnaires doivent comprendre qu'elle est contenue dans et par la société au double sens donc du  verbe contenir (en faire partie et la contrôler).

Nous avons vu également que l'Etat d'Esprit était son décor, c'est à dire, en théorie, l'appréciation par le médecin généraliste du patient dans sa globalité selon le tryptique Organe / Patient / Environnement (LA).

Mais la question cruciale qui remet en cause la médecine générale (et la médecine en général) c'est l'irruption du patient en tant que sujet. Et c'est en médecine générale que le problème est le plus aigu puisque le médecin généraliste n'exerce le plus souvent pas en institution, il est chez lui, c'est à dire dans son cabinet libéral, il n'est pas protégé par des structures (les murs de l'hôpital, les jardiniers, les administrateurs, ...), il est en première ligne.
A ce sujet il est possible de penser que les mouvements de jeunes (et de moins jeunes) médecins généralistes pour la construction de maisons médicales pluridisciplinaires est à la fois une crainte du néant sociétal (se retrouver seul sans béquilles : chefs, pairs, infirmières, aides-soignantes, assistantes sociales,...), une nostalgie de l'alma mater (ah, l'organisation bureaucratique bienveillante), et, pour finir, ne me lancez pas de tomates, une crainte du patient maquillée en promotion de sa santé globale.

Les Valeurs et Préférences des patients sont une des données fondamentales du questionnement EBM en médecine générale (EBMG). Une des données les plus mystérieuses, les plus décriées et les plus oubliées de ce processus.
Je vais tenter d'ouvrir des pistes pour en éclaircir le sens. Car elles sont au centre de l'exercice de la médecine générale (en France comme ailleurs) et au centre de la réflexion des patients sur eux-mêmes (et ce n'est pas inutile de penser qu'ils devraient y penser plus).

N'oublions pas que l'EBM, dont nous avons toujours autant de mal à trouver une traduction exacte en français (les Québécois ont pour une fois échoué) (ICI), est d'origine nord-américaine où les conceptions de la médecine et de la société sont inspirées du libéralisme philosophique (et économique). Il me paraît raisonnable de faire le point sur ce qu'on appelle le libéralisme philosophique, le self (une partie de la doctrine libérale), l'autonomie de la pensée, et le paternalisme en médecine (dans sa version française).
Le questionnement EBM est aussi une brèche conceptuelle dans le traditionnel entretien singulier à la française qui admet comme normale la structure a priori asymétrique des relations entre le médecin et « son » patient (ou l’inverse).
Un certain nombre de médecins sont d'ailleurs persuadés (les blogs médicaux sont remplis de témoignages d'incivilités) qu'ils doivent éduquer leurs patients qui ne sauraient pas, par essence, comment il faut se comporter, être respectueux, et cetera, dans un cabinet médical. Les fils de la bourgeoisie (quel est le pourcentage de doctorants en médecine nés dans la classe ouvrière ?) "éduquent" le peuple... Les médecins ne sont pas là pour éduquer les patients ou les futurs patients mais pour les informer, ce que l'on appelait jadis l'instruction.

La conscientisation des patients, la prise en compte de leur autonomie,
Il sera utile de distinguer la notion purement kantienne de l’autonomie, de celle de John Rawls et de celle, par exemple, de Ivan Illich, ce dernier lui donnant une valeur démédicalisante alors que les tenants de Rawls en retiennent, parfois malgré eux, un sens surmédicalisant.

de leur statut d’humain rationnel et capable de décider pour eux-mêmes (la survenue de la pensée libérale en quelque sorte dans notre monde latin soumis à l’autorité naturelle de l’expertise), ont surpris beaucoup de médecins et les ont décontenancés. A l’évidence, il est nécessaire de considérer que les personnes qui consultent en nos cabinets sont effectivement des individus, des citoyens (comme dit le politiquement correct), qui pensent, qui ont un passé, un avenir, des opinions, des croyances, des ambitions, des projets de vie et des connaissances, qui ne les rendent plus aussi corvéables et malléables à merci que jadis (nous aborderons plus loin les problèmes posés par les connaissances des patients, par la science dite profane, par l’expertise non médicale et par les liens d’intérêts qui les concernent).

Qu’on le veuille ou non, le désir légitime des patients de sortir de leur état d'infantilisation par le corps médical, c'est à dire leur volonté de prendre en main leur destin par rapport au monde médical et paramédical, a rendu circonspecte la sphère médicale et certains médecins ne sont pas prêts à recevoir des patients qui ont consulté internet avant de venir consulter (voir LA pour les autres). Mais les patients sont ambigus : pour atteindre leurs objectifs personnels ou généraux ils se servent aussi du corps médical, de certains de leurs membres, pour les instrumentaliser en les désignant comme bons médecins (parce qu'ils les écouteraient et parce qu'ils feraient ce qu'ils ont envie qu'ils fassent) et ainsi, au lieu de se démédécaliser ils se remédicalisent sans EBM et hors AMM !

Le médecin se sent perdu puisqu’on lui avait appris qu’il était un grand homme, qu’il faisait de longues études pour pouvoir affronter la vie et la mort, qu’il allait sauver des vies, réconforter l’humanité souffrante qui n’attendait que lui pour revivre,  et voilà qu’un vulgaire pékin, un patient, celui qu’il n'avait vu que comme sujet lors de ses séjours dans les hôpitaux, ah, la visite du patron !, vient lui demander des comptes, ne croit pas ce qu’il lui dit comme parole  d'Evangile (l’Etat de l’Art) et exprime sans façons ses Valeurs et ses Préférences et, comme on l'a vu, après, oh horreur, avoir consulté Internet.

Si l’on voulait résumer cela de façon simple et caricaturale, ce serait parler de l’affrontement de l’arrogance médicale ancienne avec le consumérisme sociétal nouveau.

Trop facile pourtant.
Trop facile car le consumérisme médical est avalisé par les médecins qui participent, parfois à leur corps défendant et par le biais des conférences dites de consensus, à la fabrique des maladies (disease mongering) (LA) tout en en tirant un profit intellectuel (pas seulement pécuniaire) de cette situation expertale et marchande et parce que l’arrogance est parfois l’attitude avouée et revendiquée par le patient client qui se sert du médecin en l'instrumentalisant parfois pour obtenir ce que ses Valeurs et Préférences lui dictent (en changeant de médecin si besoin).

Les relations médecins / patients (et nous avons décidé de ne pas entrer dans les controverses citoyens / patients / malades car cela n’a pas de sens dans la mesure où la personne, pour des raisons qui la regardent et qui lui ont êté soufflées par la société, consulte un médecin, c’est à dire qu’elle pense qu’elle en tirera avantage ou soulagement) sont donc aussi un échange, parfois une confrontation qui peut paraître asymétrique, entre les Valeurs et les Préférences des médecins (qui ne se réduisent pas à leurs expérience interne et externe) et celles des patients.

Les patients se sont organisés. Ils ont créé les premières associations dont le but initial était de parler de la maladie dont ils souffraient, de ne plus être seuls, de partager les problèmes qu'ils rencontraient et de trouver ensemble des solutions. Ces associations, organisées autout de leurs maladies (orphelines ou pas) ou de leurs organes malades, étaient sans argent, peu influentes, isolées, et manquaient de données scientifiques indépendantes. Elles recevaient des miettes de Big Pharma.
L'épidémie de sida a commencé en 1981, le virus a été isolé en 1983 et la première trithérapie efficace est apparue en janvier 1996. Les associations de patients, AIDS, Act Up, ont participé au processus, se sont expertisées, ont même participé à l'élaboration des protocoles d'essais cliniques. Elles se sont comportées en activistes et en groupes de pression.
Le Téléthon a aussi été un déclic en 1987. Une association de patients a eu l'aval des pouvoirs publics, sans compter l'aide gratuite de la télévision publique, pour lever des fonds et pour devenir, in fine, un véritable laboratoire pharmaceutique.
Il y eut ensuite la création d’associations de consommateurs, tels le CISS en 1996 (Collectif Interassociatif sur la Santé : LA), associations dont la devise est  « Toujours plus de médecine et de sécurité" – ce qui est souvent incompatible- et qui ont adhéré aux deux Eglises soeurs, celle de Dépistologie et celle de préventologie.
Et nous sommes en plein dans l’ère des réseaux sociaux et des forums, de la médecine 2.0, de l’intelligence collective dans laquelle les acteurs traditionnels du marché (Big Pharma, Big Matériel) ont joué leur rôle habituel de sponsoring et, pour tout dire de corruption (mais je ne répèterais jamais assez que le corrompu est toujours plus coupable que le corrupteur) et dans ce nouveau paradigme sont apparues les entreprises de communications créées pour fédérer les patients consommateurs avec ses gourous, ses médecins amis (1), ses agences de publicité, ses cabinets d’avocats spécialisés, ses sites, ses campagnes (dont la plus emblématique est Octobre Rose où Estée Lauder vend sa camelote) et, la phase ultime est la Fabrique des Patients (patient mongering) qui met en avant le patient, comme les myopathes sur France Télévisions, en en faisant un témoin, un expert (qui peut mieux parler de sa maladie que celui qui en est atteint ?) et un avocat des bonnes causes (sponsorisées).

Voici donc l'ébauche de l'ébauche de ce que peuvent connaître les médecins généralistes de la relation médecins / patients in et out EBMG.
Mais j'ai oublié tant de choses que les commentaires vont compléter...

J'ajoute ceci
L'entretien singulier cher à Georges Duhamel, médecin et écrivain français bien oublié de nos jours, est devenu un enjeu marchand considérable : il y a plus de deux personnes dans le cabinet (et je ne parle pas du doctorant en médecine générale), il y a la CNAM (ou son équivalent), Big Pharma, Big Junk Food, Big Tobaco, etc...
Oublions la posture analytique du médecin qui n'est plus à la mode (mais dont il aurait intérêt à prendre conscience tant elle est sous-jacente dans les relations inconscientes qui sous-tendent la consultation et tant, dans le phénomène du burn-out par exemple, les problèmes transférentiels / contre transférentiels sont souvent dominants).
Retenons  la malice des médecins qui, faute de pouvoir traiter les patients, soit en raison de la résistance des douleurs physiques et morales des maladies chroniques, soit en raison du fait que les maladies de civilisation (HTA, diabète, maux de dos) ne peuvent être soignées ou prévenues qu'en changeant de paradigme civilisationnel, ont décidé de leur faire endosser les maladies et les traitements en inventant (les marketeurs ont dû s'en donner à coeur joie), l'empowerment, l'éducation thérapeutique, l'entretien motivationnel, la décision médicale partagée, les réseaux de soins et les stages d'appropriation de la maladie.
Quant à la malice des patients elle est d'instrumentaliser les médecins amis en les bombardant experts et ainsi des médecins généralistes sont-ils devenus des spécialistes mondiaux de maladies orphelines exerçant dans les beaux quartiers.

Avec tout ce que j'ai écrit et promis il me reste beaucoup de travail...

Notes.
(1) Les médecins amis sont des médecins qui, contrairement aux crétins habituels qui ne savent pas quoi donner comme thérapeutique dans la fibromyalgie par exemple, comprennent les attentes des malades, comprennent la physiopathologie, et prescrivent les produits ad hoc, c'est à dire ceux qui sont désirés a priori par les patients et, comme on l'a vu, hors AMM et hors EBM  (voir LA).


Jadis, quand nous étions externes dans les hôpitaux de l’Assistance Publique de Paris et qu’on nous enseignait, les bons jours, une médecine que nous ne pratiquerions jamais, (nous le savions mais nous n’imaginions pas que le gouffre pût être aussi profond), et que nous étions confrontés, jeunes gens idéalistes, à l’incohérence de l’organisation des soins (nous ne pensions pas ainsi, nous pensions que rien ne pouvait être pire pour un malade que le bordel de ces hôpitaux où la personne humaine n’était pas respectée, où le malade était considéré comme un objet d’examen inerte et sans pensées, les visites au lit du malade ayant toujours été pour nous un moment terrible de souffrance où nous comprîmes, pour certains, que nous n'avions rien à faire dans les hôpitaux), nous nous disions entre nous que le seul obstacle au bon fonctionnement des hôpitaux (et les administratifs ne rôdaient pas encore sous le lit des hospitalisés et dans les salles de repos), était la présence des malades. Un hôpital sans malades, voilà ce qui aurait convenu à nos maîtres et enseignants.

Image sulpicienne et anglo-saxonne de la relation médecin patiente. Crédit : ICI