jeudi 22 janvier 2015

Je ne suis parfois pas Charlie et Je suis parfois Charlie.


Je ne suis pas allé marcher l'autre dimanche.
Non parce que je suis insensible à l'assassinat de 17 humains par des khons psychopathes.
Non parce que des hommes d'Etat dont je ne partage pas les idées ont manifesté.
Non parce que des citoyens dont je ne partage pas les idées ont manifesté.
Mais, comme ça, par philosophie.
Je me suis toujours méfié des mouvements de foule et de mon attitude dans les mouvements de foule (cf. infra mai 68). J'ai toujours eu peur de l'uniformité des rassemblements, des gens qui "communient". L'épisode black, blanc, beur (où je ne suis pas allé) m'a immunisé. Mais il y en eut d'autres avant. Les Comités Vietnam, Pierre Overnay, les Premier Mai de l'Ultra Gauche, Malik Oussekine, et compagnie.
Mais je n'ai rien à dire contre ceux qui ont défilé et avec lesquels, demain matin, je serai toujours aussi peu d'accord et autant d'accord. Si ça les a ressourcés, si ça les a rendus plus forts, si ça les a rendus plus solidaires, s'ils ont eu le sentiment d'avoir participé à un mouvement historique ("J'y étais")... Tant mieux.
Et je n'ai pas regardé ni ne regarderai pas les images sur BFM (on me dit dans l'oreillette que les gens qui y sont allés ont regardé les images sur BFM).

J'ai mal à mon athéisme.

Je suis parfois Charlie ou Je suis ou j'ai été Charlie.
Je fais partie de la génération qui avait 16 ans en mai 68.
Je fais partie de la génération qui a crié "CRS SS". J'en ai honte.


A l'époque il y avait L'enragé, le prédécesseur de Hara-Kiri puis de Charlie qui montrait De Gaulle avec des béquilles SS (le dessinateur était Willem). C'était ma période mystico-lyrique. J'ai honte encore.



Hara-Kiri a été interdit pour une "Une" bien banale.


J'avais ri à l'époque et je n'en ai toujours pas honte.
Et Charlie a été créé.
Et je me rappelle, entre Hara-Kiri et Charlie, que Reiser me faisait vraiment très rire.


Donc, j'ai été, je suis, je pourrais être parfois Charlie.
Parce que, dans le privé, je suis capable de parler comme les dessinateurs de Charlie dessinent. Mais cela dépend avec qui. Et pas en public.

A un moment j'ai cessé de rire avec Charlie et j'ai cessé d'avoir envie de l'acheter. Mais j'ai des explications : j'ai vieilli, j'ai compris que cela ne servait à rien, je me suis sans doute aigri, je me suis senti visé, je ne sais quoi encore. N'oublions pas non plus que la diffusion de Charlie était tombée à 48 000 exemplaires avant les assassinats. il n'y avait pas que moi qui avais cessé de rire ou du moins d'avoir envie de rire.


Je suis quand même Charlie car il m'arrive encore (cf. twitter @docdu16) de faire des vannes de potache mais aussi entre amis, entre copains, entre connaissances, entre collègues, et ces vannes de potache sont en général condamnées vigoureusement par les gens qui ont défilé cet après-midi, parce qu'elles sont légèrement sexistes, légèrement homophobes, légèrement racistes (je raconte des histoires juives aux juifs, des histoires blacks aux blacks, des histoires rebeu aux rebeu mais raconter des histoires juives à des rebeu, est-ce bien raisonnable ?) et que ce n'est pas sociétalement correct. Ainsi ne peut-on pas se moquer d'une blonde sans se faire traiter de sexiste et / ou d'anti genriste  et peut-on dire que Mahomet c'est de la merdre au nom de la liberté d'expression... Comprenne qui pourra.


Mais Je ne suis pas toujours Charlie.

D'abord, et sans faire de démagogie, les morts de Charlie sont une partie du massacre. Il n'y avait pas que des dessinateurs, il y avait d'autres victimes. Détail sans doute mais les flics, ils n'avaient rien dessiné, ni les consommateurs casher, ni l'employé de maintenance de Charlie... Mais n'allons pas faire de la concurrence victimaire.

Et je ne dis pas non plus, comme certains, qu'ils l'ont bien mérité (mais ne croyez pas qu'il n'y ait que des anencéphales qui le disent, il y a aussi des cortiqués, mais ils se planquent, ils se cachent). Enfin, ils ne se cachent pas tant que cela. Vous pouvez voir ici de quel bois ils se chauffent (LA), ces khonnards finis.



Et les trois assassins ne sont pas des crétins, des abrutis, des khons, ce sont simplement des assassins, car j'en connais des crétins, des abrutis, des khons qui ne feront jamais cela. Ce sont des psychopathes et ils ont un cerveau, ce sont des êtres humains, et ce n'est pas seulement une affaire de bonne éducation car il y a des assassins qui sont allés à Harvard, à Cambridge ou à la Sorbonne et qui trouvent que tuer des gens c'est très bien. Mais c'est aussi affaire d'éducation. Cela va sans dire. Mais ce n'est pas suffisant.

Non, Je ne suis pas toujours Charlie car, bien qu'athée, libre-penseur, peut-être agnostique à la fin de ma vie, on ne sait jamais (le fameux pari), tout ce que vous voulez, et bien que je pense que les Vedas, les sutra Mâhâyâna, la Torah, la Bible, le Coran (pardon pour les oublis) sont à la fois de magnifiques objets d'études et des contes de fées merveilleux (imagine-t-on la Une de Charlie avec comme accroche "Les contes d'Andersen, c'est de la merdre." ?) et rien de plus, je ne me sens pas supérieur en étant athée, et les expériences d'athéisme militant d'Etat ont été des catastrophes meurtrières absolues (sans parler de leurs textes sacrés qui ont fait l'objet de commentaires innombrables, ce qui, donc, ne veut rien dire sur le plan culturel). J'ajoute que si je me marre en privé des dessins anti cléricaux et autres, je pense que dans la sphère publique il n'est pas besoin de choquer pour choquer, d'agresser pour agresser, de déconstruire pour déconstruire. Ce qui ne veut pas dire interdire.



Je ne suis pas toujours Charlie bien que je sois contre les religions par principe (et ce qu'elles représentent) mais, en bon lecteur de l'anthropologie, je ne peux nier le fait religieux qui a existé et existe (et existera ?) dans toutes les parties du monde. La croyance touche toutes les cultures, tous les pays et le mysticisme ne se résume pas au fait religieux. Et la culture liée à la religion est un pan majeur et incontournable de l'histoire de l'humanité. Malraux disait : "Que serait l'histoire de la peinture sans la Nativité ?". Eh bien, on peut être athée et contempler et apprécier des Vierges à l'Enfant ou être un amateur de la peinture primitive.



Non. Je ne suis pas toujours Charlie car dire à un catholique que le pape est un enculé ou à un musulman que le prophète est un pédophile, qu'est-ce que cela m'apporte et qu'est-ce que cela nous apporte ? Vous le dites en privé à vos amis et / ou relations musulmans ou catholiques ? Vous pourriez certes leur dire car ils savent, cela va sans dire, que vous n'êtes ni raciste ni religionophobe, mais les autres, ceux qui ne comprennent pas le second ou le troisième degré, ceux qui ne vous connaissent pas, vous allez leur délivrer des vannes racistes et blasphématoires et vous pensez qu'ils vont vous sourire et vous dire "Je suis Charlie." ?

"T'es khon" me disent les grands esprits, tu confonds blasphème et racisme. Je ne confonds pas mais dans le cas de Mahomet, il est clair que les deux sont mélangés pour certains. Non ?

N'oublions pas non plus que la France est une terre anti cléricale. Que l'on a depuis l'époque des Lumières (je pourrais développer le rejet des Lumières encore maintenant par des catholiques ou d'ores et déjà par des musulmans ou des juifs mais surtout par des intellectuels de "gauche" qui pensent en toute sincérité sans doute que la philosophie des Lumières est une idéologie coloniale et occidentale qui ne serait pas universelle... je pourrais également parler de ceux qui se revendiquent des Lumières comme d'un ostensoir sans en tirer les conséquences sur Notre société) bouffé du curé. Après la loi de 1905, on expulse les religieuses et les religieux et on fait l'inventaire (des tabernacles notamment) dans les églises et ce n'est pas doux, on voit des religieuses dans la rue sorties de leurs couvents....

Expulsion du Grand séminaire de Quimper en 1906

Apprenons l'histoire à nos concitoyens, racontons leur la vie d'Emile Combes (dont je ne suis pas un thuriféraire) et disons leur que les religionophobes se moquent de savoir qui est qui et quoi est quoi. Relisons à haute voix les textes anti cléricaux, ils tomberont de leurs chaises, les ignorants, et les moines soldats (je n'ai pas le temps ici de vous parler du mysticisme politique chez les militants d'extrême-gauche) vous traîneront devant les tribunaux de la bonne conscience. La violence physique qui a été exercée à l'époque à l'égard des catholiques était sans commune mesure avec celle, plus symbolique, exercée aujourd'hui en France à l'égard de certains musulmans. Mais nous ne nions pas non plus l'impact sérieux de la violence symbolique, surtout quand elle est ignorée de part et d'autre, de droite, du centre comme de gauche.

Semaine sainte à Madrid


Dirions-nous aujourd'hui, pour lutter contre une hypothétique christianophobie, que l'on ne peut rattacher les croisades au christianisme, pas plus que les guerres de religion, pas plus que l'Inquisition au catholicisme au nom d'une idée que nous nous ferions, tels des Saint Jean Bouche d'Or, de ce qu'est vraiment le christianisme ? Eût-il fallu interdire la série Borgia parce qu'elle montre un pape licencieux, voire plus ? Sommes-nous donc obligés de dire que la charia ce n'est pas l'islam, que Boko Haram ce n'est pas l'islam ? C'est aussi l'islam.
Ne rien dire permet à certains, je ne parle pas des faurissonniens, des nazillons et des détailleux de l'histoire, je parle des stalinillons qui, négationnistes des crimes du communisme en Europe et ailleurs, ne veulent pas parler, sinon en l'exusant, du passé meurtrier de leurs "coreligionnaires".

Nous sommes à la croisée des chemins. La société française s'est sécularisée à toute vitesse comme en atteste la diminution continue de la fréquentation des églises et autres lieux de culte par rapport aux Français qui se revendiquent catholiques, protestants, juifs ou je ne sais quoi, et, par un mouvement inverse, elle est traversée par un renouveau du sentiment religieux issu d'une autre religion plus ... exotique et, qui plus est, pratiquée par des immigrés ou Français issus de. Rappelons que le taux des Français qui se revendiquent catholiques est passé de 81 à 64 % entre 1952 et 2010 et que la fréquentation de la messe chez les catholiques est passée dans le même temps de 27 % à 4,5 %.

Et les anciens laïcards, ceux dont les ancêtres idéologiques bouffaient du curé, agitaient des drapeaux rouges devant les églises, crachaient sur les processions, certains d'entre eux, deviennent islamophiles pour des raisons sociales (les travailleurs exploités musulmans et / ou issus de musulmans), des raisons politiques (le conflit israélo-palestinien) et des raisons anticoloniales  (les indigènes de la république) oubliant le "vieux" principe marxien de la religion opium du peuple venant en sus des exploitations précitées. Et surtout, en oubliant cet aspect majeur, souligné ICI par Ahmed Benchensi (Le 'musulman modéré', une version actualisée du 'bon nègre'), que les Je suis Charlie et les Je ne suis pas Charlie assignent aux musulmans de France un choix entre islamisme et islam modéré et ne leur accordent ni le droit à l'indifférence à la religion, ni le droit à l'athéisme.

Je ne suis pas toujours Charlie pour les mêmes raisons que je suis parfois Charlie.


Donc, malgré le nombre imposant des citoyens républicains qui ont défilé, et, on l'a remarqué, en majorité des blancs, des "vieux" et des non issus des "quartiers", je ne me sens ni attardé, ni réactionnaire, ni extrémiste, et il me semble que je peux comprendre le sens de l'histoire, Je ne suis ni Charlie ni pas Charlie, je suis aussi un citoyen engagé.


A ceux qui penseraient que ce billet n'est pas de la médecine générale, il est nécessaire que je dévoile un lien d'intérêt qui pourrait être un conflit d'intérêt, il est nécessaire que je dise qu'une large majorité de ma patientèle (je n'ai pas fait de comptes détaillés et c'est d'ailleurs interdit par la loi), est musulmane ou se revendique comme telle. Je ne parle pas hors sol, je ne parle pas depuis ma tour d'ivoire, je parle comme je parle avec des patients musulmans qui ne me parlent pas seulement pour certains de Charlie qui est allé trop loin, qui me parlent aussi pour certains du Mariage pour tous qui leur a paru aller trop loin, qui me parlent aussi des Juifs, qui leur paraissent être, malgré Merah et Coulibaly, des chouchous supposés de la République, mais surtout pour certains qui me parlent comme des partisans avérés de la théorie du complot (les services secrets français, le mossad, et cetera) et du fait, pour d'autres, que le numéro d'après de Charlie était une insulte. Mais c'est une autre affaire.

Nous reviendrons à la médecine générale pure et dure dans de prochains billets.


mardi 13 janvier 2015

Un début de matinée de merdre.


Y a des jours comme cela...
Le contenu de la médecine générale.
J'ai lu récemment un billet d'ASK qui donne du contenu à la consultation de médecine générale et qui informe de façon pertinente sur les problèmes que rencontre un médecin généraliste dans l'exercice de son métier. Et dans le cas d'ASK on voit clairement que la CPAM n'est pas en jeu, que les complémentaires sont aux abonnées absentes, qu'il s'agit d'un problème sociétal où la CPAM, outil aveugle, est présente accessoirement. Je vous laisse le lire : ICI.
Comme je suis un casse-pied, j'aurais pu faire quelques commentaires qui ne sont pas les mêmes que ceux d'ASK, ce qui montre que dans un cas aussi simple que celui-là, la vaccination d'un nourrisson de 4 mois en bonne santé, il y a de quoi écrire un traité de médecine et un traité de sociologie par la même occasion.

Voici un banal relevé des banales questions posées dans le brillant billet de ASK.
  1. Les vaccinations recommandées du quatrième mois : ASK ne nous dit pas desquelles il parle, ce qui nous entraînerait dans un débat sans fin et, pour moi, perdu d'avance, sur l'intérêt de vacciner contre l'hépatite B, puisque presque tout le monde pense le contraire de moi (ne pas vacciner).
  2. Les antibiotiques : où l'on se rend compte que leur prescription / non prescription se situe très au delà de leur intérêt scientifique (oh, le gros mot) qui est établi pour l'essentiel dans le cas de leur usage lors d'une rhino-pharyngite. On se rend compte que les croyances sont non seulement grand public mais qu'elles sont aussi professionnelles (et, pour remonter à l'historique des antibiotiques, il s'agit d'un effet collatéral de la toute puissance de la médecine et d'un complexe jeu d'allers-retours entre le prescripteur et le prescrit) et que le médecin qui prescrit des antibiotiques au cas où en laissant au patient le choix de les utiliser ou non ne se rend pas compte, alors qu'il pensait faire le malin et donner de l'autonomie aux parents du nourrisson, qu'il se résigne à ne plus avoir aucun rôle médical. 
  3. La vaccination contre la gastro-entérite : ASK aborde le sujet du pouvoir de la publicité grand public et du rôle des médias manipulés dans la progression du cash flow de big pharma avec l'agrément tacite et parfois volontaire de l'appareil d'Etat. Tout comme l'ombre tutélaire de Coca Cola et de McDo comme éléphants dans la pièce quand nous parlons nutrition et régimes avec nos patients.
  4. Les croyances des médecins (ici d'un médecin du travail) qui donnent leur avis sur tout et surtout dans un domaine qu'ils connaissent à peine. Ce qui pose la question, à mon avis crucial, et paradoxal en ce cas, de l'avis d'expert que l'on peut critiquer en sa spécialité et hors de sa spécialité et celui du médecin généraliste qui, en théorie, devrait tout savoir sur tout puisqu'il lui est possible de recevoir n'importe quel malade, et qui, contraint et forcé par la charge de travail et par sa tendance naturelle à croire ses "maîtres", par lassitude intellectuelle également et faiblesse physique, finit par "suivre" des recommandations, fussent-elles consensuelles, et biaisées.
  5. La vaccination chez le pharmacien, au delà des polémiques sur les rôles respectifs des professions pharmaceutiques et médicales, indique clairement la limite existant entre l'acte intellectuel prescriptif / non prescriptif et l'acte technique lui-même. Pour provoquer (mais à peine quand on voit les chiffres américains des sur traitements) : les acte intellectuel de décider de dilater, stenter et / ou ponter des coronaires et technique de le bien réaliser ne devraient pas être confiés à la même personne.
  6. La plagiocéphalie, l'ostéopathe et le couchage sur le côté. Pour faire vite, ce chapitre pose les questions de l'enfant parfait (une tête bien faite), de la division du travail (taylorisation de la médecine), de la contradiction principale (le risque de mort subite) et de la contradiction secondaire (la forme de la tête), de la mode sociétale pour des médecines alternatives (médecine étant un bien grand mot) et du self parental (je décide pour mon enfant ce qu'il y a de mieux en ayant regardé Le magazine de la santé ou après avoir lu Doctissimo).
  7. Le savoir faire et le savoir ne pas faire, cette dernière attitude étant inquantifiable et donc vouée à l'échec normatif. Le rôle, selon moi (mais je n'ai fait que copier ce que j'ai lu ici ou là), du médecin généraliste étant surtout de résister à faire et de contenir les actes et prescriptions inutiles en gérant l'incertitude et en s'y résignant.
Et voici quelques faits bruts sur ce début de matinée de merdre.

8 heures 30.
Monsieur A, 56 ans, me dit bonjour, me souhaite une bonne année et me tend un dossier de la MdPH, dossier qui a toujours tendance à déclencher chez moi une poussée d'urticaire (et bien que j'aie lu avec attention les bons propos du docteur Milie en son blog). Je le regarde ahuri car j'ai rempli le même dossier en octobre (c'est noté dans son dossier électronique). Il confirme mais, d'après lui (et on sait que les propos des patients...), ce serait "la fille de la MdPH" (il est incapable de remplir un dossier lui-même) qui aurait coché la mauvaise case et le dossier aurait été adresssé pour renouvellement de la carte de stationnement (dont, me précise-t-il, il se moque totalement). Je râle. Parce qu'en outre, Monsieur A est venu pour le "renouvellement" de son ordonnance, "Vite fait". Je prends mon ton docte pendant que le malade se met à pleurer car il ne touche plus depuis novembre ses indemnités adulte handicapé et qu'heureusement que sa femme, qui est elle aussi handicapée, touche également une pension, car sinon, "ils n'auraient plus de sous" et je lui dis qu'aujourd'hui je vais recopier ce putain de dossier (que j'avais fait photocopier et que je dois aller rechercher dans le dossier papier), c'est moi qui parle, et qu'il prendra un rendez-vous pour le prétendu renouvellement d'ordonnance...

8 heures 46
Madame B vient avec son petit-fils C.
Parce qu'il tousse.
Elle a rendez-vous pour elle.
"Vous pouvez nous prendre tous les deux ?
- Non. Il faut choisir.
- Examinez-le."
Le gamin (de 9 ans) que je vois épisodiquement car il est rarement malade n'a pas grand chose. Je l'examine calmement et je manifeste mon énervement à l'égard de la maman que j'avais déjà prévenue.
Mais la grand-mère me tend un papier où il est écrit, de la main de la mère, "SVP, dépakine pour l'enfant (et pour son frère plus âgé et également épileptique), un certificat pour l'école et bla bla bla."
La mère, je la connais depuis qu'elle est gamine. Je l'ai engueulée l'autre jour car elle voulait un rendez-vous tout de suite (il n'y avait pas de place ce jour là) et qu'il fallait la dépakine pour ses enfants qui n'en auraient plus le lendemain. "Le pharmacien peut te dépanner - Oui mais non il va donner un générique..." Je lui ai quand même fait une ordonnance entre deux.
Il est 8 heures 58.
La grand-mère me dit : "A moi."
Je dis non.
"J'irai voir ailleurs. - Ok."
Elle passe devant la salle d'attente où attendent les deux rendez-vous suivants. "Ah, ben, vous n'avez que deux personnes..."

9 heures 1
Monsieur et Madame D (qui ont pris deux rendez-vous).
Monsieur D, 72 ans, a été opéré "du cœur" et j'ai des difficultés d'équilibration avec previscan. Je fais une incise : Pourquoi les cardiologues français ne prescrivent-ils pas de la coumadine ? Pourquoi ? Cela ne peut être un intérêt financier avec une boîte de 30 comprimés qui coûte 3,85 euro ! Mystère de chez mystère.
Monsieur A a été opéré dans une clinique privée et tout s'est bien passé. 
Il y a juste un truc qui me titille chez cet homme de 69 ans : il me demande une ordonnance pour doser les PSA. On lui a dit, à la clinique, et après qu'il a eu des difficultés à pisser après la levée de sonde, qu'il fallait doser le PSA pour savoir.
Je m'emmerde donc à expliquer l'inexplicable. Est-ce la faute de la CPAM, des Mutuelles, des ARS ou de la khonnerie des cardiologues qui font de l'urologie ou des urologues ? 
Je ne prescris pas de PSA.

9 heures 15
Madame D, 71 ans, vient pour un "renouvellement". Quelques douleurs ici ou là (arthrose) et un peu de paracetamol et de tramadol.
Son problème, c'est quand même sa cheville droite.
Elle est allée voir un médecin généraliste mésothérapeute (après que je lui ai dit qu'il était urgent d'attendre et que la kinésithérapie comme on lui avait pratiqué était de la daube et après qu'elle n'eut pas suivi mes "conseils" d'auto kinésithérapie de renforcement de l'articulation) qui lui a fait 9 séances et qui, désormais, lui demande de faire une IRM.
Je garde mon calme. Finalement : je n'en ai rien à cirer. Qu'elle se débrouille. Elle a vu un mésothérapeute à 35 euro la séance, OK. j'en ai assez de lutter contre ces khonneries. Il est possible que le remboursement par les complémentaires favorise le passage chez le mésothérapeute...  On est quand même dans un cas de hors parcours de soins. Aurais-je dû dire à la patiente (que je connais depuis des lustres) : "Allez vous faire voir ailleurs ?" Je ne l'ai pas fait.
Au revoir Madame, au revoir Monsieur.

9 heures 32
Madame E, 68 ans, viens de se faire déboucher les carotides gauches dans une clinique privée, centre d'excellence du département, au décours d'un AVC. tout s'est bien passé. J'ai reçu en temps et en heures le compte rendu, le chirurgien m'a même appelé au décours de l'intervention. Elle vient pour que je "renouvelle" l'ordonnace d'un mois qu'elle a eue à la sortie ("montrer au médecin traitant" est  manuscrit sur l'ordonnance tapuscrite).
Voici le traitement : pradaxa, exforge, crestor.
Donc, voilà, je suis en face d'une ordonnance qui ne me convient pas. Elle vient d'être, brillamment, opérée par un chirurgien en qui j'ai confiance et la prescription de sortie est WTF.
Que dois-je faire ?
J'ai renoncé pour de multiples raisons et je sais que je ne suis pas à approuver.
Mais je vais appeler le chirurgien. Promis.

Ras le bol.

Heureusement que j'ai pu noyer mon découragement dans une abondance malsaine de travail (36 C et 1 V). J'ai quitté le cabinet à 19 heures 30 sans avoir sauvé (mon associée était encore là).

La partie est perdue, mes amis.

Aux dernières nouvelles la grand-mère qui devait aller voir ailleurs a pris rendez-vous pour la fin de la semaine. Je serai cool.

mardi 6 janvier 2015

Bonne année 2015


L'année 2015 sera un tournant pour les médecins généralistes. Si la courbe des nouvelles installations ne s'améliore pas il semble clair que la partie sera finie.

Je voudrais fournir quelques données (que vous connaissez déjà) et explorer quelques pistes (que nous avons déjà évoquées) qui expliquent le déclin actuel --mais qui pourrait devenir inéluctable-- de la médecine générale telle qu'elle est pratiquée et de la médecine plus généralement.

Je parle ici des sociétés hyper "développées".

La médicalisation de la vie est sur le point d'être achevée.
Il n'existe plus un espace de notre vie (et de notre mort, et de notre conception) qui ne soit abordé sous l'angle de la médecine. La société, après avoir exigé d'être "soignée", exige désormais d'être en "bonne santé" selon la sotte définition de l'OMS (La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité) datant de 1946 et elle ajoute : peu en importent les moyens et peu en importe le coût. Il est amusant de lire cette définition de l'OMS à la fois comme une déclaration de "gauche" dans le sens du droit à la santé pour tous (la santé n'a pas de prix) et comme une déclaration néo libérale qui conduit aujourd'hui à l'utilisation du corps humain, et notamment celui des femmes, et au développement du Quantified Self grâce aux applis de santé.



Le "triomphe" de la médecine ou l'aveuglement des médecins.
Les médecins pensent sincèrement avoir permis l'amélioration constante de l'espérance de vie, et maintenant de l'espérance de vie en bonne santé, mais un certain nombre d'éléments indiquent que ce sont plus les progrès de l'hygiène et des conduites individuelles qui ont permis la fantastique courbe que voici (source INED). Il est normal que la société les croit et leur demande encore plus.


La négation du rôle de l'hygiène et des conditions de vie comme le triomphe du marché des soins payants. 
Mais si le rôle de l'hygiène est évident dans le cas de la rougeole :

Il est moins évident dans le cas de la diphtérie.


Ces courbes sont tirées du livre de Thomas McKeown : The Role of Medicine: Dream, Mirage or Nemesis ? (1979) que j'ai reprises sur le blog de Doctor Skeptic (LA).

L'arrogance de la médecine comme moyen de ne plus parler des inégalités sociales.
Puisque la médecine peut "tout", pourquoi parler des conditions de vie, pourquoi parler de pénibilité du travail, pourquoi prévenir les risques évitables, pourquoi prévenir les addictions, et cetera ? L'accessibilité aux soins est un plafond de verre : seuls les riches éduqués sont placés au dessus.

Espérance de vie à 35 ans selon le sexe et la catégorie socio-professionnelle.
Une femme cadre a une espérnce de vie de 51,7 ans à 35 ans.


Les médecins désormais sommés de se mettre à la disposition de la société.
Après avoir été les vedettes de l'amélioration constante de l'espérance de vie et, désormais, de l'espérance de vie en bonne santé, les médecins sont devenus pour la plupart les victimes consentantes de cette obligation sociétale. La société impose moralement aux médecins de s'impliquer dans des domaines de la vie devenus médicalisés : rappelons ici que l'IVG par aspiration n'a pas été "inventée" par un médecin, que la procréation médicalement assistée peut ne pas être médicale, que les peines de coeur sont désormais psychiatrisées à l'instar des "maladies" psychiatriques décrites de façon exhaustive dans le DSM, et que la mort (fin de vie et euthanasie) devient un impératif où les médecins doivent s'impliquer. (on apprend aujourd'hui que la Belgique autorise l'euthanasie d'un détenu qui s'estime incurable : on va sommer un médecin de pousser la seringue. Voir LA)

Sainsbury's GP surgery programme in supermarket



L'ère de la consommation médicale.
Nous sommes définivement entrés dans l'ère consumériste, c'est à dire que les médecins (pas tous) qui refusaient l'EBM car ils n'acceptaient pas les valeurs et préférences des patients sont confrontés maintenant à des demandeurs de soins qui, informés par le café du commerce de l'internet (et ce n'est pas péjoratif), veulent tel médicament, exigent tel examen complémentaire, imposent tel spécialiste d'organe ou telle clinique ou tel hôpital. Ce consumérisme est fondé sur la traduction française du self néolibéral rawlsien états-unien, à savoir "Je fais ce que je veux et vous m'emmerdez". Et il faudra être un médecin compliant pour survivre, un médecin dépensier, un médecin béni-oui-oui, un médecin qui rapporte (car l'autre volet de la consommation, c'est celui qui est en face du consommateur, le pourvoyeur de soins, car le médecin qui travaille en clinique, pour survivre, pour payer ses redevances, il doit bosser et fermer sa gueule, sur diagnostiquer et sur traiter, pas tous, bien entendu) et dans ce système consumériste le médecin sera (est déjà) pieds et poing liés à l'adminitration fiscale, à big pharma et à big matériel.




L'Evidence Based Medicine mise au service de big pharma.
L'évidence de l'intérêt de l'Evidence Based Medicine n'a pas été comprise car ce qui gênait les médecins était que l'on pût d'une part leur imposer des données scientifiques qui ne correspondaient pas à leurs pratiques intuitives et d'autre part leur imposer l'irruption du patient pensant et réfléchissant dans leur cabinet de consultation. Cette incompréhension a permis à big pharma d'identifier l'Evidence Based Medicine aux seules études contrôlées, études réalisées par big pharma, études permettant par l'élévation constante de leurs coûts de mettre hors jeu les essais publics ou faits directement par les autorités académiques, de corrompre les investigateurs et de demander des prix de remboursement des médicaments de plus en plus élevés.



Le paradigme de l'oncologie.
L'oncologie est devenue le premier levier de croisssance (avec la vaccinologie) de big pharma. Au delà des succès réels de la spécialité dans certains domaines (hématologie, cancer du testicule, cancer de l'ovaire, et cetera) l'oncologie, se fondant sur la vulgate de l'Eglise de Dépistologie, sur les bons sentiments (tout faire pour sauver une vie) et sur la crédulité de la société et des médecins a réussi l'exploit incroyable de protocoliser le cancer (l'objectif étant, selon un tsar de la cancérologie, d'inclure tous les patients dans des essais), de privatiser la recherche, d'obtenir des prix délirants pour 71 produits ( parfois dangereux) permettant d'allonger l'espérance de vie de 2,1 mois (ICI) au prix de 10 000 dollars par traitement.

Le lobby santeo-industriel.
Nous en avons tant parlé de la corruption de l'Etat, de l'Université, des centres de recherche et du fait que les conférences de consensus sont totalement infiltrées par les intérêts de big pharma, de big matériel et de l'industrie agro-alimentaire.

Est-il possible de faire une autre médecine ?
Je m'arrête là.
Malgré tous nos défauts, il me paraît que ce sont les médecins généralistes aidés de leurs correspondants favoris qui sauveront le système et pourront lutter contre les pratiques délirantes que sont la dépistologie sauvage, la prescription indue d'examens complémentaires inutiles, de médicaments "nouveaux", chers, mal évalués et parfois dangereux et sont les seuls, de par leur "ignorance" et de son acceptation, de gérer l'incertitude, les symptômes qui ne font pas maladie, les maladies construites comme les patients qui consultent car ils font grève de la société, grève de leur milieu professionnel, grève de leur couple, grève de leurs enfants, grève de leurs voisins, grève de leurs amis. Et qui ne sont pas "malades" pour un sou.
Je vous ai jadis proposé la Sécession (LA). Possible ?



Je suis fier d'être médecin généraliste (mais pas celui là).


dimanche 21 décembre 2014

Tiers Payant Intégral Généralisé expliqué aux patients : l'UFML, trop c'est trop d'arrogance médicale !


Je vous ai expliqué pourquoi j'étais contre le Tiers Payant Intégral Généralisé et que les raisons essentielles en étaient le surcroît de travail administratif et l'éventuelle baisse de revenus que cela pourrait entraîner (voir LA).

Je viens, après diffusion par mon ophtalmologiste favori dont vous pouvez consulter le blog ICI, de voir une vidéo de l'UFMLASSO sur le Tiers Payant Généralisé Intégral intitulée (sic) "Le tiers payant généralisé expliqué aux patients..."

Les associations de patients, les porte-paroles des associations de patients, surtout celles qui sont inféodées à big pharma ou aux agences de communication ou aux applis santé, voire aux instances gouvernementales, m'accusent de ne pas les entendre et... me boycottent (ce qui me fait doucement marrer). Eh bien, elles devraient réagir, car, que l'on puisse encore intituler quelque chose "bla bla bla expliqué aux patients", cela me rend songeur. Je pense à cet éternelle arrogance médicale, ce paternalisme rampant, cette façon intemporelle de prendre les patients (et ici les citoyens) pour des khons, et notamment, là, sur un sujet économique, en ricanant aussi bruyamment que dans cette video à 7.19 (7 minutes et 19 secondes), car dire que des médecins, s'ils vont faire grève pendant huit jours en fermant leur cabinet et en n'assurant pas les urgences, c'est dans l'intérêt bien compris de leurs patients, cela me donne des fourmis dans les poings.

Nul doute qu'à l'UFML on soutienne l'Education thérapeutique, l'entretien motivationnel et autres moyens modernes pour convaincre les patients de se mettre dans le droit chemin (on me murmure dans l'oreillette que certains médecins ont une vision saine de ces choses et ne les utilisent que dans l'intérêt du patient, dont acte, mais je pense que la majorité de ceux qui détournent ces techniques le font pour asseoir leur autorité et le suivi de leurs prescriptions justes et pleines de tact) mais cette technique du "La culture des olives en basse Provence expliquée aux patients" mériterait que leurs auteurs publiassent dans un journal avec comité de lecture...

Je vous laisse donc voir cette video et écouter la voix doucereuse et mielleuse du récitant (François-Marie Pradeille).

ICI.

Un peu de commentaires après ces 7 minutes et 39 secondes de paternalisme gnan gnan ?

J'ajoute que j'aurais tellement aimé, je ne sais pas si le verbe est le mieux choisi, pouvoir faire la grève, mais comme je vous l'ai dit, pas cette grève, 

0.03 Bescherelle pour Md. Touraine

0.20 "Etonnamment, les Français semblent séduits par cette idée (i.e. le Tiers Payant)..." Traduction par moi : "Les Français sont des khons ou des veaux" et ne comprennent rien à la problématique des médecins qui sauvent le monde et qui demandent plus de liberté (notamment tarifaire) pour mieux soigner.

0.28 Le récitant annonce aux patients : "On vous prend pour des imbéciles" en vous disant que cela va être gratuit. Et le récitant de comparer la consultation médicale à un plein d'essence et / ou à une baguette de pain, et par la même occasion les médecins aux pompistes et / ou aux boulangers, ce qui montre la forte estime que l'UFML (ou son truchement) a d'elle-même et de la profession médicale alors que ses défenseurs théoriques devraient au contraire se valoriser et la valoriser, la profession. Nul doute que je vais avoir droit au commentaire suivant : pompiste et boulanger sont deux professions respectables. Ce à quoi je répondrai : combien de médecins conseillent-ils à leurs enfants d'être pompistes ou boulangers ?

0.40 : Chapitre victimisation : "Le médecin a des bouches à nourrir". C'est la complainte des malheureux docteurs... Car tout le monde sait en ce pays que les plus pauvres, ce sont les médecins, enfin, les plus pauvres des diplômés, parmi ceux qui ont fait Polytechnique ou HEC, ceux qui travaillent le plus, et que pour revaloriser notre métier la pitié sera certainement un moyen très efficace. Comme on dit : "Il vaut mieux faire envie que pitié." Cette tendance à la victimisation est un des travers de la "modernité", il y a même une compétition victimaire. Il n'est pas de jour où les enseignants, les policiers, les médecins et... les employés de Orange (dont on a montré qu'ils ne se suicidaient pas plus que les autres) ne revendiquent le titre de profession des suicidés...

0.56 Le schéma est faux et, surtout, n'annonce pas, avec la fin du paiement, la fin des franchises.

1.22 Pas un mot des citoyens sans mutuelles (argument pourtant utilisé quelques secondes après).

1.40 Le problème de l'obstacle financier. Le récitant s'appuie sur une étude de l'IGAS, organisme honni par l'UFML (il suffit de lire son site), qu'il utilise quand cela arrange les arguments de la dite UFML, qui prétend qu'en deçà de 50 euro l'acte médical il n'y a pas d'obstacle à l'accès aux soins... Dont acte. Mais, et il y a un gros mais, l'étude compare la C du MG (j'imagine) à des soins dentaires et des lunettes (et / ou lentilles), ce qui, on ne peut que le constater, est tout à fait différent. Le récitant oublie de parler des prescriptions secondaires (examens complémentaires) qui peuvent être remises pour cause d'avance de frais à faire par le patient, même pour ceux qui cotisent à une mutuelle. Là où le récitant ment également par omission, c'est qu'il ne parle pas, justement, des consultations supérieures à 50 euro, pas seulement les grands docteurs hospitaliers mais les pédiatres en secteur 2 ou les cardiologues ou les ophtalmologistes ou les dermatologues ou... ou... ou. Parce que cette vidéo est faite pour convaincre les MG de faire la grève pour les spécialistes d'organes... Le monde de l'UFML est ainsi fait : d'un côté les assurés pauvres qui ont droit à la CMU ou à la CMU-c et pour qui c'est, comme ils disent, "open bar" ou "all inclusive", et de l'autre les cotisants de mutuelles pour lesquels c'est pareil mais avec des honoraires libres et pleins de tact.

2.10 "Les délais d'attente pour une consultation sont liés aux gouvernements successifs et au numerus clausus" Que l'histoire est belle quand on la refait... Pas un mot des syndicats médicaux, pas un mot des experts successifs en santé publique qui étaient pour (à ce sujet lire Claude Got sur la question : ICI), non, tout est dû aux gouvernements (i.e. de gauche et de droite, j'imagine l'establishment si cher au FN...) et surtout pas aux médecins, pas aux syndicats médicaux et pas à l'Académie de Médecine. Mais surtout le récitant oublie de dire que c'est le tout médical et le consumérisme qui paralysent le système, c'est normal il parle aux patients, il ne peut pas leur dire qu'ils sont aussi responsables en allant aux urgences pour une pharyngite ou chez leur médecin traitant pour un rhume. Il ne leur dit pas non plus, il réserve cela aux vidéos pour les médecins, que le tiers payant va entraîner, non une inflation d'actes, mais une surfacturation de ces actes !

2.20 On repart sur l'IGAS, devenu comme par magie le nec plus ultra de la réflexion libérale, et on apprend que 35 % des actes sont déjà réalisés en tiers payant. Bigre ! Trente-cinq pour cent d'actes bradés ? Déjà ? Et qu'en Italie et au Portugal la C de médecine générale va de 90 à 100 euro (source Le Figaro, journal scientifique de référence, à moins que cela ne soit pour la coupe de cheveux). Mon expérience interne du Portugal est plus contrastée : il y a des dispensaires pour les pauvres et des cliniques privées pour les riches... et, entre les deux des C un peu plus élevées qu'en France dans un pays où le smic est à 565 euro par mois...

2.38 Le récitant dit alors que les médecins peuvent déjà accorder un tiers payant partiel de 6,90 (hors Alsace Moselle, je précise), le prix d'un paquet de cigarettes, ajoute-t-il avec un ton sarcastique en notant "que bien sûr  personne ne peut se payer cela en France". Quel mépris ! encore un libéral qui dit aux pauvres quels doivent être leurs choix de vie...

3.24 A partir de là le récitant dit qu'il n'est pas anormal que les prescriptions, pas leurs consultations, des médecins puissent être soumises au tiers payant généralisé. Les autres professionnels de santé apprécieront, pharmaciens, kinésithérapeutes, orthophonistes, orthoptistes, podologues...

4.00 Le récitant assure alors que le paiement du médecin par l'assurance maladie et les mutuelles va le rendre non libre. Et de prédire l'apocalypse... sans parler des honoraires libres qui, selon les lois du marché, vont s'auto réguler grâce au tact et à la mesure de notre ami qui rêve sans doute de C à 100 euro (si les C atteignaient les 50 euro, par exemple, je devrais quand même penser à téléphoner à Cahuzac pour lui demander des conseils de placements défiscalisés)

Vers 4.16 nous avons droit à la démagogie la plus pure avec une image gratinée censant illustrer la phrase  "le malade acceptant le tiers payant qui vend peu ou prou son droit d'aînesse pour un plat de lentilles", l'image d'un négrier faisant frapper ses esclaves nègres par d'autres esclaves nègres (les fantasmes de l'UFML sont très "signifiants"), sans doute des kapos, le patient perdant son indépendance (ce qu'il a perdu à 35 % déjà, voir plus haut, c'est à dire que le médecin généraliste prescrit libre pour les "riches" et mal chez les pauvres dans la même journée, encore de l'inconscient où je ne m'y connais pas) et cela, je cite "pour 23 euro, la moitié du prix d'un toilettage pour chien". Je crois, et je pèse mes mots, que le récitant, et ceux qui parlent par sa bouche, ont un gros gros problème de self et que le reste de leurs problèmes vient de leur inadéquation entre ce qu'ils pensent d'eux, ce qu'ils voulaient être, l'image qu'ils se renvoient d'eux-mêmes et l'image qu'ils ont vraiment dans la société. Un médecin généraliste comme le récitant aurait besoin d'un manuel de survie freudien en monde hostile pour ne pas dire des choses aussi lourdes de sens...

4.49 Nous entrons dans le sublime : l'UFML, sans doute dans une poussée de gauchisme dont même les dirigeants de clinique ne la sentaient pas capable, s'inspirent d'une étude menée par un cabinet  de conseil (Richard Bouton, cela ne rappelle rien à personne ?) sur les centres de santé de la mairie de Paris où le coût du tiers payant est estimé à 4,88 euro... par acte. Mais le récitant, qui fait partie du choeur des vierges libérales, ne nous dit rien du fonctionnement d'un centre de santé, du nombre d'employés non médecins, et cetera, par rapport à un cabinet dit libéral de ville... Pourquoi ne nous dit-il pas que d'ores et déjà, puisque 35 % des actes sont déjà "gratuits", la consultation est à 18,10 euro pour les médecins pratiquant déjà le tiers payant... De qui se moque-t-il ?

5.32 Et nous voici donc repartis dans des coûts encore plus pharamineux... avec des statistiques de l'ARS, encore une amie de l'UFML, et nous en sommes, allons-y à la louche, à "4 à 9 euro par acte" pour le tiers payant. Qui dit mieux ?

6.0 "Perte de 28,5 % de ses revenus", bing "hors coût informatique". Sont pas informatisés à l'UFML ?

6.53 : Voici la vraie nature de Bernadette : l'UFML se moque de la "philosophie sociale", rires gras à partir de 7.19... 

Et enfin le récitant cite Desproges et Devos et là j'hésite sur le signifiant du signifié (à moins que cela ne soit l'inverse).

Il y a comme un malaise.

Bon, c'est mon dernier billet avant la grève.

Je pars en vacances pour ne pas faire le jaune (mais c'était prévu), je suis remplacé, et je ne fais pas comme certains collègues qui ont affiché Grève sur leur porte de cabinet dès la semaine dernière alors qu'ils partaient déjà en vacances.

Su quelqu'un veut discuter avec moi, et d'autres, de l'avenir de la profession, la médecine générale, il y a 759 billets à lire sur le site.

Je retravaille le lundi 29 et j'enverrai les patients des cabinets grévistes non à l'hôpital, on ne peut à la fois critiquer les urgences et leur envoyer des patients non urgents, mais à l'antenne locale de l'UFML, si je la trouve (voir ICI les deux représentants de l'UFML sur les Yvelines, un MG et une esthéticienne MG) ou aux syndicalistes grévistes pas en vacances.

Bonne grève.

Illustration ICI


mardi 16 décembre 2014

J'aurais pu faire grève du 23 au 31 décembre. Deuxième épisode (Je ne ferai pas grève du 23 au 31 décembre).


Je vous ai expliqué pourquoi je ne ferai pas grève entre le 23 (ou le 24) et le 31 décembre (ICI).

Je vais vous donner au moins une raison pour laquelle j'aurais pu faire grève, mais pas ce genre de grève avec fermeture des cabinets sans personne à l'intérieur pour expliquer le pourquoi du comment, sans rassemblements dans la rue, sans pédagogie institutionnelle, sans dénonciation des deux plaies de la médecine, corruption et arrogance, sans défense de la médecine générale, mais surtout : sans programmes de remplacement. Je rappelle quand même que que les organisations grévistes et leur mentor caché ou présent, l'Union Française pour une Médecine Libre, dont nous avons déjà parlé sur ce blog (ICI et LA), ne sont quand même pas très clairs sur ce qu'ils veulent à défaut d'être précis sur ce qu'ils condamnent (les Agences régionales de Santé, la liberté des honoraires, la liberté de prescription -- crestor et inegy par exemple, les cliniques et hôpitaux privés et leurs dépassements -- avec mention spéciale pour les urgences et la cancérologie, tiens, tiens, le mode de nomination des PH, le secteur privé à l'hôpital public, et, en dernier lieu, la défense des patients) et on entend moins parler de la consultation portée immédiatement à 50 euro, de la condamnation des mutuelles suppôts du capitalisme international, de la lutte contre les déserts médicaux ou de la place du médecin généraliste dans le parcours de soins. Voir LA. Pour ce qui est des syndicats traditionnels, le communiqué du 27 novembre 2014 est assez (!) décevant : voir LA, un catalogue peu convaincant qui montre le blocage des propositions.


Voici donc une des raisons essentielles pour laquelle j'aurais pu faire grève :

Le Tiers Payant Intégral Généralisé.

Préambule : le Tiers Payant Intégral existe déjà chez les médecins pour une partie de la population qui en bénéficie de façon temporaire et sous condition : les 210 000 bénéficiaires de l'Aide Médicale d'Etat (AME) (voir ICI), les 6 664 000 bénéficiaires de la Couverture Maladie Universelle (CMU et CMU-C), les vicitimes d'Accident de travail (AT) ou de maladie professionnelle (MP) pour des soins en rapport avec l'AT ou la MP et durant la période d'ouverture de leurs droits, les patients bénéficiaires d'une invalidité (LA), les patients bénéficiaires d'une Affection de Longue Durée...

Qu'en est-il ? Disons que, grosso modo, et en médecine générale, pour le reste je n'en sais rien, ça marche. Sauf, bien entendu, si les droits des patients ne sont pas ou plus à jour (les responsabilités sont partagées : patients, caisses, et, accessoirement, médecins). Et il est évident que pour des C à 23 euro les conséquences financières ne sont pas les mêmes que dans le cas  d'examens complémentaires onéreux.

N'oublions pas non plus que le Tiers Payant Intégral existe chez les pharmaciens quand les assurés sont à jour de leurs cotisations pour la délivrance des médicaments (une nombreuse littérature existe sur le sujet concernant la charge financière qu'entraîne cette mesure pour assurer le recouvrement et cette charge n'est pas concevable pour les entreprises artisanales que sont les cabinets de médecine générale). Mais aussi chez les IDE et les kinésithérapeutes.

Addendum : Que ceux qui n'ont pas connu l'époque d'avant la CMU écoutent : la facilitation du Tiers Payant Intégral Généralisé par l'introduction de la CMU a été un formidable progrès ! Des gens qui ne consultaient jamais, des enfants qu'on ne voyait pas, même pour  des rhumes, sont réapparus dans les radars.

PS : Quand je vois des anciens partisans militants de l'Option Médecin Référent (dont je fus un tiède adhérent en pratique) refuser aujourd'hui le Tiers Payant Intégral Généralisé et faire grève avec les fossoyeurs de cette option (et, bien plus, ses ennemis méprisants comme le SML ou la CSMF), j'ai le loisir de pleurer, de ricaner, de rire ou de m'attrister. Les quatre en même temps, sans doute.

Je suis contre le Tiers Payant Intégral Généralisé pour des raisons pratiques.

L'entreprise artisanale qui s'appelle cabinet médical a comme objectif essentiel de dispenser des conseils et des soins. Toutes les tâches administratives, dont je ne nie pas l'utilité pour des raisons réglementaires, viennent en plus et, le temps n'étant pas extensible, viennent en moins de notre activité de soins et de conseils.

Ainsi, je n'accepterais le Tiers Payant Intégral Généralisé que s'il existait un payeur unique, l'Assurance Maladie par exemple, qui me règlerait le prix des différents C et qui se chargerait du recouvrement auprès des Mutuelles.

Cela signifierait qu'il existerait sans doute comme aujourd'hui des délais entre la réalisation de l'acte, sa facturation et son paiement, et... des impayés (très rares et beaucoup plus rares que les patients qui ne paient pas l'AMC), mais ce qui me permettrait de n'avoir qu'un interlocuteur pour mes réclamations et non, comme proposé actuellement, des centaines de mutuelles possibles. (Des salariés de la CNAM m'ont assuré que le guichet unique était la seule solution pratique car eux-mêmes avaient du mal avec le recouvrement auprès des mutuelles ; une salariée du Trésor Public m'a affirmé qu'à Mantes le recouvrement des impayés à l'hôpital de Mantes par la puissance publique demandait d'énormes efforts avec des résultats assez peu convaincants)

L'autre aspect, et non le moindre, est celui du coût de ces mesures, que certains (UFML) valorisent à 3,5 euro par acte. Inacceptable.

Mais il est possible (voir plus haut) que le Tiers Payant Intégral facilite l'accès aux soins d'une certaine partie de la population. Ce qui n'est pas rien. Pas tant pour les consultations de médecine générale que chez les spécialistes libéraux d'organes ou pour effectuer des examens complémentaires où l'avance de frais est demandée tant à l'hôpital public (où le secteur privé prend de plus en plus de place dans l'imagerie) qu'à l'hôpital privé. 


Existe-t-il d'autres raisons que pratiques de refuser le Tiers Payant Intégral Généralisé ? Venons-en aux objections les plus fréquentes le concernant et élargissons le champ de nos interrogations.

Le Tiers Payant Intégral Généralisé rendrait le coût des soins invisible. 

Cet argument est à la fois vrai et discutable. 

Vrai, car il est toujours bon de connaître le coût d'un service ou d'un achat. Mais la situation actuelle fait que ce sont déjà les patients qui coûtent le plus cher à l'Assurance Maladie (i.e. ceux qui disposent de l'ALD par exemple) qui ne paient rien directement et qui, sondage personnel, en les interrogeant, ne sont pas au courant des dépenses que leur maladie engendre. 

Vrai, car il est clair que certains examens complémentaires sont demandés de façon routinière sans justification médicale évidente. Mais nous y reviendrons.

Vrai, car les prescripteurs, accessoirement les médecins, sont rarement au courant des coûts qu'ils génèrent en rapport avec leurs prescriptions, sauf, bien entendu s'ils en sont personnellement les bénéficiaires.

Discutable, car pour les personnes "aisées" le coût des soins est déjà invisible : les citoyens et  patients qui disposent d'une "bonne" mutuelle comme ils disent, soit ne paient déjà rien, soit sont remboursés intégralement et l'avance des frais est pour eux indolore.

Discutable, car s'il est effectivement possible d’avancer que le fait que connaître le prix des choses leur en donne de la valeur, on peut dire qu'à l’inverse l’excès de prix (relatif) de certaines choses ou de biens interdit leur accès ou leur possession à certains membres de la société (par hypothèse : ceux qui ont le moins d’argent).

Discutable, car le Tiers Payant Intégral Généralisé, va au contraire rendre visible le reste à charge puisque les patients ne paieront plus que les dépassements d'honoraires, ce qui permettra aux praticiens en secteur 2 d'être transparents et, éventuellement, d'augmenter leurs dépassements qui seront plus acceptables, dépouillés qu'ils seront de la part obligatoire.

Le Tiers Payant Intégral Généralisé ferait perdre aux patients le sens de la valeur des actes médicaux et la consultation médicale, c'est à dire l’acte médical de base, en devenant gratuit, se banaliserait.

La valeur de la consultation, ce sont les médecins qui la crée ou la constitue, c'est ce qu'ils font dans leur cabinet qui donne un contenu aux 23 euros qu'ils demandent (ou qu'ils ne demandent déjà plus). Et ce n'est pas seulement la technique qui entre en jeu mais la façon d'appréhender les symptômes et éventuellement les maladies.

Les patients ne s'y trompent pas : ils savent ce qu'ils peuvent demander à tel praticien et ce qu'ils ne peuvent pas demander à tel autre. Ce sont les médecins dans leur ensemble qui ont "valorisé" leurs actes ou "dévalorisé" leurs actes.

Il est clair qu'en cette période de suractivité des cabinets médicaux, le temps d'attente pour obtenir une consultation s'allongeant, la "gratuité" ne sera pas un facteur freinateur.

Mais si nous parlons de la valeur des actes, il faudrait dire que les actes pratiqués dans les services d'urgence des hôpitaux, sauver des vies par exemple, n'ont aucune valeur puisque les patients "ne paient rien" immédiatement (même si, en l'occurrence, la société paie beaucoup : 250 euro pour une angine...).

Il est possible que cela pourrait avoir tendance à favoriser le consumérisme médical et les consultations "inutiles" ou de confort ou pour obtenir quelque chose. Mais là nous entrons dans un domaine complexe, celui de la nécessité des actes médicaux.

En revanche, la banalisation gratuite des actes inutiles et discutables existe déjà en raison de cette "gratuité" à l'intérieur des établissements de soins, qu'ils soient publics ou privés... Nous y reviendrons.


Le Tiers Payant Intégral Généralisé rendrait le médecin dépendant de son payeur, à savoir l'Assurance Maladie, quasiment un salarié, et sans les avantages du salariat.

Cet argument est assez spécieux pour un médecin généraliste en secteur 1. Car ne sommes-nous pas déjà dépendants de l'Assurance Maladie ? Comment pouvons-nous y échapper ? Nous dépendons de la solvabilité de nos patients. Notre dépendance à l'égard de notre payeur va en revanche se compliquer puisque nous allons dépendre des mutuelles pour la part AMC (voir plus haut pour les raisons de mon refus du Tiers payant Généralisé et pour la solution proposée).

Reste également le problème du paiement à l'acte et de son corollaire, le ROSP. J'ai expliqué pourquoi, malgré des réticences majeures, j'ai accepté le ROSP (voir ICI). Il est probable qu'un certain nombre de médecins, au delà des problèmes éthiques et idéologiques (voir Dominique Dupagne ICI), l'ont accepté comme complément d'honoraires (ce qui, pour moi, représente environ 4 % de mon CA). Ce ROSP est certainement l'un des dangers majeurs contre l'indépendance des médecins (les spécialistes d'organes qui sont des donneurs de leçons patentés n'ont eu de cesse que de l'obtenir dans chacune de leurs spécialités) si son importance croît dans la part du CA des médecins. ce qui ne semble pas être à l'ordre du jour.


Le Tiers Payant Intégral Généralisé rendrait le médecin dépendant des mutuelles.

Je ne reviens pas sur mon opposition au fait que la part AMC de nos actes nous soit réglé par les mutuelles et que nous devrions traiter avec des centaines de mutuelles pour obtenir satisfaction.

Un article récent de blog sur Mediapart ICI, bourré d'erreurs factuelles (comme si la CMU était financée par l'Assurance Maladie, voir LA) et, de façon démagogique, orienté uniquement sur la consultation du médecin généraliste alors qu'il s'agit d'une part faible du dispositif, m'a ouvert un horizon qui, je l'avoue, m'avait échappé : le Tiers Payant Généralisé Intégral serait une manœuvre gouvernementale pour privatiser complètement la santé en France. Il suffirait que la part AMO diminue pour que les mutuelles augmentent leur participation et deviennent le rembourseur principal et contrôlent la situation. Il est possible que cela soit vrai mais la menace ne me semble pas forte pour des raisons politiques. Mais, bien entendu, un autre aspect du plan santé est la réticulation des soins (et vous savez combien je suis opposé aux réseaux : LA) qui seraient sous la coupe des ARS et des mutuelles.

Mais, si je peux me permettre, et je ne crois pas l'avoir lu, voici trois conséquences inattendues ou collatérales de la mise en place du Tiers Payant Intégral Généralisé, la première sans doute voulue inconsciemment par les promoteurs du projet (le côté "socialiste" de l'affaire), la deuxième, plus menaçante pour l'exercice libéral mais favorable au néo libéralisme financier et la troisième, anecdotique, sans doute.

Le Tiers Payant intégral va rendre les dépassements du secteur 2 plus lisibles.

En effet, la somme payée en secteur 2 sera le dépassement d'honoraires. Le patient ne se posera plus de questions, quand il s'en posait, sur la valeur du dépassement demandé. Cette meilleure lisibilité permettra aussi aux praticiens d'augmenter facilement les honoraires du secteur 2. Quand les assurés, en outre, auront une "bonne" mutuelle, l'avance qu'ils feront leur sera complètement remboursée. A Mantes la C de base à 23 euro chez l'enfant de plus de 5 ans sera "gratuite" chez le médecin généraliste et "vaudra" 29 euro chez le pédiatre (tarif actuel = 52 euro). Ainsi, une mesure de lisibilité deviendra une possibilité de surfacturation.


Mais une des objections les plus fortes et qui n'est jamais mise en avant est celle-ci :

Le Tiers Payant Intégral Généralisé est le premier pas vers l'industrialisation complète de la médecine.

Car la mise en avant des honoraires payés aux praticiens est une astuce pour cacher le coût exorbitant des examens complémentaires, des "nouveaux" examens complémentaires "innovants" qui, tels les "nouveaux" médicaments "innovants", ne sont ni plus performants, pour certains, ni plus pertinents, pour d'autres, que les anciens, mais beaucoup plus chers et qui, surtout, sont prescrits à tort et à travers, notamment en urgentologie et en oncologie, sans que les médecins hiérarchisent selon des critères de sensibilité / spécificité très rationnels. Brigitte Dormont avait souligné dans un article paru dans Esprit (voir mon commentaire LA) que c'étaient les examens complémentaires qui coûtaient cher chez les personnes âgées, pas l'allongement de l'espérance de vie.
Ainsi le Tiers Payant Généralisé est-il l'assurance donné aux fabricants de matériel et aux administrateurs de cliniques (et d'hôpitaux, car le problème est le même) que les nouveaux scanners et autres IRM sur puissants (sic) pourront être vendus encore plus chers et rentabilisés en douceur par une inflation d'utilisation. J'ai déjà montré dans le billet précédent (LA) que les fonds de pension internationaux sont derrière, tant pour les mutuelles que pour les groupes d'hospitalisation privée, surfant sur la vague du Droit à la santé et du consumérisme (parce que je le vaux bien) pour "explorer" tout le monde et "diagnostiquer", c'est à dire sur diagnostiquer et sur traiter avec l'assentiment des agences gouvernementales et des conférences de consensus sponsorisées.
Les malades numérotés, diagnostiqués, protocolisés, étiquetés avec des bracelets aux couleurs chatoyantes, seront algorithmés et, tels du bétail, sans rien payer (enfin, il y aura encore l'impôt, et les cotisations de mutuelles), pourront être baladés d'un service à un autre, les fameux réseaux mutualistes approuvés par les ARS (mais ces réseaux existent déjà dans l'intimité des hôpitaux publics et privés -- le cabotage interne entre spécialistes de niveaux de compétence différents, et dans le copinage loco-régional des adressages au mépris des règles élémentaires de l'intérêt du malade), et "chargés" financièrement...  Les tâches considérées comme subalternes, mesurer la pression artérielle, vacciner les enfants, seront effectuées par des structures ad hoc et seront supervisées par les fonctionnaires de l'ARS qui diront la médecine sans les médecins...


Enfin, petit point dont je ne perçois pas les conséquences réelles :

Le Tiers Payant Intégral Généralisé va rendre les centres de santé inutiles et / ou les cabinets libéraux pluri disciplinaires inutiles.

Tout le monde sera logé à la même enseigne.

Dans un prochain billet, je vous parlerai des réseaux de soins et du fait que les médecins généralistes, encore une fois, sont les dindons de la farce, combien certaines spécialités ont des difficultés bien réelles et comment les ARS sont les relais de l'industrialisation de la médecine.

Ainsi aurais-je pu faire grève, mais pas cette grève, car j'ai d'autres raisons de mécontentement mais surtout celle-ci : la médecine générale est encore une fois la dernière roue du carrosse. Et j'interroge systématiquement mes patients sur ce qu'ils ressentent de ce qu'ils ont entendu et vu dans les medias sur les raisons de ce mouvement : c'est pathétique.

A suivre.

Crédit photographique : Grève des mineurs en GB (1984). The Guardian.


dimanche 7 décembre 2014

Je ne ferai pas grève du 23 au 31 décembre. Premier épisode.

Il n'y a de richesse que d'hommes

Je suis désolé mais je ne ferai pas grève entre le 23 et le 31 décembre 2014.

Avant que je ne continue vous avez le droit de me "traiter". Je peux vous fournir une liste d'adjectifs et vous avez même le droit au choix multiple. Mais j'ai une préférence : jaune briseur de grève.

Mais ne pensez pas que je sois ravi de mon sort de médecin généraliste.

Disons que je relativise.

Et que je suis médecin généraliste dans l'âme.

Je suis, certes, médecin, mais je suis avant tout médecin généraliste car je ne connais pas de plaisir plus intense que d'exercer la médecine générale.

Est-ce du corporatisme ?

Le médecin généraliste que je suis est avant tout un ignorant qui en sait moins sur le rein que le néphrologue (j'aime bien d'ailleurs lire Perruche en Automne), moins sur le coeur et les vaisseaux que le cardiologue (j'aime bien lire Grange Blanche qui a malheureusement fait une pause), moins sur l'oeil que Le rhinoceros regarde la lune, moins sur les poumons que Totomathon, ou sur la peau que La Boutonnologue, et je pourrais continuer presque à l'infini, l'infini des organes. Il est évident par ailleurs que les spécialistes qui ne blogguent pas et qui ne tweetent pas sont aussi valeureux que ceux que je viens de citer, les spécialistes d'organes à qui j'adresse des patients parce qu'ils partagent, pas tous, le choix n'est pas toujours possible, les mêmes valeurs et préférences que moi.

Les habitués de ce blog sont assez clairvoyants pour penser que je n'adresse pas un patient asthmatique chez un pneumologue parce qu'il a lu la triade Proust / Kundera / Roth, qu'il écoute régulièrement Don Juan / Jenufa / Turandot en n'omettant pas Coltrane / Don Cherry / Desmond,  et qu'il apprécie Klee / Carpaccio / Bacon, mais quand même s'il a lu Bachelard / Illich / McKeown, c'est quand même un plus.  Et s'il ne dit pas de mal de La Revue Prescrire pour des raisons sottes, ce n'est pas mal non plus.

Mais mon ignorance organique, loin de me déranger, me plaît : elle me permet de contempler l'infinie variété de mon métier et son insondable et vertigineuse diversité. Et elle me permet aussi de me réjouir de peu pratiquer des actes techniques et d'être avant tout un non manuel de la médecine.

S'il est de bon ton de dire que personne ne sait ce qu'est la médecine générale (j'ai publié là dessus) il est quand même évident que lorsque un ou plusieurs médecins généralistes qui ne se connaissaient pas auparavant se rencontrent au hasard d'une soirée ou pendant des vacances à la mer, au delà des différences individuelles, de leur appartenance ou non à un syndicat, de leurs opinions politiques ou confessionnelles, de la marque de leur maillot de bain, ils se reconnaissent immédiatement, ils savent immédiatement de quoi ils parlent, ils savent avec quoi ils se collettent tous les jours, qu'ils exercent dans les beaux quartiers ou dans les "quartiers", ils appartiennent au même monde anthropologique, ils ont en face d'eux les mêmes patients, les mêmes problèmes, les mêmes interrogations, et le même système qui est l'éléphant dans le cabinet de consultation, ils n'ont pas besoin de se présenter. Et cette intimité entre inconnus, cette proximité entre collègues, cela, aucun autre médecin (non généraliste) ne peut le ressentir.

Je voudrais dire aussi ceci : ceux qui font bouger les lignes depuis des années, ce ne sont pas les spécialistes d'organes, ce sont les médecins généralistes de base, ce sont les Christian Lehmann, les Dominique Dupagne, les Louis-Adrien Delarue, pour ne citer que les plus emblématiques (je suis en train de me faire des ennemis en ne citant pas les autres), qui ont dénoncé le fluor (pas les dentistes, pas les pédiatres), le dosage du PSA (pas les urologues), les frottis tous les ans (pas les gyn-obs), le dépistage organisé du cancer du sein (pas les radiologues, pas les gyn-obs, pas les oncologues), les anti Alzheimer (pas les neurologues, pas les gériatres), les glitazones (pas les diabétologues), les pilules de troisième et quatrième génération (pas les gynécologues, pas les dermatologues), la vaccination anti grippale et le tamiflu (pas les virologues, pas les infectiologues) et cetera, et cetera.

Disons que cette grève ne va pas servir la médecine générale et les médecins généralistes.

C'est mon corporatisme à moi. Donc, je ne la ferai pas.

Car ce mouvement est avant tout corporatiste : il mélange des chèvres et des choux et personne ne me fera croire que j'ai, en tant que médecin généraliste, les mêmes intérêts que les notaires (qui se disent "furibards", ils ont dû réunir une assemblée générale du Rotary ou du Lion's pour trouver un adjectif aussi désuet, vieilli et vieillot), les pharmaciens, les artisans taxis, les infirmiers et infirmières, les huissiers de justice, les kinésithérapeutes, j'en passe.

Car ce mouvement "libéral" dont la majorité des membres râle toute l'année contre les grèves de nantis fonctionnaires à la SNCF, à la RATP ou dans les transports aériens se met à mimer la CGT ou Sud dont les slogans habituels sont "Nous faisons chier le pauvre monde pour défendre les intérêts de tous" en fermant les cabinets pour une semaine en prétendant que c'est pour le bien de la santé publique.

Car ce mouvement composé de médecins qui ont fait dix ans d'études (quelle contrainte !) compare ses honoraires, son niveau de vie, ses habitudes sociales à ceux des coiffeurs et des plombiers dans un emballement mimétique abasourdissant alors que l'on n'a jamais vu un coiffeur ou un plombier faire grève (sinon récemment des sans papiers employés au noir dans des salons de coiffure low cost).

Car ce mouvement dont un des objectifs est de libérer le secteur 2 et de tuer les mutuelles veut nous faire croire qu'en augmentant les honoraires libres le reste à charge pour les patients ou non patients consultants va diminuer ! Est-ce que les adhérents des mutuelles ont été consultés ? Est-ce que les citoyens ont été consultés ?

Car ce mouvement, devenu par un tour de passe passe anti capitaliste quand il s'agit des Mutuelles et parlant de lutte contre les fonds de pension internationaux (i.e. sans doute les hedge funds luxembourgeois) oublie de parler, dans sa défense de l'hospitalisation privée (il n'y a plus de cliniques mais des hôpitaux privés par une sorte de renversement sémantique), des intérêts internationaux présents dans les groupes de santé avec, par exemple, l'Australien Ramsay Health Care actionnaire majoritaire de la Générale de Santé, le plus gros groupe "français"... Vous pouvez même, les gauches de la gauche du mouvement, consulter, une fois n'est pas coutume le blog de JL Mélenchon : LA.

Car ce mouvement, qui s'oppose à juste titre aux réseaux de soins mutualisés ne dit rien des réseaux de soins actuels centrés autour de l'hospitalisation privée où les spécialistes d'organes capturent les patients de ville et les rabattent sur les structures dans lesquelles ils ont des intérêts. Ce consumérisme médical est le fondement du néo libéralisme rawlsien : le citoyen patient qui a lu Doctissimo ou qui écoute son coiffeur décide de passer un examen complémentaire et le médecin prescrit. Si le médecin ne prescrit pas le patient conscient de ses droits ira en voir un autre et écrira au CISS ou à Que Choisir pour se plaindre que l'accès aux soins n'est pas assuré. Parce que j'en ai le droit et Parce que je le vaux bien.

Car ce mouvement ne prend pas en compte la montée irrépressible des associations de patients, sinon pour leur dire ce qu'elles doivent penser (voir LA), ces patients qui sont, ne l'oublions pas, le troisième élément de l'Evidence Based Medicine. Vous savez que je suis à fond pour les associations de patients (je me demande d'ailleurs pourquoi et de quel droit je serais contre) à condition qu'elles respectent une politique claire concernant leurs liens et possibles conflits d'intérêt.

Mais surtout.

Deux points constituent le centre de la crise de la médecine et Ce mouvement ne peut en parler.

La corruption généralisée.
Le gouvernement et les agences gouvernementales sont infiltrés par big pharma et big matériel et les politiques publiques, depuis les campagnes de santé publique jusqu'à la fixation du prix des médicaments, sont dominés par le lobby santéo-industriel qui a ses leviers de commande, ses obéisseurs, ses toutous, comme la DGS ou les différentes ARS.
Depuis la première année de médecine, et même avant dans les prépas, jusque dans les couloirs des hôpitaux publics et privés et ceux des cabinets médicaux libéraux big pharma et big matériel règnent en maîtres.



L'arrogance médicale.
Le rôle de la médecine dans l'amélioration de l'espérance de vie dans les pays développés et, surtout, de l'amélioration de l'espérance de vie en bonne santé, est lié aux conditions socio-économiques et aux pratiques individuelles et non, sinon dans la marge, à la médecine pure et dure.

Espérance de vie à 35 ans selon le sexe et la catégorie socio-professionnelle.
Une femme cadre a une espérnce de vie de 51,7 ans à 35 ans.



Pour la suite de nos réflexions sur le Je ne ferai pas grève du 23 au 31 décembre je parlerai plus précisément des problèmes que pose la Loi santé comme le Tiers Payant Généralisé et / ou les réseaux de soins mutualisés et sur les solutions que n'apporte pas Ce mouvement concernant les déserts médicaux, la démédicalisation nécessaire de la société, l'hospitalisation publique, le cas des spécialités d'organes qui demandent un effort particulier, et cetera.