dimanche 17 janvier 2016

La mort, quand tu nous tiens. Histoire (s) de consultation 187, 187 bis, 187 ter, 166 et 187 quater.


L'oncologue Z "voit" dix personnes à l'heure. En moyenne. Parfois un peu plus, parfois un peu moins.
Ecoutons madame A : "Le docteur Z est sympathique. Le plus souvent il me reçoit allongé dans son fauteuil, parfois un ou deux pieds sur le bureau, il regarde mon dossier, jette un œil sur mes radios en se tournant vers la fenêtre, puis annonce : 'Dix séances de plus'" Il s'agit de radiothérapie.


Monsieur B est suivi depuis dix ans par l'oncologue Y, avec lequel il s'est toujours entendu parfaitement. Ce lymphome vient de virer au drame. Nous sommes au delà de tout. Pas de protocole "compassionnel" envisagé (je suis "assez" contre), pas de nouveau médicament sans AMM à "essayer" (je suis aussi contre). L'oncologue Y dit à Monsieur B que ce sont désormais les soins palliatifs qui vont s'occuper de lui. "Et vous, vous n'allez plus vous occuper de moi ?" Regard évasif et désespéré de l'oncologue... mais institutionnel.


Madame D est en pleurs au téléphone. Son père, un malade que j'ai suivi pendant 15 ans et qui a changé de médecin ensuite pour les 10 années suivantes, pour des raisons que j'ignore (ou que je subodore), est en HAD à domicile. Le médecin traitant du patient qui a pris la succession d'un médecin partant à la retraite il y a environ trois ans ne fait pas de visites (je répète : un médecin généraliste qui ne fait pas de visites pour un patient en HAD -- et bien que je ne pense pas que du bien de l'HAD, voir ICI). Madame D, donc, dont je suis le médecin traitant (et celui de sa fille), me supplie de prendre la suite. Que dois-je faire ? Faut-il que je dise non ? Faut-il que je me drape dans mon orgueil de médecin généraliste qui a été "délaissé" ? Faut-il que j'écoute ma secrétaire qui me dit que je suis en train de me faire avoir ? J'essaie de me mettre à la place du patient, de la famille du patient... Je vais accepter, sans doute.



Madame C, 92 ans, sort de mon bureau après un entretien (à l'hôpital on appelle cela une consultation d'annonce et comme sa fille était présente cela doit donner des points. Quant à la RCP (Réunion de Concertation Pluridisciplinaire, elle a eu lieu, sans moi, et les conseils étaient clairs : chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie (1)) où je lui ai parlé de son cancer et le fait que, vu son âge, on n'allait quasiment rien faire, sinon des mesures de confort, et que cela allait certainement très bien se passer. Je la revois une semaine après pour faire le point, elle n'est pas désespérée, elle n'est pas joyeuse, elle semble confiante. Au moment de se quitter, elle est face à moi, assise, je suis aussi assis, heureusement, elle me dit (mais elle ne plaisante pas) : "Heureusement encore que ce n'est pas un cancer." (c'était le cas onco 003 - histoire de consultation 166 du 27 février 2014 où la patiente ne savait pas qu'elle avait subi des séances de radiothérapie : ICI).



Monsieur  E, 57 ans, a un lymphome (je trouve, en passant qu'on voit beaucoup de lymphomes ces temps derniers), il est suivi en hématologie. Il signe pour un protocole d'oncologie et on lui attribue un groupe. Il refuse la biopsie osseuse pour convenances personnelles : le médecin qui s'occupe de lui : "Pas de problème, on vous met dans l'autre groupe..." C'est un essai randomisé.

(Incise : Le PET scan: quels sont ses réseaux ? Pourquoi les oncologues en sont-ils si friands ? Dans combien de cas sont-ils inindiqués ? Sont-ils devenus aussi des examens compassionnels ?)


Note :
(1) Définition ancienne de la RCP : 1) Une annexe de big pharma ; 2) un tirage au sort de protocoles ; 3) une usine à fric ; 4) une conjuration des imbéciles ; 5) un déni du patient..

Illustration : Jérôme Bosch (1450-1516) - La mort du réprouvé.
Edward Hopper : A Woman in the Sun (1961).
Francis Bacon : Tête III (1969).
Egon Schiele : Nu, Autoportrait  (1910).
Pierre Soulages : Peinture 181 x 405 cm, 12 avril 2012.

dimanche 10 janvier 2016

Edition spéciale : pourquoi le dépistage du cancer n'a jamais montré qu'il "sauvait des vies" et ce que nous pouvons faire à ce propos.

Vinay K Prasad MD, MPH
Jeanne Lenzer freelance investigative journalist
David H Newman Associate professor Emergency Medicine

Vinay Prasad, Jeanne Lanzer et David H. Newman ne sont pas des Français. Et d'ailleurs ils n'écrivent pas en français (voir ICI).

Ils ont écrit dans le British Medical Journal un article clair, sans pathos, qui pose, comme d'habitude, plus de questions qu'il ne résout de problèmes parce que nous avons été formatés, médecins (durant nos études) comme patients (dans la "vraie" vie), par le story telling cancérologique, disons en français le roman oncologique, qui dit ceci : plus un cancer est petit moins il est grave, plus on le diagnostique tôt plus on le détruit vite, l'histoire naturelle du cancer est linéaire, un cancer ne meurt jamais tout seul, les effets indésirables des traitements valent le coup si on sauve une vie et, enfin, les effets indésirables du dépistage sont rarissimes.

C'est le bon sens des oncologues et ceux qui n'ont pas de bon sens sont des demeurés, et cetera.

Je ne vais pas réitérer un éternel exercice d'auto-flagellation à la française mais convenons que les Français universitaires n'écrivent pas comme Prasad et Newman : ils auraient trop peur de déplaire, de ne pas obtenir de poste, de ne pas toucher de subventions, de ne pas être invités au Téléphone Sonne ou au Magazine de la Santé. Vous me dites qu'il y a des exceptions ? Sans doute : elles confirment la règle. 
Quant à Jeanne Lanzer, journaliste, nul doute qu'elle ferait tache dans le paysage audiovisuel et scriptural français et qu'il serait difficile de la caser à côté, par ordre alphabétique, de Hélène Cardin, Michel Cymes, Jean-Daniel Flaysakier, Gerald Kierzek, Jean-François Lemoine, Danielle Messager ou Jean-Yves Nau...

Quoi qu'il en soit, les médecins généralistes, espèce en voie de disparition, ces braves médecins traitants, ces crétins de proximologues, ces abrutis de pivots du système, sont confrontés tous les jours à la pression des autorités de santé (sic) puisque leurs patients reçoivent à domicile, ce qu'ils appellent des convocations, pour faire des mammographies (dépistage organisé), des recherches de sang dans les selles, des bilans périodiques de santé, des objectifs de Santé publique, tout en écoutant les conseils de dépistage tous azimuts des gynécologues (un frottis par an, une mammographie dès 40 ans), des patients experts (la mammographie m'a sauvée), des primes à la performance, et cetera. Sans compter le dépistage du cancer du poumon par scanner basse intensité qui est en train d'arriver en grande pompe.

Quant aux spécialistes, c'est un cas d'école, insistons sur le fait que Vinay Prasad est hématologue et oncologue et que David H Newman est urgentiste, ils sont toujours et à 99 % (que les rebelles lèvent le doigt) pour le dépistage et même dans des domaines où il n'est pas recommandé : tous les urologues (ou presque) sont fans de PSA, tous les radiologues (ou presque) sont fans de mammographie, tous les pneumologues ou presque sont fans de scanner basse intensité, tous les gastro-entérologues sont pour l'hemoccult et maintenant son super remplaçant, tous les oncologues (ou presque) sont fans de tout, ... et cetera.

L'article est très bien fait sur le chapitre résultats. Pour les propositions, c'est encore flou et/ou hypothétique...

Que nous disent les trois auteurs ?

Le dépistage du cancer en général pourrait ne pas réduire la mortalité totale. 

Deux explications "évidentes".

1) Parce que les études dont nous disposons ne sont pas formatées pour détecter de telles différences.
2) parce que la diminution de la mortalité spécifique serait contrebalancée par les effets délétères du dépistage.


L'étude du Minnesota (Minnesota Colon Cancer Control Study) a duré 30 ans ! Elle consistait à rechercher annuellement le sang fécal dans le groupe dépistage en comparaison avec le groupe contrôle. Résultats : le dépistage diminue significativement le nombre de décès dus au cancer du colon (mortalité spécifique) : 64 décès/100 000 de moins (128 vs 192/100 000) ; mais on constate : 2 décès/100 000 de plus dans le groupe dépisté que dans le groupe contrôle (7111 vs 7109/100 000) pour la mortalité globale. Ces résultats sont conformes à ce que l'on savait déjà sur la question (études antérieures).

Ces résultats défavorables (plus de décès dans le groupe dépistage) sont probablement liés à l'utilisation de tests entraînant des faux positifs, au sur diagnostic, et aux incidentalomes (1).

C'est pourquoi, le dépistage du cancer de la prostate par dosage annuel du PSA a été abandonné (2), tout comme celui du cancer des poumons par radiographies simples, ou celui du neuroblastome par tests urinaires.

Les essais de dépistage montrant une diminution de la mortalité doivent être analysés avec prudence.

Une étude américaine (NLST) (LA) montrant que le dépistage du cancer du poumon par scanner à basse intensité par rapport aux radiographies du thorax diminue chez les gros fumeurs les mortalités spécifique (20 %) et globale (6,7 %) paraît d'un très bon niveau de preuves mais doit être examinée avec précaution (voir LA). 

D'abord, la radiographie pulmonaire n'est pas un bon comparateur. Le meilleur comparateur aurait dû être : la routine. (Une étude danoise menée dans ces conditions a même montré significativement plus de morts dans le groupe dépisté que dans le groupe contrôle (61 vs 42) ICI). 

Ensuite, la diminution de la  mortalité globale dans le groupe scanner dépasse les gains en mortalité spécifique (87 décès en moins dus au cancer du poumon et 123 décès en moins dus à d'autres causes) : il est difficile de croire que c'est le scanner thoracique (qui a permis la diminution des décès dus à d'autres cancers ou à l'amélioration du statut cardiovasculaire) qui explique ces 36 décès de moins. Si l'on considère que l'amélioration de la mortalité non due au cancer du poumon est un hasard, les différences de mortalité globales disparaissent entre les deux groupes (p=0,11). 
Il faudrait ainsi pouvoir disposer d'un essai montrant que la baisse de la mortalité spécifique est assez importante pour entraîner la baisse de la mortalité totale, ce qui n'est pas le cas. 

Enfin, le bénéfice annoncé sur la mortalité par cancer du poumon en utilisant le scanner, soit 12 000 décès évités annuellement aux EU doit être balancé par la survenue de 27 034 complications majeures survenues après un test positif.

L'agence américaine USPSTF a considéré que l'étude NLST était sans doute une anomalie puisqu'une analyse de 60 000 patients inclus dans des essais randomisés et à qui était pratiqué un scanner thoracique ne vivaient pas plus longtemps que ceux du groupe contrôle.

La perception des bénéfices du dépistage du cancer est surestimée dans l'opinion publique 

Les exemples les plus évidents concernent la mammographie, le PSA ou le frottis du col utérin (4).
Les avocats du dépistage surestiment souvent les bénéfices en utilisant la peur (ou en la créant : fear mongering).
D'autres, dont les auteurs, insistent sur le fait que la décision partagée dont être l'objectif, ce qui signifie tenter d'être honnête.
Ils donnent l'exemple du cancer du sein et de la recommandation du Swiss Medical board de ne pas conseiller ce dépistage (LA).
Ils rappellent les travaux de la Cochrane nordique sur la question (ICI).

Les dommages

Il faudrait quand même plus parler des dommages lorsque les études montrent aussi peu de bénéfices. Sur 57 études de dépistage primaire seules 7 % quantifient le sur diagnostic et 4% les faux positifs. Les chercheurs devraient en tenir compte.
Les auteurs rapportent des données convaincantes concernant le cancer du sein (4).
Ils rappellent que dans le dépistage du cancer du poumon par scanner l'étude NLST mentionne un taux de sur diagnostic de 18 %, et qu'il est de 33 % dans le cadre du cancer du sein (voire de 50 % pour les carcinomes in situ).

Que faire ?

La réalisation d'essais permettant de déceler des variations de mortalité globale nécessiterait 10 fois plus de patients. Pour le cancer colorectal il faudrait 4,1 millions de patients enrôlés pour démontrer une diminution de la mortalité globale contre 150 000 pour la mortalité spécifique. Cela nécessiterait un budget de 0,9 milliard d'euros...
Mais mener des essais identiques sur des registres de patients diminuerait considérablement les coûts : 50 dollars par patient selon une étude prospective récente intitulée : The randomized registre trial -- The next disruptive technology in clinical research ? (ICI) Un essai randomisé sur registre  coûterait le prix d'un essai "normal".
Ce serait un progrès de tenter de tels essais plutôt que de poursuivre des essais dont on sait à l'avance qu'ils ne feront pas avancer la Santé publique.
L'adoption par Medicare du dépistage du cancer des poumons par scanner basse intensité coûterait 6 milliards de dollars par an.
Les essais devraient d'abord cibler les populations à haut risque pour s'intéresser ensuite aux populations moins exposées (5).

(on répète que les auteurs sont moins convaicants quand il s'agit de proposer...)

Conclusion

Nous encourageons les soignants à être francs sur les limites du dépistage -- les dommages sont certains, mais les bénéfices en termes de diminution de la mortalité totale ne le sont pas. Refuser le dépistage peut être un choix raisonnable et prudent pour de nombreuses personnes.

Nous appelons à de meilleurs critères de preuves, non pour satisfaire à des critères ésotériques, mais pour rendre possible une prise de position partagée raisonnable entre médecins et patients. 
Comme le dit souvent Otis Bradley (American Cancer Society) : "Nous devons être honnête à propos de ce que nous savons, de ce que nous ne savons pas, et de ce que nous croyons simplement."


Notes :

(1) Rappelons la différence entre faux positif et sur diagnostic : un faux positif signifie qu'un test est positif alors que la personne n'est pas atteinte de la maladie. Un sur diagnostic signifie que le test diagnostique un cancer qui n'aurait jamais menacé le pronostic vital.
(2) Abandonné officiellement par les sociétés savantes et pratiqué of the records par les urologues (l'Association Française d'Urologie n'est pas claire sur le sujet)
(3) Humphrey L, Deffeback M, Pappas M, et al. Screening for lung cancer: systematic review to update the US Preventive Services Task Force recommendation. Agency for Healthcare Research and Quality, 2013.
(4) Les lecteurs de ce blog, pardon pour les autres, comprendront que nous ne développerons pas ces sujets que nous avons si souvent traités.
(5) Rappelons aux 3 auteurs que c'est ce que fait déjà big pharma dans les essais contrôlés en  ciblant les patients les plus atteints où les résultats sont plus faciles à obtenir et en élargissant facilement des extensions d'indications grâce à la "fiablesse" des experts.

jeudi 31 décembre 2015

Bilan de l'année 2015 et meilleurs voeux 2016.

L'éthique se résume au choix cornélien entre le sacrifice de soi et le sacrifice de l'autre.
René Girard (1923-2015)



Les faits marquants.
  1. Le flop absolu de Madame Marisol Touraine dont la Loi santé, imposture médiatique aux conséquences potentiellement catastrophiques, mais qui tombera sans nul doute dans les oubliettes ou dans les poubelles de l'histoire hollandaise, a été adoptée et en particulier grâce à l'appui des "gauchistes" du PS, des "frondeurs" et des "écolos" qui l'ont fait, prétendûment, pour des raisons idéologiques. Madame Touraine, dont on peut douter qu'elle ait la moindre stratégie politique à moins que l'on ne puisse la résumer à la formule "moi et ma pomme" et dont l'arrogance auto-suffisante résume la pensée profonde, a réussi, sans faire le moindre geste, sans prononcer une seule parole, sans écrire un traître mot, à faire passer un texte inconsistant, un texte qui aurait dû parler de Santé et qui se couche et qui n'aborde pas vraiment les causes françaises de mortalité prématurée évitables, à savoir le tabac, l'alcool, la malbouffe, et qui confie trois des bases de la santé individuelle, la vue, l'audition et les dents, au secteur assurantiel, a donc réussi l'exploit de gagner contre la profession médicale (pas toute) en appliquant le slogan  de ses auto-proclamés opposants les plus farouches, No Nego.
  2. Le flop encore plus absolu de l'UFML, quatre initiales, deux mensonges, deux approximations, qui a vu son slogan idiot "No Nego" utilisé (voir plus haut) par Madame Touraine pour l'anéantir mais qui a "réussi" la gageure de réunir des ultra-libéraux, des libéraux, des réactionnaires, des conservateurs, des socialistes, des "gôches de la gôche" en traitant ceux qui ne les approuvaient pas de traîtres, de corrompus, d'agents des mutuelles, de salauds, voire pire... Au bout du compte les élections professionnelles n'ont pas apporté de changements majeurs... Finalement on retiendra de l'UFML que sa seule ambition était la dérégulation du marché, ce qui va se produire de toute façon avec une explosion des dépenses de santé au profit des plus riches.
  3. La victoire de big vaccine qui a réussi à faire croire que le gardasil était un vaccin efficace et  que la vaccination contre l'hépatite B (par rupture d'approvisionnement interposée) une vaccination obligatoire. Cette victoire a été largement soutenue par Hollande et Touraine.
  4. La nouvelle victoire annuelle de big mammo (octobre rose) qui a conduit la puissance publique corrompue par le complexe santéo-industriel à étouffer toute velléité de contester l'utilité du dépistage organisé du cancer du sein en se servant de ses laquais épidémiologistes de l'INVS (dont les articles publiés sont des soutiens aux politiques pré emptées -- voire la "description" annuelle des morts dues à la grippe, et non des articles fondés sur les preuves). 
  5. La victoire de big onco (la caricature absolue de big pharma) qui a réussi à faire nommer Agnès Buzyn à la tête de l'HAS (après des contorsions réglementaires dignes d'une république bananière) alors que l'on sait qu'en matière d'AMM, d'essais cliniques, d'établissement des prix, d'abstracts dans les congrès (voir ICI), le corps des oncologues (elle fut d'ailleurs directrice de l'INCa), je n'ai pas dit tous les oncologues, je ne voudrais pas un procès durant lequel je pourrais développer des idées perverses, est un des plus obtus, des plus corrompus et des moins à même de juger ses pairs en raison des liens consanguins (je ne dis pas cela parce que la professeure  est hématologue) avec l'industrie. (1)

BB King : 1925-2015


Les réussites de la blogosphère médicale.
  1. L'apparition d'un nouveau venu sur le web : JB Blanc : LA. Son histoire est exceptionnelle. Il explore avec un regard neuf ce que nous voyons tous les jours : il voit des choses que les "vieux" MG ne peuvent plus voir mais que les "vieux" citoyens comprennent immédiatement. Je retiendrai surtout (le meilleur article de 2015 de JB Blanc) : La prise de décision partagée en médecine générale : ICI. (Je reviendrai une autre fois sur les critiques que l'on peut faire sur cette PDPMG mais ne retiendrai que son côté positif : il permet enfin de "finir" l'Evidence Based Medicine en médecine générale au sens de la compléter et de l'enrichir).
  2. La confirmation d'un ancien venu sur le web : ASK. Le meilleur article 2015 de ASKDéterminante santé ? : ICI. Cet article, ASK a déjà écrit sur le sujet, est fondamental pour qui veut comprendre l'imposture de la Santé publique vue par les médecins et sur le rôle qu'ils s'attribuent pour justifier des résultats obtenus sur les indicateurs de santé publique et imposer des financements. L'autre dada d'ASK est de dénoncer les excès des campagnes sauvages de dépistage du cancer du sein par mammographie et de nommer les responsables. 
  3. Un blog (trop) riche (Médicalement Geek), dont il faut saluer la (presque) exhaustivité (et quel blogueur n'a pas rêvé de faire un tel recensement ?), le travail que cela suppose, mais qui, à mon avis, n'est pas assez incisif et conclusif (nous avons besoin de nous confronter aux certitudes) : à lire absolument. ICI. Un boulot monstrueux qui confirme que la médecine générale est un puits sans fond et que son exercice est une gageure de tous les jours. C'est pourquoi Dr Agibus devrait soigner la forme et prendre partie...
  4. Le meilleur article 2015 de Marc Girard : Quand les associations jouent à l'expertise, l'exemple du REVHAB : ICI. Marc Girard poursuit sur son site un travail de fond qui suscite souvent l'incompréhension en raison de la rigueur de sa démarche et de son souci de ne se plaire qu'à lui-même. Relire ses anciens textes rend idiot tant il a anticipé. L'énervement dont certains me font part parfois, parce qu'il semblerait pour d'autres que je ne fusse qu'un groupie, rend compte  de la précision de ses analyses et du dérangement qu'elles suscitent.
  5. Le meilleur article 2015 de Dominique Dupagne : Les 231 morts fictifs de la domperidone expliqués à ma fille : LA. Cet article est un mix dupagnien avec, dans le fond du mixer, les statalacons, le libertarianisme, le ressentiment contre La Revue Prescrire, l'ego hypertrophié et le talent. Rajoutons que les deux préoccupations actuelles de Dupagne sont le baclofène et le vapotage, deux solutions "miracles" qui permettent de soigner la misère sociale avec une pilule et une procédure sans s'attaquer à ses causes (mais la sociologie moderne est sociétale et a abandonné le social, quant à la médecine elle se moque, voire supra ASK, des déterminants de la santé...). 
  6. Le meilleur article 2015 de Bruit des sabots : Clinicat : LA. Qu'en est-il de l'indépendance de la Faculté de médecine par rapport à l'industrie pharmaceutique ? Le fait majeur pour l'auteur est la publication de sa thèse qui est une contribution majeure à la compréhension des mécanismes inconscients de la corruption dans la santé (la thèse tourne autour de la dissonance cognitive) : LA. Elle examine l'état de la presse médicale française et devrait inciter au boycott de tous ces titres sponsorisés par big pharma mais le souci de se faire voir est plus important que celui de ne pas se compromettre.
  7. Le meilleur article 2015 de Perruche en automne : Un kit de survie pour un avis néphrologique  optimalLA. Il s'agit d'une illustration tragique de la déresponsabilisation des médecins par rapport à leurs patients et, accessoirement, une critique de l'incompétence. La richesse de ce blog dans un domaine, la néphrologie, où il est facile d'être compétent et péremptoire tant l'enseignement de la néphrologie et la perception de ses enjeux sont si mal présentés (le serpent qui se mord la queue), mérite, une lecture et une relecture constante (je recommande plus particulièrement les articles sur les AINS et l'insuffisance rénale, la restriction hydrique, et cetera) en gardant à l'idée que la partie non scientifique du blog, beaucoup beaucoup plus discutable, ne devrait pas polluer l'image positive de sa partie médicale.
  8. Le meilleur article 2015 de Grange Blanche : On a retrouvé le genou de Pierre-Etienne : ICI. Notre cardiologue s'est déchaîné avec le talent qu'on lui connaît contre le site Deuxième avis. On aimerait pourtant qu'il se remette à  reparler de cardiologie... car c'est là qu'il excelle. Ses contributions sur les NACO comme sur le cholestérol sont encore aujourd'hui déterminantes.
  9. Pour les anglophones, le blog de Richard Lehman est toujours une pure merveille : ICI. Le lire toutes les semaines procure une augmentation d'intelligence médicale hebdomadaire, un plaisir de lecture, un sourire étonné, une admiration raisonnable et, au bout du compte, comme d'habitude, on se demande comment des médecins aussi clever, peuvent faire du système de santé britannique un tel fiasco. Le jeune retraité tweete : @richardlehman1.
  10. Pour les anglophones, toujours, ma découverte de l'année : Margaret McCartney, généraliste écossaise, qui tient un blog (ICI), qui écrit des éditoriaux dans le British Medical Journal (LA), qui fait des émissions sur BBC4,  qui publie des livres dont le dernier (ICI),  est remarquable (pour les commentaires : LA) et qui tweete : @mgtmccartney.


David Sackett : 1934-2015. Le théoricien de l'Evidence Based Medicine


Les réussites de la blogosphère médicale "grand public" : voici des blogs de qualité que je lis régulièrement (grâce au Club des Médecins Blogueurs).

  1. Doc Arnica : ICI. Dont la pratique, à ceci près que les clientèles sont sociologiquement différentes, se rapproche de la mienne et dont les billets me parlent.
  2. Jaddo : LA.  La star absolue. Je la lis pour être à la page, me disant qu'un tel engouement doit être le symptôme d'un syndrome dont je n'ai pas encore fait le diagnostic.
  3. Fluorette : ICI. L'écriture la plus personnelle de cette catégorie de blog avec des accès de poésie pure qui ont du mal pourtant à cacher une tristesse sous-jacente.

Patrick Macnee : 1922-2015


Les twitteurs qui apportent du sens à la réflexion médicale (et dont je n'ai pas cité l'éventuel blog) (et c'est là que je vais me faire des ennemis : ceux que je n'aurais pas cités).
  1. Michel Arnould : @michelarnould77 dont on ne connaît pas de limites à sa geekerie inlassable et à sa croyance bicéphale en la médecine générale et numérisée.
  2. Jean-Jacques Fraslin : @fraslin qui nous abreuve de statistiques médicales populationnelles et autres et, parfois, de photos de dermatologie.
  3. Vincent Granier : @VincentGranier, journaliste spécialisé dans le suivi des décrets et lois de santé et qui apporte un éclairage, pour moi nouveau, sur la cuisine parlementaire.
  4. Jacques Lucas : @Jcqslucas dont on ne soulignera jamais assez la patience, exposé qu'il est aux critiques systématiques de l'Ordre des médecins. Quant aux autres critiques, elles sont tout aussi recevables...
  5. Medicalskeptik : @medskep qui parcourt la littérature médicale anglo-saxonne indépendante dans tous les sens.
  6. Docteur Stéphane : @Dr_Stephane : il sait tout sur les impôts, l'Urssaf, la compta et connaît La Revue Prescrire par coeur.

Cabu : 1938-2015


Les regrets
  1. La disparition (momentanée) de Rachel Campergue de la blogospère en raison sans doute de son exil costaricien.
  2. La mise en sommeil du blog 2 Garçons, 1 Fille : 3 Sensibilités. LA.
  3. Le blog Rédaction Médicale d'Hervé Maisonneuve (ICI), très intéressant, très informé, mais qui n'a pas encore compris les enjeux de l'indépendance.
  4. CMT n'écrit pas assez.


Lisez Saul Bellow en 2016, c'est un génie.


Pour finir.

Les tendances à la mode dont le signifiant est à l'égal du signifié (à moins que cela ne soit le contraire), c'est à dire flous ou alors trop évidents.
  1. Le patient expert
  2. L'entretien motivationnel
  3. La médecine de précision 
  4. La médecine personnalisée. 
  5. La consultation d'annonce.
  6. J'en passe et des meilleures.
Jackson Pollock : génie.


Notes.
(1) Vous pourrez lire avec intérêt un article d'un certain Eric Favereau sur la question, un article si mal informé, si bourré d'erreurs factuelles et de jugement, que l'on se demande si le prix Nul de l'année ne pourrait pas lui être attribué (bien que la concurrence soit rude...) : ICI. Je vous recommande notamment l'avis très informé sur l'indépendance de Claude Evin.


jeudi 17 décembre 2015

The patient paradox. Why sexed-up medicine is bad for your health. Margaret McCartney.


Ce livre est remarquable.
Après l'avoir lu je me suis dit qu'il ne me restait plus qu'à ranger mon clavier, à ne plus écrire de billets, à cultiver mon jardin car cette médecin généraliste écossaise, Margaret McCartney (MMC), a "tout" compris à la problèmatique du médecin généraliste et de la médecine générale tout en exerçant dans un système qui nous est étranger, le National Health Service (NHS), système sur lequel beaucoup de bruits contradictoires courent et sur lequel certains se fondent pour stigmatiser notre propre sécurité sociale ou pour montrer du doigt les voies vers lesquelles nous ne devons pas nous diriger.

Mais ce livre est écrit en anglais, n'est pas traduit en français, et j'ai demandé à l'éditeur anglais si cela pouvait se faire : il m'a affirmé que son éditeur français correspondant n'envisageait pas de le traduire. Dommage.

Et, de plus, c'est écrit dans un anglais limpide, clair, persuasif, démonstratif et empathique.

Destiné pour le grand public britannique il devrait être lu par tout médecin tant il est clair, documenté et éclairant. Il devrait surtout être à la base de l'enseignement de la médecine dans les facultés du même nom.

Ce livre s'inscrit dans la lignée des médecins qui ont réfléchi sur la médecine en général et sur la médecine générale en particulier, sur ses succès et ses limites et sur le fait qu'elle est à la merci des politiques publiques dont les objectifs peuvent paraître inadaptés et dont les fondements sont le plus souvent erronés. Bien qu'il s'inscrive dans le contexte du système de santé britannique dont le fonctionnement est très différent du nôtre, il a une portée universelle et française dans la mesure où la CPAM et les autorités de tutelle ont engagé les médecins généralistes français dans la voix déjà empruntée à tort par le National Health Service, à savoir le paiement à la performance et ses coûteuses initiatives inefficaces.


Je ne sache pas qu'un médecin généraliste français ait pu écrire un pareil livre si documenté, si peu polémique, si drôle par moment et qui ne tombe jamais dans l'invective ou dans le ressentiment.

Les quelques sujets qu'elle n'a pas abordés me laisse cependant entrevoir quelques possibilités de billets, sans compter les points sur lesquels je ne suis pas d'accord.

N'oublions pas que MMC est éditorialiste au Brtish Medical Journal et qu'elle tient un blog (ICI).

***

"... the biggest change to medicine that has arisen over the course of my career has been the seeming determination of healthcare professionals to bring healthy people into surgeries and clinics, and turn them into patients..."

***

Il est difficile de résumer ce livre tant le nombre de thèmes abordés  est important.
Le nombre de références et d'exemples est impressionnant.

Je vais tenter d'en dégager quelques idées forces et je vous demande de ne pas vous offusquer en disant "Mais on sait cela depuis longtemps" car : d'une part peu de médecins connaissent tous les points qu'elle développe et d'autre part, ceux qui les connaissent, les appliquent peu.

  1. MMC insiste sur la tendance générale de la médecine moderne : rendre malades les gens bien portants.
  2. Le premier sujet qu'elle aborde : celui du dépistage. Et elle l'accole au premier principe : First do not harm. 
  3. Elle donne l'exemple connu mais souvent oublié en pratique, et plus particulièrement lors du dialogue singulier avec le patient, du test précis à 90 % ("sûr" à 90 %) pour une maladie qui affecte 1 % de la population et pose la question : "Si vous êtes positif pour ce test quelle est la probabilité que vous soyez affecté par cette maladie ?" (voir la note 1 pour la réponse)
  4. Elle rappelle la notion parfois erronée : plus on diagnostique tôt et plus longue est l'espérance de vie, et nous explique  ce qu'est le lead-time bias. (voir la note 2)
  5. Dans un autre chapitre MMC parle du business du risque cardiovasculaire. Je n'insiste pas. Elle souligne l'inanité des dépistages de masse et la propagande des politiques et des marchands de médicaments et insiste sur la volonté de ce beau monde (et de certains médecins bien entendu) de remplacer la relation patient-médecin par la relation consommateur-médecin : les consommateurs ont le droit de demander et de payer tout ce qu'ils désirent indépendamment du coût ridicule, dangereux, inutile ou sans intérêt de la commande.
  6. Elle souligne en passant (désolé pour ceux qui connaissent cela par coeur mais j'ai lu cela récemment à propos d'un essai truvada) le scandale des promoteurs de santé qui présentent les résultats des essais en valeur relative et non en valeur absolue : un médicament qui réduit le risque de crise cardiaque de 2 à 1 %, par exemple. Cela signifie que la molécule diminue le risque relatif de crise cardiaque de 50 % et le risque absolu de 1 %, ce qui, dans le discours, n'est pas la même chose.
  7. Elle aborde le problème du cancer. Du cancer du sein (et notamment du cancer canalaire in situ) et reprend les données de 2009 du Journal of the National Cancer Institute : il est désormais démontré que plus de femmes meurent avec un cancer canalaire in situ qu'en raison de lui.
  8. Encore le sein et les nombreuses controverses sur la négation par les promoteurs du dépistage des risques induits. MMC insiste sur une notion forte : "Les experts peuvent être une source de biais simplement parce qu'ils sont des experts : si une étude paraît disant que votre propre spécialité, toute votre recherche et le travail de votre vie, étaient une perte de temps, il se pourrait que cela soit difficile à accepter."
  9. Il faut parler au patient et au public des risques et des dangers de toutes les procédures.
  10. MMC assène ceci : Il faut informer les patients des avantages et des risques des dépistages (et/ou des traitements ou des non traitements) car, au bout du compte, c'est le patient qui doit choisir. Ce que nous traduirions, merci JB Blanc (voir LA) par l'Evidence Based Medicine, toute l'EBM, mais avec la prise de décision partagée en sus. Nous verrons plus loin que MMC met un bémol à tout cela.
  11. Elle écrit un chapitre particulièrement dérangeant (je dois dire que je ne me rappelais plus avoir lu cela dans La Revue Prescrire) sur le dépistage du cancer du col par le frottis du col utérin en insistant sur le fait que rien n'a été démontré quant à la diminution de la mortalité globale par la mise en place généralisée de ce test. "L'ironie est étonnante. Le véritable problème éthique est d'avoir soumis des millions de femmes à un programme de dépistage qui n'avait pas été testé selon des standards élevés." Et elle conclut : "Les femmes ont plus de chance d'avoir un test faux positif que d'avoir une espérance de vie prolongée." (Voir la note 3).
  12. MMC en remet une couche sur les dépistages des cancers de la prostate et du colon et sur le dépistage des anévrysmes aortiques. Les habitués de ce blog sont familiers de ces problèmes. MMC sur le cancer du colon (dépistage par test fécal) : "Si vous avez 60 ans, le dépistage va réduire votre risque de mourir d'un cancer du colon de 78 à 58,8 pour 10000, soit une diminution du risque absolu de 0,7 à 0,58 %"
  13. "La claire distinction entre qui est un patient et qui est une personne n'existe plus. Les citoyens sont désormais invités de façon pressante à passer des tests de dépistage soit pour confirmer un état de non maladie, soit pour prédire un risque de mort ou de maladie. (...) ... Les victimes de la nouvelle médecine sont les gens qui sont étiquetés malades ou à risque d'être malades ou qui sont traités par des médicaments ou soumis à des procédures alors qu'ils n'en profiteront jamais."
  14. Elle s'attaque ensuite à la médecine protocolaire, à la médecine binaire, celle des croix dans des cases, au tri des malades fait désormais par des non médecins, à la dévolution des tâches, au paiement à la performance en fonction du nombre de cases cochées et des examens prescrits, et, accessoirement, s'interroge sur le droit qu'a une femme correctement informée de refuser un frottis, elle se moque de la médecine de dépistage (ce patient est-il déprimé ?) qui est tout sauf une médecine de diagnostic... Cette médecine de dépistage qui ne fait pas la différence entre la tristesse et la dépression et qui conduit, grâce à l'incentive proposé aux médecins, à la prescription inutile de millions de boîtes d'antidépresseurs, probablement inutiles, certainement dangereux.
  15. MMC se demande aussi avec ingénuité : Qui doit décider ce que les médecins doivent faire ? Big pharma, les politiciens ou les patients ? Et elle donne des exemples convaincants sur seroquel, vioxx, herceptine et paroxetine à propos desquels l'industrie a menti et a continué de mentir (et pour lesquels une majorité de médecins ont continué de prescrire). Qui fallait-il écouter ? Big Pharma ou les médecins qui, informés par la presse indépendante, ont cessé de prescrire ou n'ont jamais prescrit ?
  16. Elle aborde le problème des Charities (les associations caritatives) et des associations de patients, largement sponsorisées par l'industrie pharmaceutique (mais pas seulement quand on prend l'exemple d'Octobre Rose où Estée Lauder se taille la part du lion), dont les rôles sont beaucoup plus importants outre-Manche. Elle souligne que les Charities se font les avocats des patients et que rendre les patients aware n'est pas sans risque si l'on considère le seul point de vue de la communication promotionnelle. En effet les Charities ne choisissent pas les thèmes de dépistage des maladies en fonction de données solides de Santé publique mais en fonction des subventions et des dons qu'elles pourront recevoir. Elle détaille en particulier les campagnes promotionnelles des Charities à partir des documents qu'elles diffusent et dénonce leurs mensonges nombreux :  pour elles les tests sont toujours fiables, les traitements donnent toujours d'excellents résultats, le sur diagnostic et le sur traitement n'existent pas, les effets indésirables des tests, des traitements médicamenteux, chirurgicaux, radiothérapeutiques n'existent pas plus ou sont mineurs. (MMC aborde plus loin la promotion du patient expert sponsorisé). Les Charities et les associations de patients font du compassionnel pour gagner de l'argent mais, surtout, nombre d'entre elles ont abandonné leur objectif initial qui était d'aider les patients pour adopter les politiques des lobbys ou groupes de pression (notament liés à big pharma).
  17. MMC souligne que les messages de santé publique se font désormais par l'intermédiaire de public relations, de dossiers presse, que le marketing prend le pas sur l'information scientifique.. Que certains professionnels sont des marchands (elle n'aime pas beaucoup les chirurgiens cosmétiques) et seulement des marchands. Que le paiement à la performance pervertit la relation médecin patient et que les arguments pour l'avoir instauré, mettre l'Evidence Based Medicine en première ligne, est erroné : "... evidence-based medicine simply provides us with knowledge; it does not tell us what to do with knowledge." (la médecine fondée sur les preuves nous fournit simplement de la connaissance ; elle ne nous dit pas ce que nous devons faire avec cette connaissance). (voir note 4)
  18. Paiement à la performance. MMC prend l'exemple de la patiente qui consulte pour parler dépression. L'ordinateur placé en face du médecin et ouvert sur le dossier de la patiente rappelle, pour obtenir des points (et de l'argent, pas seulement pour le médecin lui-même mais pour le cabinet dans lequel il travaille) que le praticien doit s'assurer du statut de la patiente vis à vis du frottis, engager la conversation sur le tabac, mesurer la pression artérielle, et cetera. L'objectif de cette consultation dépression (et MMC nous dit en passant que la durée moyenne de la consultation est de 10 minutes outre-manche) est d'écouter, de faire un diagnostic, de discuter de possibles actions, de s'assurer que la patiente ne présente pas de risques... ce qui revient à briser le contrat du paiement à la performance entre le MG anglo-écossais et le NHS puisque le dit contrat, hormis ce que nous avons vu plus haut (frottis, tabagisme, et cetera), ne s'intéresse qu'à une chose : que l'une des cases dépression sévère, modérée, ou légère, soit cochée, et au besoin en se servant d'un questionnaire, PHQ-9, approuvé par le contrat, développé par Pfizer (qui comme on le sait vend des antidépresseurs).
  19. Le chapitre 13, j'espère ne pas trop vous lasser ou alors j'espère vous lasser de me lire pour lire  en direct le livre de MMC (LA), aborde le sujet suivant : The inverse care law. Cela signifie que moins vous êtes malade et plus vous bénéficiez d'attention et plus vous êtes malade moins votre cas est pris en compte. Ce chapitre est important mais pourrait nous paraître exotique tant il s'applique à nos voisins. MMC veut dire ceci : trop de ressources (temps, argent) sont attribuées aux non malades ; le système de l'auto-adressage des patients parasite le système ; le tri doit être fait pas des professionnels de santé mais au mieux par des médecins ; c'est le médecin traitant qui connaît le mieux son malade, mieux que des structures dédiées ; l'automédication n'a qu'un seul objectif : enrichir les laboratoires pharmaceutiques et les pharmaciens ; les centres de référence n'ont pas fait la preuve de leur efficacité ; la politique du two-week wait instaurée en 1998 par le Labour, au lieu de diminuer les délais de prise en charge des malades, a eu l'effet inverse en parasitant le système avec des non malades (d'où l'intérêt du MG pour "trier")... Elle dénonce aussi l'abandon de la liste personnelle des patients pour les MG au profit de la liste du cabinet de groupe (déresponsabilisation personnelle) et se moque de la multi-disciplinarité, notamment en psychiatrie, où les équipes types comprennent : "psychiatres, infirmières communautaires, travailleurs sociaux, psychomotriciens, psychologues cliniciens, pharmaciens, équipe de direction, professionnels de la santé mentale, secrétaires, réceptionnistes, assistants sociaux, benefits workers, visiteurs sociaux, secouristes, art therapists, et cetera" Ce qui, pour MMC, empêche la continuité des soins et déresponsabilise et le patient et le médecin.
  20. Quels patients ? Les patients sont au centre du système, nous dit-on. Oui et non. MMC aborde les sujets à la mode pour les dénoncer : disease awareness campaigns ; disease management (5) ; patients experts (avec le programme EPP - Expert Patient Programm- institué par le NHS dont le slogan est : "Contrôlez votre maladie, ne la laissez pas vous contrôler") ; autonomie et partage des connaissances ; pas de décision me concernant sans mon avis ; notez vos médecins. MMC fait la part de ce qui est acceptable et non acceptable dans ces programmes mais, surtout, elle se pose la question de savoir si ce sont les patients les mieux informés (c'est à dire en réalité les patients qui ont les moyens intellectuels et le temps de s'informer, par rapport aux autres dont les malades psychiatriques, les malades en fin de vie, et cetera) qui seront les mieux soignés grâce à ces programmes et si, encore une fois, ce ne seront pas les moins malades dont on s'occupera le plus. Ce chapitre 14 fourmille d'idées et de réflexions et met en valeur ce qui devrait être la qualité essentielle des médecins : le professionnalisme. 
  21. MMC ne préconise pas plus d'information mais une meilleure information. Elle regrette qu'il n'existe pas d'evidence-based politics, que les politiciens ne citent des preuves que lorsqu'elles les arrangent et qu'avant d'imposer des politiques ou des programmes ils ne fassent jamais une analyse systématique de la littérature scientifique, ce qui conduit à des désastres financiers.
  22. Getting back to the right kind of care. Ce chapitre est capital. Je vous le résume : quand on a un pré diabète (sic), une prè hypertension (sic), pas besoin de médicaments mais des prescriptions d'hygiène de vie ; les facteurs causant une mort prématurée partout dans le monde sont : "le niveau socio-économique, le stress, les conditions précaires de la petite enfance, l'exclusion sociale, le travail, le chômage, les addictions, la nourriture, ..." ; traiter la pauvreté avec des pilules n'est pas la solution ; les populations les moins à risque sont les plus dépistées et les plus traitées et, à l'inverse... ; les produits pharmaceutiques ne peuvent être une réponse à l'exclusion sociale ; les médecins doivent-ils se sentir coupables de croire que les prescriptions peuvent traiter la pauvreté ? ; n'est-ce pas un emplâtre sur une jambe de bois ? ; l'hygiène en général ne devrait-elle pas être la principale occupation des Charities ? ; l'expression, la guerre contre le cancer, cette autre, la bataille contre la maladie et contre la mort, ne sont pas des réponses adéquates à la prise en charge du cancer ;  si les soins palliatifs étaient un médicament ce serait un block-buster or les crédits qui lui sont alloués sont insuffisants ; dans le traitement contre le cancer les MG et les infirmières, au lieu d'être au centre du processus, ont été déplacés en périphérie ; il est dangereux que le "soin" du patient ne soit plus le premier objectif du médecin ; le patient bien informé (truly informed patient) devrait être la règle.
  23. Avant de conclure ce recensement, je voudrais insister sur un point capital souligné par MMC : "c"
Je n'ai rapporté que quelques éléments de ce livre d'une grande richesse et j'ai tenté de m'interdire de commenter en bien ou en mal ce que disait notre généraliste écossaise.
Mais il y a de quoi faire.

Notes :
1) 1000 personnes sont soumises à ce test "sûr" à 90 %. Imaginons que la prévalence soit de 1 %, c'est à dire que 10 personnes sont atteintes de la maladie : le test en détecte 9 et en laisse passer 1 (test négatif) : 990 personnes n'ont donc pas la maladie et pourtant avec ce test "sûr" à 90 % 99 auront un test positif.
2) Lead-time bias : Une personne prend le TGV à Marseille et une autre le même train à Lyon, les deux passagers meurent lors du déraillement du train à l'arrivée gare de Lyon. Le passager de Marseille a survécu une heure de plus que le passager de Lyon. Trouver une maladie plus tôt peut faire penser que le patient survivra plus longtemps alors que l'heure de la mort est la même.
3) Un article de 1988 (!) a montré que sur 1781 femmes présentant des anomalies légères du frottis examinées entre 1965 et 1984, 10 présenteraient un cancer invasif et que 46 % des tests redeviendraient normaux dans les deux ans suivants.
4) L'evidence-based medicine, nous l'avons vu ici ou , n'est pas pour nous tout à fait cela.
5) A la française : sophia pour le diabète.

 ***

PS du 18 décembre 2015
Point 6 :
Le docteur JY Nau présente les résultats du dépistage du cancer de l'ovaire en valeur relative et non en valeur absolue : voir ICI.





mardi 1 décembre 2015

Evidence Based Pharmacy.

Rayonnage d'une pharmacie Evidence Based Pharmacy

Pas beaucoup d'articles sur le sujet de l'Evidence Based Pharmacy..
Enfin, un peu : ICI.

Je parle bien entendu de la partie Evidence Based Pharmacy qui s'intéresse à la vente directe, sans ordonnances, sans remboursement, l'OTC en anglais, ce que conseillent les pharmaciens en dehors de toute prescription médicale. Mais, en réalité, ce que les industriels appellent l'automédication.
Dans l'Evidence based Pharmacy il y a aussi le contrôle (non, ce mot ne me gêne pas) des prescriptions des médecins, c'est à dire l'analyse des prescriptions elles-mêmes, les doses, les posologies pour chaque molécule/produit, des interactions médicamenteuses possibles, et cetera, mais imagine-t-on cela ? Il y aurait tant à faire et tant de conflits en perspective (et tant de chiffre d'affaire en moins).

Etant entendu que les médicaments ou matériels sur prescription ne seraient pas visibles sur les étagères des EB Pharmacies car il n'est pas possible d'en faire la publicité.

Que pourrait-il bien y avoir comme produit OTC dans les rayonnages d'une EB pharmacie ?

Du paracetamol.
De l'ibuprofène.
De l'acide acétyl salicylique.
De l'acide folique pour les femmes enceintes ou celles qui voudraient l'être...
Une crème émolliente.
De l'alcool à 70 °
Un ou deux anti histaminiques.
Des pansements.
Des compresses.
De la vaseline.
Du savon de Marseille.
Du serum physiologique.

Vous voyez autre chose ?

Allez, je vous vois venir :
La contraception d'urgence.
La pilule pour dépanner.
Et d'autres trucs.

Dans une EB Pharmacie, les produits sont peu onéreux car ce sont des génériques de molécules commercialisées depuis longtemps, amorties, tombées dans le domaine public...

C'est donc un rêve, l'Evidence Based Pharmacie, et un cauchemar pour les pharmaciens qui vendent  en OTS des produits non evidence based par des essais contrôlés.

Je m'attends à ce que mes amis pharmaciens m'assassinent. C'étaient mes derniers mots.

Ce billet m'a été fortement suggéré par la lecture du livre de Margaret McCartney, The patient paradox, Why sexed-up medicine is bad for your health (pages 214 à 216) : ICI.

PS du 8/12/15 : les labos se sucreraient sur les produits OTC ? Sans blague ! Voir LA. Dans le journal Le Monde.

mardi 24 novembre 2015

Lendemain de SPRINT : comme un sentiment de s'être fait avoir.


Après que j'ai analysé l'étude SPRINT (ICI), lu ici ou là des commentaires académiques, les commentaires de CMT, conclu qu'il fallait diablement se méfier de ses conclusions en raison de nombreuses incertitudes protocolaires, je me suis rendu compte vendredi et samedi dernier pendant que je consultais que je prêtais plus d'attention qu'auparavant à la prise de la pression artérielle, et pas seulement systolique, et que je me posais même de sérieuses questions.

La culpabilité.

La prise de la pression artérielle est un des gestes rituels de la consultation de médecine.
Rituel au point qu'à la fin de la consultation, si d'aventure le médecin avait oublié de le faire (sciemment ou non) le consultant tend le bras.

J'ai jadis participé à une Thématique Prescrire sur l'hypertension artérielle où mes résultats au questionnaire final avaient été plus que bons... Ce fut la première et la dernière fois. Pour de multiples raisons tenant à la fois à la mauvaise qualité des documents produits (une resucée des articles Prescrire que j'avais déjà lus), aux efforts que j'avais dû fournir pour cette relecture et pour l'inanité de cette réappropriation. J'avais oublié que l'objectif de cette thématique n'était pas de cocher des cases de QCM pour avoir une bonne note mais de mieux prendre en charge les consultants (et non d'être plus savant). 




Quoi qu'il en soit, je me suis rendu compte, pendant ces deux jours, que je tentais de mesurer la pression artérielle avec mon sphygmomanomètre non électronique en essayant de me rappeler tout ce que j'avais retenu de ma formation thématique Prescrire. Sans oublier les vidéos que j'avais vues sur internet, les conseils multiples et variés sur les conditions de mesure, et cetera.

L'étude SPRINT était en train de me polluer l'esprit.

Et nul doute que c'était, dans l'esprit de ses promoteurs, le seul objectif.

Car, au delà des critiques émises sur le protocole, sur la façon de le mener, sur la cible théorique visée et sur les conclusions à en tirer, je me sens coincé par mes croyances, le socle de mes croyances et sur une vision idéale de la médecine qui serait une médecine parfaite où tout pourrait être contrôlé, où le contrôle serait possible à condition que le médecin soit lui aussi parfait, c'est à dire qu'il mesure "bien" la pression artérielle, qu'il "éduque" "bien" son patient, et cetera.

La normalisation de la prise de la pression artérielle est sans doute une bonne chose en soi puisqu'elle pourrait permettre d'homogénéiser les mesures et ainsi de pouvoir appliquer d'autres directives normalisées, thérapeutiques celles-là, voire, comme c'est déjà le cas dans certains pays, dans certaines institutions, remplacer la prise manuelle de la pression artérielle par des appareils automatiques considérés comme la norme, c'et à dire robotiser cette mesure comme si une mesure pouvait avoir une valeur absolue, et ainsi le protocole SPRINT pourrait-il conduire à la suppression pure et simple des médecins, des infirmières et conduire un appareil Omron à non seulement mesurer la pression artérielle, la comparer à la mesure précédente mais aussi à délivrer une prescription tenant compte des dernières données biologiques du patient contenues dans son Dossier Médical Personnalisé ainsi que de ses antécédents dûment répertoriés par un questionnaire rempli chez soi par le patient derrière son écran d'ordinateur, sans influences donc (?)... une prescription de molécules anti hypertensives vendues par les laboratoires partenaires...

L'étude SPRINT, dont la caractéristique principale est d'avoir modifié constamment en cours d'essai le protocole d'inclusion des patients et les modalités de leur prise en charge en ouvert (seule l'attribution des groupes était randomisée), c'est à dire que le médecin, pas le robot Omron (et encore, on ne sait pas), était au courant du groupe auquel appartenait le patient, l'étude SPRINT avait pour but, comme toujours dans les processus néo libéraux pseudo démocratiques (rationnalisation et contrôle des pratiques) de fixer des objectifs intenables (la façon de prendre la pression artérielle par exemple) et non tenus dans le protocole lui-même, afin que les conclusions de l'essai deviennent des impératifs thérapeutiques, c'est à dire de la prescription à outrance, au cas où, et, suprême élégance de la chaîne de commandement, la responsabilité du non suivi des recommandations non recommandables sera attribuée au pékin en bout de chaîne, c'est à dire le médecin généraliste.

Donc, je continue à mesurer la pression artérielle en mon cabinet et je me sens coupable inconsciemment de ne pas être à la hauteur d'une si belle étude, ce qui me conduira, n'en doutons pas, quand on est confronté à une situation d'impossibilité pratique ou de refus intellectuel, à renoncer.


Rappelons tout de même le génie de Philippe Geluk.

PS du 28 août 2016 : The European Society of Cardiology dit non à Sprint (ICI). Ce n'est pas parole d'Evangile mais...

jeudi 19 novembre 2015

L'étude SPRINT vue de la médecine générale : une méthodologie complexe et criticable et des résultats mitigés.


L'hypertension artérielle (HTA), son diagnostic, les investigations qu'elle entraîne, son traitement, son suivi, sont le pain et le beurre des médecins généralistes et leur souci constant.
Pouvoir disposer d'un essai clinique permettant de mieux traiter "ses" patients en général et dans le contexte de la médecine générale en particulier est passionnant.

Nul doute que l'essai SPRINT dont vous trouverez le protocole ICI et les résultats LA susciteront (et ont déjà suscité nombre d'articles, de commentaires, de prises de position et... de critiques).

Je me permets d'apporter mon grain de sel car les commentaires dithyrambiques que j'ai lus ici ou là, avec, à la fin, des mots de prudence (ICI par exemple), bla bla bla, font partie, à mon avis, d'une stratégie de déploiement pour, comme on l'a vu pour le cholestérol dernièrement avec les recommandations américaines (LA), étendre le domaine de la lutte contre l'HTA chez des non malades ou des prés malades (stratégie de Knock et/ou disease mongering).

Préambule.

Malgré les recommandations, essentiellement nord-américaines et européennes dérivées, le seuil d'intervention dans l'HTA chez le patient naïf, c'est à dire indemne de toute pathologie cardiovasculaire n'est pas aussi clair que cela. Le Joint National Committee 8  indique  en 2014 (ICI) que pour les patients d'au moins 60 ans la pression artérielle systolique (PSA) d'intervention recommandée est de 150 mm Hg et au delà (recommandation de grade A). Pour les patients de moins de 60 ans il faut intervenir pour une PAS supérieure ou égale à 140 mm Hg (niveau de recommandation de grade E ou avis d'expert).
J'ajoute que pour la Revue Prescrire, le seuil d'intervention est fixé à 160/95 mm Hg (Hypertension artérielle de l’adulte. Des repères pour réduire la morbidité et la mortalité cardiovasculaires. Rev Prescrire 2004;24(253):601-11)
Les tenants du tout HTA pouvaient ne pas être contents.


Présentation de l'essai SPRINT (Systolic Blood Pressure Intervention Trial).

C'est un essai multicentrique randomisé d'envergure (mais sans aveugle).

Le fait qu'il y ait beaucoup de centres (102), une structure centralisée, n'est pas une preuve de qualité a priori. Je pencherais même pour le contraire.

Le financement est public mais n'est pas d'une transparence fantastique puisqu'on apprend au détour d'une phrase qu'un médicament, un sartan non commercialisé en France (azilsartan) a été fourni gracieusement par les deux laboratoires effectuant le comarketing US. Je n'ai pas vérifié que les membres du steering committee étaient big pharma free mais aux US, c'est souvent le cas (ce qui devrait faire bondir les experts français qui pensent que seuls les financés par big pharma sont de bons médecins).

Tous les médicaments de l'essai sont fournis.

L'idée de base est la suivante, selon une hypothèse énoncée en 2007 par un panel d'experts réunis sous l'égide du National Heart, Lung, and Blood Institute (NHLBI) : abaisser la PAS en dessous de 120 mm Hg permettrait de prévenir les complications dues à l'HTA chez les non diabétiques.

Ce qui me turlupine quand même c'est la raison pour laquelle un tel essai a été mis en place alors qu'un essai au protocole similaire (on l'a copié) mais pratiqué chez des diabétiques (The ACCORD study group) était négatif (LA)  hormis pour la diminution des AVC (1).

L'idée sous-jacente, je cherche toujours la petite bête, était sans doute triple : premièrement, les médecins chercheurs aiment le concept The lower, the better (on y a droit pour le cholestérol, on y a eu droit pour le diabète), deuxièmement, l'idée que le JNC Committee n'arrive pas à conclure vraiment avec des essais contrôlés, en embêtait plus d'un, troisièmement, le plus c'est bas c'est mieux  signifie plus de molécules donc plus de ventes de molécules, donc plus de cash pour big pharma. (En écrivant ces lignes j'apprends que l'US Preventives Service Task Force publie des recommandations de grade A sur le dépistage de l'HTA. Accrochez-vous encore : les hommes de plus de 18 ans qui sont à risque (à dépister donc) sont ceux dont la PA est comprise entre 130-139 pour la systolique et 85-89 pour la diastolique, et/ou en surpoids ou obèses, et/ou afro-américains. Voir LA)

Le design de l'étude SPRINT

Les critères d'inclusion des patients sont d'une complexité inouïe.
Accrochez-vous.

Etre âgé d'au moins 50 ans, avoir une PA systolique comprise entre 130 et 180 mm Hg, et présenter un risque cardiovasculaire augmenté (défini ainsi : avoir un au moins des critères suivants : une atteinte clinique ou infraclinique autre qu'un AVC ; une affection rénale excluant une maladie polykystique rénale avec une clairance MDRD comprise entre 20 et 59 ; un risque cardiovasculaire d'au moins 15 % sur la base du score de risque de Framingham (voir LA pour le score (2)) ; ou un âge de 75 ans ou plus.

Point important : il s'agissait de malades ambulatoires. Pas de patients institutionnalisés (équivalent EHPAD et autres).

Les patients étaient revus tous les 3 mois et la PA était prise, le patient assis pendant 5 minutes avec un appareil de prise de la PA automatisé (3 mesures).

Concernant l'observance, aucun dosage n'a été effectué.

Le protocole lui-même était le suivant : les patients, par centre, étaient assignés au hasard entre un groupe traitement intensif (objectif cible de PAS inférieur à 120 mm Hg) et un groupe traitement standard (objectif cible de PAS inférieur à 140) (et les soignants savaient bien entendu à quel groupe les patients appartenaient). A chaque nouvelle consultation le traitement était réadapté : dans le groupe intensif pour que l'objectif cible, PAS inférieure ou égale à 120, soit visé et, dans le groupe standard, adaptation du traitement pour que la PAS descende pas au dessous de 130 à une visite ou en dessous de 135 lors de deux visites consécutives.
On apprend également que la chlortalidone était favorisée comme diurétique thiazidique (molécule non commercialisée en France sauf dans deux associations inutilisées en France : logroton et tenoretic) et l'amlodipine comme inhibiteur calcique.


Les objectifs de l'essai.
Objectifs primaires : survenue d'événements groupés en un index composite comprenant infarctus du myocarde, syndrome coronarien aigu (n'entraînant pas un infarctus du myocarde), AVC, insuffisance cardiaque aiguë ou décès dus à une cause cardiovasculaire.
Objectifs secondaires : composants individuels de l'index composite ou décès quelle que soit la cause.

Les résultats

Nombre de participants : 9361

Suivi moyen : 3,26 ans (l'étude a été arrêtée avant son terme pour cause de "bons" résultats dans le groupe intensif)

PAS : dans le groupe intensif 121,4 mm Hg et dans le groupe standard 136,2 mm Hg avec une différence moyenne de 14,8 mm Hg pour 2,8 médicaments prescrits dans le premier groupe et 1,8 dans le second.

Distribution des traitements identique selon les groupes (je pense qu'il faudrait fouiller ce point car je remarque des incohérences importantes : dans le groupe intensif il y a 76,2 % de patiens sous sartan + IEC, 54,9 % de patients sous thiazidiques et 10,3 % de patients sous alpha-bloquants contre respectivement 52,2 %, 33,3 % et 5,5 %).

Plus d'événements primaires sont survenus dans le groupe standard que dans le groupe intensif (319 vs 243 - p inférieur à 0,001). Pour ce qui est des décès toutes causes la différence est significative dès la deuxième année.
Les auteurs parlent du risque relatif de décès par cause cardiovasculaire diminué de 45 % (p=0,005). Je n'ai pas calculé le risque absolu mais, comme d'habitude, il doit calmer les esprits.

Le nombre de malades à traiter (NNT) pour éviter un événement primaire, un décès quelle que soit la cause et un décès cardiovasculaire est respectivement de 61, 90 et 172. 

Chez les patients inclus avec une insuffisance rénale chronique (IRC) pas de différence entre les deux groupes (à ceci près que l'indice composite comprend des critères assez hard : diminution de 50 % de la clairance MDRD et/ou End Stage renal Disease) ; chez les patients sans IRC il y a plus de patients dans le groupe intensif qui présentent une diminution de 30 % de leur MDRD que dans l'autre groupe (p inf à 0,001). Les néphrologues n'ont pas l'air inquiets (ICI).

Les effets indésirables sévères.

Des effets indésirables sévères sont apparus chez 38,3 % du groupe intensif (n=1793) contre 37,1 % dans le groupe standard (n=1736).

Commentaire sur ce point : je trouve que cela fait beaucoup ! Les expérimentateurs ont dû employer le bazooka. Et ils ne parlent pas des effets indsirables non sévères !
Les effets indésirables sévères comme hypotension, syncope, anomalies électrolytiques et insuffisance rénale aiguë sont survenus plus fréquemment dans le groupe intensif (mais pas pour les chutes préjudiciables définies comme nécessitant une hospitalisation et/ou une admission aux urgences (!) et les bradycardies).

A noter : une fréquence significativement plus grande (p inf 0,001) d'atteintes rénales sévères (i.e. ayant nécessité une hospitalisation et/ou une prolongation d'hospitalisation) dans le groupe intensif (4,4 % ; n=204) que dans le groupe standard (2,6 % ; n=120).

Conclusion des auteurs : 

Cibler une PAS de moins de 120 mm Hg, comparé à un ciblage de moins de 140 mm Hg, chez des patients à haut risque d'événements cardiovasculaires mais non diabétiques a entraîné un nombre moins important d'événements cardiovasculaires fatals et non fatals et de décès quelle que soit la cause. Cependant certains effets indésirables sont survenus significativement plus fréquemment dans le groupe 120.


Vu de la médecine générale :

  1. Critères d'inclusion compliqués et très restrictifs, avec des références au score de Framingham (voir LA) qui est un score nord-américain sans aucune pertinence en France (où le risque cardiovasculaire est moins important), ce qui réduit comme une peau de chagrin le nombre de patients à envisager.
  2. Pas de patients institutionnalisés (ce qui, à mon sens, sélectionne sérieusement les patients les mieux portants et les moins sujets aux chutes, par exemple)
  3. Prise de la PAS avec un appareil électronique avec trois mesures consécutives (tout bon praticien de médecine générale sait 1) que dans 90 % des cas la PAS est moins élevée quand elle est mesurée dans le cabinet du praticien habituel que lorsqu'elle est mesurée à l'hôpital, en clinique ou chez un spécialiste libéral en cabinet ; 2) que dans 90 % des cas la PAS est moins élevée quand elle est mesurée par auto-mesures au domicile du patient ;  3) que les données de MAPA sont fluctuantes...
  4. Les traitements de base seront certainement analysés dans un deuxième temps mais les différences semblent a priori très notables entre les groupes.
  5. Pas de données explicites concernant le cholestérol, le tabagisme, et cetera...
  6. Vue la dispersion des valeurs de PAS dans les groupes, il ne me semble pas que l'argument chiffré de PAS différente dans les deux groupes soit très pertinent, la seule chose que l'on peut affirmer, l'étude étant ouverte, c'est que l'effet Hawthorne (LA) a joué plein pot et que le non double-aveugle n'a pas été sans effet.
  7. Ce qui signie qu'il faut traiter intensivement et sans bénéfices 60, 89 et 171 patients pour éviter respectivement 1 événement primaire, 1 décès cardio-vasculaire et 1 décès toute cause.
  8. Enfin, le fait que l'étude ait été arrêtée plus tôt ne, comme dirait Joseph Prudhomme, préjuge en rien de l'avenir et notamment de l'avenir rénal de ces patients.
  9. En conclusion presque définitive : essai intéressant, essai non contrôlé, essai non praticien, essai difficile à reproduire, essai qui va à l'encontre de données antérieures, essai non adapté, à mon sens, aux patients institutionnalisés, essai volontariste et producteur de beaucoup d'effets indésirables sévères. 



Pour compléter l'affaire et d'un point de vue non exhaustif :

Un éditorial dithyrambique du NEJM pour vendre sa soupe : LA.

Un autre éditorial dans la même eau : ICI

Un résumé video en anglais : ICI

Des commentaires dans le New-York Times de Harlan Krumholz ( LA).

Des commentaires américains d'un gériatre : ICI.

Medscape : LA

Un entretien (en anglais) avec Paul Whelton : ICI

Putting SPRINT in focus for primary care : LA

Number Need to Harm in sprint study : ICI

Commentaire CONTRE le 16 décembre 2015 by Andrew J Foy in JAMA internal medicine blog : We shouldn't sprint to lower blood pression. ICI



Références
(1) Cushman WCEvans GWByington RP, et al. Effects of intensive blood-pressure control in type 2 diabetes mellitus. N Engl J Med 2010;362:1575-1585
(2) Commentaires (pertinents) sur l'utilisation des calculateurs de risques par JB Blanc en son blog : ICI)