jeudi 22 mai 2025

Histoire de Santé publique sans consultation 27 : la solitude du malade face à la médecine.

Gwenaël Miliner

Madeleine (c'est un nom d'emprunt) est assise à côté de moi sur une terrasse ensoleillée et nous buvons deux  cafés courts.

Nous étions convenus de faire une petite balade, une courte balade, car Madeleine (toujours un nom d'emprunt et peut-être un genre d'emprunt) souffre d'un cancer qui vient d'être diagnostiqué et opéré.

Je me rends compte qu'elle m'a convoqué pour cette balade car elle doit recevoir cet après-midi les résultats du scanner qui doit renseigner une fois de plus sur les risques d'autres localisations.

Je suis abasourdi.

Comment est-ce possible ? 

Comment une patiente peut-elle recevoir en direct sur son smartphone, c'est à dire sans filtre, sans assistance, sans médecin, un compte-rendu qui indiquera peut-être une extension de sa maladie et des conséquences sur son traitement, sur son avenir, sur sa qualité de vie, sur son espérance de vie ? 

Comment est-ce possible ? 

Est-ce cela la transparence, l'information éclairée des patientes, la procédure patiente centrée, le respect des malades ? 

Je suis pétrifié.

Quand le message arrivera, que se passera-t-il ? Que devrais-je faire ? Devrais-je mentir ? Je ne connais pas vraiment le dossier puisque je n'ai parcouru que des comptes-rendus, je n'ai fait que de l'air médecine...

Nous parlons de choses et d'autres pour meubler le temps, pour nous distraire de cette terrible réalité qui va arriver par message électronique, ce constat pixélisé, interprété, mâché, vrai ou faux, sur un écran de smartphone... La médecine moderne, le nouvel entretien singulier entre le soignant et le soigné sur un écran...

Elle consulte sa messagerie toutes les trois minutes et elle finit par me dire : ça y est, c'est arrivé.

Elle me tend le téléphone. "Je n'ai pas le courage." 

Je ne réponds pas "Moi non plus" mais je le pense très fort.

Je lis pour moi-même le compte-rendu en ne sachant pas si je dois aller vite ou lire dans les détails, en me sachant scruté par mon amie... 

C'est rassurant de chez rassurant, pas de saloperie dans le cerveau, le poumon, l'abdomen, et cetera.

"Tout va bien !"

Elle reprend son téléphone et se met à lire. "Et le petit épaississement sur la paroi du colon..." J'avais lu mais aux yeux d'un presque profane, cela me paraissait non pertinent. 

"Tu peux être rassurée." 

"J'avais tellement peur qu'il y ait quelque chose..." (Je ne dis pas : Et moi ! Comment aurais-je assumé ?) "Je suis tellement contente..."

La chimiothérapie va pouvoir commencer (elle était prévue quels qu'aient été les résultats du scanner et après que le TEP scan avait été négatif).



samedi 3 mai 2025

Histoire de Santé publique sans consultation 26 : un CSP ++ qui ne connaît pas l'existence du 15.



Je rencontre boulevard du Roi (Versailles) une vieille connaissance, 77 ans, qui a l'air frais et dispos, floride, le teint bronzé par un séjour récent en Bretagne, tous les Versaillais de souche disposent d'une maison de famille en Bretagne où les cousins peuvent s'échanger leurs chaussettes bleues reprisées à l'oeuf, les loden vert passé effilés aux manches, les robes à smock trop souvent lavées, les souliers vernis, les noeuds dans les cheveux sans oublier les vélos à l'ancienne avec traces de rouille ou les costumes de bain aux couleurs passées. Bref...

Nous parlons de la pluie et du beau temps, ma connaissance est un ex-centralien qui fait du bénévolat pour permettre à de jeunes chômeurs et chômeuses de retrouver un emploi, il est occupé, il est très préoccupé par la santé (je l'apprends sur le trottoir du boulevard du Roi, à l'ombre des frênes centenaires taillés au cordeau) et il m'entreprend sur le sujet des déserts médicaux.

Sujet dangereux mais moins que de lui parler médecine et de réactiver ses angoisses.

Il a un avis très tranché : "On attend trop..." Il continue : "Les médecins n'assument plus les gardes..." Je tente d'intervenir sur les statistiques flatteuses des gardes sur la totalité de la France (95 %) mais il ne m'écoute pas, il sait ce qu'il doit penser, il continue encore : "Imaginez une urgence en pleine nuit à Versailles... Qu'est-ce qu'on pourrait faire ? Je vous le demande... - Appeler le 15 ?" Il me regarde comme si je débarquais du pôle. "Le 15 ? Ça marche à Versailles ? - Oui..." 

Il me parle aussi de ces médecins qui refusent la régulation des installations. Je lui rétorque tous les arguments que tout le monde connaît sauf Garot et sa clique opportuniste de politiciens pour lesquels l'accès aux soins se règle par un  coup de fil à des copains qui ont vu le copain du copain.

Je continue de discuter avec un Centralien qui ne sait pas compter jusqu'à 15 et j'apprends qu'il se préoccupe de sa santé avec beaucoup de constance... C'est un partisan du dépistage, il n'a jamais raté un PSA, m'affirme-t-il, jamais raté un test fécal de dépistage du cancer du colon. Quant au rôle du cholestérol dans les maladies cardiovasculaires, il n'y croit guère, mais son médecin généraliste, "il est bien", lui fait doser tous les ans... "Il suffit de manger sain" ajoute-t-il et il ajoute qu'il est un client assumé et régulier de Biocoop et des maraîchers de la région. Amen.

Je ferme ma goule. Je ne lui dis pas que je ne connais pas mon taux de cholestérol, que je n'ai jamais eu "droit" à un PSA (sauf une fois où un spécialiste de tout autre chose, il y a de nombreuses années, l'a rajouté sur l'ordonnance), que je n'ai jamais recherché, malgré de nombreuses invitations, de sang dans mes selles...

Tiens, à propos... Il est scandalisé que le ce dépistage s'arrête à 74 ans, "Je connais quelqu'un qui a fait un cancer du colon à 79 ans et il y en avait partout !"

Donc, voilà quelqu'un qui fait partie des CSP ++ et dont la retraite est un scandale pour les plus jeunes qui joue le jeu de la dépistologie et de la prévention (il ne fume pas, il boit très peu, il mange bio) et qui, s'il était interrogé lors d'un sondage comme celui-ci, dirait que l'accès aux soins à Versailles (78000) est "compliqué, loin ou partiel" alors qu'il habite à moins de 10 mn en voiture de l'hôpital Mignot et/ou de la clinique de Parly 2 (classement national du journal Le Point en 2020 : "Stimulateurs cardiaques : 5ème · Chirurgie cardiaque adulte : 9ème · Cardiologie interventionnelle : 15ème") mais qu'il ne sait pas que l'on peut appeler le 15 en cas d'urgence !

Vous n'ignorez pas ce que je pense de ces classements alakhon. Mais...


jeudi 1 mai 2025

Premier mai (dans notre série La chute finale) : la France, championne Europe (UE) pour les accidents du travail...

 


Les épisodes précédents de La chute finale nous ont rappelé que la France chutait comme une pierre :

  • Pour la mortalité infantile dans l'UE : 23 ème pays sur 27
  • Pour la corruption dans le monde : 25 ème place mondiale pour l'indice de perception de la corruption.


Abordons maintenant un sujet social : les accidents du travail en France.


3,53 accidents mortels du travail pour 100 000 salariés en 2021

Les comparaisons sont difficiles à faire parce que les déclarations d'accidents du travail ne sont pas identiques dans les différents pays d'Europe et ne répondent pas toujours aux même critères (date du décès par rapport à l'accident, causes de l'accident, critères de validation de l'accident...). Pour information : la moyenne de l'UE est de 1,76/100 000


ICI

Si on remonte en 2019, les chiffres montrent que la France est le pays avec le plus d’accidents de travail mortels par 100 000 travailleurs : 3,53 (ce qui représente 790 décès soit deux morts au travail chaque jour). Près du double de la moyenne des 27 pays membres de l’Union Européenne (1,74) et bien loin devant les meilleurs élèves que sont les Pays-Bas (0,48) et la Suède (0,72).

Il existe par ailleurs une augmentation constante des accidents de travails mortels entre 2010 et 2020.


Les accidents non-mortels : la France, pire pays de l'Europe

Pour les accidents non-mortels (mais là encore il faut être prudent pour les raisons déjà évoquées sur les différences de prise en compte et de réglementation), La France est la plus mal classée, avec environ 3 000 accidents pour 100 000 travailleurs, devant le Danemark et le Portugal, contre une moyenne UE bien inférieure (LA).

En 2019 : 780 000 accidents du travail non mortels


Et, le saviez-vous, l'anticipiez-vous, le subodoriez-vous ?

Les ouvriers sont nettement plus exposés aux accidents du travail.

(les accidents de trajet mortels, comptabilisés séparément, sont de 300 à 400 par an selon les années).

Conclusion 1 : L'Église française de Préventologie ne fait pas son boulot !

Conclusion 2 : Comment la sixième économie mondiale en est arrivée là ?