mercredi 28 novembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : Jeanne Lenzer. #5

L'actualité des révélations des #ImplantFiles et le dévoilement du scandale international des implants médicaux rend la lecture de Jeanne Lenzer indispensable. 
Jeanne Lenzer a longtemps collaboré au British Medical Journal et ses articles sont parus dans le New York Times Magazine, dans Atlantic, dans The New Republic et dans d'autres publications. 
Je rappelle qu'elle a écrit son livre récemment et qu'elle décrivait, à partir d'un cas, le système non régulé de la commercialisation des implants médicaux, la faiblesse coupable de la FDA due à sa corruption, l'absence d'essais cliniques de bonne qualité, les tromperies des fabricants, la corruption des médecins et la passivité des autorités.

J'en avais fait un résumé (laudateur) en mai 2018 : LA.


Lenzer Jeanne. (2017) Danger within us. America's untested, unregulated médical device industry and one man's Battle to survive it. NewYork: Little, Brown and Company, 329 pp.


Le livre de Jeanne Lenzer, The danger within us, est un bijou. Ecrit pour le grand public et dans un style volontiers journalistique, il raconte l'histoire d'un patient épileptique qui a lutté et a fini par survivre (mais à quel prix !) à l'industrie américaine des dispositifs médicaux non testés et non contrôlés, et l'auteure nous donne en exemple ce que peut être une santé tournée exclusivement vers le profit.

Quand vous aurez lu ce livre il vous sera difficile de regarder le site promotionnel de Cyberonics : LA  sans avoir envie de quitter l'exercice de la médecine et de vous interroger sur ce que les autres laboratoires font. Quant aux propos de cette association, elle vous achèvera : ICI

Car Jeanne Lenzer, à partir d'un cas exemplaire de patient, nous décrit non seulement les dangers de se faire implanter un VNS (Vagus Nerve Stimulator) dont l'AMM a été obtenue avec des études peu convaincantes, sauf pour les experts de la FDA (l'exposé qu'elle fait des trucages des essais, des dissimulations de données, et comment les experts passent outre), mais surtout l'incroyable façon qu'a eue Cyberonics, la société qui commercialise le stimulateur, de corrompre la FDA, de corrompre les prescripteurs, de falsifier les publications, de ne pas déclarer les effets secondaires graves qu'elle connaissait, de mettre en avant des témoignages positifs de patients en taisant les autres, et de mettre en danger la vie de ces mêmes patients avec un cynisme (le mot est faible) incroyable. Selon les données (critiquables comme toujours) des bases publiques de recueil de données (MAUDE, Manufacturer and User Facility Device Experience) le VNS aurait entraîné depuis sa commercialisation en 1997 le décès de 2000 patients (2016) au prix de 40 000 dollars le dispositif.

Le point essentiel est le suivant : le business de la santé aux US est plus important en chiffre d'affaires  que big oil, big banking, et surtout que le si célèbre complexe militaro-industriel : les dépenses liées à ce dernier étaient évaluées en 2015 à 1,3 mille milliard de dollars contre 3,2 mille milliards de dollars pour les dépenses de santé (avec des résultats déplorables en termes de santé publique). Pour la suite : ICI.


Jeanne Lenzer is associate editor at The BMJ, an independent journalist and a former senior clinical policy analyst for The Institute of Family Health, New York. In these capacities and as an occasional medical editor, she has been paid by many outlets, such as The BMJ, New York Times Magazine, Discover, The Atlantic, The New Republic, Mother Jones, The American Prospect, USA Today, Newsweek Japan, The Independent on Sunday, Slate, Huffington Post, American College of Emergency Physicians’ ACEP News, Harvard’s InteliHealth, and John Snow, Inc. She has received speaker’s fees and travel expenses from academic and professional physician groups and journalism groups. She does not accept pay or gratuities from drug or device makers, health insurance companies, or attorneys. Over a decade ago, she was paid by the New York State Office of Professions for case reviews related to physician assistant practice and once by an attorney to review a PA’s duty of care related to a lawsuit. She does not have any known investments in pharma or device makers, or insurers, but does have a small retirement fund through TIAA-CREF, a fund for academics and teachers.

mardi 27 novembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : Peter Gøtzsche. #3

Illich critiquait la contre-productivité du système de santé (voir LA) et McKeown, à l'inverse (voir ICI), magnifiait les résultats obtenus par le système de santé en relativisant, dans une perspective historique, les rôles respectifs de la médecine pure et dure et du reste (les progrès de l'hygiène, la sécurité alimentaire et les services de santé et de protection sociale).
Peter Gøtzsche dénonce lui le complexe santéo-industriel, qu'il appelle une mafia, et, surtout, les malversations, la corruption et les effets indésirables majeurs des procédures médicales.
Son éviction de la Cochrane (ICI) est la conséquence de ses prises de position scientifiques et politiques qui allaient à l'encontre du complexe santéo-industriel.

Le business de la santé aux US est plus important en chiffre d'affaires que big oil, big banking, et surtout que le si célèbre complexe militaro-industriel : les dépenses liées à ce dernier étaient évaluées en 2015 à 1,3 mille milliard de dollars contre 3,2 mille milliards de dollars pour les dépenses de santé 

Lire Gøtzsche est indispensable. La prescription de médicaments est la troisième cause de décès après les maladies cardiovasculaires et le cancer. il est allé regarder ce qui se passait.


Gøtzsche Peter. 2013 Deadly Medicines and Organised Crime. How big pharma has corrupted healthcare. London: Radcliff Publishing, 310 pp.

Il y a aussi la traduction française de Fernand Turcotte dans une édition canadienne que je n'ai pas lue   :






Vous pouvez aussi aller jeter un oeil sur son blog : LA.

Les 4 grands thèmes de Peter Gøtzsche sont : le sur diagnostic et le sur traitement, le dépistage organisé du cancer du sein ne sauve pas de vies, les données de sécurité et d'efficacité du Gardasil ne sont pas jugeables carde nombreux documents n'ont pas été rendus publics par les firmes pharmaceutiques, les anti dépresseurs, trop prescrits, sont dangereux chez les plus jeunes en augmentant le nombre de suicides.

PS du 4 novembre 2019 : une critique de son livre : ICI.


lundi 26 novembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : Thomas McKeown. #2

McKeown est l'imparfait contradicteur de Ivan Illich puisque sous le prétexte de raconter ce qui a conduit aux formidables succès épidémiologiques de l'époque moderne, il fait la part de ce qui revient à la médecine et de ce qui revient au reste, les effets concomitants et déterminants de l'amélioration d l'hygiène publique et privée, de l'amélioration de l'alimentation et de la sécurité alimentaire et de l'organisation des services de santé et de protection sociale universalisés et solvabilisés. Il contredit à la fois la thèse d'Illich et celle des triomphalistes de la médecine pure et dure.



McKeown Thomas. (1979) The rôle of Medicine: Dream, Mirage or Nemesis. Oxford: Basil Blackwell.



Le livre est accessible en ligne (et en anglais ; cela fait partie des innombrables livres non traduits en français...)  : ICI.

Une critique favorable du livre en anglais : 
In a book that is often grouped with Effectiveness and Efficiency (Cochrane) and Limits to Medicine(Illich), Dr McKeown attempts to calculate the role of medicine in the improvement in health seen over the preceding centuries. He also points out the current problems with medicine (in the 1970s, anyway) and makes suggestions for the future of medical practice, education and research.  Fortunately, many of his suggestions have been realised, but unfortunately, the contribution of medicine to the continuing improvement in health remains overestimated.
Pour la suite : LA.

Et des critiques défavorables, dont celle-ci de 2002 : ICI.

Dont voici la conclusion : 
A large and growing body of research suggesting that broad social conditions must be addressed in order to effect meaningful and long-term improvements in the health of populations has validated the underlying premise of McKeown's inquiries. This research challenges public health professionals to view targeted interventions and social change, not as dichotomous or opposing choices, but rather as essential complements to each other, and to find ways to integrate technical preventive and curative measures with more broad-based efforts to improve all of the conditions in which people live. These concepts, which lie at the heart of the McKeown thesis, account in large measure for its continuing resonance in the field of public health. McKeown's work, empirically flawed though it may have been, placed before a wide audience a set of practical and ethical challenges with which policymakers in the United States and internationally will continue to grapple in the coming decades.

Et encore celle-ci (LA) de 2008 dont voici le résumé : 

Thomas McKeown was right in his primary claim that changing environments, rather than improved medical care, were responsible for much of the long wave of historical mortality decline in the UK since 1700. He was, however, apparently unaware that the beginning of the decline in infant and early-childhood mortality lagged behind that for adults by a few decades, and therefore that its causes might have been fundamentally different. In fact, current evidence indicates that his suggestion, that ‘improved nutrition’ was the underlying factor in the overall decline, now appears to have been essentially correct for the much earlier decline in adult mortality, especially due to tuberculosis. However, the current consensus is that changing reproductive patterns, occasioned by a changing socio-cultural and perhaps legal environment, related to child labor laws, lay behind the much later and very rapid decline in early-life mortality. One must therefore give McKeown great credit for his grasp of both the importance of nutrition, and of the environment, as basic determinants of health.



dimanche 25 novembre 2018

Calendrier de l'avent des lectures médicales : Ivan Illich. #1

C'est le début de la présentation de livres dont la lecture paraît indispensable à tout médecin, tout professionnel de santé, tout acteur du soin, tout aidant, tout citoyen non malade ou malade, tout décideur politique ou administratif ou privé, tout commentateur de la santé (journaliste, économiste, philosophe, épistémologue, démographe, géographe, et cetera).
Il est évident que je ne partage pas tout ce qui est écrit mais la seule façon de ne pas être d'accord c'est de lire ce que l'autre pense.




Illich Ivan. (1975) Nemesis médicale. L'expropriation de la santé. Paris: Seuil, 224 pp.

"L'entreprise médicale menace la santé. La colonisation médicale de la vie quotidienne aliène les moyens de soins. Le monopole professionnel sur le savoir scientifique empêche son partage. 
Une structure sociale et politique destructrice trouve son alibi dans le pouvoir de combler ses victimes par des thérapies qu'elles ont appris à désirer. Le consommateur de soins devient impuissant à se guérir ou à guérir ses proches. Les partis de droite et de gauche rivalisent de zèle dans cette médicalisation de la vie, et bien des mouvements de libération avec eux. L'invasion médicale ne connaît pas de bornes." voir ICI

La contre-productivité

Dans la première partie de sa vie, Ivan Illich s’est attaché à travers ses livres les plus connus (Une société sans école (1971), Énergie et équité (1973), La Convivialité (1973), Némésis médicale (1975)), à élaborer une critique de la société industrielle en montrant que ses structures de services, l’école, les transports, la médecine, vont, passé un certain seuil, à l’encontre des objectifs qui leur sont attribués. L’école ôte à l’élève l’envie et la capacité d’apprendre par lui-même, l’autoroute empêche les moyens de transports traditionnels comme la marche ou le vélo d’exister, l’hôpital crée plus de maladies qu’il n’en soigne. C’est ce qu’exprime son concept de contre-productivité. Mais le plus grave est que ces services institutionnalisés rendent le recours à des savoirs experts incontournables, privant les individus de moyen simples et à leur portée, à leur mesure, de gérer leur vie ou de résoudre leurs problèmes. En bref, la société industrielle engendre l’hétéronomie et aliène les femmes et les hommes qui la composent. Il n’en va cependant pas ainsi de tous les systèmes techniques. L’important est que l’équilibre entre autonomie et hétéronomie soit respecté. Je ne fabrique pas ma bicyclette tout seul, mais je peux la conduire et la réparer sans un long apprentissage. Ici, entre mon outil et moi, la synergie est positive, c’est la convivialité. Une voiture à l’inverse impose sa loi au conducteur, mais aussi une certaine conception de l’espace et du temps. Elle suppose un réseau routier élaboré, un apport énergétique externe et une capacité économique telle que passé un certain seuil elle fait perdre plus de temps qu’elle n’en fait gagner. Voir LA.

mardi 13 novembre 2018

Placebo, effet placebo, granules, homéopathie, éthique, Assurance maladie.


Pour résumer de façon succincte et non exhaustive.
  1. La médecine "moderne", "scientifique" (et "occidentale") est fondée en théorie sur l'exigence de preuves qu'une procédure (une molécule seule ou associée, une intervention chirurgicale, une prise en charge kinésithérapique, un dispositif implantable, une mesure de dépistage, une mesure de prévention, un ou des soins, et cetera) est efficace et qu'elle présente un rapport bénéfice/risque acceptable. Ces preuves peuvent être apportées au mieux par au moins un essai contrôlé positif (mais il vaut mieux qu'il y en ait deux), c'est à dire randomisé, en double-aveugle, procédure active versus placebo (essais de supériorité) ou procédure active versus procédure ayant déjà fait la preuve de son efficacité (essais de non infériorité). 
  2. La médecine moderne évaluative date de 1948 quand a été publiée la première étude randomisée en double-aveugle streptomycine versus placebo dans l'indication tuberculose pulmonaire, Streptomycin treatment of pulmonary tuberculosis, dont les promoteurs étaient une structure publique.
  3. Il s'agissait de prendre en compte (et d'éliminer) l'effet placebo, c'est à dire d'identifier le "vrai" pouvoir thérapeutique d'une molécule active, toutes choses égales par ailleurs (1) (2) (3). Quelques précisions supplémentaires : (4)
  4. En 2018 aucun essai "granules homéopathiques versus placebo" n'a fait la preuve de l'efficacité des dites granules.
  5. La messe est dite
  6. Je vous épargnerai la fameuse, trop fameuse phrase : l'absence de preuve n'est pas une preuve d'absence.
  7. Du point de vue de la médecine moderne les granules homéopathiques, quelles que soient les indications thérapeutiques dans lesquelles ils sont proposés, peuvent donc être considérés comme des placebos purs
  8. Il paraît donc normal et licite que les granules homéopathiques ne soient plus remboursés par l'Assurance maladie.
  9. Ce qui est gênant est ceci : nombre de molécules, de procédures et/ou de soins, sont remboursés par l'Assurance maladie sans qu'ils aient été soumis à des essais contrôlés ou, plus grave, il arrive que des essais aient été menés et aient montré qu'ils n'étaient pas efficaces et il n'y a pas eu de déremboursement (5). Des chercheurs états-uniens et britanniques ont montré que seules 35 à 54 % des procédures thérapeutiques sont validées selon les critères de la médecine moderne (voir LA)
  10. On peut donc affirmer que l'utilisation de placebos en médecine est courante, qu'elle soit volontaire ou involontaire.
  11. L'utilisation des placebos impurs est rarement abordé. Les placebos impurs sont par exemple des antibiotiques prescrits pour des angines virales ou dans des bronchites sans facteurs de risque. Ce sont aussi des vitamines prescrites hors carence ou des fluidifiants bronchiques. Les placebos impurs sont aussi des molécules actives prescrites hors AMM dans des indications où des évaluations scientifiques n'ont pas été faites mais où des bruits de couloir parlent d'une efficacité (cf. infra point 18).
  12. La question n'est donc pas, comme il est lu ici ou là, de renoncer ou non à l'effet placebo en médecine car il est inhérent à la pratique médicale mais aussi à la pratique non médicale qu'elle soit sacrée ou non.  A partir du moment où une personne souffrante, malade décide de consulter un médecin, un non médecin ou un chaman, elle se livre, par conventions sociales, sociologiques,  religieuses, anthropologiques ou autres à l'effet placebo. C'est l'aspect contextuel de la recherche du soulagement ou de la guérison (ce que l'on appelle de façon contemporaine Les représentations collectives de la santé). Même s'il n'y a pas de prescription médicamenteuse.
  13. Renoncer à l'effet placebo serait aussi renoncer à l'efficacité globale des procédures actives (cf. supra le schéma en haut du billet) mais c'est bien entendu impossible puisque l'efficacité de tout geste de soins comprend l'effet placebo (même et surtout un simple contact physique empathique avec le patient).
  14. Donc, les homéopathes qui argumentent sur l'effet placebo que les médecins non homéopathes combattraient se trompent de cible. Tout comme les médecins non homéopathes qui leur répondent.
  15. Un des arguments "marronniers" des homéopathes, non démontré à ma connaissance, serait qu'il écoutent plus et mieux leurs patients que les autres. C'est introduire une nouvelle notion, celle du médecin médicament qui est une notion répandue chez tous les pourvoyeurs de soins (voir plus haut l'effet contextuel). Un analyste d'obédience freudienne, Michael Balint, souvent cité, peu lu, a mis à jour deux faits de ses observations tirées de la pratique de groupes avec des médecins généralistes, sur les interactions entre patients et médecins : a) le médecin considère souvent qu'il est le meilleur médicament pour son patient ; b) le médecin peut exercer un effet nocebo considérable sur ses patients. D'où l'intérêt des groupes Balint pour en discuter.
  16. Une incise : un placebo peut entraîner un effet nocebo. Les essais randomisés en apportent la preuve. Dans un essai placebo versus anti hypertenseur il existe des effets indésirables de la série cardiovasculaire dans le groupe placebo. Dans un essai placebo versus anti ulcéreux il existe des effets de la série gastroentérologique dans le groupe placebo. Ainsi, par un effet évident, les effets indésirables supposés de la molécule active sont attribués au placebo.
  17. Une autre incise : il est parfois très difficile de démontrer l'efficacité d'une molécule dans des domaines où il est reconnu que l'effet placebo en général, lié à la prescription on non d'une molécule active, est très élevé. L'effet placebo est en moyenne de 30 à 35 % mais il peut atteindre 75 à 80 % dans les pathologies anxieuses et/ou dépressives !
  18. La vraie question est celle-ci : Est-il éthique de prescrire un placebo à un patient en sachant qu'il s'agit d'un placebo ? (6)
  19. Répétons les propos de Howard M Shapiro qui me semblent fondamentaux : "... Je voudrais souligner plusieurs dangers liés à l'utilisation d'un placebo : cela pollue la relation médecin malade, cela accentue la relation asymétrique -paternalisme- existant entre les médecins qui savent et les patients qui souffrent, cela peut être médicalement dangereux -spécialement quand le but du médecin est de savoir si oui ou non le patient souffre d'une affection organique- et renforce l'arrogance du médecin, infantilisant les patients encore plus... Finalement nous avons à considérer ce qui peut être le plus grand danger pour le médecin, à savoir que donner un placebo pourrait lui donner une opinion encore meilleure de ses propres capacités à aider."
  20. En résumé : quand les homéopathes nous parlent de l'effet placebo, au lieu de leur répondre, "Ben, on est pareils", ce qui est vrai, il serait plutôt nécessaire de les (nous) interroger sur l'aspect éthique de la prescription d'un placebo.
  21. Ainsi, l'autre question cruciale est : les homéopathes sont-ils sincères en pensant ne pas prescrire un placebo ? (Il est probable qu'il est difficile de parler des homéopathes en général, certains étant exclusifs, d'autres prescrivant des procédures non homéopathiques en plus de leurs prescriptions de granules, d'autres ne le faisant qu'exceptionnellement, en appoint.)
  22. Faudrait-il qu'ils disent à leurs patients (comme cela a été suggéré par certains chercheurs à propos de placebos non homéopathiques - avouons que cette distinction ne manque pas de sel !) : Je vous prescris des granules homéopathiques qui n'ont pas fait la preuve de leur efficacité dans des essais contrôlés mais qui peuvent vous soulager.
  23. Et surtout : il existe un problème d'indications. Quand un homéopathe prescrit des granules pour soulager l'anxiété, ce n'est pas pareil que lorsqu'il prescrit d'autres (?) granules pour traiter un cancer.
  24. Ce qui sous-tend ceci : Est-il éthique de prendre en charge un patient dans une pathologie pour laquelle nous ne sommes pas capables de lui proposer des solutions répondant à l'Etat de l'Art actuel ?
  25. Pour terminer ce bref aperçu abordons la question suivante : Faut-il que les consultations faites par des homéopathes soient remboursées par l'Assurance maladie ? La réponse est compliquée :  les homéopathes purs sont des médecins qui prescrivent des placebos à des patients qui croient en l'homéopathie. Est-il contraire à l'éthique de prescrire des placebos granuleux dans des indications comme l'anxiété, le rhume ou l'insomnie ? Voir le point 18. Mais si les indications sont cancer, corps étranger intra trachéal ou vaccination contre la grippe, cela relève du Conseil de l'ordre des médecins.
  26. Enfin : l'homéopathie est une croyance à l'aune de ce que nous savons actuellement de la médecine moderne. Cette croyance est facile à combattre avec des arguments scientifiques, éthiques et pratiques. Il est en revanche plus difficile de lutter contre les croyances de la médecine académique. Mais c'est un autre sujet (cf. point 9).
  27. Quant aux laboratoires qui fabriquent des granules homéopathiques, c'est une histoire qui mériterait une enquête approfondie sur l'industrie pharmaceutique en général et sur la corruption des esprits en particulier.

Notes

(1) Iain Chailmers, un des fondateurs de la Collaboration Cochrane, en explique ICI les raisons. Pour les plus curieux l'étude de 1948 n'arrive pas comme un cheveu sur la soupe, elle a une histoire racontée brièvement par Bothwell et Podolsky dans le NEJM : LA.
(2) Rétrospectivement on peut dire que les promoteurs prenaient peu de risques... Pourtant, des cliniciens se sont cru obligés de le faire et ils ont eu raison.)
(3) Cette étude aurait pu être le modèle qui allait être suivi par tous et partout pour l'expérimentation et la commercialisation de nouvelles procédures. Mais ce n'est qu'en 1970 que la FDA a exigé ce type d'études et seulement pour les molécules, pas pour les procédures en général !
(4) Dans les essais cliniques randomisés en double-aveugle (et malgré toutes les critiques méthodologiques que l'on peut faire en général et selon les essais) les patients sont avertis qu'ils sont tirés au sort, et l'aspect des molécules (principe actif et placebo) est identique, ce qui évite en théorie l'effet médecin bien qu'il faille également prendre en compte l'effet centre (la structure dans laquelle le patient est reçu), l'effet boîte, l'effet couleur, bla bla bla, ce qui élimine également les effets classiques en médecine "ouverte" à savoir la régression à la moyenne, l'effet Will Rogers et le paradoxe de Simpson mais surtout l'effet Hawthorne (LA) : Les modifications des comportements naturels de sujets d'études en raison de leur participation à cette dernière peut entraîner une surévaluation des effets du traitement, en particulier dans le groupe contrôle
(5) De nombreux exemples contraires peuvent être trouvés mais il s'agit le plus de retraits du marché liés à des effets indésirables graves
(6) (http://www.bmj.com/cgi/content/full/337/oct23_2/a1938)
A peu près la moitié des internistes et des rhumatologues qui ont répondu à l’enquête (679 sur 1200 contactés, 57 %) rapportent qu’ils prescrivent des placebos de façon régulière (46 à 58 % selon les questions posées). La plupart des praticiens (399, 62 %) pensent que cette pratique est éthiquement admissible. Peu rapportent l’usage de comprimés salés (18,3 %) ou sucrés (12,2 %) comme traitement placebo alors qu’une large proportion rapporte l’usage d’analgésiques en vente libre en pharmacie (over the counter) (267, 41 %) et de vitamines (243, 38 %) comme traitement placebo durant l’année pasée. Une petite mais notable proportion de médecins rapporte l’usage d’antibiotiques (86, 13 %) et de sédatifs (86, 13 %) comme traitement placebo pendant la même période. Bien plus, les praticiens qui utilisent les traitements placebo les décrivent à leurs patients comme potentiellement bénéfiques ou comme non classiquement utilisés pour leur maladie (241, 68 %) ; très rarement ils les décrivent explicitement comme des placebos (18,5 %).

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mardi 6 novembre 2018

Scènes de la vie vaccinale en France



Parler des vaccins est devenu difficile (truisme).

Critiquer tel ou tel vaccin est devenu impossible (fait).

Imaginons qu'un médecin dise et publie qu'il existe des impuretés dans certains lots (génériques) de valsartan. Dira-t-on pour autant qu'il est un anti médicaments anti hypertenseurs (antiHTAxx) et/ou un anti médicaments génériques (antigenerixx) ? Non. On lui expliquera bla bla que, voilà, il est possible, dans le processus industriel que des erreurs soient commises. Il sera plus difficile de faire admettre que ce manque de contrôle est lié par nature à la globalisation du marché des médicaments et à leur banalisation.

Imaginons qu'un médecin dise et publie que l'utilisation des antibiotiques dans les angines virales est inefficace et pourrait favoriser la survenue de résistances bactériennes, on l'écouterait de façon polie, tout le monde le sait, et on lui dirait qu'il a raison de le souligner, qu'il est effectivement nécessaire de sensibiliser encore plus les médecins aux bonnes pratiques. Dira-t-on pour autant qu'il est un anti médicaments antibiotiques (antiantibioxx) ?

Imaginons qu'un médecin dise et publie (ICI) que depuis la mise sur le marché des vaccins anti pneumococciques chez l'enfant, le nombre d'infections à pneumocoque a peu diminué et que l'on a vu l'émergence de nouvelles souches provoquant des infections tout aussi graves. Eh bien, là, branle-bas de combat contre un complotiste, un anti science, un agent des forces obscures, un sectaire, un mangeur d'enfants au petit déjeuner, un égoïste, et cetera (et finalement un antivaxx).


Le débat vaccinal est un débat intellectuel comme un autre à ceci près qu'il existe des données dures, c'est à dire vérifiables et reproductibles.

Certains médecins pro vaccins a priori (je signale que je fais partie de la cohorte des médecins qui sont à la fois favorables sans réticences aucunes à certains vaccins, plus réticents vis à vis d'autres vaccins mais vaccinant tout de même et très réticents à l'égard d'autres que j'essaie de ne pas injecter), certains médecins vaccinolâtres (c'est un mot qu'ils revendiquent), sont tombés à bras raccourcis sur ce dernier médecin qui a produit ces faits. J'ajoute que les antivaxx ont fait de même mais que j'ai un peu de mal, bien que les méthodes intellectuelles se ressemblent, à mettre dans le même panier les premiers et les seconds pour d'évidentes raisons de Santé publique. (1)

Tous ces braves gens (et notons qu'il est possible, ici et là, que je puisse parfois prendre la même posture intellectuelle) sont soumis à des schémas intellectuels qu'ils n'ont pas analysés.

Ils oublient le principe de charité qui peut être défini ainsi selon les écrits de deux philosophes états-uniens (Quine et Davidson) : "Le principe de charité est un type de compréhension des propos d'autrui qui consiste à attribuer aux déclarations de ce dernier un maximum de rationalité." Voir LA.

Mais les vaccinolâtres qui refusent le débat pour des raisons idéologiques qui seraient un amalgame entre la science pure et dure qui dit la science, la lutte contre le charlatanisme et la pensée magique, affirment haut et fort que les vaccins sont la première raison de la diminution de la mortalité infantile au cours des âges et de l'allongement quasi illimité (ils se trompent) de l'espérance de vie à la naissance et qu'ils sont ontologiquement sans danger (l'incertitude existe), utilisent une triple démarche pour disqualifier le médecin qui rapporte des faits troublants sur les vaccins anti pneumococciques
  1. Les motivations honteuses qu'on lui attribue (se faire mousser par hypertrophie de l'ego et/ou vendre un livre et/ou être finalement un antivaxx caché)
  2. Les complicités douteuses qu'on lui découvre (des antivaxx avérés ont pu déjà citer ses écrits ou propos)
  3. Les conséquences désastreuses que son discours est censé produire (diminuer la couverture vaccinale)
(Je reprends ici exactement les termes d'André Perrin dans son livre "Scènes de la vie intellectuelle en France, Paris 2016, Edition de l'artilleur/Toucan, 238 pages" à la page 45)

Un autre procédé bien connu est celui de l'argument d'autorité. Les seuls qui ont droit de parler des vaccins (à part ceux qui y sont favorables et pour lesquels leur statut n'a aucune importance, c'est à dire qu'on ne leur demande pas "d'où ils parlent" puisqu'ils sont d'accord) sont les infectiologues,  les virologues, les immunologistes, voire les ministres de la santé, et cetera. C'est la République des experts issue du meilleur système du monde, celui de la méritocratie pure (on lira avec intérêt le rapport de la DREES sur l'origine sociale des inscrits en première année de médecine et sur le taux de réussite en fonction de l'origine sociale : ICI)(2). 

Mais la dernière posture intellectuelle des vaccinolâtres est celle-ci : dénoncer des idées contenues dans des propos que l'on n'a pas lus. Car le principe premier de la critique intellectuelle de mauvaise foi est de ne pas lire ce qu'écrivent les gens qui ne pensent pas comme vous. Il arrive même, mais la paresse intellectuelle est un puits sans fond, qu'ils ne lisent pas plus ce qu'écrivent les gens qui sont réputés penser comme eux. Je vais en donner un exemple tout à l'heure à propos des vaccins.

On remarquera également que les anti vaxx utilisent la même posture intellectuelle quand il s'agit de disqualifier un médecin qui ne critique que certains vaccins parce qu'il ne critiquerait pas assez ce vaccin ou qu'il ne critiquerait pas tous les vaccins. 

Cette symétrie tragique, et on peut dire toutefois que les vaccinolâtres ont (beaucoup) moins de risques de se tromper que les antivaxx, et surtout à l'échelle populationnelle, ne renvoie pas dos à dos les deux populations, elle illustre que les procédés déloyaux de la critique intellectuelle sont éminemment partagés.

Malheur aux mous, aux tièdes, à ceux qui n'ont pas une pensée binaire, voire une pensée militante (la science ou l'anti vaccinalisme). Mais il n'est pas illicite de penser que les mous sont ceux qui ne critiquent les consensus fondés sur du vent que lorsque leur hiérarchie leur a donné le feu vert.

Quant à l'argumentation justifiant la vaccination anti grippale et venant des pro vaccins, elle a largement changé (et pas à la lumière de nouvelles données de la science puisque ces données existent depuis longtemps).

Jadis :

  1. La vaccination contre la grippe est efficace, même chez les personnes de plus de 65 ans
  2. La vaccination contre la grippe ne présente pas d'effets indésirables
  3. La vaccination anti grippale est un geste altruiste pour protéger nos aînés et les personnes fragiles en général
  4. La vaccination anti grippale est un geste citoyen.
(3)

Désormais :
  1. Même si la vaccination contre la grippe est peu efficace, notamment chez les plus de 65 ans, il est nécessaire de la pratiquer et, notamment dans les établissements de soin pour les personnes âgées, par simple bon sens (voir LA un article peu enthousiaste)
  2. Même s'il n'existe pas de preuves il faut vacciner les personnels de santé pour éviter la transmission et le portage sain (aucune preuve) par simple bon sens
  3. La vaccination anti grippale ne présente pas d'effets indésirables (même si des articles montrent le contraire : LA)
  4. La vaccination anti grippale est un geste altruiste et citoyen.


Enfin, tout médecin qui s'interroge sur l'efficacité des vaccins, est obligé pour des raisons de terrorisme intellectuel de se positionner et de donner des preuves qu'il n'est pas complotiste (un des arguments favoris des vaccinolâtres, mais nul doute que dans les autres domaines de la scène intellectuelle c'est la même antienne). Nous pourrions développer largement ce que recouvre le complotisme si l'on considère le complexe santéo-industriel, c'est à dire que les intérêts financiers sont à la base des décisions de Santé publique, qu'il s'agisse de la France ou d'autres régions du monde néolibéral développé. Je rappelle enfin que les libéraux, et plus encore les néo-libéraux sont les plus féroces complotistes qui soient quand ils parlent de la main invisible du marché.

Quoi qu'il en soit, merci d'en faire de l'egolâtrie, je vaccine en mon cabinet de médecine générale sans enthousiasme, sans prosélytisme, sans catastrophisme, en tentant, autant que faire se peut de parler avec les patients.

Je ne me vaccine plus depuis quelques années et ce que je me reproche le plus, ce n'est pas de manquer d'altruisme et de citoyenneté, c'est, le seul après-midi de consultations "libres" au cabinet, de ne pouvoir mettre en place des mesures barrières (dont d'ailleurs nous n'avons aucune preuve de l'efficacité. Rajout : on me fait remarquer, CMT, JG, BP, que j'exagère un peu, qu'il y a des preuves de l'efficacité, efficience (?), voir ICI sur le lavage des mains chez les militaires pour prévenir les infections respiratoires... mais, finalement, assez peu de choses démontrées sinon par le bon sens et je vous rappelle ce billet sur les gants et les blouses : LA).


Notes :
(1) Une vieille lune des vaccinolâtres : tous les vaccins ayant la même indication se "valent" a priori en termes de rapport bénéfices/risques. C'est faux. L'exemple le plus récent est celui du Pandemrix retiré du marché pour causes (démontrées) de risques de narcolepsie. L'exemple plus ancien, est celui du vaccin contre l'hépatite B, Hexavac, retiré en 2005.
(2) Petite scolie : il est tout à fait intéressant que l'origine sociale des étudiants en médecine, en raison sans doute d'une neutralité scientifique affirmée a priori, n'influence pas le comportement des étudiants en médecine dans leur acquisition des connaissances médicales à l'université et dans leurs pratiques médicales hospitalières et/ou libérales. Il est par ailleurs tout à fait symptomatique que les genristes ne s'émeuvent pas du fait que la minorité des hommes soit sous-représentée et que la profession maïeutique (sages-femmes) soit réservée aux femmes : les stéréotypes de genres, que voulez-vous ? Un article sur Egora.
(3) En 2014 (ICI)

Résumé de l'argumentaire de Big vaccine pour promouvoir la vaccination anti grippale :

  1. Les vaccins (ce pluriel est voulu) sont efficaces et sûrs et en particuliers les vaccins anti grippaux. Personne ne peut le nier et quiconque émet l'esquisse de l'esquisse d'un doute est à ranger dans la catégorie détestable et rétrograde des anti vaccinalistes.
  2. Les preuves d'efficacité manquent pour la vaccination des personnes âgées de 65 ans et plus et pour celle des personnels de santé dans le but de protéger les patients fragiles et c'est dû à la mauvaise qualité des essais.
  3. Puisque les essais de cohorte sont inconclusifs et que les méta analyses sont dans le même métal, il est nécessaire de mettre en place des essais comparatifs versus placebo qui devraient être financés par des organismes publics.
  4. Mais la mise en place d'essais randomisés de ce type est contraire à l'éthique puisque les vaccins sont efficaces. Ainsi, ce que préconise le plan cancer dans des pathologies autrement plus préoccupantes que la grippe saisonnière, la protocolisation extensive des malades dans des essais cliniques versus placebo ou non (j'ai déjà dit mon désaccord sur cette généralisation mais pas sur le principe), n'est pas éthiquement acceptable pour Big vaccine.
  5. Pendant les travaux, la vente continue. Et non seulement la vente continue mais le marketing de la vente, à savoir les études de marché et les campagnes de publicité sont facturés aux agences gouvernementales et aux ministères de la santé qui doivent trouver les meilleurs moyens a) de populariser la vaccination auprès de la population (le taux de vaccination étant devenu le substitut du substitut des critères d'efficacité des vaccins - soit le taux d'anticorps), b) d'écrire des articles justifiant la faible efficacité des vaccins acceptable et suffisante comme argument de vacciner, et rendant recommandable, voire obligatoire, comme préalable à toute production de preuves
  6. En revanche des essais vaccins vs vaccins adjuvés sont eux envisageables : on ne peut prouver l'efficacité vs placebo et on pense pouvoir le faire avec deux principes actifs.
  7. Depuis 40 ans qu'existe la vaccination anti grippale les industriels n'ont pas été capables de mettre en place des essais concluants (ou ils ont mis à la poubelle les essais négatifs) et comptent désormais, pendant qu'ils continuent de vendre des vaccins non généricables, sur l'Etat pour venir à leur secours non seulement pour prouver l'efficacité de leur camelote mais pour que les campagnes de santé publique vaccinales destinées à vendre leur camelote soient financées par le contribuable.



samedi 27 octobre 2018

Pourquoi détester les médecins dévoués ?



Une des raisons principales, selon certains médecins, de ne pas s'installer en médecine générale, outre les arguments habituels sur la charge administrative, l'URSSAF, la CARMF (1), les impôts, la CPAM et le taux anormalement bas de la consultation pour l'acte de base (25 €), "le plus bas d'Europe", sic, c'est le mythe dévastateur du médecin généraliste dévoué (2).

La petite maison dans la prairie


Qu'est-ce qu'un médecin dévoué ? Eh bien, selon la mythologie colportée par certains médecins, des généralistes bien entendu, c'est le sale type qui, le plus souvent installé en campagne, parfois en banlieue (défavorisée), ne compte pas ses heures, dit oui à tout le monde ou ne sait pas dire non, se fait rabrouer par les patients, fait des visites pour des broutilles, prend des patients entre deux, consulte sans rendez-vous, prescrit des antibiotiques pour des rhino-pharyngites (c'est comme cela qu'il a fidélisé sa clientèle), des corticoïdes dans les bronchites, prescrit à tout va, appelle les patient.e.s par leur prénom, rentre crevé chez lui, compte le soir sa recette avec avidité et voit rarement ses enfants.

Que des médecins ne veuillent pas mener une vie pareille, on les comprend.




Mais, ce qui me choque, c'est que l'on considère a priori péjorative l'expression de médecin dévoué.

La lecture de la signification du verbe "dévouer" ou "se dévouer" ne donne certes pas envie. Voir ICI.
Se sacrifier pour quelqu'un ou pour quelque chose. Se consacrer entièrement à.
Voici notre contre-modèle :



Mais on ne peut pas se lamenter à la fois sur la déshumanisation de la médecine et se moquer du médecin dévoué.

J'essaie d'expliquer l'affaire : d'abord, il est de bon ton de penser que vouloir être médecin par vocation est une vieille lune et désormais une attitude sans avenir ; ensuite, être dévoué signifierait, horreur des horreurs, s'impliquer dans une relation avec les patients qui outrepasserait les sacro-saints canons de la médecine moderne et scientifique : être froidement empathique.



Je continue : il n'est pas certain que n'importe qui puisse être un "bon" médecin (et ne me dites pas que je vous sers le plat réchauffé du "bon" médecin qui serait l'autre face du médecin dévoué) ; il n'est pas certain qu'il ne faille pas une empathie "naturelle" pour être un "bon" médecin (on sait désormais, enfin, c'est ce que l'on essaie de nous faire croire, que l'empathie "ça s'apprend", en réalité tout peut s'apprendre, et pour l'empathie il est possible d'en apprendre le langage et les outils) ; il n'est pas certain qu'il ne faille pas une attention naturelle aux "gens" pour être un "bon" médecin...




Les médecins dévoués seraient-ils les victimes expiatoires des patients désirants ?

Sans rire, il est nécessaire d'avoir un certain degré de dévouement, car l'exercice de la médecine, ce n'est que l'exercice de la médecine et, sauf en cas d'urgence vitale, la médecine, c'est peu dans une relation médecin/patient.

Et encore : la médecine, c'est un métier de merde. Les médecins (comme les autres professionnels de santé) sont confrontés à la souffrance, à la douleur, à l'échec, au succès momentané, à la mort, à l'exception, à la complication inédite, au mépris, à l'orgueil, à l'absence de reconnaissance, à l'excès de sentiments, aux remords, à l'excès de confiance. C'est un métier de merde car les patients sont le reflet de la vie passée, présente ou future des médecins...

Il faut donc être soit un parfait bloc de glace pour survivre ou être emphatique avec retenue et tact, et surtout : aimer ses patients.




Passez votre chemin les robots doctolibiens, les robots télémédecins, les robots chirurgiens, et cetera.

Dans les soins palliatifs à domicile est-ce être dévoué que de toucher les patients surtout quand le fait de les toucher ne sert à rien, il faut sortir son stéthoscope, écouter le coeur, palper l'abdomen... regarder, soulever les vêtements et ici le pyjama ou la nuisette...

Etre dévoué est donc perçu comme péjoratif. Il est vrai que la médecine consumériste, néo-libérale, technicienne, n'a que faire des personnes dévouées.

Rappelons cette phrase : "Do as much as possible for the patient while doing as little as possible to the patient".

Une dernière chose : est-ce que le dévouement est une variété dévoyée du professionnalisme ? Sans doute.

Pour conclure : on peut être dévoué  et ne pas se déplacer pour une rhino-pharyngite, on peut être dévoué et ne pas prendre de patients en plus pour des vétilles, on peut être dévoué et être ferme sur la civilité, et cetera. Mais si ne pas être dévoué signifie vouloir des patients à son image ou des patients qui obéissent ou des patients polis...

L'empowerment des médecins signifie aussi que les médecins prennent soin de leurs patients en respectant leurs défauts sans vouloir absolument les corriger, sauf s'il s'agit d'un problème médical.

La médecine technicienne, scientifique, n'aurait-elle besoin que de médecins non dévoués ?

Mais comme on a tous fait référence au moins un fois à Urgences,


et à Docteur Sachs, dont acte.




J'avais déjà écrit un article en 2012 déconseillant aux jeunes médecins de s'installer : ICI.

Notes :
(1) La CARMF ou Caisse Autonome de Retraite des Médecins Français est l'organisme garantissant la retraite libérale des médecins libéraux.
(2) Il n'existe pas de cardiologue dévoué ou de chirurgien dévoué dans la mythologie médicale. J'en ai pourtant connu. Et le médecin qui fait 24 heures de garde aux urgences : ne serait-il pas dévoué ?