dimanche 15 janvier 2023

Bilan médical du lundi 9 janvier au dimanche 15 janvier : massacre des étudiants en médecine, accidents de travail, vaccin Covid, Covid long, tamiflu, industrie, Prescrire, cancer de la prostate, femmes pauvres, Rochoy.

 

Roger Blanchon
Métaphore des soins primaires

12. Le massacre lors de la formation hospitalière des médecins.




13. Les accidents du travail : un problème de santé publique

Les chiffres de 2022 n'ont pas encore été publiés.

En 2021 :

  • 604 565 accidents de travail et accidents de trajet
  • L'indice de fréquence est de 31 pour 1000 salariés
  • 645 accidents mortels : dans la quasi totalité des cas il s'agit de travailleurs manuels.
Voir ICI

La prévention des accidents du travail est-elle essentiellement médicale ? Non.



14. La collection des études de très bas niveau de preuves continue sur la vaccination anti Covid

  • Etudes sponsorisés par l'industrie des vaccins
  • Etudes de cohorte cas-témoin rétrospectives
  • Significativité statistique laissée au vestiaire
  • Présentation des chiffres en valeur relative et non en valeur absolue
  • Conclusions triomphantes et hâtives dès le preprint

Un preprint du Lancet (ICI) indique que les boosters bivalents sont efficaces. 


Eric Topol est enthousiaste (LA) : 


Quant à Paul Offit il s'interroge (ICI) sur la nécessité de vacciner des jeunes gens peu à risques de Covid en les boostant sur des variants qui vont bientôt disparaître.

Vinay Prasad l'est moins (ICI) : en signalant que Peter Marks (de la FDA) admet qu'il n'a pas demandé de données d'efficacité appropriées pour le booster bivalent.



Saul Leiter (1923 - 2013)

15. Et ça continue sur le Covid long.

Pour le covid long sur lequel j'ai déjà écrit ICI il existe 5 problèmes majeurs : 

  1. Un problème de définition : plus de 200 symptômes ont été identifiés avec des impacts multiples sur divers organes
  2. Un problème de causalité : on n'a pas encore retrouvé de lésions spécifiques liées au Covid
  3. Un problème de fréquence : dans le même article (ICI) les auteurs écrivent qu'il survient chez 10 % des patients ayant présenté une affection pulmonaire sévère due au Covid ; plus loin : l'incidence est estimée à 10-20 % des patients non hospitalisés ; plus loin : 50 à 70 % des patients hospitalisés et 10 à 12 % des vaccinés.
  4. Un problème d'essais cliniques de qualité et notamment des essais prospectifs.
  5. Un problème de prise en charge.
Voilà que paraît une étude israélienne dans le BMJ (ICI) indiquant que les patients ayant présenté un Covid modéré (mild) sont à faibles risques de conséquences pour leur santé un an après leur diagnostic.

Un certain Jérôme Larché, je cite : Docteur en médecine interne et spécialiste du Covid long, est interrogé par Léa Giandomenico dans une revue grand public et conteste les résultats de l'étude (LA) avec des arguments plutôt raisonnables. Dans cet article Antoine Flahault, un Fearmonger connu, reconnaît, je résume, que c'est rassurant.

Un article en forme d'éditorial publié sous l'égide de l'université du Minnesota (LA) est lui-aussi très critique sur les résultats de l'article israélien.

Qu'allons-nous devenir ?

16. Tamiflu : quand la pénurie de médicaments est un bienfait pour la santé publique

Des médecins se plaignent d'un manque de tamiflu (osetalmivir), produit inefficace, voire dangereux, dans la prise en charge des premiers symptômes de grippe saisonnière documentée.

L'éditorial est LA

Le titre : 


17. L'industrie pharmaceutique philanthropique

Voir LA l'article 



18. Ne pas prescrire selon la Revue Prescrire : les nouvelles molécules de 2022

LA



19. Dépistage du cancer de la prostate : rebelote.

J'ai une discussion vive sur twitter avec un urologue qui soutient les recommandations des Sociétés savantes, qui, comme chacun le sait sont dénuées de liens et de conflits d'intérêts, prônant un dosage systématique du PSA chez les hommes n'ayant pas d'antécédents entre 50 et 75 ans. Contre l'avis des agences gouvernementales partout dans le monde. Et il n'oublie pas le toucher rectal.

Je connais ses arguments, il ne connaît pas bien les miens, et il finit ainsi (je vous promets qu'il ne s'agit pas d'un montage).


Désespérant.

Dominique Dupagne sur le sujet (qu'il connaît bien) : LA

20. La condition des femmes pauvres dans le Neuf Trois vue par une gynécologue

C'est sur France Culture en 5 épisodes et c'est superbe et effrayant. LA



21. Et avant de vous endormir un billet de blog complet sur les voeux de santé du Président Macron. Par Michaël Rochoy. Des commentaires ad hoc


C'est LA et c'est super.



dimanche 8 janvier 2023

Bilan médical de la semaine du lundi 2 janvier au dimanche 8 janvier 2023 : Alzheimer, EMA, le salaire des libéraux, une chronique mal placée, non recours aux soins, check-up, un essai douteux, le temps non médical



1. FDA et Aduhelm (aducanumab-avwa) : un scandale majeur dans le "traitement" de la maladie d'Alzheimer


La FDA a aidé Biogen, la firme commercialisant Aduhelm, à obtenir son AMM alors que les essais cliniques n'étaient pas convaincants. Au prix pharamineux de 56 000 dollars par an.

En France, on retrouve un entretien dans Ouest France en juin 2021 (ICI) avec le professeur Bruno Dubois, directeur de l'Institut de la mémoire et de la maladie Alzheimer qui a participé aux essais en France.

Le professeur Dubois est plutôt mesuré dans ses propos. Il ne nous avait pas habitués à cela (il est connu de nos services car nous le citions déjà en 2011 pour le remboursement des médicaments dits anti-Alzheimer (LA))

  1. Le professeur Bruno Dubois fait feu de tout... bois dans les media. Il faut dire qu'il défend sa paroisse, étant Président de l'Institut Alzheimer de l'Hôpital de la Pitié Salpétrière, et il fait de l'annonce dans deux voies : une molécule, dont je ne vous dirai pas le nom, a montré, en double-aveugle contre placebo (nous attendons la publication), qu'elle diminuait la diminution de la taille de l'hippocampe qui serait une donnée anatomique chez les patients Alzheimer ; un vaccin aurait été mis au point et il agit, selon les dires Dubois, de façon spectaculaire chez les souris (il ne nous dit pas s'il s'agit de mâles ou de femelles). Voir ICI. Tout baignerait donc bien dans le monde merveilleux de l'Alzheimer s'il n'y avait pas, comme le dit si bien le docteur Trivalle, la revue Prescrire, les syndicats de médecin généraliste et des médecins médiatiques (ICI ENCORE)...


Philippe Charles Jacquet (1957 - )


2. Et ça recommence avec lecanemab !

Le lecanemab vient d'obtenir son AMM états-unienne dans l'indication Alzheimer avec un très faible niveau de preuves.

Le problème vient de ce que l'hypothèse physiopathologique, le dépôt de substance amyloïde dans le cerveau, soit fausse : voir LA

Et voici une mise au point de la Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique : ICI

Cela ne marche pas !


Villa Savoye à Poissy 1927.
Le Corbusier (1887 - 1965) Peut-on séparer l'architecte du fasciste ?


3. L' EMA valide des procédures de soins d'une qualité médiocre avec des conséquences désastreuses.

Un article de Siebert et col paru dans BMC Medicine (LA) ré-analyse des essais approuvés par l'EMA et souligne le manque de transparence et le fait que ces essais ne sont pas reproductibles par des chercheurs indépendants.


Vous pourrez lire avec profit un fil twitter d'un des signataires de l'article Florian Naudet : ICI.

Sidney Poitier, Harry Belafonte et Charlton Heston, lors de la marche pour les droits civiques (Civil Rights March), au Lincoln Memorial, le 28 août 1963. via
@ClassicFilm2


4. On tombe des nues ! La crise covidienne n'aurait pas été bien gérée en 2020...


ICI


Félix Vallotton, Cagnes 1921


5. Un journaliste d'investigation : Julien Pain


Il s'agit d'un journaliste reconnu par tous, me dit-on, parce qu'il a combattu les FakeNews et qu'il s'est attaqué à Raoult et acolytes. Dont acte. 

C'est un fil à charge contre les médecins libéraux qui demandent des augmentations, à mes yeux exorbitantes, de leurs honoraires, en voulant un doublement du prix de la consultation.

Le journaliste fait un thread sur le sujet !

Et dans son chapeau il parle du salaire global des médecins libéraux !

Quel est son degré de pertinence sur une échelle entre 0- et 0 + ?


Virginia Woolf (1882 - 1941)


6. De quoi notre santé est-elle le nom : Philippe Moreau Chevrolet 

Merci de lire l'éditorial de notre conseiller en communication : ICI

Avant ou après avoir vu l'émission C ce soir (LA) qu'il commente (cela dure une heure).

On ne peut pas dire que je sois un fan d'Agnès Buzyn pour laquelle j'avais consacré un billet prophétique en mars 2016 (LA) où j'écrivais : "La nomination du professeur Agnès Buzyn à la tête de la HAS était ce qui pouvait arriver de pire à la Santé publique française.

Rien ne va dans ce billet de PMC. 

PMC a choisi son parti : Lehman, Chiche et Desbiolles vs Buzyn.

Facile : tirer sur une ambulance n'a rien de courageux, mais voyons les arguments. Pour les premiers la santé serait un droit et pour la seconde un objet de commerce. 

A propos des 3 premiers PMC écrit : "Dans un retour à une période où l’hygiène était l’exception et non la règle, à une époque où la santé de l’autre ne nous concernait littéralement pas." Mais où voit-il cela ? Il ne fait pas la différence entre hygiène publique (les progrès depuis le dix-neuvième siècle ont été considérables : tout à l'égout, eau courante, hygiène alimentaire, et cetera et il serait intéressant qu'il lise un peu les grands auteurs comme Thomas McKeown) et hygiène individuelle et il porte un jugement moral sur ceux qui ne se préoccuperaient pas des autres. 

PMC cite les propos d'Agnès Buzyn et les commente : "Elle condamne la “surconsommation”, non pas de médicaments, ce qui pourrait s’entendre s’agissant de produits, mais de soins." Et il ajoute : "Or, soigner ou se soigner ne constituent pas des choix de consommation. On ne peut pas se passer d’une radio, d’un scanner ou d’un traitement comme on se passe de Nutella. Soit l’on soigne un patient, soit un patient se soigne, soit on renonce au soin. 

Cela est faux. Toutes les études montrent qu'il existe non seulement une sur consommation de soins mais surtout une sur consommation de soins inutiles. On peut, contrairement à ce qu'affirme PMC, se passer d'un scanner quand son indication n'est pas justifiée. On peut même se passer d'un traitement quand il n'est pas validé par des essais de qualité. Or, des données états-uniennes, britanniques et australiennes concluent que de 35 à 54 % des pratiques académiques hospitalières (hors homéopathie) de soins ne sont pas validées (LA). On imagine ce que cela doit être en ville ! 

Opposer les médecins entre eux : le "vrai" médecin contre "la" politique. Facile. 

Il faudrait demander à PMC s'il se promène dans la vie courante avec un détecteur de CO2 dans la poche, s'il est masqué FFP2 dans tous les lieux clos qu'il fréquente, c'est à dire, non seulement dans les transports mais dans les bureaux qu'il fréquente et s'il ne va jamais manger au restaurant ou discuter à la machine à café.

Mais, last but not least, après nous avoir fait une leçon de morale sans déclarer ses liens d'intérêts, PMC se lance sur Semmelweis où là, non seulement les gants nous en tombent mais également les bras. Hormis une interprétation personnelle sur Semmelweis avec quelques approximations, il cite Céline (dont on sait qu'il a écrit sur le sujet, oui, mais qu'il a écrit d'autres choses et fait d'autres choses).

On pourrait même citer PMC ainsi : Vu de Sigmaringen : "En renonçant à la santé des autres, nous renonçons à notre civilisation. Petit à petit, sans même nous en rendre compte, nous renonçons à notre rêve. Nous abandonnons notre humanité. Nous renonçons à voir dans la nuit."

Le droit à la santé ne peut se concevoir sans une politique de santé publique qui privilégie, outre le soin raisonné (validé), le revenu, l'emploi, l'éducation et l'alphabétisme, les conditions de vie et la sécurité alimentaire. 

Voir point suivant : 

7. Le non-recours aux prestations sociales : la DREES communique





8. Un maire états-unien impose le masque aux enfants dès la maternelle et ne le porte pas en zone dense à l'intérieur.


9. Les horreurs du check-up.

Vous pouvez lire le fil twitter de @FantineetHippo : LA

Et mon fil de réponse ICI

Les "check-up" proposés par le premier fil est une aberration. On ne peut pas faire de la médecine générale comme cela. Ce n'est bon pour personne. Vous pourrez utilement allez au point 10.

Mon fil explique pourquoi.


Hertha Müller (1953 - )
Prix Nobel de littérature en 2009


10. Un article de Nature (LA) de qualité douteuse est porté au pinacle



Vous voulez quelques éléments de réponse ?

  • Cet essai est un essai épidémiologique cas témoin rétrospectif (niveau de preuve a priori : très faible)
  • Cet essai a été réalisé par des auteurs dont un a reçu des fonds de Pfizer, de MSD et de Vax-Cyte (bien entendu sans relations avec le sujet de l'article ! Dans ces cas-là l'expérience prouve que, caché au milieu des autres auteurs, c'est lui qui a rédigé l'article...)
  • La rédaction de l'article est surprenante : le chapitre Méthodes est mentionné en fin d'article et une partie des résultats renseigne sur les méthodes
  • Le risque de transmission de l'omicron en milieu carcéral est passé de 36 % chez les non vaccinés à 28 % chez les vaccinés !
  • Les analyses post hoc (les sous-groupes de sous-groupes) sont bien entendu plus favorables et l'agrégation des sous-groupes (dont l'immunité naturelle qui devrait faire sauter en l'air les puristes) est assez improbable et montre enfin des résultats mais la rédaction de la phrase de résultats est prodigieusement incompréhensible : "we estimated that any vaccination, prior infection alone and both vaccination and prior infection reduced an index case’s risk of transmitting infection by 22% (6–36%), 23% (3–39%) and 40% (20–55%), respectively. "
  • Il n'y a aucune indication sur les mesures barrières.

En résumé : vanter un essai peu robuste pour vanter la vaccination alimente les antivaxx.


11. Réduire le temps non médical en médecine générale

Une tribune dans l'Express  (ICI) reprend les arguments largement exposés depuis des lustres par Michael Rochoy sur son blog (LA)

Une mise au point très à propos :




mardi 3 janvier 2023

"La bataille de la sécu. Une histoire du système de santé." Nicolas Da Silva.

Avant de commencer, et pour me conformer au Code de la Santé publique, Article L4113-13, je déclare à nouveau ne pas avoir de liens d'intérêts avec les industriels de la santé. 

Cependant, et comme je l'ai précisé ICI, j'ai été médecin généraliste libéral pendant 41 ans entre le 5 septembre 1979 et le 30 juin 2021. Ce qui est un lien d'intérêts majeur.


pp 294, 15 euros

Il faut remercier Nicolas Da Silva pour cette somme historique (le consensus supposé autour du Conseil National de la Résistance), pour les informations sourcées qu'il fournit (338 références), pour les données économiques qu'il développe (le fameux trou de la Sécu), pour les partis-pris qu'il assume.

J'ajoute que j'ai lu le livre en même temps qu'un article du même auteur que j'ai trouvé provocateur (je l'ai commenté ICI) et qui m'a influencé dans la lecture critique du livre. Cet article est non seulement provocateur mais erroné en raison de nombreux biais.

Car Nicolas Da Silva (NDS) a des partis-pris. 

Il présuppose "... qu'il existe deux formes historiques de protection sociale publique : la Sociale et l'Etat social." La définition qu'il donne de la première est mystérieuse :  "... portée par les individus eux-mêmes." Il ne cache pas non plus que la disparition de la médecine libérale fait partie de ses solutions, voire même qu'il s'agit de la "balle magique" pour sauver l'hôpital.

Il n'est pas possible de commenter en détail tant sont rapportés des faits intéressants, des détails croustillants, des mises au point salutaires et quelques erreurs manifestes.

J'ajoute que je ne dirai rien du dernier chapitre consacré à la crise du Covid, tant il m'a paru faible par rapport au reste de l'ouvrage, tant il m'a paru bâclé, et mal renseigné.

Quelques commentaires succincts.

  1. Le sous-titre du livre, Une histoire du système de santé, est trompeur à moins de donner une définition très restreinte de la santé. 
  2. Rappelons la définition de la santé donnée par l'OMS en 1946 : "La santé est un état complet de bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité." Cette définition extensive permet de ne pas omettre les principaux déterminants de la santé que sont le revenu, l'emploi, l'éducation et l'alphabétisme, les conditions de vie et la sécurité alimentaire. 
  3. Les critères épidémiologiques historiques de la santé publique, à savoir l'espérance de vie à la naissance, la mortalité infantile et la mortalité en couche (auxquels on ajoute à l'époque moderne l'espérance de vie en bonne santé tout comme l'espérance de vie à 35 ans, par exemple) sont en France du niveau de ceux des grands pays développés (mais pas à la meilleure place) mais trahissent aussi les fortes inégalités de santé liées aux déterminants que nous avons cités. 
  4. L'auteur n'aborde donc pas ce que sont la santé et la santé publique. Rien ou presque. Comme si la santé était un concept unifié et universel dont la signification était implicite. 
  5. La sociologie indique que la santé a trait à ses représentations collectives et comment elles ont été construites par l'histoire en général, par l'histoire des idées, par l'histoire des sciences, par l'histoire de la médecine, par les luttes sociales et par la politique au sens large dans un monde globalisé et inégalitaire. Quant à la santé publique proprement dite, elle dépend éminemment de la politique et des décisions politiques prises par l'Etat et non par la Sécu : les conditions de travail et le niveau socio-économique et éducationnel..
  6. L'auteur omet, et c'est une composante essentielle des représentations collectives de la santé, les formidables progrès de la médecine et de la santé publique depuis 1945. J'insiste ici sur la différence entre la santé publique et la médecine qui sont deux notions qui ne se recouvrent pas complètement. La santé publique contient la médecine mais il arrive trop souvent qu'elle ne la contienne pas (au sens de la limiter) et très souvent qu'elle n'ose pas la dépasser.
  7. Les représentations collectives de la santé sont liées, pour résumer rapidement : 
    1. Au formidable recul de la mort des enfants depuis la fin du 19° siècle : la mortalité infantile est passée de 15 % en 1900 à 0,4 ou 0,5 % actuellement, soit 300 fois moins ! (Yonnet P. 2006, Le recul de la mort, Paris, Gallimard) et, plus généralement à la transition épidémiologique ou sanitaire définie ainsi par l'INED : "Période de baisse de la mortalité qui accompagne la transition démographique. Elle s'accompagne d'une amélioration de l'hygiène de l'alimentation et de l'organisation des systèmes de santé et d'une transformation des causes de décès, les maladies infectieuses disparaissant progressivement au profit des maladies chroniques et dégénératives et des accidents."
    2. A la transition épistémologique ou le triomphe supposé de la médecine et des médecins : mythe de la bonne santé, silence des organes, zéro défaut. Le silence des organes suppose non seulement de l'assumer curativement (en développant les techniques diagnostiques les plus complexes et les plus chères et en proposant des médicaments pour chaque "bruit" des organes) et préventivement (pour que les organes ne fassent pas de "bruit"). Cette avalanche d'examens complémentaires, de chiffres, de pixels conforte l'idée que la technique va tout régler. 
    3. A la médicalisation complète de la santé (Illich I. 1975, Némésis médicale, Paris, Fayard) : tout est médical selon les médecins alors que la plupart des grandes avancées et la plupart des mesures prises en cas de chronicité, d'invalidité ou de handicap dépendent du médico-social.
  8. Il omet également de citer (mais ce n'est pas son sujet) le grand projet du capitalisme libéral mondialisé, à savoir plus précisément le biocapital et la bioéconomie tels que résumés par le rapport de l'OCDE de 2009 ICI, analysés par Céline Lafontaine (LA) qui définit la nouvelle biocitoyenneté comme "... s'inscrivant dans un processus plus large de dépolitisation des questions de santé publique (lutte contre les inégalités, contre la pauvreté et pour l'accès aux soins, au profit d'une biologisation des identités citoyennes". J'ai recensé ICI et LA les thèmes de ce livre. 
  9. Le point de vue de l'auteur est celui de l'hospitalo-centrisme, c'est à dire qu'il reproduit le discours de caste des mandarins, le discours de classe des mandarins, le discours de mépris des mandarins à l'égard de ce qui n'est pas hospitalier, voire de ce qui n'est pas CHU. Mon jugement est sans doute exagéré mais il se réfère aux attaques constantes et réitérées de NDS contre les soins primaires libéraux sous un angle idéologique (étatiser les soins primaires) et sous l'emprise de la conception élitiste d'un hôpital dépositaire de la "vraie" médecine. L'hospitalo-centrisme est la maladie infantile de la médecine et de la santé publique et corrompt le débat public sur les choix et les arbitrages en termes budgétaires. Les dépenses hospitalières françaises comparées à celles des autres membres de l'OCDE sont considérables (nous sommes seconds voire premiers pour les soins courants comme le rapporte une publication de la DREES en 2020 : LA)
  10. Si l'hospitalo-centrisme avait un contenu scientifique fondé sur les preuves pour délivrer des soins, ce serait un moindre mal, mais ce n'est pas le cas. J'ai rapporté LA des données états-uniennes, britanniques et australiennes qui concluent que de 35 à 54 % des pratiques académiques hospitalières (hors homéopathie) de soins ne sont pas validées. Et manquent bien entendu des données concernant les soins primaires (on peut imaginer que ce serait pire).
  11. L'auteur centre idéologiquement son livre sur La Sociale et prône, je cite, "... une sécurité sociale auto-organisée contre le capital et contre l'Etat... "Malheureusement, la définition de La Sociale manque : s'agit-il simplement d'un système auto-organisé des salariés pour diriger la Sécu qui serait une entité hors sol, simple outil de gouvernance  d'une santé dont on ne discuterait pas les contenus idéologique et social ? On ne peut plus d'ailleurs aujourd'hui omettre les patients et les citoyens en  bonne santé de cette gouvernance. L'accès aux soins et le reste à charge sont, certes, des composantes majeures du combat social mais le contenu scientifique des soins et les arbitrages ne peuvent être laissés de côté et confiés à la seule Faculté de médecine. 
  12. C'est le livre des oublis : oubli des professionnels de santé non médecins, oubli du médico-social (pas une seule fois la profession d'assistante sociale n'est citée), oubli des apports majeurs des soins primaires sur la prise en compte des patients et des citoyens dans le processus décisionnel, les décision partagée, les valeurs et préférences des patients, l'Evidence Based Medicine, oubli des patients et des citoyens, on dit désormais et à tort, les usagers du système de soin, mais, surtout :
  13. Oubli de la corruption généralisée de la santé publique par l'industrie pharmaceutique et celle des matériels que l'on appellera de façon synthétique les pouvoirs illimités du complexe santéo-industriel. Négliger cette composante revient à blanchir les membres de l'Etat social de toute responsabilité individuelle. Même s'il est pratiquement impossible de mener une recherche bioclinique indépendante de l'industrie en France.
  14. L'hôpital public corrompu alimente en effet le personnel du Ministère de la Santé, l'hôpital public corrompu alimente le personnel de la Direction Générale de la Santé, l'hôpital public corrompu alimente le personnel des agences gouvernementales françaises (Agence du médicament, Haute Autorité de Santé, Haut Conseil de la Santé Publique, Institut National du Cancer, et cetera) et européennes (EMA) et cette corruption s'étend à la formation des étudiants en médecine, à la formation continue des médecins, concerne également la recherche publique et privée...
  15. La bataille de la Sécu ne peut donc être seulement un combat neutre entre l'Etat social et la Sociale quand la santé publique dépend de mesures politico-sociales (niveaux des minima sociaux, allocations de ressources pour l'habitat, éducation nationale,...) et de procédures de soins dont la validation pose problème tant pour les médicaments que pour les matériels. Une validation qui est corrompue par des recommandations non indépendantes émanant d'agences gouvernementales dont les pratiques mafieuses ont été largement décrites (Mediator, implants mammaires, par exemple).   
  16. Et, paradoxalement, puisque NDS ne propose pas de solutions autres que rendre la gestion de la Sécu aux travailleurs, il faudrait plus précisément parler des usagers des soins, il a écrit bien malgré lui un formidable réquisitoire contre l'Etat social qui est quand même considéré par tous comme le service public (renvoi aux représentations collectives de la santé). C'est ce qui s'appelle se tirer une balle dans le pied.

Le carré de White selon Green.

En conclusion.

L'angle mort du livre de Nicolas Da Silva est, justement, la santé.

L'auto-organisation des travailleurs pour gérer la Sécu est une préconisation qui ne s'entend que dans un cadre plus large, politique, qui est celui des soins, de la pertinence des soins, de la qualité des soins, dans une perspective de déshopitalocentrer la santé. Tous les pays développés sont confrontés aux mêmes problèmes que posent les soins primaires, c'est à dire des prises en charge moins techniques, moins "scientifiques" où règne l'incertitude et où les acteurs de ces soins primaires exercent un effet barrière qui permet de soulager l'hôpital (en amont comme en aval).

Pour être provocateur à mon tour, j'ajouterais que l'idée selon laquelle la deuxième guerre mondiale a été plus importante pour le fonctionnement de la Sécu que la diffusion des antibiotiques ou des examens diagnostiques (scanners, IRM), est très discutable. Les transformations majeures de la Sécu sont survenues en temps de paix et sont liées aux raisons pour lesquelles des personnes vivant en France décident de consulter plus souvent qu'auparavant un professionnel de santé, lequel, où, et combien cela va leur coûter,  à eux et à la collectivité, en exigeant toujours plus de techniques et d'examens.  

Toutes choses égales par ailleurs (les pays développés où d'ailleurs la France est mal placée pour la mortalité infantile, la mortalité en couche, le nombre de fumeurs, le nombre de consommateurs d'alcool), ce sont les déterminants socio-économiques et éducationnels qui pèsent le plus sur la santé publique. Et donc des décisions politiques.

L'abandon des soins primaires serait une erreur majeure.

Ce n'est pas la médecine générale libérale qui menace les soins primaires, c'est l'hospitalo-centrisme qui méprise les soins primaires (dans lesquels il faut inclure les soins délivrés par les sages-femmes, les infirmiers, les kinésithérapeutes, les orthophonistes, et pardon pour les oublis) en niant son rôle et en traitant les médecins généralistes de nuls recalés des concours.

L'augmentation du recours aux urgences hospitalières (que l'on constate partout dans les pays développés) n'est pas seulement liée à un manque de disponibilité des médecins généralistes mais aussi aux représentations collectives de la santé : culture du diagnostic, culture de l'imagerie, culture des examens complémentaires, silence des organes, indolence, et cetera.

Désengorger l'hôpital c'est encourager les jeunes internes en médecine générale à s'installer comme libéraux ou comme salariés en repensant le rôle des soins primaires qui sont fondamentaux pour l'économie de la santé, c'est à dire en repensant l'enseignement de la médecine qui n'est adapté qu'à une carrière hospitalière et non à un exercice en ville.

Encourager l'installation en soins primaires sans développer une politique d'éducation à la santé permettant de désengorger les consultations avec des jeunes médecins salariés travaillant moins et dans de meilleurs conditions va entraîner un sacré choc en termes d'accès aux soins. 

Quant aux débats sur la capitation, le paiement à l'acte ou au forfait, l'expérience des autres pays montre que cela ne règle rien, que chaque système a ses avantages et ses inconvénients. Il faut en discuter.

Excellent livre historique, excellent livre d'un économiste, excellent point de vue académique de gauche (ce n'est pas un oxymore) mais qui demanderait de nombreux éclaircissements et des approfondissements.

Enfin, j'ai limité mon propos, le livre comportant 294 pages et 338 références (on remarquera quand même l'absence de références non françaises pertinentes), et je suis prêt à en discuter ici ou là.


lundi 2 janvier 2023

Bonne année 2023

2023

Bonne année à tous en forme d'autocritique sur le manque de débats socratiques ou, pour faire moins pédant, le manque de débat intellectuel sur les réseaux sociaux et comment il m'arrive, plus souvent qu'à mon tour, de ne pas en respecter les règles.


Keith Richards (1943) : la honte de la santé publique


Je voudrais rappeler ces quelques phrases (que j'adapte) d'André Perrin (1) afin que chaque fois que je m'égare en dehors de ces chemins chacun puisse me les rappeler : 

  • Il ne faut pas disqualifier un interlocuteur par les intentions qu'on lui attribue
  • Il ne faut pas disqualifier ses thèses par les effets qu'on lui impute
  • (en amont par le mal qui les a produites
    • - le procès d'intention -
  • en aval par le mal qu'elles vont produire
    • - la réfutation par les conséquences)
  • Il ne faut pas disqualifier des mots et des concepts qu'il utilise
  • Il ne faut pas vouloir le combattre sans le lire ou du moins avant même de l'avoir lu
  • Il faut accepter le principe de charité

Il me paraît également raisonnable de se rappeler, de me rappeler, et je cite ici Jean-Claude Michéa (2), "l'idée si chère à Orwell selon laquelle la capacité de résister au charme vénéneux de l'Idéologie dépend beaucoup moins, en fin de compte, de compétences savantes ou intellectuelles que d'un véritable effort moral, pourtant à la portée de tous."

Georges Orwell (1903 - 1950)



Terminons enfin par cette citation de Simon Leys qui a toujours fait mon miel (et dans la période covidienne elle aurait pu être un leitmotiv inlassablement répété à chaque apparition de certains grands pontes et sous-fifres de la médecine française et internationale).

Il est sans doute excessif de prétendre que, à la faveur de certaines de nos procédures actuelles, on pourrait délivrer un doctorat à un âne mort, mais je crois qu'un âne vivant pourrait le décrocher.




(1) Perrin A. 2016, Scènes de la vie intellectuelle. L'intimidation contre le débat. Paris, L'artilleur, 2016, p. 23-24
(2) Michéa JC. Préface à Perrin. 2016, Scènes de la vie intellectuelle. L'intimidation contre le débat. Paris, L'artilleur, 2016, p. 16







En PS : un beau résumé sur le Covid de puis fin 2019 : LA 


dimanche 25 décembre 2022

Bilan médical de la semaine du lundi 19 au dimanche 25 décembre 2022 : rien



Il ne s'est rien passé d'important ou rien qui ne vaille la peine d'être (re) raconté


Il manque des molécules courantes comme le paracétamol ou l'amoxicilline, ou la prednisolone.

C'est la mondialisation heureuse.

Les mêmes qui prônaient la générication du monde veulent le retour au bercail du nationalisme. 

Il continue à y avoir des médecins qui prescrivent amoxicilline et prednisolone dans des angines virales.

En 2022.

Si la médecine était une science...

Il manque.

Il continue à.

Il ne s'est donc rien passé cette semaine qui ne soit la redite de ce qui a déjà été écrit ICI ou LA.

Il continue à y avoir des médecins qui prescrivent de l'azithromycine (et autres fadaises) pour "traiter" le covid.

C'est fatiguant.

C'est pénible.

Faire la liste des "Il manque" et des "Il continue à" serait fastidieux.

J'abandonne.

Il n'y aura donc pas, comme prévu, d'après Covid.

C'est même pire qu'avant.

Bonnes fêtes.

vendredi 23 décembre 2022