HTA ANALYSE DE LA STRATEGIE PRESCRIRE
LECTURE CRITIQUE D’UN ARTICLE DE LA REVUE PRESCRIRE CONSACRE AU TRAITEMENT DE DEUXIEME LIGNE DE L'HTA
Dans la rubrique Stratégies de son numéro de mars 2008 La Revue Prescrire (LRP) fait le point sur le traitement de deuxième ligne de l’hypertension artérielle (HTA)[i].
J’ai essayé de lire l’article avec l’œil d’un médecin généraliste exerçant en patientèle et selon deux perspectives : l’analyse stricte des données et la praticité interventionnelle.
(Les phrases issues de LRP sont reproduites en italique et en bleu).
Pour les patients hypertendus, les objectifs, les seuils d’intervention, et les médicaments de première ligne sont assez bien connus (lire en encadré page 199).
Eh bien, justement, ce n’est pas aussi clair que cela.
- Si les objectifs sont la réduction des accidents cardiovasculaires liés à l’HTA il est possible d’être d’accord, encore qu’il faille faire la part, comme cela est fait plus bas dans l’encadré, entre les complications mortelles ou non. Dans une perspective prescririenne les distinctions entre, d’une part, mortalité totale et mortalité liée à la pathologie, et d’autre part, entre mortalité et morbidité, mériteraient d’être mieux signalées et mieux documentées.
- L’encadré précise également que l’objectif est de réduire les chiffres tensionnels en dessous de 140 / 90 mm Hg, c'est-à-dire chez les patients les plus « faciles », sans diabète ni complication cardiovasculaire associés. Mais cette phrase est en contradiction avec des propositions prescririennes de 1999[ii], confortées en 2004[iii] et reprises en 2006[iv] où l’objectif de réduction était situé en dessous de 150 / 90 mm Hg ! Pas un mot non plus dans l’encadré des objectifs à atteindre pour les patients avec complication (s).
- Pour ce qui est des seuils d’intervention, LRP, a le mérite de ne pas changer : Chez les adultes sans diabète ni complication cardiovasculaire […] le seuil d’intervention est de 160 / 95 mm Hg [iii]. Mais il faut savoir que LRP « propose » un seuil d’intervention différent de toutes les recommandations « officielles » dont celles de WHO-ISH[v] dont LRP se sert pour définir les strates d’hypertendus mais en tirant des conclusions différentes, par manque de données, dit LRP [i, iv].
Rappel :
Selon WHO-ISH on peut classer les hypertendus en trois groupes (grades I, II et III) :
Grade I (PAS : 140 - 159 ; PAD : 90 – 99)
Grade II (PAS : 160 – 179 ; PAD : 100 - 109)
Grade III (PAS > 179 ; PAD > 109)
et
définir le risque qu’ils ont d’avoir dans les dix ans un infarctus du myocarde (mortel ou non) ou un AVC (mortel ou non) : risque faible <> 20 %
Quant aux facteurs de risque (FR), toujours selon WHO-ISH, ils sont de trois ordres :
- Cardiovasculaires : tabagisme, hypercholestérolémie, obésité.
- Signes de retentissement sur les organes cibles : HVG, rétinopathie hypertensive
- Affections cardiovasculaires patentes : AVC, IC
Ce qui donne, selon WHO :
Grade I : risque faible ou moyen selon qu’il n’existe respectivement pas de FR ou au moins un.
Grade II : risque faible, moyen ou fort s’il existe respectivement pas, un ou deux FR.
Grade III : risque fort quel que soir le nombre de FR.
On le voit : c’est peu clair et très flou de la part de WHO-ISH.
Quoi qu’il en soit, WHO-ISH recommande 1) pour les hypertendus à risque faible ou moyen, d’abaisser la PA en dessous de 140 / 90 mm Hg et 2) pour les hypertendus à risque élevé une PA en dessous de 130 / 80 mm Hg.
- Les médicaments de première ligne : rien n’est moins simple puisque nous retrouvons des données contradictoires à la lecture de LRP. Déjà, dans la version de 2006 reprise en 2004 on pouvait, certes lire, les diurétiques sont les traitements de première ligne… Certains bêtabloquants sont indiqués en deuxième ligne, certains IEC sont indiqués en troisième ligne et certains IC en quatrième ligne, et rien sur les AAII, sauf dans le texte Une petite place pour le losartan (associé à un diurétique) et dans un tableau rapportant Les antihypertenseurs d’efficacité démontrée sur des critères cliniques. En mars 2006, LRP écrivait L’essai ASCOT-BPLA ne change pas la stratégie thérapeutique [vi] tout en rapportant que le losartan / hydrochlorothiazide prévenait mieux les AVC que les BB (qui faisaient partie de la stratégie de deuxième ligne de LRP)… Je ne sais pas si vous me suivez.
Ce qui donne les choix suivants de traitement de première ligne si on lit le texte des propositions de LRP en 2004 comme en 2006 chez l’adulte présentant une HTA non compliquée sans diabète associé :
Propositions 2004 / 2006 de LRP
Adulte jusqu’à 65 ans : 1) Diurétiques thiazidiques 2) Bêtabloquants, 3) IEC, 4) AAII
Adulte de plus de 65 ans et jusqu’à 80 ans : 1) diurétiques thiazidiques 2) bêtabloquants à doses réduites
Adulte de plus de 80 ans 1) diurétiques thiazidique OU bêtabloquants (les deux à doses réduites).
Or, dans le dernier numéro de LRP, il est écrit dans l’encadré consacré au traitement de première ligne (p 199) : En première ligne, certains médicaments appartenant à 5 classes pharmacologiques différentes, ont une efficacité démontrée pour réduire la morbimortalité des patients hypertendus. J’ai dû rater quelque chose. Sans compter que ce rappel omet de citer, ce qui n’est pas rien Les autres associations à base de diurétiques dont il était fait mention en 2004 comme en 2006 ! Cet oubli est un peu ennuyeux quand on sait que LRP a fait un choix que nous reverrons plus loin entre monothérapie et bithérapie pour la deuxième ligne. Quoi qu’il en soit,
voici les propositions 2008 de LRP :
Adulte d’âge inférieur à 60 ans : 1) Diurétiques thiazidiques 2) Bêtabloquants OU IEC OU IC OU AAII
Avouons que ce n’est pas d’une clarté évangélique. On se rapproche des recommandations internationales, aux diurétiques près.
Pourtant, LRP modère son propos et rapporte des données dont il faut tenir compte :
→ Il y a eu des différences modestes mais statistiquement significatives en termes de morbidité.
* Risque d’infarctus du myocarde : valsartan : 1,2 fois plus que l’amlodipine.
* Risque d’insuffisance cardiaque : certains IC : 1,15 fois plus que certains IEC
* Risque d’AVC : certains IEC : 1,15 fois plus que IC
* Risque d’AVC : certains BB : 1,25 fois plus que certains IC ou AAII
Mais ces données, on le voit, pour démonstratives qu’elles soient, sont peu prospectives et sont par là-même difficiles à appliquer facilement en pratique courante (avis personnel).
→ Chez l’adulte de plus de 60 ans il semble judicieux de ne pas prescrire de BB, le risque d’AVC étant statistiquement significatif plus important qu’avec les autres classes pharmacologiques
Mais, venons-en au point fondamental de l’article : LRP a fait le choix, en deuxième ligne, d’une nouvelle monothérapie et non d’une bithérapie.
En préambule, revenons sur le choix du traitement de première ligne selon LRP :
Résumé. Des données de bon niveau de preuve conduisent à proposer des diurétiques thiazidiques (chlortalidone, hydrochlorothiazide) en première ligne pour le traitement de l’HTA non compliquée. Cette affirmation n’est pas tout à fait exacte : seule la chlortalidone a fait l’objet d’un essai randomisé comparatif[vii] d’un très bon niveau de preuve, l’hydrochlorothiazide et les associations thiazidique plus épargneurs de potassium ayant fait l’objet d’études moins robustes. Mais nous n’avons pas le choix car la chlortalidone n’est pas commercialisée en France…
Nous n’avons pas recensé d’essai clinique spécifiquement conçu pour évaluer l’effet d’un traitement antihypertenseur de deuxième ligne en prévention cardiovasculaire. Notamment pas d’essai clinique bithérapie versus monothérapie en cas d’échec des diurétiques thiazidiques. L’explication est fournie plus loin, dans l’encadré que nous avons déjà cité : Hypertension artérielle : le traitement de première ligne, en bref, page 199. Le bénéfice est toutefois modeste chez les patients hypertendus sans complication cardiovasculaire. Il est de l’ordre (c’est moi qui souligne) d’une réduction d’environ 2 à 10 AVC pour 1000 patients traités pendant 2 à 6 ans ou encore une réduction d’environ 2 à 5 infarctus (mortels ou pas) pour 1000 patients traités pendant 2 ans à 6 ans.
Ces données expliquent pourquoi il n’existe pas d’études randomisées comparant mono et bithérapie… le nombre de malades serait par trop impressionnant par groupe. Mieux vaudrait dans ce cas des essais cas-témoins. Mais qui financera des essais pareils quand on connaît le prix des diurétiques ?… Seules des agences gouvernementales sont capables de le faire comme dans les pays où existe, d’une part, une opinion consumériste forte, et d’autre part, des épidémiologistes capables de mener à bien des essais.
Voici le corps de l’argumentation de LRP.
LRP a décidé de privilégier les monothérapies successives après échec du traitement diurétique plutôt que les bithérapies d’emblée à partir de sources qui, selon LRP, sont d’un faible niveau de preuve[viii] : selon cette étude, quelle que soit la première monothérapie utilisée (diurétique, bêtabloquant, IEC ou IC) seuls 39 % des patients ont atteint l’objectif de réduction de la pression artérielle (en dessous de 140 / 90 mm Hg) sans différence entre les monothérapies tandis que 73 % des patients ont atteint l’objectif avec au moins une de ces monothérapies testées successivement pendant un mois.
LRP ne mentionne pas l’autre possibilité (ou ne la critique pas) qui eût été, sauf dans le cas d’effets indésirables des diurétiques thiazidiques ou de contre-indications apparues secondairement (insuffisance rénale par exemple), d’associer au diurétique thiazidique un IEC ou un AAII (voire un BB chez les sujets de moins de 60 ans) mais pas un IC. Et ce, d’autant que LRP a déjà affirmé : Associations d’antihypertenseurs : priorité aux diurétiques.[ix]
Enfin, si les effets indésirables des diurétiques thiazidiques sont rapportés en note par LRP, encore une fois sont omis par LRP : a) le risque significatif de déclencher un diabète sucré quand on traite une HTA par diurétiques versus autre traitement… parce que LRP a écrit ailleurs que le traitement diurétique n’a pas modifié l’avantage des diurétiques en termes de mortalité ! b) les dangers d’une intervention antihypertensive chez les personnes âgées s’il existe un risque de chute : certaines recommandations indiquent qu’il vaut mieux (en terme de mortalité) ne pas traiter une HTA plutôt que de risquer de provoquer une chute chez une personne âgée (mais les diurétiques ne sont pas il est vrai les seuls impliqués) … c) la surveillance attentive de la fonction rénale, les thiazidiques devenant contre-indiqués en cas d’insuffisance rénale et les hypokaliémies étant un danger réel en termes de mortalité. d) les associations avec des diurétiques qui avaient été rapportées comme d’efficacité démontrée en 2004 et 2006.
On le voit les choses ne sont pas si simples que cela et mériteraient une présentation plus pratique et plus opérationnelle.
Le passage des recommandations de 2004 / 2006 à 2008 n’est pas non plus une mince affaire et je pense que LRP aurait dû plus insister sur les modifications, tant en première qu’en deuxième ligne…
Un autre point manque qui peut paraître évident mais ce sont les coûts. Nul doute que les diurétiques sont moins chers même s’ils exigent des contrôles de la fonction rénale plus fréquents.
En conclusion : le médecin généraliste, devant une telle complexité, avec un nombre si important de facteurs à mettre en œuvre, avec de telles imprécisions et un nombre de contradictions non négligeable entre les différentes versions de LRP, serait bien aidé s’il pouvait disposer d’un algorithme et ne soit pas laissé seul en rase campagne, je veux dire dans son cabinet.
Jean-Claude GRANGE
Médecin Généraliste.
[i] Hypertension artérielle : traitement de deuxième ligne. D’autres monothérapies. Rev Prescrire 2008;28(293):196-9
[ii] Prévention cardiovasculaire primaire et secondaire – médicaments antihypertenseurs – Diurétiques et bêtabloquants sont les mieux évalués. Rev Prescrire 1999 ;19(194) :281-2 et 288-96
[iii] Hypertension artérielle de l’adulte. Des repères pour réduire la morbidité et la mortalité cardiovasculaires. Rev Prescrire 2004;24(253):601-11
[iv] Les Thématiques Prescrire. HTA chez les adultes. Session mai-août 2006 : partie I, page 13.
[v] 2003 World Health Organization / International Society of Hypertension statement on management of hypertension. J Hypertension 2003;21(11):1983-92
[vi] Rev prescrire 2006 ;26(270) :205-6
[vii] ALLHAT. Major outcomes in high risk hypertensive patients randomized to angiotensin-converting enzyme inhibitor vs diuretic. JAMA 2002 ; 288(23):2981-97
[viii] Dickerson JEC et al. Optimisation of antihypertensive treatment by crossover rotation of four major classes. Lancet 1999;353:2008-13
[ix] Rev Prescrire 2005;25(261) :337-8
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