Monsieur A est un jeune septuagénaire coquet. Nous nous connaissons depuis environ dix ans. Il y a trois ans il est venu consulter avec sa nouvelle copine, une femme un peu plus jeune que lui, dont j'appris, au cours de la conversation, que le mari était mort d'un cancer de la prostate.
Elle exigeait, je ne sais pas comment le raconter autrement, que je fasse doser le PSA à son copain, ce à quoi, vraiment, je n'avais jamais pensé depuis dix ans. Elle me reprochait aussi de ne pas l'avoir fait auparavant. De façon véhémente.
Ils étaient assis en face de moi, gentiment, comme un couple sage, mais on sentait (je sentais) une tension palpable.
En gros, et de façon euphémique : elle était pour et il était indécis.
Je pris mon air docte et je leur racontai l'affaire. Vous connaissez mon point de vue mais je le répète de façon simplifiée : pas de dépistage de masse, pas de dépistage individuel sauvage, de fortes réticences quand le patient demande, une prescription quand je ne peux pas faire autrement que de "suivre" la volonté du patient.
(Il est possible de penser : a) pour les tenants du tout PSA que je ne fais pas mon travail ; b) pour les tenants du jamais PSA que je fais du clientélisme ; c) pour d'autres que je suis d'une grande hypocrisie. Dont acte.)
Quoi qu'il en soit Monsieur A est sorti de mon cabinet avec un dosage de PSA. Et ce qui devait arriver, arriva.
- PSA à 7
- Consultation chez l'urologue demandée par, cette fois, la copine et le patient
- Je n'arrive pas à imposer "mon" urologue
- L'urologue décide de programmer des biopsies
- Qui reviennent négatives
- Dosage de PSA dans six mois, ce qui ne plaît pas au patient et à la copine qui veulent savoir et qui ne supportent pas qu'il puisse y avoir un cancer et qu'on ne l'enlève pas
- Nouveau dosage de PSA à 8 avec un rapport libre / total à la limite.
- Nouvelles biopsies qui reviennent négatives
- Bilan d'extension demandé
- Opération pratiquée.
- Gleason à 6
Nous revenons à la consultation de ce jour. Le patient ne va pas bien. Le PSA est dans les chaussettes, il n'existe aucun signe évolutif de son cancer. Mais il ne va pas bien. Je sais pourquoi.
Je suis partagé : bien entendu que je ne vais pas lui dire combien j'avais raison ; bien entendu que je ne vais pas lui dire qu'il a été manipulé par sa copine... Je suis là pour l'aider, pas pour avoir raison.
Voici le verbatim du patient : "Vous savez, docteur G, les femmes m'ont toujours donné des frissons. Quand une femme me plaît, quand j'en vois une qui me fait de l'effet, je ne peux m'empêcher de tenter de l'aborder, de parler avec elle... Cela marche toujours autant, malgré mon âge, bien entendu que ce sont des femmes plus âgées, mais je ne peux plus. Depuis l'intervention je n'y arrive plus, je suis obligé de leur expliquer, et, bien entendu, c'est difficilement supportable. Si j'avais su je ne me serais pas fait opérer. Mais je ne pouvais imaginer que mon corps renferme un cancer et que l'on ne fasse rien. Je sais que vous ne pouvez rien faire pour moi... J'ai essayé le viagra, c'est pas terrible, c'est cher et, pour moi, c'est un terrible constat d'échec... Je ne sais pas comment je vais pouvoir..."
(En photo : le professeur Bernard Debré, apôtre du PSA)
un seul mot: salope! tu as fait mutiler ton type!
RépondreSupprimercomment ce fait-il, que 9 fois sur 10, se soit les épouses ou compagnes qui réclament les PSA pour leur conjoint?
RépondreSupprimerUn membre de ma famille, à qui on avait proposé la prostatectomie totale, a préféré la cryothérapie ultrafocale intra capsulaire par aiguilles, il en est content (74 ans dépistage systématique par PSA à 9 gleason 6 deux biopsies positives sur le lobe droit). Un après l'opération aucune séquelle fonctionnelle, les PSA sont redescendues à 4 (en effet seul le lobe droit a été détruit comme prévu). Seules a été pénible la cartographie préopératoire de la prostate (30 biopsies!)puis un mois plus tard les suites post op immédiates de la cryothérapie (rétention aigüe d'urine) dûe à l'oedème post opératoire.
RépondreSupprimerC'est ce type d'histoire qu'il faudrait faire lire et relire et encore relire à certains urologues… Et aux patients parfois.
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