Le triomphe de la mort - Pieter Bruegel l'Ancien, 1562
Je reçois le fils de Madame A, 67 ans, qui est morte pendant les vacances (cf. le blog du 25 août). Il vient pour autre chose mais c'est secondaire.
Voici ce dont nous parlons : Dès le début je savais que l'issue était fatale en 3 à 6 mois. Je l'avais dit à la famille. On ne connaît pas de personnes, sauf erreur diagnostique, qui aient survécu à ce cancer. J'avais adressé Madame A à un gastro-entérologue et à un oncologue que j'apprécie tous deux. Elle avait confiance en eux. A la réflexion, je me rappelle cependant qu'elle avait demandé un second avis. Il a donc été convenu entre l'oncologue, le gastro-entérologue et elle qu'une chimiothérapie soit initiée. Comme je l'ai dit le 25 août, je n'ai pas pu aborder le problème avec elle ; je n'ai pas osé et j'ai senti qu'elle ne souhaitait pas qu'on en parle. Son fils, celui qui est en face de moi, ne m'a jamais appelé. Ni aucun autre membre de la famille durant ces dernières semaines. Quand la maladie a commencé elle ne souffrait pas. Elle était même étonnamment "bien portante". Quand la chimiothérapie a commencé elle a commencé à aller mal. Elle était fatiguée, nauséeuse, vertigineuse, dysesthésique, diarrhéique et elle ne souhaitait plus quitter sa maison. Son fils me dit : J'ai compris que c'était la chimiothérapie qui la mettait comme cela, j'en ai parlé au cancérologue, j'en ai parlé à maman mais elle m'a dit ceci : Je ne souhaite qu'une seule chose, pouvoir profiter de mes enfants et de mes petits-enfants le plus longtemps possible. Donc je me fais traiter.
C'est un dilemme classique : le médecin sait que la chimiothérapie ne va pas apporter beaucoup d'espérance de vie en plus mais aussi que la vie sous chimiothérapie sera compliquée... Il est même des anticancéreux qui obtiennent leur Autorisation de mise sur le Marché après que des essais contrôlés (en double-aveugle contre placebo) ont montré qu'ils augmentaient l'espérance de vie de quelques semaines. Mais cette femme a choisi l'espoir ; cette femme a choisi de croire qu'elle devait se battre ; pour ses enfants et ses petits-enfants. Fallait-il lui assener encore plus la vérité ?
Inhumain, n'est-il pas ?
Bonjour,
RépondreSupprimerje suis étudiant en médecine à Caen, et je tenais à vous remercier pour la qualité de votre blog, et la richesse d'introspection qu'il propose...
N'y a-t-il pas autant de vérités qu'il existe de patients ?
Du côté de la médecine, l'EBM tient lieu de foi et l'éthique de garde-fou à l'affect ; mais de l'autre côté de la barrière, qu'avons nous, sinon une palette infinie d'émotions heurtant à grande vitesse les raisonnements scientifiques ? Ne vaut-il pas mieux guider les gens sur une voie qu'ils ont choisi, plutôt que les pousser de force vers une voie qui, selon l'EBM, nous semble "vraie" ?
cas frequent, il est difficile de dire au patient que la chimio est inutile et va lui gacher les mois ou semaines qui restent à vivre. La mort est là, qui attend. Peu t on le blamer??Si le patient me demande mon choix, je le lui donne. Apres c'est lui qui choisit.
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