Mademoiselle A, 31 ans, je ne la vois pas souvent, de façon épisodique, elle n'a pas de problèmes de santé, elle a une gynécologue qui lui fait "ses" frottis et lui prescrit "sa" pilule (non remboursée), elle me fait un maigre sourire avant de s'installer en face de moi. "Cela recommence" me dit-elle "je fais encore une infection urinaire". Je la regarde sans trop comprendre, mon ordinateur indique une infection urinaire il y a dix-huit mois... Je lui raconte ce que raconte mon logiciel et lui dis qu'une infection urinaire tous les dix-huit mois, c'est quand même pas terrible. Elle ne semble pas d'accord. "Pourquoi je fais des infections urinaires ? - D'abord, tu ne fais pas des infections urinaires, tu en as fait deux en dix-huit mois, y a pas de quoi réveiller un urologue... - Pourtant..." Je lui sers donc mon discours infection urinaire aux femmes qui en ont fait une ou deux, le discours convenu, fait de truismes dans le style 'Les femmes en font plus que les hommes...' ou 'Il faut boire beaucoup', enfin tout ce qu'un officier de santé de troisième zone est capable de raconter... Vous voulez d'autres idées reçues qui sont peut-être vraies ? Les rapports, l'urètre court, le voisinage de la vulve ? Vous connaissez cela aussi bien que moi... Les jeans trop serrés, les petites culottes en synthétiques, bon, je n'insiste pas. Il y en a encore des kilos. Je n'insiste pas mais il est possible que ce que j'ai dit à cette jeune femme soit une pure fumisterie de ragots de revues sponsorisées par l'industrie ou de revues sponsorisées par les bons sentiments et l'hygiène... Où en étais-je ? Merci au lecteur non pressé qui saura me remettre à ma place. Finalement, je préfère écrire ce petit billet et me faire reprendre plutôt que de m'embêter à jeter un oeil sur Internet.
Je n'omets pas de dire que je l'ai interrogée comme tout bon interne de médecine générale qui vient d'apprendre sa question d'internat ; depuis quand ? t'as de la fièvre ? t'as des pertes ? et tout le toutim.
Je la fais pisser dans un gobelet en plastique dans les toilettes de l'établissement (mon cabinet), je lui tends du SHA, le truc qui ne protège pas contre la transmission de la grippe et dont on nous a fait une publicité incroyable jusque dans la plus petite école maternelle du Royaume de Madame Bachelot, je veux dire du nouveau Royaume de Monsieur Bertrand (qui a déjà été roi il n'y a pas si longtemps), et je trempe ma bandelette qui revient leucocytes ++ et nitrites ++. "Bingo !"
Je jette un oeil sur le truc que j'ai donné la dernière fois, hésitant entre "Je te donne la même chose, ça a marché" et le "Tiens, prends ça, ça changera", non sans lui dire de boire et de reboire. Ouf !
Enfin, arrivé à cet instant de notre colloque singulier, il s'est bien passé dix ou onze minutes, je me dis que ce genre de consultation pourrait être évitée à un grand docteur qui a fait de nombreuses années d'études et qui a connu, jadis, le cycle de Krebs par coeur ou qui savait décrire par le menu l'arrière cavité des épiploons, et qui lit le BMJ dans le texte non sans jeter un regard sur le NEJM, toujours dans le texte... jusqu'à ce que Mademoiselle A me montre ce que lui a donné à prendre le pharmacien, entre le moment où elle a commencé à avoir mal, il y a presque trois jours, le moment où elle s'est mise dans la tête qu'elle faisait beaucoup d'infection urinaire, et le moment où elle s'est décidée à consulter son médecin traitant... Du cranberry ! Elle sort un flacon de son sac et me le tend mais elle se rétracte vite : elle a dû voir mon regard courroucé, mon regard agacé, mon regard de grand professeur de médecine générale à qui une vulgaire malade tente d'apprendre son métier. Je me reprends : "C'est ce que t'as donné le pharmacien ? - Oui, il m'a dit que cela évitait les infections urinaires..." Je me reprends encore, toujours cette façon de retomber sur ses pieds avec élégance : "Des études ont effectivement montré que le cranberry, la canneberge en français", je ne peux m'empêcher de faire le malin pendant cette consultation qui devrait être inintéressante, plan plan et tout et tout, mais, comme on dit, c'est dans le trivial que l'on rencontre la "vraie" âme humaine (qui a dit ce truc ?), "avait un effet sur la prévention des infections urinaires récidivantes..." Mademoiselle A prend son air 'Je vous l'avais bien dit' mais je ne vais quand même pas passer pour un crétin aux yeux d'un pharmacien... Je reprends la main : "Comme je te l'ai dit, tu n'es pas sujette aux infections urinaires à répétition. Il y a des femmes qui font deux épisodes par mois, voire plus, celles-ci on peut, éventuellement, leur proposer un traitement préventif mais dans ton cas. - C'est quand même dangereux... - Mais non, ce n'est pas dangereux. C'est gênant, casse-pieds, tout ce que tu veux mais ce n'est pas dangereux. Imagine que tu aies mal à la tête une fois tous les dix-huit mois, est-ce que tu accepterais de prendre un médicament tous les jours ? Non ? - Non.- Mais si tu faisais une migraine deux fois par mois et que cela t'oblige à rester au lit un jour et demi ou deux, te faisant rater ton travail, t'empêchant de t'occuper de ta famille, là, on pourrait te proposer de te prescrire un traitement à condition qu'il soit efficace et qu'il ne provoque pas trop d'effets indésirables. Non ? - Oui. - Donc, dans ton cas, on ne fait rien et quand tu reviendras dans dix-huit mois pour une autre infection urinaire, je te ferai pisser dans un flacon et comme aujourd'hui je te prescrirai des antibiotiques pour une journée... Oui ? - Je comprends mieux. - Mais cela ne t'exonèrera pas de faire attention à boire suffisamment, et cetera, et cetera... - Je jette la boîte ? - Ben, je crois que la poubelle est sa destination la plus conseillée."
Ce qui n'empêche que ce genre de consultation aurait pu se faire ailleurs que dans mon cabinet, que cela m'aurait permis de jouer au grand docteur avec quelqu'un d'autre et que, débarrassé de ces conseils et de ces considérations aussi élémentaires que les tables de multiplication en cours de CM1, je pourrais obtenir plus que 22 euro, bien plus que 22 euro avec une autre patiente et lui éviter, par exemple, de se faire prescrire une pilule non remboursée par son gynécologue.
Mais non, ce n'est pas comme cela.
On en reste à 22.
22 euros...22 euros...je crois que je vais finir par arriver à m'en rappeler même si j'ai la chance (on peut l'interpréter comme on voudra) de ne jamais mettre les pieds chez un médecin (les cordonniers...). On pourrait en faire une petite chanson: vous faites les paroles et je trouve la musique. C'était combien déjà? Ah oui!22 euros...22 euros...22 euros...Ron ron PFF
RépondreSupprimerje plaisante
Bravo pour la pédagogie et l'art du dialogue: une victime de la pseudo-médecine, pseudo-préventive de moins
CMT
Il fut une époque où j'en souffrais régulièrement. Finalement mon gyné de l'époque a fait le rapprochement avec le froid. Depuis, lorsqu'il fait froid en hiver, je mets un pantalon ou de gros collants en laine.
RépondreSupprimerDepuis une vingtaine d'années : tout va bien. La solution est parfois très simple et de gros bon sens.
BG
il y a quand meme un message préventif important à passer c'est l'importance de la miction post coitale ( traduction faire pipi apres des rapports sexuels)
RépondreSupprimercar il est démontré que les rapports sexuels augmentent l'incidence de la bactériurie asymptomatique ( présences de bactéries dans les urines)
et que la bactériurie peut entrainer une cystite dans 8 à 10 % des cas
ref Prescrire : histoire naturelle des infections urinaires bactériennes simples fev 2007
Un article paru dans Clin Infect Dis. 2010;52:23-30 indique que le jus de canneberge n'est pas efficace dans la prévention des infections urinaires (essai contrôlé versus placebo).
RépondreSupprimerConsulter un commentaire ici : http://www.medscape.com/viewarticle/734360?src=mpnews&spon=34
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