Il y a dix jours.
Madame A, 54 ans, a échoué dans mon cabinet parce que son médecin traitant (le docteur B1) est parti en vacances. Le fichier de l'ordinateur indique qu'elle est venue pour la dernière fois dans ce cabinet il y a huit ans.
Elle est tombée lourdement au travail sur son épaule gauche et elle vient me voir "pour se faire prolonger". Elle me montre une lettre du mésothérapeute du coin qui remercie le médecin traitant de lui avoir confié la patiente. Je grimace. La lettre indique que le mésothérapeute, non content de mésothérapeuter l'épaule (sans résultats, on le verra) a trouvé ce qu'il appelle "un probable syndrome du canal carpien du même côté" dont il va aussi s'occuper.
Conflit d'intérêt majeur : je n'aime pas la mésothérapie et les mésothérapeutes pour avoir pratiqué cette technique dans les années quatre-vingt et l'avoir abandonnée pour, avis personnel, manque d'efficacité notoire.
Quoi qu'il en soit, lors de cette première consultation, l'examen de la patiente montre une épaule inflammatoire et des lésions manifestes du sous et / ou du sus-épineux (je dois dire que je m'emmêle un peu les crayons dans l'examen de l'épaule), en tous les cas il y a quelque chose.
Je demande à la patiente si une IRM a été demandée (ne me cassez pas les pieds avec ma propension à prescrire des IRM dans l'épaule douloureuse et / ou traumatique, c'est mon expérience interne qui me le prescrit et de négliger les arthroscanners pratiqués par les radiologues) et elle me répond cette chose stupéfiante et proprement ininventable (il faut toujours se méfier de ce que racontent les patients, fussent-ils bien ontentionnés, ce sont des hommes et des femmes comme les autres) : le docteur B2 (le mésothérapeute) m'a dit qu'on en ferait une après les séances, si ça ne marchait pas.
Remarque : le médecin traitant de Madame A a confié "sa" patiente au docteur B2, médecin généraliste qui, accessoirement (pas si accessoirement que cela puisque c'est devenu la plus grande partie de son activité) pratique la mésothérapie et il vaudrait mieux dire le docteur B1, médecin traitant, a confié la patiente au docteur B2, mésothérapeute, qui exerce, accessoirement la médecine - générale). Le docteur B1 a fait comme si B2 était un spécialiste et B2 se comporte en plus spécialiste que les spécialistes en décidant des soins qu'il pratiquerait à la patiente qui lui est adressée.
La patiente remarque mon trouble et ma mauvaise humeur.
Moi : Je crois qu'il faudrait pratiquer une IRM. Madame A : Si vous le jugez nécessaire. J'ai déjà fait des radiographies de l'épaule qui étaient normales.
Aujourd'hui.
Je reçois Madame A avec retard. La neige. Beaucoup de neige. Je suis en retard et elle est arrivée en retard : la balle au centre.
Moi : Comment ça va ?
Elle : Je ne veux plus faire de mésothérapie, cela ne sert à rien (je vais me retrouver avec un procès au Conseil de l'Ordre, imaginez qu'elle ait, comme dans les séries américaines, porté des micros cachés dans son double menton lors de la dernière consultation).
Moi : Hum. Si vous me montriez l'IRM.
Elle : Vous aviez raison. Le radiologue m'a dit qu'il fallait que je me fasse opérer.
J'étais sur le point de me réjouir de mon grand sens clinique et voilà qu'elle me gâche ma joie en me parlant des avis du radiologue, le docteur B3.
Je jette un oeil intéressé sur l'IRM où le radiologue, complaisant, a mis des flèches pour montrer les lésions : "Rupture partielle du sus-épineux... bursite inflammatoire sous-acromiale..."
Cette histoire se complique.
Je résume les épisodes : le médecin traitant B1 confie "sa" patiente au docteur B2 mésothérapeute qui manie son appareil (avec dépassements et sans effets antalgiques), les deux considérant qu'une radiographie (face + profil) sans préparation de l'épaule signe la nécessité de faire de la mésothérapie et de ne pas demander d'IRM ; le docteurB1 croit que le docteur B2 est un spécialiste et le docteur B2 se comporte en spécialiste ; le docteurdu16 tente de piquer la malade du docteur B1 (rien à foutre : mon ambition dans ma vie de médecin généraliste : travailler moins pour gagner moins) en prescrivant une IRM et se fait court-circuiter par un photographe qui indique la route de la salle d'opération (mais pas, pour cette fois, le nom du spécialiste de l'épaule gauche, on a du bol).
Je dois faire partie d'un monde différent.
Je commence à fatiguer.
Le plus emmerdant vient de ce que la malade croit que je suis un bon médecin alors que je n'ai fait que le minimum syndical, c'est à dire examiner et prescrire.
Je vais faire une pause et cesser de parler de moi.
Dernier commentaire : le mésothérapeute a compris que la médecine générale était une spécialité en involution et qu'il fallait "innover" et "dépasser". Il a raison et j'ai tort.
la chirurgie de l"'épaule ne vaut rien, le meilleur traitement c'est ne rien faire (How patients should think? Ray moynihan Melissa Sweet)
RépondreSupprimerCe que j'ai appris d'un radiologue hospitalier (que j'ai trouvé brillant d'ailleurs) c'est que 1 scanner thoracique=300 fois le taux d'irradiation d'une RP. Celui-là même nous a appris que d'après une étude, pour 600 000 scanners pratiqués 1500 cancers pouvaient leur être attribués (1 CANCER POUR 4000). Déjà, ça calme bien sur les scanners.
RépondreSupprimerL'examen le plus performant pour l'abdomen douloureux de l'enfant est l'échographie abdominale, bien que très opérateur dépendant (on ne peut pas montrer une échographie à un tiers sauf à l'enregistrer et l'opérateur choisit ses angles d'exploration) et la bonne nouvelle c'est qu'on n'irradie pas l'enfant.
Pour l'IRM, par définition, le taux d'irradiation est de 0, pas d'irradiation du tout.
La raison pour laquelle j'hésitais à adresser des patients à un chirurgien c'est qu'un chirurgien par définition, ça opère. De son point de vue il a à répondre à une question binaire: opérer ou ne pas opérer. Et j'avais peur qu'il réponde à cette question sur des aprioris personnels: "opérer c'est bien puisque c'est ce que je sais faire" ou pour des raisons totalement étrangères à l'intérêt du patient, surtout dans le privé: "je risque de ne pas arriver à mes 20 000 ou 30 000 euros de CA ce mois si je n'opère pas ce patient".
En un mot, la question préalable est celle qu'évoque "anonyme 1": la chirurgie de l'épaule traumatique a-t-elle un intérêt quelconque et si oui, à quelles conditions? Il serait préférable que ce soit le médecin généraliste qui réponde à cette question car, sauf copinage avec des chirurgiens véreux, il n'a pas de conflit d'intérêt là-dessus ou de raison personnelle de préférer une opération. C'est dans un cas comme ça que l'on voit l'intérêt du médecin généraliste comme régulateur de la consommation de soins. Quant au radiologue, de quoi se mêle-t-il?
CMT
@CMT.
RépondreSupprimerVotre analyse est trop "militante". Chacun voit midi à sa porte. Je crois que le rôle du MG est de s'informer (et il ne peut pas être au courant de tout) et d'avoir des correspondants qui partagent ses valeurs et préférences. J'adresse des patients chez des chirurgiens de l'épaule pour avis et ces chirurgiens, forts de leur expérience et de la mienne, sont en général assez "justes" dans leurs indications. L'argent n'est pas tout, il se situe dans une échelle de satisfaction entre moins l'infini et zéro ; la reconnaissance personnelle se situe entre 0 et plus l'infini.
(la pratique des radiologues est difficile : ils ne peuvent s'empêcher de donner leur avis)
@ anonyme 1 : je t'ai reconnu !
Je me corrige, parce que le calcul est faux mais l'ordre de grandeur est bien celui-là pour les risques radio-induits mais varie avec l'âge, de l'ordre de 1 pour 1000 risque non de cancer mais de MORT PAR CANCER chez une JF a qui on prescrit un scanner abdominal, et diminue avec l'âge, de l'ordre de 4 pour 10 000 de mort par cancer pour un adulte.
RépondreSupprimerVoici un article qui précise les chiffres:
http://revue.medhyg.ch/print.php3?sid=31525
On distingue bien dans les publications sur ce sujet, celles financées par les syndicats de radiologues, qui comparent le risque et la mortalité induites à ceux dus au tabac etc. C'est bien sût HORS SUJET.
Les examens radiologiques sont une prescription médicale et doivent être justifiés et prescrits en fonction du rapport bénéfice/risque escompté et pas simplement parce que leur risque serait inférieur au risque induit par la consommation d'un paquet de cigarettes par jour pendant un an. Et se pose encore la question de la généralisation abusive de techniques aux effets délétères pour la santé, pour des raisons étrangères à la médecine et à l'intérêt du patient.
CMT
Eh bien ça y est! Il fallait que ça arrive à force de vous asticoter sur cette histoire d'honoraires. Vous m'avez posé une étiquette. Je suis "trop militante". Notez bien que je ne cherchais pas à énoncer une loi naturelle universelle : "un médecin généraliste ne doit jamais,oh grand jamais adresser un patient chez un chirurgien", ce qui serait pour le moins irresponsable. Je disais seulement que lorsqu'on n'a pas encore réussi à trouver des correspondants qui partagent ses valeurs on doit tenir compte du fait que beaucoup de chirurgiens ont une excellente opinion de leurs propres compétences qui ne reflète pas strictement la réalité et ne sont pas totalement insensibles à ce que leurs actes peuvent leur rapporter. Si ce que je dis n'était pas vrai il suffirait alors pour choisir un chirurgien, d'ouvrir le bottin à la page "chirurgiens" de se bander les yeux et de poser son doigt n'importe où au hasard en étant toujours sûr, par cette méthode infaillible, de remettre le patient entre de bonnes mains.
RépondreSupprimerPar curiosité: quand vous dites que l'argent n'est pas tout et qu'en même temps il se situe dans une échelle de satisfaction entre moins l'infini et zéro, voulez vous dire qu'on ne peut être qu'insatisfait de ce qu'on gagne? Le problème c'est que le point zéro n'est jamais atteint, il se déplace au fur et à mesure que le revenu augmente vers un revenu toujours plus haut. Et je dirais même: plus le revenu augmente plus le point zéro se déplace vite.
Votre revendication d'une augmentation de la rémunération de la consultation du généraliste est bien cohérente avec votre demande de revalorisation de la médecine générale, puisqu'on se compare toujours à quelqu'un, il est logique que vous compariez les généralistes français aux spécialistes français ou aux généralistes les mieux rémunérés à l'étranger (plutôt qu'aux médecin salariés français du secteur public, par exemple)
Mais des revendications d'un revenu en augmentation qui ne s'accompagneraient pas d'exigences tout aussi fortes vis à vis de l'amélioration de la qualité des soins me sembleraient difficiles à avaler.
Pour ne pas être hypocrite il faudrait dire: l'argent n'est pas tout, l'argent ne fait pas le bonheur mais il y contribue beaucoup, indépendamment de toute autre considération et aussi de la qualité des soins.
CMT
Hors sujet:
RépondreSupprimer@docteurdu16: je vous souhaite de joyeuses fêtes de fin d'année et une belle année 2011.
Bonne journée
Le dernier anonyme avec hors sujet c'est moi. Il y a eu un petit quiproquo informatique.
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