Mozart enfant (et spide ?)
Madame A est fière de son enfant Z, deux ans et demi, parce qu'il est spide. "Les enfants de maintenant", comme elle dit, "Qu'est-ce qu'ils sont spides !", "On n'était pas comme ça, avant..." Ils en sont émerveillés (car son mari qui n'est pas là aujourd'hui est dans le même métal).
Le spide en question (eh oui, c'est un garçon) tousse et a de la fièvre. Il ne tient pas en place. Mais, bon, j'arrive à lui écouter les poumons, à regarder ses tympans, à voir son pharynx et à vérifier le reste (la bonne médecine générale).
Il y a un espace jeux dans la pièce d'examen et, bien entendu, les jouets ne l'intéressent pas, il est préoccupé par l'otoscope, les stéthoscopes, le thermomètre. Il met ses doigts partout. La maman ne dit rien.
Je tape l'ordonnance, il se met à lécher la membrane d'un des stéthoscopes, et je me permets une petite remarque sur la propreté de la dite membrane. La maman est indignée : Cela pourrait quand même être propre !
Le spide continue son exploration systématique des endroits interdits sous l'oeil attendri de sa génitrice ravie d'avoir d'un enfant spide. "C'est quand même mieux que s'il était mollasson."
Je me lève et lui dis qu'il est actuellement dans un cabinet médical et que dans un cabinet médical il y a des objets d'adultes, des objets de travail, des objets dangereux, des objets qu'il ne faut pas toucher, qu'il ne faut pas casser car ils sont chers et qu'il peut, en revanche, jouer avec les jouets, s'asseoir sur le fauteuil enfant pour jouer, faire un puzzle, dessiner ou lire un livre.
Je me rassois et feuillette le carnet de santé.
L'otoscope se casse la figure.
Je regarde la mère. Elle sourit.
Je me lève. L'otoscope n'a rien.
"Je t'avais dit de ne pas toucher aux instruments et tu l'as fait. Tu vas venir t'asseoir à côté de ta maman et ne plus bouger. - Non !" Madame A ne m'est d'aucune aide. Elle regarde ailleurs. Je prends la main de l'enfant et l'emmène près de moi. "Z, je t'ai dit quelque chose et tu ne m'as pas écouté. Qu'est-ce que je dois faire ?" Il s'échappe comme un spide et se précipite à nouveau vers les instruments.
Je regarde Madame A : "On fait quoi ? Vous savez combien coûte un otoscope ?"
Elle s'en moque. Son fils est spide. Un point c'est tout. C'est une qualité et il y a des défauts. Mais les qualités l'emportent.
J'interroge le gamin spide et lui demande de quelle couleur est le stéthoscope rouge, de quelle couleur est l'otoscope bleu, de quelle couleur est le brassard vert du tensiomètre et ad libitum. Au bout du compte, à trente-deux mois, spidergarçon ne connaît que trois couleurs. La maman me dit qu'elle n'a jamais pensé à lui en parler. "Il fera cela à l'école."
Spidergarçon recommence ses activités automatiques d'enfant spide qui fait la joie de sa maman. Je lui dis ceci : "La prochaine fois que tu viendras ici, il faudra que tu respectes les règles que j'ai fixées. Tu es dans un cabinet médical. Tu es un enfant. Dans un cabinet médical il y a des choses qui sont autorisées et d'autres qui sont interdites, en particulier de toucher aux outils du médecin. Même maman n'a pas le droit de toucher à mes affaires. Comprends-tu ?" Il hoche la tête d'un air insolent. "Et la prochaine fois il faut que tu connaisses au moins six couleurs. Tu verras cela avec papa et maman." Il se met à courir comme un fou dans le cabinet et la mère ne dit rien. Je dis ceci à Madame A : "Si vous ne dites rien, il ne vous obéira jamais. - Mais il est petit. Et, de toute façon, je n'y arrive pas. Il est trop spide, vous comprenez... Son père le frappe et cela ne sert à rien. - Il le frappe ? - Enfin, il lui met des fessées etcela ne change rien."
Le docteur du 16 commence à se demander ce qui a bien pu lui prendre en intervenant. Le petit Z ne va-t-il pas se prendre encore plus de fessées, voire plus, tout en continuant à faire ce qu'il veut ?
"Madame A (et je dis cela pendant que le gamin continue, en nous regardant et en nous écoutant, à provoquer et à "faire des bêtises"), comprenez au moins une autre chose : les parents sont les parents et les enfants sont les enfants. C'est vous la chef quand vous venez à mon cabinet. Ce n'est pas lui. Vous êtes la mère et il est l'enfant. Ce sont deux rôles différents. Il y a des choses qui sont décidées par les parents et que les parents se doivent d'imposer (je ne parle ni de manipulation ni de maïeutique à cette femme désemparée) et des choses discutables entre les parents et les enfants. - Oui, mais (éclate-t-elle), il nous fait des crises. Donc, je n'ose pas. Je finis par laisser faire... J'ai trop peur..."
J'arrête là cette lourde démonstration pour faire deux ou trois remarques :
- L'enfant spide est un mythe moderne qui permet d'une part de gommer le qualificatif turbulent (qui sous tend une responsabilité parentale), d'autre part de refouler la part mâle de l'élevage des enfants (qu'il faudrait, après de longs traités faisant l'objet de thèses en Sorbonne, analyser selon plusieurs plans, anthropologiques, sociologiques, psychanalytiques et... médicaux, et autres), enfin de préparer le lit médicalisé qui s'appelle le syndrome d'hyperactivité de l'enfant, construction pour le coup socio-médicale qui autorise la prescription de ritaline...
- L'enfant qui fait peur à ses parents est aussi une donnée "lourde" de la sociologie contemporaine. L'enfant désiré (dont témoigne la "transition démographique" des sociétés développées, le niveau de la contraception, le nombre d'IVG et le niveau d'éducation des parents, ...) en est l'origine et la suite provient de l'écart perçu entre désiré et désirable par les parents et la crainte de ces dits parents de ne pas se conformer au modèle libéral de l'enfant comme au centre de l'éducation et non comme être de société...
- La perpétuation du distinguo garçon / fille que la morale réprouve désormais d'un point de vue de la différence des genres revient par la fenêtre avec cette notion de spidéité mâle. Il y a encore quelques "garçons manqués" mais elles sont, elles-aussi, par mégarde, spidéifiées. Là aussi il faudrait dire un mot sur les origines de ce distinguo : anthropologique, culturel, sociologique ?...
- La spidéité est une qualité chez l'enfant préscolaire et devient un défaut lors de la "socialisation" qui autorise toutes les dérives.
Comme cette histoire de consultation est immédiate, je n'ai pas choisi, je pourrais développer d'autres caractéristiques tournant autour de ces enfants spides dans un autre post. Car les exemples ne manquent pas.
J'y reviendrai un jour quand je parlerai du syndrome d'hyperactivité dans le cadre de la stratégie de Knock / disease mongering (ICI).
Un jour, j'ai reçu en consultation une maman qui m'amenait son petit Spide, 9 ans. Elle était inquiète car son enfant souffrait d'insomnie (c'est du moins ce tiroir là qui s'est ouvert dans ma tête quand j'ai reçue sa plainte).
RépondreSupprimerInsomnie ? Enfant de 9 ans ?...
Je débute l'enquête :
"Alors racontez moi, comment se déroule ses soirées ?..."
La mère :
"Ben, il mange. Après il va dans sa chambre. Et il joue à la console...
Des fois jusqu'à trois heures du matin (9 ans), et pas moyen de le mettre au lit, y veut pas... Du coup le lendemain, il est fatigué."
Le petit Spide, 9 ans, avait une tronche de zombi.
Frédéric
Ce n'est pas un enfant spide, c'est un enfant mal-élevé. La mère est une incapable et je plains déjà l'enseignant qui va l'avoir. Cet enfant va être intenable et insociable.
RépondreSupprimer@Frédéric et Dr du16: les parents ont quoi dans leur "tronche"? Sont-ils des êtres adultes et responsables ou des "enfants-adultes" comme ceux de la série "Friends"?
Bon courage à vous deux et bonne journée
Chantal
Un enfant-roi, un enfant-tyran à deux ans et demi ??? J'en reste baba. Cela promet de beaux jours aux parents...
RépondreSupprimerEvidemment, comme le souligne Frédéric si on élève ses enfants devant la TV ou une console on risque d'en faire des gosses et de futurs adultes complètement déconnectés et qui vont souffrir.
Comment peut-on élever des enfants avec des choses sans limites ?
Il suffit de voir ce que sont devenus les enfants uniques de Chine, hyper gâtés (dans tous les sens du terme) par les parents et les grands-parents, c'est effrayant.
J'espère Docteur que vos instruments ont tous survécu.
BG
Nous sommes bien d'accord, Chantal.
RépondreSupprimerEt vos questions semblent contenir leurs réponses.
Le sujet, qui me parait "lourd", de par son poids social et ses conséquences à moyen terme, mériterait d'être discuté à grande échelle, comme tous les problèmes de santé publique majeurs.
Mais plus ça va plus j'ai l'impression que la santé publique en française est bien malade, voir sub-claquante.
Qui a dit "morte" ?!!!...
Frédéric
@Frédéric: je vous rassure, en Allemagne c'est aussi un peu ca, un peu moins pour l'instant qu'en France.
RépondreSupprimerIci c#est léducation antiautoritaire, en mode dans les années 70 ou / et 80 qui sont l'origine. J'avoue être choqué de voir des jeunes de ca 14 ans cracher alors qu'on passe et qui se vantent d'être à nouveau passer devant le juge pour enfants. Choqué devant le non respect devant les enseignants qui dans certaines écoles doivent être à deux pour tenter à imposer un calme afin de donner un cour. Choqué de voir la 3e génération de Turc (donc la seconde née en Allemagne) de parle l'allemanand avec un fort accent et qui exigent de leur enseignant allemand dans une école allemande de parler uniquement le turc. Choqué que les parents laissent faire leur enfants tout et n'importe quoi sous prétexte que ce n#est qu'un enfant en bas âge - sauf avec 4 ans ce n'est plus un tout petit mais une plaie!
Quand je travaillais, à l'Anpe, certains venaient avec leurs enfants qui couraient partout sans aucune gène et mon collègue commença à s'énerve. J'étais toujours derrière l'enfant à remettre les choses en place et entendu mon collègue dire à l#enfant que chaque matin j'avale un enfant au petit déjeuner. Les enfants n'ont plus bouger et leur parents étaient surpris et choque, mais ne sont plus jamais revenu avec leur descendance.
Je trouve un peu moins de laxisme, un peu plus de sévérité indiquant clairement la conduite et les règles à ternir, un peu de respect envers les aines et un peu plus de bon-sens et le monde irait nettement mieux, ainsi la vie en société plus agréable.
Bon vendredi
Chantal
Très intéressante analyse du Dr du 16 qui met en évidence plusieurs clés pour comprendre comment une société construit des enfants spides ou turbulents: du renforcement parental des comportements (cette mère qui se rengorge tout en prétendant vaguement reprouver le comportement de son enfant)qu'on retrouve chez bien des enfants "différents", avec des parents qui s'interrogent avec insistance en public avec une fierté (mal) dissimulée: "je me demande bien comment j'ai réussi à faire un enfant si différent", aux conditionnements sociétaux (il est interdit d'interdire).
RépondreSupprimerIl n'y a pas si longtemps, un siècle à peine, les enfants mouraient comme des mouches. Il ne fallait pas s'attacher.Et la valeur qu'on leur accordait tenait surtout au travail qu'ils étaient capables d'accomplir dès qu'ils tenaient sur leurs jambes.
Les enfants actuels, prolongement narcissique de leurs parents, chargés de réussir, comme les y exhorte la société, ce que leurs parents auraient échoué, mais qu'il est permis de frapper à volonté, sont ils bien plus heureux?
Ces enfants si menaçants,qu'il faudrait à tout prix contrôler, de peur qu'ils prennent le pouvoir et qui éveillent des fantasmes pleins de peur et de ressentiment.
J'ai retrouvé les chiffres exacts: il y a quelques années, 87,5% des parents français frappaient leurs enfants. Une étude américaine faite sur des familles de la classe moyenne réputées non maltraitantes (Graziano et al 1996) montrait que 83% des parents frappaient leurs enfants, 4% tous les jours. Et dans un tiers de ces familles, l'utilisation de la violence peut atteindre des niveaux qui sont ceux des familles maltraitantes (fréquence des coups ou blessures induites). Une autre étude américaine montait que les enfants frappés deviennent avec le temps plus provocateurs, plus agités, plus agressifs.
Les enfants frappés vont apprendre une des deux choses suivantes seulement: à rester des victimes ou à devenir agresseurs à leur tour.
Un adulte a à sa disposition bien d'autres moyens de ne pas se laisser déborder par un enfant turbulent.
Il faut peut-être penser à laisser aux enfants, qui ne sont pas des adultes miniature, le temps de grandir.
Arrêtons les discours bien pensants ou complaisants de gens qui sont prêts, lâchement, à se défouler sur des enfants.
CMT