jeudi 26 mai 2011

Parabènes : principe de précaution à géométrie variable. Histoire de consultation 81.

Roméo et Juliette - Cazadores (quand j'étais...).

Monsieur A, 63 ans, est assis en face de moi, nous parlons de choses et d'autres (je me demande parfois si "je fais de la médecine" quand je reçois mes "vieux" patients qui viennent me voir une fois tous les trois mois et que nous parlons comme au Café du Commerce du temps qu'il fait et du temps qu'il ne fait pas), et, tout d'un coup, je me fais agresser (je précise tout de suite que ce genre d'agression me laisse froid bien que, comme vous le verrez et comme vous le voyez déjà, cela me permet d'alimenter le blog).
"Vous avez vu la liste de tous les médicaments qui contiennent des parabènes ?" Je regarde le patient d'un air distrait. "Pourquoi m'avez-vous prescrit du primperan il y a deux mois ? Il y a du parabène dedans..."
Avant de répondre, mon cerveau travaille à cent à l'heure (il n'y a pas de radar dans mon cabinet), et je pense à toute allure que je suis sur le point de faire un abus de pouvoir. Je mélange la liste des 400 médicaments contenant du parabène qu'a révélée le journal Le Monde (on révèle ce qu'on peut) (ICI) avec la Loi votée en avril par les députés français interdisant les phtalates et le parabène (sous les applaudissements et à l'initiative du groupe socialiste qui est à la fois le champion du Principe de Précaution et, en d'autres domaines, celui de la Présomption d'Innocence) (ICI) et les députés UMP, qui, dans l'ensemble (il est vrai qu'interdire les phtalates qui sont utilisés dans les plastiques mous et les conservateurs...) , sauf 19, n'ont pas voté la loi mais dont 77 (autres ou pas) ont râlé contre la désignalisation des radars sur les routes (il ne s'agit pas ici du Principe de Précaution mais du Principe de Certitude : La vitesse tue)... Il ne m'étonnerait pas, par ailleurs, que des associations écologistes demandent l'interdiction des radars en raison du fait que les ondes émises entraînent des céphalées chez les hypersensibles... même et surtout s'ils sont flashés en excès de vitesse... Donc, mon cerveau ayant connecté à la vitesse de la lumière toutes ces informations entre elles, je dis ceci (une grosse connerie) à "mon" patient dont je suis, administrativement et en pratique, le médecin traitant : "Cher ami, je vous rappelle que vous êtes diabétique, que cela fait dix ans que je vous suis ou à peu près, que vous êtes au fait des complications possibles de votre maladie et que, malgré tout, vous continuez de fumer 20 cigarettes par jour avec des artères des jambes rétrécies et une coronarographie limite... Vous n'allez quand même pas m'emmerder avec les parabènes..."
On se calme.
Je laisse aux commentateurs les commentaires sur ma façon de réagir (qui ne me ressemble pas en patientèle parce que, dans l'ensemble, je crois moins en la médecine que mes patients), commencer son autocritique étant probablement une façon de se justifier, de se dédouaner ou de faire le malin... Et, encore une fois, les Valeurs et Préférences des patients, ici les agissements, je les respecte...

9 commentaires:

  1. Très bonne réponse au patient, je l'avoue, mais pas la dernière phrase. Tu aurais pu conclure en disant qu'il se demande comment les gens en sont arrivés jusqu'à interdire les parabènes sans trouver d'alternative logique. En fait "Le Monde n'a fait que son travail en tant que media, et aux scientifiques de faire le leur.

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  2. En dehors du ton et de la formulation de la réponse, il me semble effectivement difficile de faire prendre conscience aux patients des échelles de grandeur des risques ou facteurs de risque auxquels ils sont confrontés...Leur culture, leur histoire, leur personnalité les focalise sur des risques qui nous semblent des détails... mais qui est détenteur de la vraie définition de la santé : le patient ou le médecin ? Qui doit décider ( et quand ) de ce qui est important ?

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  3. On peut comprendre que prédomine un sentiment d'insécurité, puisque les gens savent désormais que le mensonge institutionnel pour cause de conflits d'intérêts existe.

    Le fait que ce soient désormais les médias qui servent de référence aux patients pour savoir quoi penser montre assez la défiance, hélas justifiée, qui s'est installée dans la population envers les institutions.

    Mais on peut être aussi agacé de constater que les gens continuent à se scandaliser et à paniquer en coeur au rythme imposé par le temps et les contraintes médiatiques, sans aucune réflexion de fond.

    Pour le cas particulier, il y a aussi une sorte de loi naturelle universelle qui veut que l'individu qui se prend le moins en charge, qui se comporte plus que d'autres comme un consommateur passif et exigeant soit aussi le plus revendicatif.

    Je pense que ce patient, qui vous connaît depuis des années, et qui à ce titre, devrait vous accorder un minimum de confiance a simplement dépassé les bornes.

    C'est une sorte de maltraitance par ricochet: il se sent maltraité par les institutions alors il maltraite son médecin.

    Vous avez bien fait de l'envoyer promener et, à votre place, j'aurais aussi appelé la SPM (Société Protectrice des Médecins).
    CMT

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  4. Ma première réaction à la lecture de ce billet a été une re-re-reconfirmation de la puissante intuition que j'ai développée depuis mes toutes première années d'études médicale, voulant que "moins on prend de cachetons, mieux on se porte".

    Je me permet d'anticiper certains commentaires en déclarant que je ne suis ni un détracteur de Pasteur (même s'il paraîtrait qu'il ait déclaré sur son lit de mort : "Le terrain est tout !"), ni un rétrograde qui nierait l'apport du médicament dans le traitement de bon nombre de saloperies que personne, moi le premier, ne voudrait attraper.

    Cependant, dans la délicate recherche d'un juste milieu entre l'obscurantisme et le scientisme, ou le consumérisme médical effréné, il me semble qu'à l'heure actuelle, faire pencher l'équilibre de la balance vers le "moins" relève du devoir et de la responsabilité des médecins.

    Ma démarche est la suivante : les médicaments sont des produits chimiques de synthèse, étrangers au métabolisme humain, et auxquels il n'est exposé que depuis quelques décennies seulement. Tout traitement chimique (chimiothérapie) comporte un potentiel de dangerosité à court et à long terme, notamment lorsque l'on se place dans l'optique des doses cumulées et des interactions entre produits.
    Deuxième constat : cette dangerosité à long terme n'est PAS ÉTUDIÉE, pour toutes les raisons que vous connaissez (Big Pharma n'aime pas se tirer de balle dans le pied, nos "responsâââbles" sont des marionnettes, etc.)
    Conclusion : quand il n'est pas indispensable de prescrire, ne prescrivons pas. Dans le rapport bénéfice-risque du traitement, je pense que nous devons aussi prendre en compte le risque méconnu, mais probable, ou du moins plausible.
    D'autant que les exemples ne manquent pas, du distilbène jusqu'au médiator.

    Une autre approche possible du problème serait de se dire tout simplement : en prescrivant des spécialités inutiles pour traiter des rhumes qui n'ont pas besoin de l'être, je suis peut-être en train de distiller à mes patients des substances qui vont leur coller un adénocarcinome invasif dans quelques décades.

    C'est fou ce qu'on voit comme cancers de nos jours, non ?...

    PS : je suis jeune praticien, je suis tout à fait preneur quant aux éventuelles méthodes pour faire passer ce genre de message au patient de façon simple, claire, et sans avoir l'impression d'être obligé de me justifier à chaque fois que je soigne une virose.

    PS 2 : le sérum physiologique contient-il du parabène ? ;)

    Frédéric

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  5. A chaque époque ses croyances et le scientisme, la croyance en la toute puissance magique de la science, est la réligion des temps modernes.
    Frédéric a sans doute raison et on pourrait sûrement supprimer 50% (peut-être 60, peut-être 80%) des prescriptions sans que la santé des individus ou la santé publique en soit affectée. Il n'est pas impossible qu'elle en fut même améliorée.
    Mais il y a une autre loi, la loi de la gravitation universelle, qui s'applique aussi aux sociétés humaines, et qui fait que quand on ne suit pas l'orbite qui nous a été assignée, plus on s'éloigne du centre, du noyau dur des croyances communes, plus on se sent irrésistiblement ramené vers lui.
    Ceux qui restent dans l'orbite ne s'en rendent pas compte mais moi qui essaye de lutter contre sans me rattacher à un courant de pensée (une autre orbite avec un cente de gravité secondaire) je me rends compte que cette force existe car je la ressens très puissamment.
    Le centre de gravité des médecins est tout de même la croyance en l'efficacité de leurs prescriptions (sauf pour les cyniques, et j'espère qu'ils ne sont pas nombreux). D'où que les idées de Frédéric paraissent difficiles à mettre en oeuvre.
    CMT

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  6. Permettez moi une réaction sur le vif, CMT :

    Tout d'abord, en scientifique que je suis, l'affirmation "plus on s'éloigne du centre (...) plus on se sent irrésistiblement ramené vers lui", à propos de la gravitation, m'a laissé comme un goût de "bizarre"...
    En effet, et si c'était le cas, les fusées auraient, au fur à mesure qu'elles s'éloignent de notre Terre, de plus en plus de difficultés à s'en éloigner.
    Pas commode.

    Secundo, quand vous prétendez que "Le centre de gravité des médecins est tout de même la croyance en l'efficacité de leurs prescriptions (sauf pour les cyniques, et j'espère qu'ils ne sont pas nombreux)", là j'ai le poil qui commence à frémir !
    J'ai la faiblesse, ou la bêtise, à moins que ça ne soit un peu d'humilité, de justement tout faire pour ne pas verser dans la "croyance en l'efficacité" de mes prescriptions. En tout cas je n'en fait pas mon centre de gravité !
    Si, quoiqu'en disent les syndicats, tant de médecins n'avaient pas fait de cette croyance bornée le centre de leur pratique, peut-être que moins de médiator aurait été prescrit, non ?
    Il me semble qu'une certaine dose de scepticisme est nécessaire en médecine, et d'abord vis à vis de soi-même et de ses prétendues compétences.
    Disons que comme Jean Claude Grange, et pour le citer, "je crois moins à la médecine que mes patients"...

    Suis-je cynique à vos yeux pour autant ?

    Frédéric

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  7. A Fréderic,
    Vous avez parfaitement raison à propos de la loi de la gravité, mais c'est l'effet ressenti en effet, plus on s'éloigne du centre (des croyances communes), plus on ressent une force qui tend à vous y ramener. On pourrait apppeler ça la loi de gravitation inversée. Mais le principe reste le même (l'attraction vers le centre de gravité).
    Pour le reste, je parlais de la masse des médecins, qui font que la médecine est ce qu'elle est, ceux qui ont pris au pied de la lettre ce qu'on leur a appris à la fac et continuent à y adhérer, qui prescrivent larga manu. Je voulais dire que ceux qui prescrivent larga manu, sans même croire en l'efficacité de leurs prescriptions, sont tombés dans un certain cynisme.
    Vous avez bien compris que je ne suis pas dans cet état d'esprit non plus et que je ne suis pas cynique pour autant.
    J'espère que c'est plus clair.
    Quant au scepticisme, je crois que c'est à la fois ma croix et mon pain quotidien (pour rester dans le réligieux). Ce qui tend à m'éloigner du centre de gravité (pour revenir à la physique)
    CMT

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  8. @ CMT :

    C'est beaucoup plus clair en effet, et nous sommes finalement d'accord (ce dont je me doutais un tout petit peu dès le début ;)).

    Merci d'avoir précisé votre propos.

    Frédéric

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  9. Et depuis que les parabens ont disparu, les allergies à la méthyle-isothizolinone sont revenues en masse…

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