Madame A, 53 ans, vient au cabinet pour et avec son mari qu'elle accompagne toujours en consultation. Ils donnent l'impression (dans mon cabinet) d'un couple fusionnel mais Monsieur A parle aussi. C'est un obsédé du cholestérol. Mais tel n'est pas notre sujet.
Nous parlons de la retraite et nous tenons une conversation dans le style café du commerce, ouvrons les poncifs, il faut la préparer (la retraite), c'est parfois difficile, la nécessité d'un projet, du social et de l'humanitaire ou de l'associatif, ici : du sport, les problèmes de couple au moment de la retraite, bla bla.
Là où cela devient intéressant c'est que, de fil en aiguille, Madame A, qui est auxiliaire de vie dans une résidence pour personnes âgées, me parle, sans en avoir l'air, des problèmes de l'autonomie perdue des personnes âgées dont elle s'occupe. Et son mari surenchérit : "Ma femme éprouve une véritable hantise de devenir comme elles." Elle : "Je ne supporterais pas d'en arriver à ce stade, je préférerais en finir."
Madame A ne s'occupe pas de personnes démentes, il n'y a pas d'Alzheimer, seulement des personnes vieillissantes qui ne pouvaient continuer de vivre chez elles toutes seules et qui ont dû choisir, forcées, un logement communautaire.
Ainsi, cette femme sportive qui semble vivre heureuse avec son mari, n'aime pas la représentation de la vieillesse qu'elle côtoie dans son travail. C'est un des grands problèmes de la notion d'autonomie véhiculée dès le plus jeune âge dans notre société. Les projets de vie sont des projets autonomes, dès la crèche et l'école maternelle.
J'essaie, dans le cadre de cette consultation de quinze minutes de médecine générale que nos énarques et autres hospitaliers considèrent comme de la merdre absolue, d'informer cette patiente (qui, je le souligne encore, accompagne son mari) sur quelques notions pratiques que toute aidante devrait avoir apprises avant de commencer à s'occuper de personnes âgées.
Je ne cite à aucun moment le mot anglais care. J'essaie, par des métaphores (subtiles), des exemples choisis, des allégories parlantes, de maïeutiser ma consultation (je ne suis pas psychiatre ou psychothérapeute ou membre actif d'un groupe Balint et je n'ai pas le temps de faire reformuler par la citoyenne assise en face de moi ce qu'elle devrait penser de ce que je ne lui ai pas dit), afin d'illustrer le concept d'autonomie (celui d'Emmanuel Kant et / ou celui de John Rawls et / ou celui de Lawrence Kohlberg) pour le critiquer, j'essaie d'introduire la notion de vulnérabilité selon Carol Gilligan et Joan Tronto, c'est à dire que les humains sont tous, à un moment ou à un autre, vulnérables et pas seulement les handicapés ou les malades ou les personnes âgées démentes ou non, et que, last but not least, la perte d'autonomie ou la vulnérablité ne nous rendent pas inhumains. Je donne deux exemples avant que la cloche du quart d'heure ne résonne dans la cabinet : la personne âgée qui bave en mangeant et qui a besoin d'une aide pour aller faire ses besoins, est, encore, un être humain pensant qui comprend, qui raisonne, qui analyse et qui se réjouit ; le bébé que nous avons été est un être humain, certes en devenir, mais qui est le prototype parfait de l'humain inautonome et totalement dépendant que nous aimons et, même, que nous pouvons adorer (Donald Winnicot n'a-t-il pas écrit : "Un bébé, ça n'existe pas." au sens "Un bébé, ça n'existe pas seul" ?). Je termine par un couplet, indispensable, sur la souffrance des aidants et le couple s'en va, que je reverrai avec le résultat du cholestérol, et, peut-être, des questions sur l'autonomie et la vulnérabilité. Et peut-être que j'introduirai la notion de care... Allez savoir.
Elle est pas belle, la médecine générale ?
(A gauche : Carol Gilligan - crédit photographique csgsnyu.org - A droite : Joan Tronto)
Tout comme cette dame, je ne m'imagine pas bavant ds mon assiette et faisant ds mes couches...Bien sur que ce sont des humains , mais vous croyez qu'ils n'ont pas conscience de la dégradation de leur corps et qu'ils sont tout heureux de leur nouvelle condition? ;)
RépondreSupprimer@ DB
RépondreSupprimerDans le cas précis, que faites-vous ? a) vous vous suicidez ; b) vous demandez à votre médecin traitant de vous euthanasier ; c) vous prenez le train pour la Suisse ou les Pays-Bas...
Je grossis le trait mais il est certain que le problème des places dans les institutions serait vite réglé...
L'acceptation d'un certain de degré de dépendance et de vulnérabilité est un aspect essentiel, à mon sens, du vieillissement.
Car sinon, il n'y a plus de limites...
Bien entendu que chaque situation est unique mais il faut quand même réfléchir à la condition humaine en tant que telle qui ne correspond pas à l'image idéale, pour les femmes, de Naomi Campbell avec le cerveau d'Albert Einstein, pour les femmes, ou de Brad Pitt avec le cerveau de Stephen Hawkings.
Chacun devrait pouvoir choisir "ses" limites.
RépondreSupprimerEt bien oui, je suis pour l'euthanasie .
J'aime bien la différence qu'il y a entre "soigner quelqu'un" et "prendre soin de quelqu'un".
RépondreSupprimerLes médecins et infirmières soignent la personne âgée.
La famille, les amis, les voisins, l'aide ménagère prennent soin de la personne âge: lui font prendre son repas, ses mpédicaments, son bain...
Pour votre prochaine consultation si vous ne voulez pas employer le verbe "to care", essayez le verbe "to take care of"
Cordialement
@ Ha-Vinh. Selon Joan Tronto : le care est un processus complet en quatre étapes successives : se soucier de (to care about), prendre en charge (to take care), prendre soin (to give care) et recevoir le soin (to receive care). On peut aussi définir le care comme une disposition à la réceptivité par quatre substantifs : l’attention, la responsabilité, la compétence et la capacité de réponse.
RépondreSupprimerC'est donc plus compliqué que cela...
On peut aussi se le carer dans l'oigne.
RépondreSupprimer^^
Ne me remerciez pas,j'adore contribuer à la précision d'un débat...