En ces temps de disette et d'annonces de la disparition programmée des médecins généralistes et, à terme, de la médecine générale (à condition bien sûr qu'elle ait jamais existé en tant que spécialité, mais c'est une autre affaire dont nous avons déjà beaucoup parlé ICI ), Des Spence, un de mes éditorialistes favoris du British Medical Journal comme vous le savez (LA), vient d'écrire un petit article qui m'a rendu admiratif. On sent bien entendu que Des Spence a écrit avec prudence, pour ne pas heurter la sensibilité des infirmières et pour ne pas entamer le politically correct qui veut que les médecins sont des infirmières comme les autres mais que son second, voire son troisième degré, ne peuvent masquer sa presque certitude de l'intérêt des médecins versus les nurses... Vous pouvez le lire en anglais si vous êtes abonné au BMJ (ICI).
Je vous raconte l'affaire.
Première partie (démagogique) : Quand nous étions jeunes (très jeunes) docteurs, écrit Spence, que nous étions souvent de garde et que nous ne connaissions rien à la médecine, c'étaient les infirmières qui permettaient que tout se passe bien à l'hôpital. Avec une phrase en plus : Ceux qui ne respectent pas les infirmières ne respectent pas la profession médicale. Fin des flagorneries anglo-saxonnes.
Deuxième partie (factuelle) : Sur Twitter, poursuit Spence, un débat fait rage et on peut le résumer ainsi : les infirmières senior peuvent remplacer les médecins car elles sont meilleures (une étude suggère qu'elles obtiennent un taux plus élevé de satisfaction de la part des patients et que les résultats post consultation sont identiques) et qu'elles coûtent moins cher (en moyenne 35 000 vs 57 300 £). Spence commente : on ne peut discuter le niveau des salaires, certes, pour proposer le remplacement des médecins par des infirmières, mais pour les résultats, il est quand même possible de contester : la plupart des maladies vues en médecine générale sont bénignes, se résolvent d'elles-mêmes, du moins à court terme (c'est moi qui complète) et il est normal que l'on ne voit pas de différences entre infirmières et médecins ; mais le cas des maladies graves et / ou rares, celles où il ne faut pas faire d'erreurs diagnostiques et / ou thérapeutiques d'urgence, n'a pas été spécifiquement pris en compte, ce qui fait la faiblesse de ces études comparatives. Or, c'est dans ces cas qu'il est nécessaire d'être efficace.
Troisième partie (géniale et pertinente et que nos technocrates arsiens -- venus des ARS, ces monstres bureaucratiques nés des lois néo libérales LOLFde 2001 et RGPP de 2007 -LA, ne peuvent ni lire, ni comprendre, ni apprécier, tant ils sont obsédés par la politique du chiffre et par la négation des personnes) : Spence commence par ceci : un aspect économique négligé est celui de la fonction primordiale de la médecine de premier recours qui est de faire barrière (gatekeeper). Les coûts de la santé publique sont liés aux coûts hospitaliers, poursuit-il. L'efficience de la médecine générale doit être jugée ainsi : une analyse de sang coûte quelques dizaines d'euros, une consultation externe quelques centaines, une admission en urgence quelques milliers. La valeur de la médecine générale ne tient pas à ce qu'elle fait mais à ce qu'elle ne fait pas. Or, l'étude favorable aux infirmières, montre qu'elles prescrivent plus et qu'elles adressent plus. Un adressage ou deux de plus par semaine et même quelques investigations en plus peuvent entraîner des dizaines de milliers d'euros dans le flot des dépenses courantes du NHS. De plus, les infirmières passant en moyenne plus de temps avec les malades que les médecins généralistes (15 - 20 vs 10 minutes), elles seraient en droit de demander des salaires équivalents, mais sont-elles plus coût-efficientes que les médecins ? Nul ne le sait.
Spence continue ainsi : la fonction barrière de la médecine générale requiert une personnalité rassurante et, plus que tout, une aptitude à accepter l'incertitude. Quand on travaille en équipe les titres et les qualifications ne sont pas primordiaux pour endosser ces attitudes. Il existe trois priorités dans la pratique de la médecine générale : l'expérience, l'expérience et l'expérience.
Merci Des Spence.
Un petit commentaire : cette fonction barrière de la médecine générale est souvent décriée en France car on y associe une fonction mineure, non noble, de sous-médecin, d'officier de santé, d'infirmière en quelque sorte, alors que les propos de notre généraliste écossais rappellent que cette fonction est primordiale, demande de l'expérience, des connaissances, de l'empathie, de la persuasion, du dialogue et une part d'acceptation de l'incomplétude de l'art médical, sans compter, et nos bureaucrates politiques dirigeants pourraient éventuellement en tenir compte, qu'elle permet de diminuer les coûts de la santé.
Nul doute, pourtant que les arsiens ne retiendront de cela, leur haine bureaucratique de non médecins pour les médecins étant à la hauteur de leur incompétence, que la possibilité de remplacer à moindre coût les médecins par des infirmières qui, sans nul doute, en raison de la "promotion" dont elles se sentiront investies, ne renâcleront pas trop à la tâche avant de se rendre compte du piège qu'on leur aura tendu.
Mise au point : loin de moi l'idée de dénigrer les infirmières et de surévaluer les médecins généralistes (ce blog est le témoin de mon esprit critique) mais, puisqu'il faut dire les choses, disons les.
et tu les as fort bien dites ! Chapeau !
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerJe trouve ce propos intéressant, cela résume bien un problème essentiel de la médecine que l'on apprend d'abord avec ceux qui prescrivent beaucoup parce qu'"on ne sait jamais" et qu'"il faut se couvrir". Je trouve dommage que vous soyez si vindicatif vis à vis des "bureaucrates non médecins haineux des médecins", je ne pense pas que les ARS soient le pays des bisounours mais être aussi caricatural dessert votre propos me semble-t-il.
http://blog.lefigaro.fr/agriculture/2011/12/peut-on-substituer-les-medecin.html
RépondreSupprimerLa question a quand même été posée par une élue en fin d'année 2011 : peut-on remplacer dans les campagnes exsangues de généralistes, les médecins par des vétérinaires?
Il faut espérer que le prix de la consultation de médecine générale ne soit pas calquée sur celle de la consultation chez un vétérinaire!
@Babydooc. J'ai déjà écrit sur les ARS et sur le sieur Evin, ennemi des médecins pour des raisons qu'il serait trop long d'expliquer ici. Que ce soit dans les ARS ou dans les hôpitaux les fonctionnaires néolibéraux ont perdu le sens de l'Etat et du service public au nom d'une logique entrepreneuriale dont on connaît ailleurs les bienfaits. Vous verrez au mot clé ARS de mon blog que j'étaye. Ce n'est pas pour défendre les médecins que j'écris contre les ARS, c'est pour dénoncer les fonctionnaires placards grassement payés à être incompétents et à défendre leurs prébendes contre la santé publique. Jadis, nous avions des médecins peu compétents à des postes clés, nous avons désormais des non médecins totalement incompétents à des postes qui se sont multipliés comme des petits pains. Claude Evin est un double traître, mais il assume, à ses idéaux de gauche (?) et à la Santé Publique. Qui peut le dire plus clairement ?
RépondreSupprimerAlors là !!! j'applaudis des 2 mains . Et c'est de là que viennent tous nos problèmes ...YJ
RépondreSupprimerTellement d’accord.
RépondreSupprimerPour ce qui est du rôle barrière du médecin généraliste il apparaît dans l’article primé d’Atul Gawandé dans le New Yorker que j’avais déjà évoqué. Cet article traite des raisons du coût exorbitant de la santé aux Etats Unis. Une des raisons étant la disparition des médecins généralistes. Cette disparition aboutit à ce que les patients tendent à aller voir un spécialiste en premier recours. Or, si un généraliste peut soit prendre en charge le problème à moindre coût soit adresser à un spécialiste dans le cas où ses compétences seraient insuffisantes, l’inverse n’est pas vrai.
Un spécialiste met d’emblée en oeuvre des moyens techniques importants et coûteux mais il n’y aura pas de gradation de la réponse. Et si le malade s’est auto-adressé au spécialiste à tort le spécialiste ne corrigera qu’exceptionnellement en adressant le patient à un généraliste pour un débrouillage du problème. Et cette opération renouvelée des millions de fois aboutit à une médecine très chère pour le patient, très lucrative pour les médecins, mais dont l’impact sur l’état de santé des populations est nul voir négatif ou, dans tous les cas, est sans commune mesure avec les dépenses consenties et le coût global de la santé.
http://www.newyorker.com/reporting/2009/06/01/090601fa_fact_gawande
La « politique du chiffre », le fait d’envisager le service public d’un point de vue marchand en termes de rentabilité, de productivité aboutit à la négation du concept même de service public. La conception marchande des échanges est un habit bien trop étroit pour y faire entrer le concept de service public.
D’un point de vue marchand, comme seul a une valeur ce qui est rentable et que, par définition, le service public exclue la recherche de rentabilité un bon service public est un service public qui n’existe pas (comme le bon indien est un indien mort).
Dès lors cela place les agents du service public dans une position schizophrénique, puisqu’on leur demande de travailler activement à la disparition de ce qui donne un sens à leur travail, le service public.
Pour ne pas devenir fou, dans ces conditions on a plusieurs solutions. On peut adhérer aux thèses des réformateurs, donc aux politiques du chiffre. Celle-ci n’a pas besoin d’autre justification qu’elle-même, donc on peut y trouver un équilibre et un sens, quoique bien précaires.
L’autre solution est de dissocier l’institution du concept de service public : on peut avoir des missions de service public assurées par des institutions qui ne croient pas au service public, puisqu’elles ne croient qu’aux chiffres.
D’un point de vue marchand et entrepreneurial il est raisonnable de penser que si les infirmières coûtent moins cher il faut remplacer les médecins par des infirmières. Puisque le service n’est ni chiffrable ni rentable ce qui compte c’est uniquement la réduction des coûts, qui est, elle chiffrable.
C’est ainsi qu’on peut faire construire des prisons cela rapporte de l’argent, aux actionnaires des sociétés de BTP donc c’est une bonne chose. Mais elles seront vides car cela coûte de l’argent de payer des surveillants.
Je travaille pour ma part en très bonne entente et en parfaite complémentarité avec des infirmières. Je trouve que nos points de vue sont complémentaires et permettent donc de mieux cerner les problématiques des patients. Mais je constate ceci : nous n’avons pas la même manière de raisonner sur les problèmes médicaux. Pour qu’une infirmière raisonne comme un médecin sur les problèmes de santé il faudrait qu’elle ait fait des études de médecine et donc qu’elle soit…médecin. Ce problème n’apparaît certainement pas sur la masse de la bobologie mais apparaîtra dès qu’un problème complexe se posera, les problèmes complexes étant généralement les plus graves.
Et la difficulté c’est qu’on ne peut pas savoir à l’avance quel patient se présentant pour un trouble de santé apparemment bénin présentera un trouble qui s’avérera grave.
Donc, mettre des infirmières à la place des médecins peut s’apparenter à un jeu de la roulette russe.
Très intéressant et conforme à ce que j'écris dans un livre à paraitre le mois prochains sur la pénurie à venir de généralistes et les fausses-pistes.
RépondreSupprimerEn plus, en France, les IDE et les Sages-femmes sont considérées comme plus malléables par les hospitaliers dans ce que j'appelle la phase d'hospitalo-décentrisme.
Paul Le Meut
je suis infirmier et si on venait à me proposer de me substituer à un médecin, je refuserais fermement. Les infirmiè(r)es ne sont pas des médecins, mais elles(ils) peuvent apporter un autre regard et d'autres compétences. Chacun à sa place et chacun partenaire de l'autre, ni plus , ni moins.
RépondreSupprimerCordialement;
Un lecteur assidu de votre blog, merci à vous.
je refuserai une telle responsabilité et encore plus pour le salaire qu'est le mien. Ce que je demande c'est du respect, un vrai travail en équipe et de la reconnaissance de la part des médecins/chirurgiens de mon établissement. ça craint non ?!
RépondreSupprimer@ Dernière anonyme.
RépondreSupprimerJe suis d'accord à cent pour cent : collaborer et déléguer, si nécessaire, en connaissance de cause. Pas de démarche systématique.