mardi 10 avril 2012

Certains médecins ont encore du chemin à parcourir. Histoire de consultation 115


Aujourd'hui je reçois la famille d'une malade qui est morte depuis environ six semaines. Ils m'ont apporté des certificats à remplir pour l'Assurance du prêt de la Maison. Je passe sur les propos intimes qui sont tenus entre des gens qui se connaissent depuis environ trente ans. C'est à nous.
Commençons par les hors-d'oeuvre : le médecin de l'Assurance écrit à la famille pour leur demander d'une part que le médecin traitant remplisse des papiers afin qu'elle puisse estimer bla bla bla et d'autre part que le (dernier) compte rendu d'hospitalisation lui soit fourni. L'Assurance a déjà reçu, me dit la famille, sous pli fermé, j'imagine, le certificat de décès. Fin décembre 2011 un cancer digestif avec carcinose péritonéale d'emblée a été découvert au scanner demandé par moi-même pour de (vagues) douleurs abdominales et pour un amaigrissement rapide. Le 15 février la patiente de 76 ans était morte. Comme elle était hypertendue et diabétique non id, l'assurance pose des questions sur l'éventuelle implication de ces pathologies préexistantes qui avaient été dûment mentionnées dans le dossier de prêt. Bon, je râle, mais je remplis.
Le diagnostic du scanner ne faisait aucun doute : la malade allait mourir rapidement, très rapidement, il n'y avait aucune thérapeutique possible, et, selon mon expérience, il était d'une absolue nécessité de la laisser tranquille
Mais le mari de la patiente me dit aussi : Heureusement que vous nous avez dit qu'il ne fallait pas accepter la chimiothérapie parce qu'elle n'a pratiquement pas souffert. Et le fils : Oui, mais quand même, ils ont commencé une cure mais elle l'a tellement mal supportée qu'ils ont dû arrêter. Moi : Vous aviez accepté ? Lui : Non mais ils ont dit qu'il pouvait toujours y avoir un petit espoir, alors, que voulez-vous, nous avons cédé... Le mari : Mais, vraiment, à l'hôpital, je sais que c'est comme cela que l'on fait maintenant, ils n'ont cessé de lui faire comprendre que c'était fichu, qu'elle n'allait pas s'en sortir, quatre fois ils lui ont parlé comme cela, quatre fois, vous vous rendez compte. Moi : Je me rends compte.

Je vous ai déjà parlé du problème du dire la vérité aux malades (ICI) et comment nous sommes passés du mentir à tout prix au dire la vérité à tout prix.
Voici ce que j'écrivais en février 2010 : Il n'y avait donc aucune différence entre dire à mon malade "Vous n'avez rien." et dire à mon malade "Vous allez mourir." Sauf quelques années de plus. Ces deux phrases sont l'expression d'une même angoisse du praticien qui ne cherche qu'à se préserver, à juste titre probablement, mais qui ne préserve rien chez le patient. C'est pourquoi les Anglo-Saxons se posent des questions sur la vérité à tout prix. Le "Vous allez mourir" est encore plus paternaliste que le "Vous n'avez rien." car le praticien, dans le deuxième cas, se compare à Dieu capable de prévoir qui entrera ou n'entrera pas dans le Royaume des Cieux...
Je ne suis pas certain que les hospitaliers soient conscients du fait que la moindre de leurs attitudes, le moindre de leurs gestes, la moindre de leurs paroles, et cetera, sont pris au premier degré par les patients et par leurs familles.
Je suis désolé de dénoncer encore. 
Je rapporte simplement, je rapporte le désarroi de cette famille qui a eu l'impression (il faut toujours être prudent) que les hospitaliers, les oncologues en particuliers, n'ont pas été "bien". La notion d'être bien est éminemment subjective mais cette malade a souffert de savoir qu'elle allait mourir et qu'il n'y avait AUCUN espoir. Ce n'est pas humain de dire à quelqu'un qu'il n'y a AUCUN espoir. Il y a toujours un espoir, la grotte de Lourdes est là pour le montrer et la réalité non magique, simplement matérielle, ne cesse de nous décevoir ou de nous surprendre en bien. Et j'imagine que dans ce service il y avait des gens qui n'étaient pas d'accord, des médecins comme des infirmières, des aides-soignantes comme des personnels de ménage, mais aussi des jeunes médecins qui ont cru que c'était comme cela qu'il fallait se comporter et qui se comporteront dans la même situation de la même façon, et d'autres qui se jureront de ne pas faire comme cela et, peut-être, mais ce n'est pas la tendance actuelle, que cela les fera quitter l'hôpital...
(Dessin : Philippe Geluck)

13 commentaires:

  1. Ce sujet est au coeur d'une discussion houleuse avec ma remplaçante... Sous prétexte de vérité on ne peut pas tout dire, c'est inhumain. Il faut dire juste ce qui est entend able, doucement et faire progresser les gens avec la lenteur de leur mort annoncée.

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  2. Quelque soit le moment de la prise en charge du patient, l'espoir est incarné par le combat mené dans un premier temps pour la survie et dans un second temps pour la fin de vie. Accepter accompagner le patient dans sa lutte ultime pour la fin de vie, c'est accepter de grandir avec lui.
    Point besoin de réseaux d'équipes palliatives où les interlocuteurs bien trop nombreux finissent par prendre en charge le patient en pointillé, bien plus obnubilés par une démarche qualité où l'Humain, pourtant si important à ce stade là,se perd au centre d'un dispositif technico-administratif dépersonnalisant.

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  3. Dire aux gens "vous allez mourir", c'est une horreur ! Il doit bien y avoir un moyen de noyer le poisson :: on vous passera un examen xyz le mois prochain ..Prenez ces pillules , ça vous fera du bien...Et le comportement des médecins et infirmières qui savent ,eux, est forcément analysé et décrypté par le patient ...

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  4. Technique de noyage du poisson :
    "cette maladie ne se guérit pas mais on peut la soigner, ralentir l'évolution"... Néanmoins, je reste intimement persuadé qu'on ne doit pas mentir au patient non plus : je ne dis jamais qu'il va guérir si les chances de guérison sont nulles (je n'ai jamais eu de miracle même pour ceux qui sont allés jusqu'à la fameuse grotte. Le voyage étant parfois éprouvant, il a pu même aggraver la situation ;-), je ne lui dit pas non plus que sa médiane de survie n'est que de 7,2 mois. (en général, je ne donne de chiffres que quand ils sont bons ;-)

    En revanche, je n'ai que très rarement dit à un patient vous allez mourir. D'ailleurs, très peu, d'expérience, l'entendrait réellement… Combien de fois est-on déjà obligé de reexpliquer la situation…
    Annoncer froidement les choses comme mentir effrontément, ce sont deux manières d'expédier le patient et de se faliciter la tâche. Il faut néanmoins bien préparer la famille aussi, point indispensable. Je leur précise toujours que je n'ai pas données les informations de la même manière à leur proche… Il faut parfois faire violence à la famille pour préparer la fin de vie mais il faut être capable de respecter le droit du patient à ne pas vouloir savoir.

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  5. Pour dire la vérité, encore faudrait il qu'il y ait une vérité.
    Le patient a le droit d'avoir une autre vérité, de ne pas vouloir entendre notre vérité et préférer la sienne.
    Peut être lui demander ce qu'il pense être le mieux pour lui et le mettre en musique éthiquement.
    Pourquoi la délicatesse et la finesse professionnelles devraient être chassées de notre profession ?

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  6. Il n'y a pas une vérité , une maladie un médecin, le médecin a du traverser ses propres épreuves , comparer son expérience à tout ce qu'il a pu lire , entendre , ce qu'on lui a conseillé-enjoint de faire , a du évaluer la capacité du malade , de son entourage s'il y en a un, de recevoir cette vérité que lui m^me évalue sans toujours une grande précision mais avec cette certitude :la partie est finie , il doit alors savoir parler quand c'est le moment , mais aussi parfois savoir ne pas parler .
    le poids de tout cela est lourd quelquefois, surtout quand l'entourage et le malade ne sont pas en phase ,
    tout ne s'apprend pas à la faculté ni dans Prescrire , et chacun est souvent renvoyé à lui-même, et à sa propre conception de la médecine , et de l'homme en particulier ...

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  7. Il n'y a pas une vérité , une maladie un médecin, le médecin a du traverser ses propres épreuves , comparer son expérience à tout ce qu'il a pu lire , entendre , ce qu'on lui a conseillé-enjoint de faire , a du évaluer la capacité du malade , de son entourage s'il y en a un, de recevoir cette vérité que lui m^me évalue sans toujours une grande précision mais avec cette certitude :la partie est finie , il doit alors savoir parler quand c'est le moment , mais aussi parfois savoir ne pas parler .
    le poids de tout cela est lourd quelquefois, surtout quand l'entourage et le malade ne sont pas en phase ,
    tout ne s'apprend pas à la faculté ni dans Prescrire , et chacun est souvent renvoyé à lui-même, et à sa propre conception de la médecine , et de l'homme en particulier ...

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  8. http://www.amazon.fr/mort-intime-mourir-apprennent-vivre/dp/2221094964/ref=sr_1_14?s=books&ie=UTF8&qid=1334144933&sr=1-14
    Certainement connaissez-vous Marie de Hennezel

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  9. Un de mes patient jeune, beau, riche, intelligent, heureux en famille, est en train de mourir de metastases rachidiennes d' un primitif au poumon: on l'a prevenu sans fioriture, et c'est tres bien comme ca parce qu'il peut prevoir l'apres lui.

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  10. Un de mes patient jeune, beau, riche, intelligent, heureux en famille, est en train de mourir de metastases rachidiennes d' un primitif au poumon: on l'a prevenu sans fioriture, et c'est tres bien comme ca parce qu'il peut prevoir l'apres lui.

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  11. De toute façon on va tous mourir.Les médecins qui annoncent aux patients que leur fin de vie est proche seront peut etre morts avant le patient!!

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  12. Bonjour. Je suis néphro à l'hopital et comme tout un chacun confronté de temps à autre à ce genre de questions. J'ai l'impression que la manière de se comporter et de communiquer dans ces situations renseigne souvent autant sinon plus sur notre position que sur celle du patient qui subit tout cela.

    Dire "vous allez mourir" est une manière en effet de s'en laver les mains, débroullez-vous en, et un aveu caché : je n'y peux pas grand-chose. Alors que l'attente est autour de ce que le médecin dit, fait et peut, même dans les choses les plus insignifiantes à nos yeux.

    Il y a globalement un manque de recul par rapport à ces pratiques, on nous parle de groupes Balynt pendant les études, etc....et puis pour ça comme pour le reste on fait comme on peut, comme on nous l' a montré (en bien ou en mal) et comme on le sent. Et donc tout cela est très subjectif, donc variable.

    Mais c'est aussi l'essence du fameux "colloque singulier" évoqué au cours des mêmes études que de confronter deux subjectivités, deux sujets (et ceux qui gravitent autour), on en revient toujours là, non?

    Pour les soins palliatifs, c'est compliqué, ça a un côté intervention technique ponctuelle avec les autres "équipes mobiles" (en tant qu'immobile j'ai quand même l'impression de crapahuter pas mal), avec des équipes parfois étranges qui te donnent l'impression de te ne pas connaître tes dossiers ou tes patients parce que tu n'as pas su voir ceci ou cela, ou oublié de presrcire 10 gouttes de truc.

    Mais la demande des patients et de des entourages est parfois forte. Mais certains malades y trouvent clairement un espace d'expression qu'ils n'ont pas su trouver ailleurs. Mais les personnes impliquées dans ces équipes se sont donné les moyens personnels, en formation, en expérience,....d'aborder au quotidien ces questionnements ce que tout le monde ne fait pas. Mais les pionniers de cette approche ont eu un rôle historique en remettant le souffrance et la mort au menu des hôpitaux.

    Bon, beaucoup de questions ouvertes par votre texte. Continuez.

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  13. Tu, dis, "nous sommes passés du mentir à tout prix au dire la vérité à tout prix."
    Or je n' ai pas le sentiment qu'on ait vraiment eu un temps de "mentir à tout prix".
    Le code de déonto, qui a été longtemps la seule voix "officielle" de la profession, disait simplement qu' il fallait y aller mollo dans ce type d' annonce et qu" un pronostic fatal tout à fait circonspect:
    "un malade peut être tenu dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic graves,(...)
    Un pronostic fatal ne doit être révélé qu'avec circonspection, "
    Après - c' est comme dans beaucoup de domaines pareil- entre la prudence d' énoncé d' une règle et l' application parfois caricaturale, il y a de la marge.

    En fait la difficulté est peut-être moins, à mon avis, ceci que de donner un ordre de délai à peu près fiable: Dire qu'un patient n' a plus que x délai à vivre...
    Jeep

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